Nous y voilà. Le bal annuel. Comme chaque saison, la trade deadline passée, les équipes passent à la seconde phase : couper les joueurs devenus indésirables. Difficulté à leur trouver un rôle dans l’équipe, décalage avec les objectifs, niveau de jeu insatisfaisant, mauvaise conduite… Les raisons qui peuvent pousser les franchises à accepter un buy-out sont nombreuses. En revanche, il y a une chose en commun : elles sont prêtes à payer un joueur pour le voir jouer ailleurs plutôt que de le conserver.
L’un n’empêchant pas l’autre, cette pratique qui vise à donner à ces anciens joueurs “une seconde vie” après une saison probablement ratée ne manque pas de faire parler. La raison ? Des équipes prétendantes au titre, déjà très armées, viennent récupérer des joueurs aux multiples sélections All-star voire All-NBA team. De quoi pousser l’ensemble de la sphère NBA à s’indigner. A ce titre, l’arrivée de Blake Griffin & LaMarcus Aldridge transformerait les Brooklyn Nets en superteam. Le lendemain, en guise de réponse les Lakers formeraient leur propre super-squad en s’arrogeant la signature d’André Drummond.
Il n’en faut pas plus pour mettre le feu aux poudres. Les fans voient l’empilage de nom et craignent une Ligue désormais déséquilibrée, tandis que certains joueurs n’hésitent pas à commenter certains choix. Les GMs s’insurgent également : le système des buy-out profitant, à leur sens, toujours aux plus forts et aux plus riches. Au milieu de tout ça, des médias qui s’en donnent à cœur joie. Entre déclarations grandiloquentes, visuels à foison, articles sur chaque déclaration et des messages à la pelle sur les réseaux sociaux, tout entretien la théorie de ces soudaines “superteams“.
Au final, qu’est ce qui ne va pas ? Le système est-il pris chaque année à défaut ? Faut-il réglementer, voire supprimer cette option ? Le problème est-il ailleurs ?
Le buy-out ; un “game-changer” ?
C’est la première chose que l’on peut se dire. Tous les ans, des franchises déjà positionnées comme favorites sont mises en position de se renforcer plus encore. La logique est presque systématiquement respectée. Un joueur obtient sa libération et cherche immédiatement à rejoindre l’équipe la plus compétitive possible. L’objectif ? Obtenir un titre, évidemment, ou a minima, contribuer à une belle campagne de Playoffs. La logique semble pourtant implacable : quitte à faire ses bagages, autant avoir le plus de chances possibles de rentabiliser les derniers mois de sa saison.
Pour autant, pour les fans, la pilule est souvent dure à avaler. Tout du moins, elle l’est quand ces noms parfois clinquants décident de venir empiler leurs étoiles d’anciens All-star aux côtés de celles d’autres joueurs au sommet de leur art.
Oui, mais voilà, posons-nous une question essentielle : pourquoi ces joueurs ont été coupés ?
A priori, si un joueur est bon, productif et présente une valeur importante pour une équipe, celle-ci cherchera à l’échanger peu importe que son contrat soit expirant ou non. Pour l’exemple, Evan Fournier avait beau arriver au terme de son contrat, nombreuses furent les équipes à vouloir le récupérer. Et si les Celtics ne l’ont payé que 2 tours de draft, sans lâcher le moindre joueur, personne ne s’est indigné contre cette acquisition à moindre coût. Dès lors, où est la différence entre Fournier (échangé) et Blake Griffin, LaMarcus Aldridge ou André Drummond ?
La différence, n’est-elle pas que l’un (Fournier) semble être considéré par les autres GMs comme un renfort digne de donner des pièces en échange, quand les autres ne valent plus qu’on essaye de les intégrer à leur collectif, peu importe le coût ?
Blake Griffin le disait lui-même :
“Je trouve ça plutôt marrant car depuis deux ans, la seule chose que j’entendais, c’est à quel point j’étais mauvais”.
Tous les ans, fans comme médias semblent répéter le même schéma : considérer la signature non pas pour ce qu’elle est (en termes de valeur réelle et surtout, actuelle), mais selon une réputation passée ou l’idée saugrenue qu’une franchise aurait jeté un joueur dont l’apport posséderait une réelle valeur auprès des autres franchises.
Il y a quelques semaines, Blake Griffin essuyait les critiques des fans. Et pour cause, l’ex-superstar, intégrée dans une équipe pourtant très légère en terme de talent(s) (dernière à l’Est), réussissait l’exploit de rendre cette équipe moins bonne lorsque qu’il était sur le terrain. C’est-à-dire ? Tout simplement que les Pistons (25eme offensive rating) étaient moins bon offensivement avec l’ailier fort (-1,4 points marqués) que sans, notamment car :
- elle était moins efficace au tir (-2%) ;
- moins bonne au rebond offensif ;
- obtenait beaucoup moins de lancers francs (-2,5).
Pourquoi ? Car Blake Griffin n’est tout simplement plus la superstar montée sur ressort. Et le fait de jouer sur le banc des Brooklyn Nets qui lui rendra sa mobilité ou sa verticalité. Ce sera certes plus facile pour lui (il a déjà mis son 1er dunk de la saison !), mais contribuera-t-il pour beaucoup plus qu’un jeune joueur en pleine possession de ses moyens ? Mieux, le changement d’équipe va-t-il lui rendre les qualités physiques disparues au fil des blessures et autres opérations ?
Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Les Nets ont également, ce qui a finalement mis le feu au poudre, obtenu LaMarcus Aldridge. Vous vous souvenez, ces mêmes Nets dont tout le monde s’accorde à dire depuis des mois que : “ils ont besoin d’une défense”, que leur formation actuelle est “tout pour l’attaque“. Alors oui, Aldridge avait étonné aux Spurs. Il arrivait à tenir un poste de pivot et même à être excellent en défense, ce qui étonnait le plus grand monde. Cependant, cette version de LaMarcus a depuis pris… 3 ans. Et depuis, ça donne quoi ?
Cette saison, ce même joueur est un facteur neutre offensivement (-0,2 point par possession en sa présence), mais les Spurs encaissaient en revanche 7 points de plus par possession lorsqu’il foule les parquets ! Autrement dit, si la signature de Blake Griffin peut s’entendre pour Brooklyn (aux Pistons, il scorait encore 1,31 points par tirs pris dans la raquette, même si ce n’était pas le rôle qu’on lui donnait), celle du pivot de 36 ans est beaucoup plus improbable. Quand bien même son passé fut celui d’un grand joueur. Quand bien même il a été un franchise player. Il semble certain que les Nets ne lui rendront pas plus la jeunesse qu’ils ne soigneront Blake.
Le Cas Andre Drummond
Toutefois…
Vous pourrez bien dire que ce n’est pas le cas d’André Drummond. Le pivot est encore jeune, affiche encore des chiffres impressionnants (17 points, 13 rebonds de moyenne) et va cohabiter dans la raquette avec Anthony Davis.
Cependant, là encore, peut-être nous emballons-nous trop et trop tôt. Car pour le pivot également, les 29 autres dirigeants NBA ne sont pas pressés au portillon. Rappelons que l’an dernier, il était envoyé à Cleveland contre John Henson et Brandon Knight et un second tour de draft. Cette année, pendant des mois, les Cavaliers sont restés ouvert aux offres. Pourtant, après une mise au placard forcée, la franchise a dû accepter la réalité : personne n’était demandeur pour le pivot.
Alors, comment expliquer qu’un joueur réputé comme un bon attaquant, excellent rebondeur et solide défenseur n’intéresse personne ? Parce que les pivots ne sont plus en vogue ? Pourtant, deux prétendants au MVP (Joel Embiid et Nikola Jokic) de la saison évolue à ce poste. Ne serait-ce pas plutôt parce que derrière les chiffres bruts, qui font de lui une machine au rebond, se cachent énormément de vices (pas si bien) cachés ? Là encore, quelques chiffres permettent de mieux comprendre l’impact du pivot cette saison (et depuis plus longtemps, en vérité). Andre Drummond est… :
- un des joueurs les plus gourmands en tirs pris (30,8% des possessions en sa présence sont terminées par une tentative)… et pas à bon escient,
- un des pivots les moins efficaces de la ligue au point par tir tentés (11eme percentile : donc parmi les 11% les moins efficaces) ;
- un des pivots perdant le plus de ballon (3,6 ballons perdus par match !) ;
- … alors qu’il ne réussit que 2,6 passes décisives par rencontre.
En réalité, sans parler de chiffre, Drummond fut horrible à Cleveland. Une tendance à garder le ballon excessivement longtemps, à casser le rythme de l’équipe, à tenter des actions complètement improbables avec une efficacité catastrophique.
Et des chiffres alarmant sur son attaque, il y en a bien d’autres :
Alors, oui, me direz-vous (peut-être) : mais il met quand même 17 points. Dans ce cas, il convient de se poser la question suivante : ce qui compte, est-ce le nombre de points marqués, ou la rentabilité des tirs pris sur l’ensemble d’un match ? Car si vous penchez vers la seconde option, alors Andre Drummond n’est pas un renfort de poids et s’est peut-être fait buy-out pour deux raisons.
La première, c’est que l’équipe se porte mieux sans lui. La seconde, c’est que Jarrett Allen était une bien meilleure option pour l’équipe, tout simplement… Même si ses statistiques sont moins clinquantes ou son nom moins connu.
Reste encore deux éléments. Le rebond et la défense, points qui ne sont pas négligeables chez un pivot. Sur ces éléments, s’il est indubitable qu’il est un des tous meilleurs pivot NBA quand il s’agit de prendre des rebonds (Drummond est un animal au rebond offensif, et solide au rebond défensif), il convient de rappeler qu’il n’a jamais été un bon défenseur. Alors que les pivots sont généralement des tours de contrôle pour leur équipe, cela n’a quasiment jamais été le cas avec l’ex-Piston.
Et pour cause, en carrière, hormis la saison 2015-2016, les équipes autour du joueur ont toujours été meilleures en défense lorsqu’il était sur le banc. L’addition fut d’ailleurs parfois très salée (+8,6 points encaissés en 2016-2017 ; +4,1 en 2017-2018 ; +9,5 en 2019-2020 !). Les causes sont diverses. André Drummond n’est pas (contrairement à ce que son travail au rebond laisse supposer) un intimidateur doté d’une grosse détente. Il n’est pas plus doté d’un bon sens du placement en défense et ne possède pas un bon footwork. Et pour ne rien arranger, il n’est pas rapide latéralement. Or, comme discuté dans cet article, si cet handicap n’était pas très gênant il y a 15 ans pour un pivot, la révolution que connaît actuellement la NBA rend la vie très difficile pour un intérieur comme lui.
Bien sûr, bien entouré, dans une équipe offrant un cadre supérieur, de véritables monstres (LeBron James, Anthony Davis), cette signature peut être intéressante. Notamment en Playoffs s’il faut affronter des pivots imposants. Là encore néanmoins, il est important de ne pas faire d’André Drummond ce qu’il n’est pas et ce que, la lecture des réseaux sociaux ou de nombreux médias laissent entendre, une star. Bien utilisé, avec la bonne mentalité (en ne monopolisant pas le ballon en attaque, en ne tentant rien qu’il ne maîtrise pas), le pivot peut rendre de fiers services aux Lakers. Dire autre chose, en revanche, relèverait plutôt de la malhonnêteté.
Et si c’était interdit ?
Quand beaucoup vendent l’aspect inégal, voire honteux de ce coup de main majoritairement donné aux meilleures équipes NBA, d’autres nuancent en rappelant que jamais ces signatures d’intersaison n’ont joué un rôle majeur dans le sacre d’une équipe.
Dans tous les cas, ne serait-il pas plus simple, par soucis d’équité sportive, de simplement obliger les équipes à conserver leurs joueurs jusqu’à la fin de leur contrat ? Ainsi, cela mettrait fin à un débat qui tend, le plus souvent, à frustrer les fans.
Essayons d’imaginer une NBA où le buy-out est donc interdit.
Dans cette NBA, cette saison, les 3 joueurs qui font débat et dont l’article est l’objet, restent dans leurs équipes respectives.
- Blake Griffin, qui a été une star NBA depuis sa saison rookie, reste donc aux Pistons. Il est dans une équipe qui a besoin de faire grandir ses jeunes et puisque sa présence tend à rendre le groupe moins bon, il obtient des minutes limitées dans le meilleur des cas, ou est écarté de la rotation en seconde partie de saison. Le joueur que plusieurs générations ont adoré voir jouer doit attendre la fin de son contrat. Il lui reste donc 1 an et demi, lui dont les performances sont en chute libre à cause de ses très nombreuses opérations aux genoux. Or rappelons qu’aucune issue existe, si le joueur est coupé, c’est systématiquement car aucune équipe ne souhaitait l’acquérir en raison de son rapport contrat/niveau de performance. Il devient agent libre à l’été 2022, avec quasiment 2 années de plus au compteur, alors qu’il n’avait clairement plus la faculté d’influer sur le destin de cette équipe depuis déjà 1 an et demi !
- LaMarcus Aldridge reste aux Spurs égalemment. Déjà écarté du groupe, il ne revient donc pas de la rotation. Il fête ses 36 ans (âge où environ 95% des joueurs draftés en NBA sont déjà à la retraite ou hors de la ligue) à regarder son équipe.
- André Drummond demeure à Cleveland, où il ne joue plus depuis février. Il ne réintègre pas la rotation, et lui aussi, va passer sa saison à regarder (ou non) ses coéquipiers qu’il quittera à l’intersaison. En mon sens, le cas de Drummond est moins “déprimant”, dans la mesure où il est encore jeune. Il est d’ailleurs, il faut le noter, très rare qu’un joueur aussi jeune, avec un tel volume statistique et en bonne santé se retrouve à ce point mis au placard par une équipe. Toutefois, lui aussi, devenu indésirable, regarde une saison passer sans jouer.
En quelques sortes, dans ce scénario, tous les joueurs se retrouvent pris en otage de situation de conflits, d’intérêt divergents avec ceux de la franchise, ou de leur incapacité à évoluer au niveau que leur contrat sous-entendait. Un peu, d’ailleurs, à la façon d’Al Horford, bloqué à OKC sans jouer, car la franchise entend l’échanger plus tard… et développer ses jeunes sur la seconde partie de saison. S’il est bien sûr possible de trouver cela préférable au scénario actuel, il me semble triste de voir ces anciennes stars NBA éloigner des parquets et des fans, à se morfondre sur un banc.
Alors peut-être, faut-il réglementer. Mais bonne chance pour trouver une règle qui ne les rende pas indésirables (racheter un % minimum de leur contrat, alors que les franchises n’ont plus de cap et ont refusé de monter des échanges pour les acquérir !), ou trouver une limitation qui ne semble pas arbitraire (limiter/interdire à certaines équipes ?!). Quoi qu’il en soit, il me semble qu’en regardant chaque cas d’un peu plus prêt, on revienne systématiquement à cette même réalité : si ces joueurs ont été évincés à prix d’or de leur franchise, ce n’est généralement pas pour rien. Or si l’emballement est général, c’est aussi parce que la traitement médiatique, vise à alimenter ce faux-rêve (ou cauchemar) d’un armada inarrêtable construit sur ce fameux marché du buy-out.