En début de saison, nous étions catégoriques : les Portland Trail Blazers feraient partie des meilleures équipes de l’Ouest (voir notre preview des Portland Trail Blazers). Quant à l’objectif pour eux, il était annoncé : glaner l’avantage du terrain en vue des Playoffs. Pour cela, Damian Lillard et le reste de l’équipe était lucide, il faudrait faire des progrès drastiques en défense.
La bonne nouvelle, c’est que l’équipe avait apporté beaucoup de sang neuf pour aider ses stars à effectuer ces progrès : Derrick Jones Jr, Robert Covington (pour densifier les ailes), ou encore Harry Giles pour renforcer leur raquette. En quelques mouvements, l’ensemble paraissait bien plus cohérent. Ainsi, entre les renforts, les retours de blessures, les jeunes en progression et un duo Lillard – McCollum déterminé à s’impliquer en défense, tout les feux semblaient au vert pour une formidable saison.
Sauf que voilà, une saison n’est jamais un long fleuve tranquille. Rapidement, ils se sont vus privés de plusieurs cadres de l’équipe. Après seulement 12 rencontres, ils perdaient leur pivot titulaire Jusuf Nurkic (32 matchs manqués). Le match suivant, c’était au tour d’un McCollum étincelant en attaque depuis le début de saison d’y aller de son absence longue durée (24 matchs manqués). Les Blazers perdaient ainsi deux pièces essentielles du roster, l’un pour sa défense en tant que pivot titulaire et l’autre pour être le partenaire de back-court de Lillard. De quoi compliquer les choses alors que le début de saison est déjà poussif en défense.
La suite ? La parfaite continuité de ce début de saison : les Trail Blazers sont aussi étincelants offensivement que désastreux défensivement. Les lignes extérieures sont complètement perméables et avec Enes Kanter propulsé pivot titulaire, il n’y a pas vraiment de quoi combler les fuites. Pourtant, alors que Portland arrive au dernier tiers de sa saison, l’équipe se place à la 6ème place de la conférence Ouest (61,7% de victoires), malgré ces absences. Et tout cela en étant à seulement 3 petits matchs de la 3ème place.
Les Portland Trail Blazers, véritable anomalie
Si voir l’équipe à la lutte pour l’avantage du terrain est aussi étonnant, c’est qu’ils ont joué cette saison sans donner l’impression de posséder la moindre marge face à leurs adversaires. Amputés de présences majeures, ils figurent très haut dans une conférence très compétitive alors que leur équilibre semble très précaire.
En effet, quand bien même leur attaque est de très haut vol avec le 5ème offensive rating de la ligue (116,4, niveau historique, à l’image de la saison); ces derniers possèdent une défense supposée les éliminer de la lutte. Car dans le même temps, ils sont avant-derniers au defensive rating et encaissent 116,6 points pour 100 possessions.
Autrement dit, vous l’aurez compris, les Trail Blazers gagnent +60% de leurs rencontres en encaissant plus de points qu’ils n’en mettent.
Si on compare le net rating de Portland (-0,2) avec le reste de la conférence ouest, on trouve huit équipes censées être devant eux au classement :
- Utah Jazz (+9,1 net rating)
- Phoenix Suns (+6,4)
- LA Clippers (+6,3)
- Denver Nuggets (+5,1)
- LA Lakers (+4,3)
- Dallas Mavericks (+1,5)
- Memphis Grizzlies (+0,5)
- New-Orleans Pelicans (+0,4)
Autrement dit, si Portland ne gagnait pas sur le fil, leur saison pourrait avoir un air très différent. Seulement, vous l’aurez sûrement deviné, ils possèdent une arme dont leurs concurrents ne bénéficient pas.
Portland, le “Dame Time” et le Clutch
Si la saison des Blazers est aussi réussie, c’est qu’ils sont absolument intraitables dans les ultimes minutes du match, quand les scores sont serrés et que la victoire est en jeu. Dans ces moments très fréquents lors de cet exercice, ils peuvent compter sur l’émergence de leur défense, mais aussi sur leur sang-froid. Et sur leur star.
En NBA, le Clutch se mesure dans les cinq dernières minutes d’une rencontre, quand la différence de score est de cinq points ou moins. Dans le cours d’un match, cette séquence peut durer un total de 5 minutes s’il est très serré, mais se présenter à 1min de la fin si une équipe effectue un retour.
Quoi qu’il en soit, sur leurs 47 rencontres disputés au moment où j’écris ces lignes, les Trail Blazers font partie des 4 équipes qui en ont le plus joué (28). Ils se trouvent derrière Boston (32), Brooklyn (29) et à égalité avec Miami (28).
Sauf que voilà. Quand ce moment arrive, les Trail Blazers deviennent une équipe différente. Résultat, ils ont gagné 21 des 28 rencontres décidées dans le clutch (75% de victoire). S’ils ne sont pas les seuls à exceller dans ces moments (Sixers – 76%, Nets – 75,9%, Hornets – 72,7%), le fait est que réussir cette performance dans une conférence Ouest à couteaux-tirés, permet à la franchise de tenir ses objectifs cette saison. Or, si les performances des équipes sont souvent analysées dans leur ensemble, être capable de dominer les ultimes minutes d’une rencontre est souvent un facteur mésestimé sur le cours d’une saison.
De fait, entre une équipe qui maîtrise ses fins de matchs et une autre qui ne les gère pas, il peut facilement y avoir un différentiel de 10 à 15 victoires à la fin d’une saison. A ce stade, on peut cibler deux exemples bien représentatifs : les Celtics, qui ont déjà perdu 21 matchs dans les instants décisifs sur 32 (34,4% de victoire), et Philadelphia, qui, à contrario, en a gagné 19 sur 25.
Et quand on parle de réussir son Clutch, on parle forcément de Damian Lillard.
Le Dame Time
En carrière, Damian Lillard s’est fait une véritable collection de tirs plus assassins les uns que les autres. Conscient de l’importance de ces moments, très certainement dans la catégorie des joueurs qui jouent pour prendre ces tirs décisifs, le meneur s’est fait une réputation pour son côté “clutch“. Mieux, il a même marketé ce moment, le “Dame Time“. Ce qui fascine avec lui, c’est qu’il a construit une forme d’alter-ego construit pour gérer ces instants critiques. Comme si, à force de s’auto-persuader que les fins de match lui appartenaient, il avait bâti une confiance inébranlable. Une forme de vérité propre : quand il prend ces tirs, ils rentreront, aucune autre issue ne lui semble envisageable.
Cette saison, non seulement il est absolument terrifiant par sa régularité dans le Clutch, mais il semble également transmettre cette confiance à ses coéquipiers.
Ce qui semble le plus choquant dans cette version de Damian Lillard, c’est qu’il allie trois choses qui ne sont pas données à tous les joueurs appartenant à cette catégorie des joueurs décisifs. Outre le sang-froid qui semble indispensable, il est désormais capable de rentrer ces tirs à haut volume. Mais surtout, il n’a pas toujours besoin de chercher des bons tirs pour briller. C’est probablement la partie la plus effrayante. Il rentre des tirs contestés, à des distances parfois ahurissantes, ou en déséquilibre (ou les deux), sans que cela n’altère sa régularité. Cette saison, la succession d’actions me venant immédiatement à l’esprit s’est déroulée fin janvier. Mené de cinq points par les Bulls, Damian Lillard va rentrer deux 3 points assassins. L’un contesté autour des 11 mètres, l’autre contesté et en déséquilibre.
Les tirs surréalistes ne manquent pas, mais c’est globalement sa maîtrise du moment qui impressionne. Cette saison, il shoote à 55,9% dans le clutch, dont 44,9% à 3 points (pour 2,5 tentatives par match, sur 27 matchs). Une précision absolument létale, incarnée par un chiffre tout simplement dingue : Damian Lillard tire à 100% aux lancers francs dans le clutch… pour 43 tentatives.
Mais désormais, plus que la seule réussite de Lillard, c’est maintenant un état d’esprit collectif. Car si le meneur prend les choses en main, c’est toute l’équipe qui se transcende.
Les Portland Trail Blazers décisifs
Tout à l’heure, je vous décrivais la défense de Portland. Cette sorte de journée portes-ouvertes. Sachez toutefois, que celles-ci peuvent prendre fin.
En effet, on sait que plusieurs joueurs des Trail Blazers savent prendre des tirs importants. On peut citer outre Lillard : CJ McCollum, pas en reste. Carmelo Anthony, capable d’énormes tirs. Mais plus globalement, c’est la capacité à montrer un autre visage qui a permis à l’équipe de tirer son épingle du jeu.
C’est simple, dans le clutch time, ils affichent un defensive rating de 98,6.
Portés par la line-up Damian Lillard – Gary Trent Jr (parti aux Raptors) – Derrick Jones Jr – Robert Covington – Enes Kanter (en raison des nombreux matchs ratés de McCollum – Nurkic), l’équipe a su trouver sa marque de fabrique. Elle est capable de monter en intensité, de dévier beaucoup de ballons, démontrer un hustle exceptionnel et même une domination au rebond (tant défensif qu’offensif, derrière Kanter). Résultat, grâce à cette défense retrouvée et une faculté à casser ses adversaires par son attaque débridée, Portland affiche un différentiel entre points marqués et encaissés…. étonnant : +32,1 de net rating (2è, loin derrière les Hornets, rois du clutch cette saison : +46,2).
Bien sûr, avec les départs de Rodney Hood et Gary Trent Jr pour Norman Powell et le retour de Nurkic, cette lineup va être amenée à changer. Pourtant, plus important qu’un cinq mis en place, c’est un état d’esprit général qui semble habiter l’équipe. Jusqu’ici, les joueurs se sont montrés interchangeables, ce sont relayés avec brio et le duo Powell-Nurkic semble offrir beaucoup de nouvelles opportunités défensivement, mais surtout, dans l’animation offensive. Tant et si bien que le Dame Time et les Trail Blazers semblent avoir de beaux jours devant eux.
De quoi rêver d’arracher l’avantage du terrain ?