La NBA Trade Deadline 2021 marquera certainement les esprits. Pas forcément attendue comme une des plus marquantes (pas de superstar en ballotage), elle n’en restera pas moins le début de la reconstruction du Orlando Magic et une édition très active (record d’échange avec 16). Parmi les franchises en vue ce 25 mars, les Denver Nuggets se sont illustrés par deux échanges notables.
Durant cette ultime soirée, les Nuggets ont d’abord récupéré JaVale McGee, ancien pensionnaire de la franchise, contre seulement Isaiah Hartenstein et 2 picks de draft du second tour. Un peu plus tard, c’est une pièce importante (futur titulaire) qui débarquait via l’éclatement du Magic : Aaron Gordon. Si cet échange a pu faire grimacer, c’est que contrairement au pivot, la contrepartie pour l’ailier d’Orlando ne fut pas moindre : dans le sens inverse, ce sont Gary Harris, RJ Hampton et un 1er TDD 2025 (protégé) qui filaient en Floride.
Pour Orlando, l’idée était d’obtenir un joueur qui puisse à nouveau être échangé (Harris), un joueur prometteur (Hampton) et un potentiel TDD. Pour l’équipe de Denver et ses fans, Gary Harris représentait un élément majeur. Plus ancien joueur de l’effectif (drafté en 2014), il était aussi le principal défenseur extérieur de Mike Malone. Pourtant, malgré ce qu’il représente et ce qu’il pouvait produire, son départ n’est-il pas aussi le fruit d’une évolution en cours de la hiérarchie des Nuggets ?
Dans cet article, on va essayer de s’interroger sur la valeur des arrivées, mais aussi ce que pourrait donner à terme l’effectif des Denver Nuggets et le départ de Gary Harris.
Pourquoi Aaron Gordon ?
A l’issue des Playoffs 2020, l’avenir semblait radieux pour Denver. Jamal Murray avait franchi un cap, Nikola Jokic confirmait être dans le top 10 NBA mais aussi être capable de prendre une ampleur supérieure en post-saison. Pour les entourer, Michael Porter Jr s’annonçait prometteur, et la présence de deux gros défenseurs sur les lignes extérieures semblait parfaite (Gary Harris & Jerami Grant) aux côtés de Murray, Jokic & Porter Jr.
Malheureusement, et en dépit du travail du front-office pour s’aligner sur les offres extérieures, Jerami Grant décidait de filer à Detroit à la quête d’un rôle plus important. Pour ne rien arranger, les Nuggets laissaient partir Torrey Craig, autre élément défensif de qualité, et allaient chercher le seul JaMychal Green en contrepartie. Si l’intérieur apporte satisfaction depuis son arrivée, il va sans dire que son rôle est très différent de celui de Grant ou Craig.
Dès lors, si acquérir un joueur comme Aaron Gordon ne faisait pas partie du plan initial des Nuggets, le départ de Grant entraînait inéluctablement la nécessité de trouver un joueur relativement jeune, s’inscrivant dans la timeline de l’effectif, athlétique et capable de s’imposer comme un excellent défenseur sur l’homme. Et contrairement à ce qui est largement diffusé : Aaron Gordon fait partie de cette caste. Doté de capacités athlétiques hors normes, il s’illustre régulièrement dans la défense des meilleurs ailiers adverses, tout en représentant une menace honorable en attaque : 37,5% à 3 points, 50,9 d’eFG%.
Qu’attendre défensivement ?
La principale raison qui a poussé les Nuggets à tenter le pari Gordon est la suivante : une fois en Playoffs, il peut potentiellement augmenter les chances des Nuggets de passer un tour face à des ailiers de renom.
Orlando était une bonne défense ces dernières saisons lorsqu’au complet et elle le doit notamment à la polyvalence défense défensive de l’ailier. Pour vous donner une ordre d’idée, voici le travail effectué par Gordon dans ses face-à-face avec les joueurs qu’on lui a assigné en 2019-20. Face à des joueurs comme Luka Doncic, LeBron James, Giannis Antetokoumpo ou Jayson Tatum, il obtient des résultats très impressionnants malgré des échantillons à développer.
Obtenir Aaron Gordon, c’est donc trouver un remplaçant très légitime à Jerami Grant (même si plus souvent blessé), désireux d’évoluer dans une équipe capable de s’imposer dans les joutes de post-saison. Par ailleurs, et c’est un point non négligeable, sa présence pourrait également permettre de faire évoluer plus facilement Michael Porter Jr au poste où il est le plus efficace. Mais nous y reviendrons.
Qu’attendre offensivement ?
Offensivement, Mike Malone attendra surtout que l’ailier s’inscrive dans ce jeu de coupe et actif sans ballon que prônent les Nuggets. Ses pourcentages au tir semblent satisfaisants, d’autant que Gordon n’a :
- Pas forcément toujours évolué au poste d’ailier, qui pourtant lui convient mieux ;
- Jamal évolué avec de très forts playmakers autour de lui pour lui permettre de briller (le meneur avec qui il a le plus joué ayant été DJ Augustin sur ces dernières saisons)
A Denver, avec une palanquée de playmakers de premier ordre (Nikola Jokic, Monte Morris, Facundo Campazzo et Jamal Murray), les Nuggets peuvent espérer voir un Aaron Gordon pas nécessairement plus important en termes de volume, mais bien plus efficace. Et cela serait, a priori, largement suffisant pour satisfaire Mike Malone et son équipe.
Beaucoup des possessions jouées par Aaron Gordon à Orlando se concentraient sur du pick and roll (en tant que porteur de balle) et du post-up (19,1 et 13%). A Denver, son jeu devrait globalement changer. Le joueur sera évidemment très utilisé en transition, mais surtout sur du tir en spot-up, du dribble hand-off (jeu main à main, notamment autour de Jokic) et du jeu sans ballon à base de coupes.
Forcément, l’arrivée d’Aaron Gordon semble être une bonne nouvelle pour cette équipe. Surtout si elle cerne bien le joueur et le met dans de bonnes dispositions offensives.
Quel apport pour JaVale McGee ?
Moins importante médiatiquement, l’arrivée de JaVale McGee est-elle superflue ou au contraire très logique pour Denver ? Si nous avons évoqué plusieurs départs importants pour les Nuggets cet (Jerami Grant, Torrey Craig), il y a d’autres éléments à prendre en compte dans la saison des Nuggets.
Tout d’abord, l’équipe devait composer avec les habituelles blessures de son meilleur défenseur (Gary Harris), mais aussi le vieillissement de Paul Millsap. Un autre départ n’a pas encore été mentionné, celui de Mason Plumlee. Le pivot a beau ne pas être un énorme intimidateur, il n’en restait pas moins un back up de qualité pour l’équipe. Une chose dont Isaiah Hartenstein, choisi pour le remplacer ne pouvait se targuer. Souvent avec des soucis de fautes, trop souvent dépassé à la moindre feinte et globalement assez pataud, il n’apportait pas ce que pouvait fournir Mason Plumlee. Ainsi, seul JaMychal Green pouvait réellement occuper ce poste lorsque Nikola Jokic était mis au repos. Or rappelons que si Green est un bon défenseur intérieur, il ne fait que 2m03…. Plutôt léger pour le poste.
Arrivée nécessaire ou pas ?
En pleine ère du tir à 3 points, les Bucks ont pris la tendance à contre-pied en devenant la meilleure défense NBA durant 2 saisons en focalisant leur attention sur une défense sans merci près de l’arceau. Devant la réussite de ce modèle, beaucoup d’équipes ont imité Milwaukee. Toutefois, comme toutes les bonnes défenses, il faut certaines qualités techniques et physiques, dont Denver manque cruellement. La principale carence ? La faculté de dissuasion.
Cette saison, la franchise est la pire de la ligue dans la défense de la zone restrictive en autorisant 65,7% de réussite dans la zone la plus rémunératrice.
Or finalement, qui est JaVale McGee ?
Avant tout, un pivot très vertical, de 2m13 et doté d’une envergure absolument effrayante. Après avoir évolué chez les Warriors, puis les Lakers (deux équipes titrées), il a continué de contribuer dans le plus grand anonymat cette saison à Cleveland. Résultat ? 2,9 contres de moyenne en ramenant à 36min de jeu. Une force de dissuasion très sympathique comme les Nuggets n’en ont pas eu depuis bien longtemps.
En cela son arrivée est nécessaire. Même si, protéger la raquette demande aussi un meilleur travail sur les lignes extérieurs. Ce qui n’est pas nécessairement gagné pour les troupes de Mike Malone.
Et la perte de Gary Harris là-dedans ?
Avec le départ de Gary Harris, c’est un pan majeur de l’histoire de cette équipe qui s’en va. Seul joueur à avoir évolué sous Brian Shaw, il s’était affirmé comme une pièce important de la reconstruction de cette équipe. Si son jeu et l’importance qu’il avait dans l’animation offensive s’était nettement réduite, il n’en reste pas moins une impression étrange quant à son départ, que nous allons tenter de détailler.
Pourquoi un transfert ?
Comme précédemment évoqué, la question d’une réorganisation de l’effectif ne date pas de la soirée du 25 mars. Avant cela, l’idée de positionner Jamal Murray comme arrière titulaire menaçait déjà la place d’Harris dans le 5 de départ. Et pour cause, depuis fin 2018, la place que prenait le joueur dans l’organisation offensive s’est réduite en même temps que son efficacité et les blessures.
Tout va basculer pour lui lors d’une blessure au début de la saison 2018-19. Jusqu’à alors, les fans des Nuggets et l’ensemble des scouts de la ligue voient plusieurs choses en l’arrière : un défenseur élite (il le restera), mais également un arrière très doué avec une efficacité redoutable (96eme & 88ee percentile) sur les 2 saisons précédentes.
Autrement dit l’élite des arrières. En outre, il est un animateur offensif pertinent puisque principal partenaire de Nikola Jokic sur les Hand-Offs (ce qui explique son haut AST% comparé aux saisons précédentes et suivantes).
Cette blessure va néanmoins, on ne le sait pas encore, précipiter une chute de l’arrière dans la hiérarchie de l’équipe.
En son absence, Jamal Murray prend du poids dans l’attaque de Denver. Plus complet, plus dangereux, il devient alors le partenaire principal de Jokic. A son retour, Harris n’est plus le même joueur. Son efficacité chute brutalement, et les saisons suivantes ne lui permettront pas de régler la mire.
De moins en moins responsabilisé sur la création, il n’arrivera jamais à retrouver son shoot pourtant si fiable jusqu’ici. Ainsi le joueur capable de shooter aux alentours des 40% à 3 points avec un eFG% de 57,9 (exceptionnel à ce poste), était à 48,9% d’eFG l’an passé (2019-2020) et 33,3% à 3 points. Malgré un léger mieux cette saison, et une défense toujours parmi les meilleures sur les lignes arrières, sa place dans un roster revenu parmi l’élite offensive posait nécessairement question. Avec ce trade, la franchise semble avoir tranché : récupérer l’écueil de l’été précédent que fut le départ de Jerami Grant était plus importante que la présence de l’arrière historique de l’ère Nikola Jokic.
Un manque possible en playoffs ?
Si perdre un joueur comme Harris sur blessure n’est jamais plaisant, ses absences n’ont pas empêché les Nuggets de jouer dans les hautes sphères de l’Ouest ces dernières saisons (25 matchs manqués en 2019, 26 en 2020 et déjà 25 cette saison). Toutefois, il est important de noter qu’en Playoffs, où les défenses prennent de l’importance, de l’intensité et que les ajustements deviennent cruciaux, un joueur au profil de Gary Harris devient bien plus important.
Ce n’est pas pour rien si l’an dernier, les Nuggets opposés au Jazz affichaient un defensive rating de 127,8 après 5 matchs sans Harris. A son retour (2 matchs), Denver est transfiguré en défense et remporte les deux dernières rencontres avec un defensive rating de 101,6. Jusque là, la franchise subit sans pouvoir les contrer les assauts de Donovan Mitchell et Jordan Clarkson. Dès son retour, Harris va éteindre le 6è homme du Jazz (1 seul tir pris en 2 rencontres face à Harris) puis réaliser des aides cruciales dans les 4è quart-temps des matchs 6 & 7 sur Mitchell.
Dès son retour, sa défense sa performance face aux Spurs l’année précédente, mais surtout, l’énorme de travail de sape qu’il aura réalisé sur Damian Lillard (35,4% au tir face à Harris sur l’ensemble des 7 matchs) dans la série suivante.
Par la suite, sa défense sera également précieuse face aux Clippers de Paul George et Kawhi Leonard, avant que ce dernier ne devienne un poids face aux Lakers (improductivité offensive) ne disposant d’aucun arrière de renom à garder.
C’est bien cela finalement, qui risque de manquer aux Nuggets.
Un joueur capable d’éteindre des meneurs et arrières importants dans des équipes dont le moteur offensif est basé sur ces postes-là. Grâce à sa faculté à tenir les stars de la ligue sur les postes 1 & 2 et ainsi protéger ses coéquipiers, il n’était plus un rouage absolument indispensable en toutes conditions, mais un véritable atout en fonction des match-ups. Or, si la venue d’Aaron Gordon pourrait en faire un joueur plus important que l’ex-Nugget sur le cours d’une global saison, la défense d’Harris reste une perte évidente pour les joutes de post-saison.
Une perte émotionnelle ?
C’est souvent un élément difficile à évaluer en tant qu’observateur. La place d’un joueur dans ce qui est difficilement visible, voire invisible chez les joueurs les plus discrets.
Quand on en vient à ce genre de considération, je pense souvent aux Pacers 2013-14. Véritable machine à gagner et principaux concurrents des Heatles pour une place en finale, ils trônent sur la 1ère place de l’Est. Pourtant, l’effectif si soudé va se désagréger. Plusieurs membres éminents du vestiaire vont pointer du doigt quatre éléments internes qui ont largement contribué à diviser le prétendant au titre :
- Le départ de Danny Granger, pourtant déjà l’ombre de lui-même mais véritable moteur humain et leader de l’équipe
- Le départ d’Orlando Johnson, remplaçant mais joueur très apprécié de ses coéquipiers
- L’arrivée d’Evan Turner qui ne collait pas avec le style de jeu très similaire de Lance Stephenson
- Une embrouille entre Paul George et Roy Hibbert, deux joueurs clés de l’équipe
En somme, avant tout des pertes humaines qui ont divisé l’équipe et ont contribué à annihiler la résilience d’une équipe pourtant très unie jusque-là.
Lorsqu’on pense aux Denver Nuggets de 2019-20, c’est cette notion de résilience qui vient en tête. Trois fois menés 3-1 en Playoffs, dans le difficile contexte de la bulle, les Nuggets furent l’une des rares équipes à apprécier cette situation, notamment grâce à la bonne ambiance globale du groupe et la faculté de l’équipe à ne jamais douter, à rester ensemble.
Par deux fois, elle a surmonté ce déficit pour l’emporter (un exploit encore jamais réalisé). Un état d’esprit qui s’opposait d’ailleurs à celui des Clippers, mais dont l’absence d’unité collective n’a pas permis de gérer la débandade qui suivit le come-back de Denver.
Difficile, en étant fan de cette équipe, de ne pas avoir noté à quel point Gary Harris était un élément majeur, notamment sur le plan humain et dans l’entente globale du groupe. Les nombreuses réactions des Nuggets suite à son départ sont équivoques (voir Jamal Murray, Will Barton, Monte Morris notamment). “G$$” était un leader du groupe à sa propre manière. Et s’il est toujours difficile de prévoir l’impact d’une perte semblable sur l’état d’esprit général d’une équipe, l’inquiétude semble légitime pour un joueur ayant passé 7 ans dans une franchise et ayant si souvent soutenu le succès de ses coéquipiers même à ses dépends.
Reste que si les conséquences humaines de ce départ se détermineront sur le long cours, il permet à l’équipe de retrouver la cohérence qui fut largement perturbée durant la free agency 2020. Oui, l’arrivée d’Aaron Gordon est coûteuse, mais combinée à celle de JaVale McGee, elle contribue à rendre cette équipe des Nuggets plus ambitieuse dès maintenant.
Denver, une nouvelle hiérarchie ?
Si cette question était déjà d’actualité avant les événements de la trade deadline, elle n’est que plus cruciale maintenant. Et pour cause, le groupe, s’il garde de nombreuses têtes connues, a traversé de nombreux changements ces derniers mois.
Cette saison fut jalonnée par des problématiques habituelles : comment compenser la perte d’Harris, comment permettre à Porter Jr de se développer, tout en ayant de hautes aspirations collectives ? Ces questions ont trouvé davantage de résonance cette année en raison du mouvement que connait une équipe au fil des saisons.
Plusieurs points à évoquer :
- Jamal Murray, que la franchise tend à transformer en meneur, s’avère toujours très efficace quand il évolue aux côtés d’un autre meneur de jeu (Monte Morris, Facundo Campazzo),
- Michael Porter Jr s’avère beaucoup plus efficace en stretch-4 que lorsqu’il est positionné comme ailier,
- Paul Millsap n’a plus un rendement suffisant pour être titulaire,
- Le déséquilibre global de l’effectif en manque cruel d’ailiers.
Résultat, si rien ne garantit que les changements arriveront immédiatement pour Mike Malone (coach conservateur, aux ajustements parfois assez lents), tout porte à croire qu’une nouvelle organisation pourrait être favorable aux résultats de Denver.
Si on sait par exemple que Will Barton est resté à Denver pour être titulaire et que Paul Millsap continue d’avoir la préférence de Malone pour débuter les rencontres, il se pourrait qu’une nouvelle organisation soit plus intéressante pour tirer le meilleur de cet effectif, qui pourrait ressembler à cela :
Monte Morris – Jamal Murray – Aaron Gordon – Michael Porter Jr – Nikola Jokic
Dans cette configuration, toute l’équipe est dangereuse offensivement, mais présente des lacunes défenses assez exploitables. Malgré des progrès certains défensivement pour Morris, mais surtout Jamal Murray, l’équipe ne comble pas sur ce point la perte d’Harris.
Pour être plus équilibrée, j’aurai tendance à y préférer ce 5-là :
Facundo Campazzo – Jamal Murray – Aaron Gordon – Michael Porter Jr – Nikola Jokic
De la sorte, l’équipe reste létale en attaque, mais gagne un défenseur (Campazzo) capable de passer sous les écrans, de couper les lignes de passe et venir en aide dans les bon timings. Malheureusement, rien n’indique pour les Nuggets que Murray ne reste pas meneur afin de conserver Will Barton, déplacé en arrière titulaire (soit jouer avec les 3 ailiers de l’équipe en même temps sur le terrain).