Attendu à la lutte pour l’avantage tout relatif du terrain, le Jazz d’Utah est pour l’heure la meilleure équipe de la saison régulière et semble d’ailleurs bien parti pour le rester. Près de 80 % de victoires, le 1e offensive rating, le 4è defensive rating et une adresse insolente à trois-points, les hommes dirigés par Quin Snyder ressemblent à un véritable rouleau-compresseur qu’il ne fait pas bon de jouer. Pourtant, alors que les playoffs se rapprochent à grand pas, Donovan Mitchell, Rudy Gobert & cie ne sont jamais cités parmi les favoris au titre NBA. Pire, il semblerait que certaines franchises de la conférence ouest préféreraient largement les affronter plutôt que de se frotter à d’autres équipes, moins performantes pour l’heure.
Pour autant, la franchise d’Utah doit-elle se présenter en post-season avec la tête de la victime toute désignée ? Tentons de déterminer quelles sont les forces et les faiblesses de l’équipe, avant de nous pencher sur ce que pourrait être sa fin d’exercice.
* Les chiffres présentés ci-dessous ont été arrêtés au lendemain de la défaite face à Dallas.
Gargantua joue du saxophone
“Je pense vraiment que le Jazz peut faire une grande saison”. Visionnaire, le compte français des aficionados de l’équipe avait prédit dans nos colonnes que ses protégés étaient capables de tous nous surprendre en 2020-2021. Pensait-il que quatre mois plus tard, le Jazz régnerait sur la Ligue ?
De notre côté, nous étions moins optimistes, et estimions en interne que Utah terminerait son exercice régulier à la 5è place de la jungle de l’ouest, à la lutte avec les Mavericks, les Nuggets et les Blazers. Nous avions certainement encore en tête la désillusion de la bulle d’Orlando, où malgré un Donovan Mitchell sur une autre planète, le Jazz a dilapidé sa confortable avance au premier tour, pour finalement s’incliner avec des regrets après 7 rencontres. Fichue gamelle.
Force est de constater pourtant que Utah a rapidement trouvé la formule pour performer. Plusieurs éléments peuvent être mis en avant pour expliquer la domination actuelle des mormons.
Une constance remarquable
Vous le savez et il est probablement inutile de le rappeler ; l’exercice 2020-2021, par bien des égards, est bourré de spécificités. La première, bien évidemment, s’avère être la pandémie mondiale qui ne cesse de frapper.
Cependant, cette année, pas question de toucher les micros pour provoquer l’opinion générale. Pas question, d’ailleurs, de rater un match. En effet, le Jazz se démarque dans la Ligue par l’extraordinaire constance de ses joueurs principaux. Le 5 majeur projeté lors de nos prévisions, composé de Mike Conley – Donovan Mitchell – Bojan Bogdanovic – Royce O’Neal – Rudy Gobert a, en tout et pour tout, raté 13 rencontres, dont 10 pour le seul meneur. Plus encore, les 4 membres les plus importants de la rotation brillent également par leur présence permanente. Ainsi, Jordan Clarkson et Georges Niang n’ont pas manqué une seule confrontation, alors que Derrick Favors et Joe Ingles cumulent 6 absences. 6, c’est également le nombre de joueurs qui ont commencé une rencontre en tant que titulaire, ce qui démontre que jamais deux joueurs n’ont manqué à l’appel en même temps.
C’est moins, infiniment moins, que beaucoup d’autres grosses écuries de la Ligue :
Ainsi, seul les titulaires des Suns peuvent se vanter d’un taux de participation aux rencontres supérieur à celui du Jazz, parmi les 10 meilleurs bilan de la Ligue. En effet, Booker et cie n’ont raté que 9 rencontres depuis le démarrage de la saison. La moyenne s’élève à 40,9 matchs ratés par les titulaires ; ce sont les Nets et les Blazers qui ont le plus pâti des absences de leurs cadres. Pour autant, les hommes de l’Est affichent le 3è bilan de la Ligue tandis que les Orégonais sont pour l’heure exemptés du play-in tournament, malgré les absences de longue durée de Jusuf Nurkic et CJ McCollum.
On s’aperçoit donc que le Jazz fait figure d’excellent élève dans sa promotion. C’est également l’équipe qui a utilisé le moins de joueurs différents dans son 5 majeur (6, pour rappel), là où le total monte à 14 pour les Mavericks et les Sixers et même à 16 pour les Nets.
La forme actuelle de Utah s’explique bien évidemment en partie par la présence hebdomadaire de ses membres les plus importants. L’effectif est parfaitement huilé et n’a d’ailleurs quasiment pas évolué à l’intersaison, hormis l’arrivée de Derrick Favors, un ancien de la maison. Autrement dit, les joueurs se connaissent par cœur, maîtrisent les schémas tactiques de Snyder et récitent leur partition à merveille. Ils brillent également par leur adresse.
À vos marques ! Tirez (de loin) !
L’année passée, les hommes de Quin Snyder prenaient en moyenne 35,2 tirs à trois-points par rencontre. C’était alors un de plus que la moyenne de la Ligue (34,1), étant précisé que les mormons ont profité de la fin de la saison régulière à Orlando pour artiller dans tous les sens : 42,1 trois-points de moyenne sur les 8 rencontres. Dès lors, avant l’interruption de l’exercice régulier le 11 mars 2020, Utah prenait donc 33,1 tirs derrière l’arc par soir, soit le 17è total de la Ligue.
Avec 38% de réussite et trois joueurs à 40% ou plus, le Jazz était alors l’équipe la plus précise de loin. Cela donne un total de 39 points inscrits dans l’exercice tous les soirs (34,1 tentatives * 3 points * 38 / 100 = 38,87), soit le 7è bilan de la Ligue, ex aequo avec les Nets version Spencer Dinwiddie, Caris LeVert et Joe Harris. Les Rockets dominaient ces débats, avec 47 points inscrits grâce au tir derrière l’arc.
Cette saison ? Changement de physionomie de jeu chez les jaune et vert :
Les succès du Jazz, souvent fleuve, se bâtissent ainsi notamment sur la précision derrière l’arc (51 points / soir). Nous dénombrons pas moins de 7 joueurs qui atteignent ou dépassent les 38,5% de précision dans l’exercice. Parmi les hommes primordiaux, seul Rudy Gobert est incapable de scorer de loin, lui qui a pris la moitié de ses tirs à trois-points en carrière cette année … 3 / 6 (tous ratés).
Surrégime de certains joueurs ? Rien ne le laisse présager pour l’heure. Par exemple, Royce O’Neale a toujours été un shooteur fiable à distance, quand bien même ses actuels chiffres soient les meilleurs en carrière. S’il est en surrégime, celui-ci dure depuis le 22 décembre dernier, lui qui score autant en moyenne sur un tir à deux-points que sur un tir primé : 1,15 point par tir à deux-points de moyenne, contre 1,16 pour un long shot.
Que dire de Joe Ingles, dont 72 % des tirs sont pris à plus de 7m23 du panier ? Rien, hormis que sa réussite de 50% à trois-points sur 5,4 tentatives par soir constitue une immense anomalie statistique (1,5 point par tir primé pris, ce qui est absolument historique). En guise de comparaison, quand bien même le volume était tout autre, le Stephen Curry MVP unanime (2015/2016) inscrivait 1,33 point par tir primé tenté.
Tout ceci alors même que Bojan Bogdanovic vit aujourd’hui sa pire saison dans l’exercice depuis belle lurette … Le Jazz fait feu de tout bois et, surtout, fait mouche. Cela en fait aujourd’hui une équipe particulièrement compliquée à défendre et à manœuvrer. D’autant plus que nous n’avons pas encore évoqué le nom de Jordan Clarkson, 6è homme de la maison.
Clarkson, le second facteur de la maison
Transféré de Cleveland au milieu de la saison dernière, l’arrière est aujourd’hui en tête de la course du meilleur 6è homme de l’année. Second scoreur des siens derrière Mitchell, il se démarque dans l’effectif par son adresse moyenne, sauf dans l’exercice des lancers, où il domine la Ligue (95,5 % de réussite). Alors qu’il prend 58,2 % de ses tirs derrière l’arc, il ne convertit que 35% de ses tentatives ; s’il brille du côté gauche à 45°, il est bien moins adroit à droite ou dans les corners. Par contre, dès qu’il termine au cercle, Clarkson est létal : 70% de réussite dans l’exercice.
Dommage, d’ailleurs, qu’il n’agresse pas plus le cercle, lui qui ne termine à l’arceau que 9,3 % de ses actions. Pour autant, il demeure solide à mi-distance, secteur au sein duquel il prend encore 1/3 de ses tirs. Ne pourrait-il pas profiter du spacing de l’équipe pour s’approcher le plus possible du panier, endroit du terrain où il est de loin le plus efficient ? En effet, les deux lineups au sein desquelles il est le plus fréquemment aligné voient Snyder lui associer a minima 3 shooteurs : Conley, Ingles et Niang dans la première, Mitchell, Bogdanovic et O’Neale dans la seconde. Cela lui permettrait d’ailleurs de provoquer plus de fautes, lui qui transforme à merveille le lancer en point.
Ses 17,3 points par soir en font l’un des facteurs X de l’excellente saison des siens. Ses meilleures performances, souvent réalisées contre des grosses équipes (40 points à 65% au tir contre Philadelphia, 31 à 52% contre Dallas, 25 à 56% contre Milwaukee ou 23 à 69% contre Denver), sont majoritairement synonyme de victoire ; ainsi, lorsqu’il score plus de 13 points, Utah remporte 83,3 % de ses rencontres (30/36). Ce total chute à 57% lorsqu’il inscrit 13 points ou moins (8/14). En d’autres termes, lorsque Clarkson va, Utah va.
Une défense made in Jazz
Nous en reparlerons ci-dessous, et il n’est dès lors pas utile de nous épancher longuement ici sur le sujet ; le Jazz a retrouvé sa solidité défensive après une année de moins bien, autour d’un Rudy Gobert toujours aussi dissuasif. Une qualité inestimable, qui pourrait s’avérer particulièrement précieuse en post-season.
De Gargantua à Bambi ?
Les playoffs, justement. Nul ne doute que le Jazz disputera sa 5è édition consécutive ce printemps, très probablement d’ailleurs en tant que n°1 de sa conférence. En effet, le calendrier à venir est clément, avec 12 confrontations contre des équipes possédant un bilan négatif (dont 9 matchs contre les Kings, Rockets, Wolves, Thunder). Avec sa première place, la franchise affrontera le second “vainqueur” du play-in tournament, qui aura donc deux matchs en plus dans les pattes. Grandissime favori, les mormons ? Sur le papier, cela ressemble à une évidence. Faisons-nous cependant l’avocat du diable.
L’absence de référence(s)
Sous les ordres de Snyder, le Jazz s’est qualifié à 4 reprises en playoffs, pour deux demi-finales et deux éliminations consécutives au premier tour, en 2019 et 2020. Celle de l’an passé laisse des regrets ; alors que Donovan Mitchell scora 57 points dans le game 1 (perdu) et 51 dans le 4è (gagné), le Jazz menait 3-1 face à des Nuggets semble-t-il démunis. Et pourtant, après un game 7 placé sous le signe du cadenas, Utah dilapida son avance pour quitter la bulle d’Orlando la tête basse.
Ainsi donc, avec ses deux leaders que sont Donovan Mitchell et Rudy Gobert, jamais les mormons n’ont passé le second tour des playoffs. Certes, jamais non plus ils ont outrageusement dominé la saison régulière de la sorte. Il faut dire que pour voir un Jazz aussi fort, comparé à la concurrence, il convient de remonter à la période dorée de John Stockton et Karl Malone.
À l’heure actuelle, l’identité de l’adversaire au premier tour semble être les Grizzlies, les Spurs, les Warriors voire les Pelicans, qui ne sont pas si loin de la 10è place. Au cours des deux dernières semaines, Memphis est tombé à trois reprises sous les coups de boutoir de Mitchell et cie, même si deux rencontres furent particulièrement serrées (117-114 le 26/03, 111-107 le 31/03). San Antonio a été largement balayé en début de saison tandis que les Warriors et les Pelicans sont venus à bout à une reprise de la meilleure équipe de la Ligue.
Pour autant, aucune de ses équipes ne semble en mesure de venir à bout du collectif Jazz au meilleur des 7 matchs. Sans parler de sweep, puisqu’une défaite est vite concédée un soir de maladresse, difficile d’imaginer l’un de ces 4 prétendants prendre plus de 2 matchs à Utah ; Stephen Curry n’est pas magicien, le roster des Grizzlies et des Spurs est encore très jeune, tandis que les Pelicans, qui semblent talentueux sur le papier, affichent la 27è défense de la Ligue.
À ce niveau-ci, l’absence de référence en playoffs ne devrait donc pas s’avérer handicapante.
Les choses se corseront inévitablement au second tour. C’est un truisme. Pour autant, avant d’en parler, tentons d’expliquer pourquoi ce Jazz fait presque figure de petit poucet au sein de sa conférence une fois les matchs à élimination lancés.
Haut plancher, plafond bas ?
Si vous demandez aux supporters des équipes playoffables de la conférence ouest quelles sont les franchises qu’ils aimeraient affronter en priorité, le nom des Blazers et du Jazz reviendra probablement fréquemment. À tout le moins, c’est le cas chez nous, qui avons des fans de Denver, des Lakers, des Spurs, des Grizzlies et des Mavericks dans nos rangs.
Pour autant, est-ce que nous avons véritablement envie que nos équipes favorites croisent le fer avec Utah, ou souhaitons-nous surtout qu’elles évitent les différents monstres qui pullulent dans l’ouest du pays ? En effet, pourquoi voudrait-on affronter la meilleure équipe de la Ligue ? Peut-être parce que son roster semble taillé pour les 72 premières rencontres et que son plafond une fois les playoffs arrivées est peut-être moins élevé que celui d’autres équipes.
Ce “plafond” semble surtout renvoyer aux hommes forts de chaque équipe. Les Lakers et les Clippers ont des duos extraordinaires. Phoenix – dont on ne parle probablement pas assez – a confié sa mène à Chris Paul, joueur capable de transfigurer une équipe, comme il l’a démontré à Houston et à Oklahoma l’an passé. Nikola Jokic, en course pour devenir le 3è MVP européen de l’Histoire, ressemble non seulement à la kryptonite de Gobert, mais s’avère également être un franchise player hors du commun. L’on peut dire la même chose de Luka Doncic chez les Mavericks.
Ainsi, il apparaît que Utah ne possède pas en son sein un joueur de la trempe de ceux que l’on vient de citer. Parmi le top 7 actuel dans la conférence ouest, chaque équipe possède en son sein au moins un joueur qui, sur le papier, est susceptible d’élever le plafond de son équipe plus haut que ne pourrait le faire Donovan Mitchell et Rudy Gobert. La question n’est alors plus de remporter une rencontre ; c’est celle de remporter une série tout en ayant parfois “seulement” le troisième meilleur joueur de la confrontation.
À notre sens, c’est pour cela que Utah ne fait pas si peur que cela, malgré ses excellents résultats actuels. Le syndrome est celui qui touchait les Nuggets il y a deux ans, quand bien même les joueurs de Malone n’affichaient pas un tel bilan régulier. Il était alors estimé que l’effectif, très jeune et inexpérimenté, ne possédait pas le joueur capable de se transfigurer dans les moments les plus importants. Ou du moins, pas suffisamment.
Le très bon collectif des mormons assure à l’équipe un niveau plancher suffisant pour passer sans embuche – semble-t-il – le premier tour des playoffs, on l’a dit. Celui de ses deux franchises player permettra-t-il au Jazz de disputer sa première finale de conférence depuis l’époque Boozer / Kirilenko ? Si tel n’est pas le cas, ce sera la première fois depuis 2013 que le premier de la conférence ouest ne participe pas a minima aux finales de conférence.
Ne soyons cependant pas trop défaitiste et n’enterrons pas le saxophone avant qu’il n’ait fini de jouer. Donovan Mitchell a démontré l’an passé qu’il était capable de se sublimer dans les matchs à enjeu. Contrairement à l’an passé, Mike Conley a retrouvé ses couleurs, tandis que Rudy Gobert reste fidèle à lui-même, véritable tour de contrôle défensive. Alors, sans même parler de malentendu, voir Utah se fendre un chemin jusqu’en finale de conférence n’est pas que pure gymnastique d’esprit. La route sera néanmoins longue et ardue.
Vivre et mourir avec son adresse
Nous évoquions ci-dessus les remarquables performances du Jazz dans l’exercice si répandu du tir à trois-points. L’examen de l’ensemble des rencontres disputées par les mormons au cours de cet exercice 2020/2021 nous démontre toutefois que souvent, Utah meurt avec ses idées et son plan de jeu.
Ainsi, sur les 50 matchs analysés, la franchise affiche 76% de victoires (38 victoires, 12 défaites). Néanmoins, on s’aperçoit que lorsque l’adresse globale derrière l’arc s’élève au moins à 38%, le Jazz devient automatiquement imbattable … à une exception près. En effet, dans cette configuration, on dénombre 22 victoires pour 1 seule défaite, concédée face aux Sixers malgré 47,7% de réussite à trois-points. On reformule : si le Jazz est à peine moins précis qu’à son habitude (38%, donc), il remporte 95,6% de ses matchs.
Ce pourcentage de victoires chutent drastiquement si l’adresse longue distance est inférieure ou égale à 36%. On recense 16 matchs au sein desquels Mitchell, O’Neale et compagnies eurent une panne d’adresse, pour 8 défaites. Dès lors, les trois-quart des défaites ont été concédées alors que Utah peinait à faire ficelle à plus de 7m23. Ainsi donc, il semblerait que les hommes de Snyder n’aient pas forcément de plan B dans les soirs sans, en témoigne le ratio de 50% de victoire (-26 points, donc) lorsque l’adresse à trois-points descend à moins de 36%.
Sur le papier, la recette pour ennuyer cette équipe semble donc aisément compréhensible : défendre à trois-points. Certes, dans les soirs de grâce, les shooteurs du Jazz parviendront à annihiler n’importe quelle défense, aussi forte soit-elle : good defense, better offense. Dès lors, sortir les barbelés loin de l’arceau n’est pas une assurance de remporter la rencontre. Par contre, cela augmente sensiblement les chances de gagner.
Cela tombe bien … pour les adversaires potentiels de Utah. En effet, les meilleures équipes de la conférence ouest s’avèrent également être particulièrement efficientes dans la défense à distance :
Dès lors, à compter des demi-finales de conférence, la tâche risque de devenir particulièrement malaisée pour le Jazz, hormis si ce sont les Blazers qui se dressent sur sa route, hypothèse hautement improbable (si Utah termine en tête de la conférence, Portland doit terminer 4 ou 5è pour affronter les mormons en demi-finale). Il reste à déterminer qui de l’attaque ou de la défense parviendra à prendre le pas sur l’autre. Dans les soirs d’adresse, on l’a dit, Utah peut venir à bout de n’importe qui. Cependant, il semble plus aisé de défendre dur que de s’en remettre à l’adresse, paramètre toujours plus ou moins aléatoire.
Le salut de Utah viendra ici de la concoction d’un véritable plan B. Certes, l’équipe ne possède pas d’un intérieur type Embiid, Davis ou Jokic, que l’on peut servir au poste quand les shooteurs font grève, ce qui complexifie la recherche d’alternative. Pour autant, sans une deuxième tactique à privilégier en cas de coup dur, difficile d’imaginer le Jazz survivre longtemps en playoffs. Il est tout autant difficile de penser qu’un tacticien comme Snyder ne possède pas un second tour dans son sac.
Une défense transposable en playoffs ?
Il s’agit d’un secret de polichinelle ; ces 5 dernières années, le Jazz a souvent eu l’une des meilleures défenses de la Ligue, notamment grâce à Gobert, double DPOY. Cette année, nous l’avons dit, la franchise affiche le 4è defensive rating collectif, juste derrière les Knicks et les Sixers. Aujourd’hui, que ce soit individuellement (sur 513 joueurs) ou collectivement (sur 30 équipes), le defensive rating médian se situe autour de 112. Autrement dit, sur 100 possessions jouées par son adversaire, Utah encaisse 108,5 points, tandis que la moyenne (et le médian) de la Ligue se trouve être 112 points encaissés.
Il en va de même pour les joueurs pris individuellement :
Ces deux schémas nous démontrent que l’ensemble du roster de Snyder se retrouve dans la première moitié du classement du defensive rating individuel, puisque le maillon faible de l’équipe, Bojan Bogdanovic, est classé 247è / 513. Surtout, on s’aperçoit que le Jazz se paie de luxe de classer 4 joueurs dans le top 25. Top qui est d’ailleurs à relativiser, puisqu’au sommet du classement, nombreux sont les joueurs qui n’ont disputé qu’une toute petite poignée de minutes / de matchs. Si nous avions posé une limite de 15 rencontres disputées a minima, Gobert serait premier ex aequo avec Nerlens Noel et Favors serait 6è.
La défense concoctée par Snyder est élite derrière l’arc (34,4% de réussite pour les adversaires du Jazz à trois-points) et brille sur pick N’ roll et sur les tirs pris entre 1 et 3 mètres du cercle (3è à chaque fois). Elle est par contre moyenne pour défendre les tirs pris directement au cercle (17è) et ceux dégainés à mi-distance (16è), zone où seuls les Bucks s’avèrent être moins performants parmi les gros morceaux.
N’est-ce pas là un talon d’achille en playoffs ? Les joutes printanières (voire estivales, l’an passé) nous démontrent chaque année que s’il est en voie de disparition pendant l’exercice régulier, le mi-distance demeure une arme plus que redoutable. Certes, le Jazz s’en tire plutôt bien offensivement dans l’exercice également, avec le 7è pourcentage de la Ligue dans les tirs déclenchés entre 3 et 5 mètres de l’arceau (mais le 26è entre 5 mètres et la ligne à trois-points). Cependant, on l’a dit, l’ensemble des contenders défendent mieux ce type de tirs que Utah, notamment à l’ouest (Lakers 5è, Suns 6è, Mavericks 10è, Clippers 11è, Nuggets 13è). De même, Phoenix, Dallas et Denver sont des équipes élites offensivement dans ce secteur.
Sachant que les adversaires d’Utah prennent en moyenne près de 40% de leurs tirs dans ce range (plus haut total de la Ligue, de loin) et que cette zone s’avère être celle de confort de Nikola Jokic, Chris Paul, Luka Doncic, CJ McCollum, Devin Booker, Paul George, Damian Lillard et Kawhi Leonard (tous élites, classement par réussite) et, dans un degré moindre, de LeBron James et d’Anthony Davis (bons), il serait opportun que le Jazz soit moins permissif à mi-distance.
Bien évidemment, le parti-pris est à la fois compréhensible et cohérent. En choisissant de défendre avant tout le cercle et derrière l’arc, le Jazz réduit l’efficacité de ses adversaires sur l’ensemble des “bons tirs”, c’est-à-dire ceux qui rapportent le plus de points par tentative (dunk et trois-points, donc). C’est également la tactique employée par les Bucks les saisons passées, ou par les Clippers cette année. Il n’y a donc pas péril en la demeure, loin s’en faut.
Néanmoins, force est de constater que parmi les équipes de playoffs à l’ouest cette année, nombreuses sont celles qui attaquent et défendent mieux cette zone si précieuse dans les matchs à enjeux. La vérité du terrain viendra nous dire si le tir à mi-distance est susceptible de constituer les clous du cercueil du Jazz version 2021. Si tel n’est pas le cas, gare aux hommes de Snyder, qui parviennent à briller dans tous les autres secteurs, de chaque côté du terrain.
Une affaire de match-ups ?
Et si, finalement, l’ensemble de nos développements ne relevaient que du détail ? On pourrait alors dire que le diable s’y cache potentiellement. Cependant, pour pouvoir tirer des plans sur la comète et déterminer quel est le plafond de ce Utah, il faudra surtout connaître l’identité de ses adversaires potentiels. En effet, certains sont sur le papier – et c’est absolument logique – plus abordables pour les Jazzmen, soit en raison du niveau intrinsèque, soit en raison des spécificités de chacun des roster.
Dans une certaine mesure, ce semble être le cas de Portland, dont la 6è place actuelle ne présage toutefois pas un affrontement avant les finales de conférence. En effet, le point fort des Blazers s’avère être les capacités offensives de son backcourt, composé de Lillard et McCollum. La défense de Utah dans ce secteur est loin d’être mauvaise, tandis que posséder Rudy Gobert pour tenter de contrer Jusuf Nurkic est loin d’être une mauvaise chose, sans pouvoir annihiler totalement les qualités de playmaking du Bosniaque. Surtout que de l’autre côté, les arrières de Portland sont loin de pouvoir contenir défensivement Donovan Mitchell, Mike Conley ou un Bogdanovic des grands soirs. Certes, Robert Covington pourra s’occuper de l’homme chaud de la soirée, mais même le glue guy Orégonais ne saura combler l’ensemble des lacunes défensives des siens, qui possèdent le 29è defensive rating de la NBA.
Une série Jazz – Blazers verrait donc probablement le premier cité être considéré comme favori.
Ce ne sera peut-être pas le cas s’il fallait affronter les Nuggets. Le problème majeur est de taille et s’appelle Jokic. Par son jeu tellement atypique, mais terriblement efficace (26,5 points, 11 rebonds, 8,5 passes décisives en 57/42,7/86), le Serbe possède dans son attirail tout ce qui est capable d’emmerder Gobert, qui se retrouve contraint de s’éloigner du cercle. Nous avons encore tous en tête la rencontre du 31 janvier dernier, où la rencontre avait tourné en véritable masterclass du pivot Coloradien.
Le backcourt du Jazz devrait par contre, de l’autre côté du terrain, en faire voir de toutes les couleurs aux arrières de Denver, amputé de l’apport défensif de Gary Harris à la dernière trade deadline. Aujourd’hui composée de Murray, Barton, Morris, Dozier et Campazzo, la traction arrière des Nuggets n’est pas ce qui pourrait être considérée comme défensivement performante, et on ne retrouve aucun des 5 joueurs cités dans le top 300 au defensive rating individuel. Reste désormais à déterminer quel sera l’impact d’Aaron Gordon dans cet effectif, lui qui pourra gommer certaines mismatchs que subissaient les arrières des Nuggets.
Loin d’être outsider dans cette confrontation, le Jazz ne serait cependant pas à l’abri d’une mauvaise surprise face aux hommes de Mike Malone, susceptibles d’être rencontrés en demi-finale de conférence (si Denver termine 4 ou 5è).
Il semble plus malaisé de se positionner sur le match-up que constitue les Suns et les Mavericks. Les premiers, à l’instar de Utah, sont forts d’un groupe homogène et profond, et possèdent indéniablement leurs meilleurs éléments sur les postes 1 et 2. La confrontation devrait se révéler être particulièrement serrée, mais surtout attractive. Phoenix, 2è défense ex-aequo derrière l’arc, peut déranger le plan de jeu principal du Jazz, notamment les soirs où l’arceau est capricieux. Néanmoins, en l’état actuel du classement, leur confrontation est inenvisageable avant la finale de conférence. Ce n’est pas le cas des Mavericks, qui peuvent très bien terminer 8è de cette conférence en échouant lors du premier round de l’éventuel play-in tournament.
L’utilisation de Porzingis au poste 5, lui qui vit essentiellement derrière l’arc, viendrait minorer l’impact de Gobert dans la peinture, sous réserve de l’état de forme aléatoire du Letton cette année. Doncic possède évidemment le talent pour éclabousser l’ensemble des séries auxquelles il prend part. Pour autant, si le match-up n’est pas le plus idéal, il ne semble pas non plus infranchissable pour Utah, qui dispose de toutes les armes pour mettre à mal la défense (moyenne) des Mavericks. La dernière confrontation en date (5 avril, victoire de Dallas 111-103) démontre que même dans un soir moyen, le Jazz peut venir à bout de Dallas.
En effet, la défaite de 8 points est concédée en raison de la prestation catastrophique du banc (-52 de +/- sur 4 joueurs) et d’une adresse pour une fois en berne : 0/8 de loin pour Mitchell et O’Neal, 2/9 pour Clarkson. Et pourtant, au prix d’un dernier quart-temps satisfaisant, Utah n’a pas échoué bien loin de son adversaire du soir, qui a pourtant tiré à 47% derrière l’arc.
Reste les franchises de Los Angeles. Celles-ci sont tellement armées qu’elles partiront favorites de l’ensemble des séries disputées sur la côte ouest … sauf en cas de confrontation directe entre elles, hypothèse envisageable d’ailleurs dès le premier tour cette année. Les Lakers possèdent ainsi la meilleure défense du pays, et il semble illusoire de prétendre à contenir à la fois LeBron James et Anthony Davis, surtout s’ils sont pleinement remis de leur blessure respective. Le champion en titre, peu concerné par son classement en saison régulière, paraît être particulièrement complexe à éliminer si son roster est complet.
Le petit frère paraît être plus abordable. Est-ce véritablement le cas, ou est-ce uniquement la réminiscence de sa tragi-comique élimination de l’an passé ? Difficile de répondre à cette interrogation. Quoi qu’il en soit, les Clippers partiront favoris d’une confrontation avec le Jazz. Sur le papier, on aurait peut-être même tendance à dire qu’il s’agirait là du pire adversaire à affronter, en raison des forces et des faiblesses de chacune des équipes.
En effet, les joueurs de Lue ont les qualités nécessaires pour défendre les arrières du Jazz. De l’autre côté du terrain, les playoffs 2019 ont démontré que lorsqu’il est à son meilleur niveau, Kawhi Leonard est peut-être le meilleur joueur actuel. L’équation devient alors presque insoluble.
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Permettons-nous de conclure par une ouverture. N’avons-nous pas nous même sous-estimé les capacités et le talent de cette équipe de Utah ? N’est-on pas également influencé par le manque d’acquis de cette équipe en playoffs, ce qui viendrait occulter son extraordinaire saison ? À cet égard, mettons en avant le fait que chaque équipe qui a ensuite dominé son sujet a commencé en manquant de bouteille en playoffs. Ce serait dès lors une belle occasion pour Utah de faire taire ses détracteurs, en réalisant une post-season à la hauteur de nos attentes. Cependant, la franchise parviendra-t-elle à s’extraire de la gigantesque ombre projetée par LeBron James et Kawhi Leonard ?
Finalement, nous n’avons pas conclu sur une ouverture, mais sur des énigmes. Gageons que le terrain saura venir les résoudre.