Depuis 1946 et la création de la National Basketball Association, quelque cinq mille joueurs ont foulé les parquets de la Grande Ligue. Certains d’entre eux ont laissé une empreinte indélébile qui ne sera jamais oubliée. D’autres sont restés bien plus anonymes. Entre les deux ? Des centaines de joueurs, qui ont tour à tour affiché un niveau de jeu exceptionnel, mais dont on oublie bien souvent la carrière.
Dès lors, @BenjaminForant et @Schoepfer68 ont décidé de dresser – littéralement – le portrait de certains de ces acteurs méconnus ou sous-estimés. Au total, ce sont 60 articles qui vous seront proposés : un par année, entre les saisons 1950 – 1951 et 2009 – 2010. Pour chaque saison, un joueur a été sélectionné comme étendard, parfois en raison d’une saison particulièrement réussie, d’une rencontre extraordinaire ou encore d’une action historique …
Chaque portrait s’inscrira dans une volonté, celle de traverser l’Histoire de la NBA de manière cohérente. Ainsi, ces portraits (hebdomadaires) seront publiés dans un ordre précis : un meneur, un arrière, un ailier, un ailier-fort, un pivot. Au bout de cinq semaines, c’est donc un cinq majeur qui sera constitué. Les plus matheux d’entre vous l’aurons compris : au final, ce seront douze équipes, toutes composées de joueurs ayant évolué au cours de décennies distinctes, qui auront été composées.
A vous de déterminer lequel de ces cinq majeurs sera le plus fort, le plus complémentaire, le plus dynastique.
Vous trouverez en fin d’article les liens vous permettant de (re)consulter les articles précédents.
La jaquette
Pour chaque article, @t7gfx vous proposera ses créations. Vous y retrouverez une illustration du joueur présenté (en tête d’article) ainsi une présentation de chaque cinq majeur projeté (chacun avec une identité visuelle propre).
Le synopsis
Une fois n’est pas coutume, nous avons coché le nom d’Andreï Kirilenko dès la première phase de nos recherches. Le fait qu’il soit l’un des joueurs préférés de @BenjaminForant a évidemment joué. Le profil du joueur, capable de tout faire sur un terrain de basketball, a achevé de nous convaincre de lui consacrer notre avant-dernier épisode.
Kirilenko est né le 18 février 1981 à Izhevsk, dans le centre-ouest de la Russie, encore appelée URSS en cette époque. Listé à 2m06 pour 99 kilos, quand bien même il semblait en faire un peu plus, il passa 13 saisons sur les parquets américains. Rapidement surnommé AK47 – vous devinez aisément pourquoi – il s’est distingué en Europe par sa précocité, et en NBA par une faculté quasi-unique ; celle d’être all-around dans l’ensemble des compartiments de jeu, à peu de chose près.
Souvent positionné au poste d’ailier, le jeune Russe réalisa cependant ses meilleures saisons Outre-Atlantique lorsqu’il évoluait dans la raquette. Doté d’une envergure hallucinante pour sa taille (2m24), il était un défenseur très solide et un contreur d’exception, ce qui contribua à en faire l’une des plus belles coqueluches européennes aux USA.
Revenons très rapidement sur ses débuts sur le Vieux-Continent avant d’évoquer ses plus belles pages dans la Grande Ligue.
Action !
La relation Kirilenko – basketball a démarré très tôt. Le garçon est en effet rapidement repéré dans la cours de son école élémentaire et intègre une école sportive de Saint-Pétersbourg. Il remporte à plusieurs reprises le championnat national dans les catégories de jeune, et s’octroie même le luxe de rafler un dunk contest sous les yeux de Kareem Abdul-Jabbar, juge le temps d’une soirée.
Fort de ces promesses, il devient le plus jeune joueur de l’histoire du championnat professionnel Russe en démarrant sa carrière à l’âge de 15 ans. S’il ne disputa que 3 rencontres avec les adultes cette saison-ci, il s’impose l’année suivante (à 16 ans, donc) comme un titulaire en puissance du Spartak, en disputant 41 rencontres pour 12 points et 4,5 rebonds de moyenne.
Son transfert vers la place forte du pays, le CSKA Moscou, est alors acté. Il resta trois saisons dans la capitale, et fît mieux que confirmer tout le bien que les observateurs pensaient de lui. En 1999, il est sélectionné pour le All-star game et gagne le dunk contest (avec l’unique 50/50 de l’époque). Il remporte le championnat national, avant de rééditer la performance au tournant du siècle. D’ailleurs, le magazine Sport-Express le nomme MVP de l’exercice 1999-2000, tandis qu’AK est également intégré dans le meilleur 5 défensif du pays. Il réalise une dernière saison sous les couleurs du CSKA, terminant 4ème de la Suproligue, une compétition européenne disputée cette année-ci.
Après avoir été élu meilleur joueur européen de la saison 2000-2001, il se décide à rejoindre les États-Unis … où il avait été drafté deux ans plus tôt, en 1999, à l’âge de 18 ans et 132 jours. Il est ainsi membre de la cuvée qui vit les débuts professionnels d’Elton Brand (#1, Chicago), Steve Francis (#2, Vancouver), Baron Davis (#3, Charlotte) ou Shawn Marion (#9, Phoenix). Avec son choix numéro 24, c’est le Jazz qui jette son dévolu sur la pépite Russe, qui rejoindra donc l’équipe deux saisons plus tard.
Prometteuse. C’est ainsi que nous pouvons qualifier sa première saison dans la Grande Ligue américaine, dont il disputa l’intégralité des matchs. Dans une équipe dans laquelle on retrouve encore les vieillissants Stockton et Malone, bientôt âgés de 40 ans, Kirilenko commence sa saison en tant que doublure de Donyell Marshall au poste d’ailier. Ses performances sinusoïdales, dignes du rookie qu’il était alors, laissent néanmoins présager son immense potentiel. Il se démarque – déjà ! – comme étant capable de noircir la feuille statistique dans l’ensemble des 5 catégories brutes.
Il score ainsi 19 points pour son 18è match face à Charlotte (victoire +4). Le match d’avant, il attrapait 10 rebonds pour la seconde fois de sa saison. S’il n’était pas encore véritablement passeur (pourquoi faire, d’ailleurs, lorsque vous avez Stockton à la mène), sa rencontre du 28 novembre 2001 face aux Sonics constitue son acte de naissance comme joueur à tout faire : 15 points, 4 rebonds, 3 passes décisives, 4 interceptions, 4 contres en 24 minutes et à 2/5 de loin. Il est l’un des 8 rookies de l’Histoire à avoir réalisé une telle ligne statistique, aux côtés, notamment, de Chris Webber, Kevin Garnett, David Robinson, Terry Cummings ou Ralph Sampson. Il est donc l’unique débutant du 21è siècle en 15/4/3/4/4.
Ces statistiques ne comprennent que trop peu son impact dans sa propre moitié de terrain ; Kirilenko dispose de plus d’un atout dans sa manche pour étouffer son adversaire direct. Peu importe, d’ailleurs, que celui-ci soit le meilleur attaquant de l’époque. Ce n’est pas Tracy McGrady qui vous dira le contraire, lui qui passa une sale soirée au milieu du mois de novembre, alors qu’il avait l’ailier Russe sur le râble : 17 points à 5/18 au tir.
Kirilenko gagne sa place de titulaire à la mi-janvier 2002 en raison de la blessure de Marshall. Il ne la quitta plus et devient légèrement plus régulier, tandis que son temps de jeu augmente : de 23 à 28 minutes de moyenne par soir. Il célèbre sa troisième titularisation avec 24 points, 8 rebonds, 3 passes décisives, 6 interceptions et 1 contre, ce qui constitue son match référence et l’une des trois occurrences dans l’Histoire chez les rookies.
Son premier exercice se clôt avec une place dans la All-NBA 1st rookie team et une place en playoffs. Il est, avec David Robinson, le rookie le plus all-around de tous les temps (10,7 points, 4,9 rebonds, 1,1 passe décisive, 1,4 interception, 1,9 contre). Il occupe le poste d’ailier titulaire lorsque vint le moment d’affronter les terribles Kings au premier tour des playoffs. Il brille particulièrement lors de la seule rencontre remportée par les Jazzmen (game 2), avec 15 points, 6 rebonds, 3 passes décisives, 2 interceptions et 5 contres (victoire +7). Cependant, Sacramento s’imposa (3-1), dans une édition qui verra la franchise s’incliner avec fracas et scandale face aux Lakers en finale de conférence.
Nous arrivons en 2002-2003 et Andreï Kirilenko redevint le poste 3 remplaçant de l’équipe dirigée par l’inusable Jerry Sloan. En effet, à l’intersaison, Matt Harpring a déposé ses valises chez les Mormons, après avoir porté le maillot de 3 franchises sur ses 4 premières années professionnelles (Orlando, Cleveland et Philadelphia). Pour autant, il endosse le rôle de 6è homme de l’équipe et reste fréquemment sur le terrain lorsqu’il s’agit de terminer la rencontre.
L’exercice sera sensiblement similaire au précédent, à ceci près que le jeune Russe, qui dispute sa 7è saison professionnelle alors qu’il n’est âgé que de 21 ans, fait tout un petit peu mieux. En effet, le Jazz tomba à nouveau face aux Kings au premier tour des playoffs, en remportant une victoire au passage pour éviter de rentrer fanny, tandis qu’individuellement AK47 s’impose comme étant la polyvalence par excellence.
Puis vint l’explosion.
Les départs conjoints de Stockton et Malone laissent le Jazz dans une position délicate et avec un roster qui devait mener la franchise à un solide tanking en vue de récupérer un haut choix de draft, étant précisé que Dwight Howard, Emeka Okafor ou Devin Harris se présentaient à la draft 2004. Il n’en sera rien. La faute, ou plutôt le crédit, revient à un Andreï Kirilenko métamorphosé.
Il commença la saison avec un titre de joueur de la seconde semaine. Sur les 4 rencontres disputées au cours de celle-ci, Utah en remporta 3 (bilan de 4-2, alors). Son ailier titulaire, qui fait office de vétéran du groupe malgré ses 22 printemps (on retrouve, sur le banc des remplaçants, pas moins de 5 rookies), termine sa semaine avec 18,5 points, 7,5 rebonds, 2,3 passes décisives, 1,5 interception et 3 contres, à 52,4 % au tir, dont 40 % de loin et 100 % aux lancers. Le tout en contenant Kevin Garnett, futur MVP de la saison, à 10 petits points lors d’une victoire face aux Wolves.
Malgré un effectif juvénile et absolument dénué de toute star, le Jazz remporte 10 de ses 16 premières rencontres, mais n’allait pas tarder à perdre la 17è d’entre-elles, disputée face aux Rockets de Yao Ming et Steve Francis. Cependant, malgré la défaite, c’est Kirilenko qui creva l’écran, grâce à une performance qui symbolise à merveille son activité de tous les instants. Une performance qu’il se paya le luxe de rééditer une semaine plus tard, dans une large victoire face aux Knicks (+22).
Nous parlons bien évidemment du five-by-five, prestation “signature” du Russe. Il s’agit du fait de cumuler au moins 5 unités dans les 5 catégories de statistiques brutes (5 points, 5 rebonds, 5 passes décisives, 5 interceptions et 5 contres, et plus si affinités). Dans son histoire, la NBA n’a vu que 20 performances du genre, dont 6 pour l’extraterrestre Hakeem Olajuwon. Hormis The Dream, seul un joueur est parvenu à cumuler au moins 2 five-by-five en carrière ; Andreï Kirilenko. Précisons que Draymond Green, Nicolas Batum, Anthony Davis et Jusuf Nurkic sont aujourd’hui en lice pour doubler la mise. Ne résistons pas à l’envie de donner les chiffres de ces deux rencontres historiques :
- 3 déc. 2003 @ Houston : 19 points, 5 rebonds, 7 passes décisives, 8 interceptions, 5 contres. Notons que le total de 8 interceptions est le plus élevé parmi les 20 five-by-five recensés ;
- 10 déc. 2003 vs New-York : 10 points, 12 rebonds, 6 passes décisives, 6 interceptions, 5 contres.
Lorsqu’arrive le All-star game, Utah possède un bilan équilibré de 26 victoires pour 27 défaites. Un total inespéré au début de la saison, alors que l’ensemble des bookmakers prédisaient à la franchise un bilan final inférieur à 25,5 victoires. Ces performances collectives surprenantes permirent au Jazz d’envoyer un homme au match des étoiles, et c’est Andreï Kirilenko qui grimpa dans le premier avion, destination Los Angeles. Il faut dire que le début de saison d’AK47 était alors jamais vu, ou presque : 16,3 points, 7,9 rebonds, 3,3 passes décisives, 2 interceptions et 2,9 contres, à 46,3 % au tir, dont 38,2 % de loin (2,5 tentatives / match) et 80,2 % aux lancers. Il ne faut cependant pas se méprendre ; hormis en 2007-2008, jamais le Russe ne termina une autre saison à plus de 37% de réussite à trois-points. All-around, certes, mais pas sniper pour autant.
Précisons plusieurs éléments au sujet de ces statistiques à la mi-saison. Sur un exercice complet, seuls 3 joueurs affichent au moins 2 interceptions et 2 contres de moyenne : David Robinson, Gerald Wallace et Hakeem Olajuwon (4 fois). Kirilenko ne figure pas dans ce groupe restreint, puisqu’à la fin de l’exercice 2003-2004, il a finalement subtilisé “que” 1,9 ballon de moyenne par soir. Par contre, jamais un joueur n’a terminé un exercice régulier avec les statistiques qu’affichaient la pépite Russe au moment du All-star game.
Il en ira de même en fin d’exercice. Utah, malgré les 42 victoires acquises, termine au 9è spot de l’Ouest, en échouant à un petit match des playoffs, alors même que ce total de victoires aurait permis à la franchise … d’avoir l’avantage du terrain au premier tour dans la conférence Est. Les résultats n’en demeurent pas moins extraordinairement encourageants. Individuellement, à l’âge de 22 ans, Kirilenko devint le premier joueur de tous les temps – et unique encore, à ce jour – à afficher : 16,5 points, 8,1 rebonds, 3,1 passes décisives, 1,9 interception et 2,8 contres. Précisons que l’inénarrable Olajuwon termina ses saisons 1992-1993 et 1994-1995 avec plus de points, rebonds, passes décisives et contres … mais avec 1,8 interception.
Au fait, avons-nous soulevé le fait qu’entre temps, Kirilenko fût à nouveau nommé joueur de la semaine de la conférence Ouest et qu’il gagna sa place dans la All-NBA 2nd team ? Il termina au 4è rang du trophée de meilleure progression de la saison au au 5è du meilleur défenseur de l’année.
L’avenir de Utah était donc tout tracé. Cependant, l’ailier se cassa le poignet au milieu de l’exercice suivant, ce qui mit fin à sa saison après 41 matchs. Cela ne l’empêcha pas de figurer à nouveau dans la seconde équipe défensive de la saison, qu’il termina avec la meilleure moyenne de contres par match (3,3).
Depuis le début de sa carrière NBA, AK47 s’est donc distingué comme étant un joueur ultra-spectaculaire et un défenseur élite. Il confirma, au départ de John Stockton et de Karl Malone, que les clés d’un camion pouvaient aisément lui être confiées. Pas avare de bons mots en interviews, il est unanimement apprécié par les observateurs de la Grande Ligue.
Avec un poignet rafistolé, il entame, en 2005-2006, sa 5è saison sous le maillot du Jazz.
L’oscar de la saison 2005 – 2006
Son absence prolongée fit plonger Utah dans les bas-fond du classement de la conférence Ouest. Avec un peu de chance à la loterie, le Jazz rafla le troisième pick de la draft 2005, avec lequel fût sélectionné Deron Williams, en provenance d’Illinois. La mène lui sera immédiatement confiée, tandis que les ailes étaient partagées entre Kirilenko, Harpring, Okur et Boozer, qui se blessa toutefois rapidement.
Le Russe rata également près de 10 rencontres sur la seconde moitié du mois de novembre. En son absence, Utah commença bien mal sa saison (bilan de 8-12). Jerry Sloan le responsabilisa un peu plus à la création, tandis que le scoring est plus réparti qu’il ne l’était depuis le départ de Karl Malone. Surtout, Kirilenko continua de contrer tout ce qui bougeait dans “sa” raquette. En témoigne, par exemple, son 4è match de la saison, remporté face à Charlotte (+4) : 20 points, 8 rebonds, 5 passes décisives, 1 interception, 7 contres.
Très énergique et utilisant à merveille son envergure d’Airbus, Kirilenko excellait en tant que second rideau défensif et n’était jamais le dernier pour distribuer des chase down blocks par paquets de six. D’ailleurs, sa moyenne de 3,3 contres en 2005 constitue la 31è meilleure de l’Histoire. Devant lui, on ne retrouve que de véritables intérieurs ; chez les pivots, citons Mark Eaton (4 apparitions dans le top 30 des meilleures saisons au contre), Hakeem Olajuwon (3), Dikembe Mutombo (3), Kareem Abdul-Jabbar (3), Manute Bol (2), Alonzo Mourning (2), Marcus Camby (2), George Johnson (2), Elmore Smith, David Robinson, Tree Rollins, Theo Ratliff, Hassan Whiteside, Ben Wallace et Shawn Bradley. On ne retrouve qu’un ailier-fort, Serge Ibaka. En d’autres termes, et peut-être plus simplement, Andreï Kirilenko est très probablement le meilleur extérieur contreur de tous les temps, et la saison qui nous préoccupe désormais viendra le confirmer, si cela était encore nécessaire.
En effet, nous parlons aujourd’hui de Kirilenko au poste d’ailier-fort dans notre 12è et dernier 5 majeur. Pour autant, en 2005-2006, il évoluait très principalement au poste 3. En 37 minutes de moyenne, il claqua 3,2 contres / soir, et réalisa quelques performances d’un autre temps.
Malgré son extrême polyvalence, AK47 n’avait encore jamais terminé une rencontre en triple-double. Pourtant, vu le profil du bonhomme, on pourrait le voir capable d’atteindre le palier supérieur, et devenir le 5è joueur à réaliser un quadruple-double. Il faillit ouvrir son compteur de triple-double à la mi-décembre, dans une rencontre remportée face aux Blazers : 21 points, 16 rebonds, 3 passes décisives, 2 interceptions, 8 contres. Rebelote le surlendemain, dans une défaite face à Indiana, où il ne lui manquait qu’un seul rebond pour accompagner ses 11 points et 10 passes décisives.
Cependant, s’il réalisa deux triples-doubles dans cet exercice – nous y reviendrons – son match du 3 janvier 2006 le propulsa dans une tout autre galaxie. Pour l’occasion, Utah rencontra les Lakers orphelins de Kobe Bryant, suspendu. Dans une victoire qui porte le sceau de Mehmet Okur, Kirilenko devint le second joueur NBA à réaliser non pas un five-by-five, mais un six-by-six :
Voyez donc un joueur qui réalisa 3 des 20 five-by-five de l’Histoire, mais dont le compteur de triple-double restait désespérément vierge. L’anomalie allait bientôt être corrigée, puisque deux semaines plus tard, pour endiguer la vilaine série de défaites des Mormons, l’arme la plus célèbre de la Ligue ajouta 11 passes décisives à ses 16 rebonds et 18 points.
Malgré un bilan équilibré, Utah n’envoya personne au All-star game 2006. Il est cependant exact que la concurrence était particulièrement relevée cette année-ci sur les ailes au sein de la conférence Ouest ; Tracy McGrady était titulaire aux côtés de Tim Duncan, tandis que Kevin Garnett, Dirk Nowitzki, Shawn Marion et Elton Brand prirent place sur le banc sur les postes 3/4.
D’ailleurs, plus jamais Kirilenko ne disputa un match des étoiles dans sa carrière. En sortie de break, alors que Utah bataillait avec les Clippers, les Lakers, les Nuggets et les Kings pour une place en playoffs, son Russe favori passa la démultipliée et termina la saison tambour battant. Quatre rencontres semblent devoir être mises en exergue :
- 8 mars 2006 vs Minnesota : 15 points, 11 rebonds, 8 passes décisives, 2 interceptions, 8 contres dans une victoire (+3). Jamais l’ailier ne s’était autant approché du quadruple-double dans sa carrière. D’ailleurs, seuls Olajuwon, Abdul-Jabbar et Chris Webber, une fois chacun, ont un jour terminé un match avec a minima ces statistiques ;
- 25 mars 2006 vs Sacramento : 15 points, 14 rebonds, 3 passes décisives, 3 interceptions, 10 contres, dans une défaite (-2). Il s’agit de l’unique fois de sa carrière NBA où il réalisa 10 contres ;
- 8 avr. 2006 vs Portland : 24 points, 9 rebonds, 5 passes décisives, 7 contres, dans une victoire (+17) ;
- 14 avr. 2006 @ New-Orleans : 25 points, 9 rebonds, 6 passes décisives, 7 contres, dans une victoire (+1).
Soyons-clair. Depuis 1973 et la prise en compte officielle des contres parmi les statistiques de la Grande Ligue, nous trouvons trace de 80 rencontres au sein desquelles un extérieur réalisa au moins 7 contres. On vous laisse deviner quel est le joueur qui mène la danse dans ce classements :
Malheureusement, les prouesses de l’européen ne suffirent pas à amener le Jazz en playoffs, malgré un bilan équilibré et 41 victoires. En effet, juste devant, les Nuggets et les Kings remportèrent 44 de leurs rencontres, pour terminer aux 7è et 8è places.
Une frustration collective que ne sauront pas évacuer la nomination de Kirilenko dans la All-NBA First Defensive Team et sa tripotée de places d’honneurs dans certains classements, que nous vous donnons pêle-mêle : 2nd au defensive box +/- et à la moyenne de contre (3,2 / match), 3è au classement du meilleur défenseur de l’année (remis à Ben Wallace) et au Block %, 15è à la moyenne d’interception (1,5 / match), 19è à la moyenne de rebonds (8 / match).
Vous l’aurez compris, AK47 éclaboussa à nouveau la Ligue par sa faculté à être au four, au moulin, dans le jardin et sous les paniers. Il termina donc son exercice 2005-2006 avec 15,3 points, 8 rebonds, 4,3 passes décisives, 1,5 interception et 3,2 contres. Il s’avère que seul Kareem Abdul-Jabbar (1975-1976, MVP) et David Robinson (1993-1994, 2nd du MVP) ont terminé une saison régulière en étant aussi productif dans chacune des cinq catégories statistiques.
Andreï Kirilenko n’a alors que 24 ans et semble être loin de son prime. Cependant, au grand dam de tous les aficionados du joueur et de ses statistiques improbables, il venait de terminer la plus belle phase de sa carrière américaine.
Le générique de fin
En effet, l’année suivante, Jerry Sloan fît le choix d’axer son attaque autour du trio composé par Deron Williams, Carlos Boozer et Mehmet Okur. Avec seulement 6 tirs par match, alors qu’il avait l’habitude d’en prendre entre 10 et 12 les années précédentes, Kirilenko n’est que le 6è joueur offensif de l’équipe et se retrouve cantonné au rôle de spécialiste défensif.
Autant vous dire que la situation ne va pas lui plaire. Mais alors pas du tout. Alors qu’il venait de signer l’année précédente un immense contrat pour l’époque (86 M$ / 6 ans), il menaça ses dirigeants de retourner en Europe, quitte à laisser tomber son salaire. Le bonhomme était ainsi bien plus animé par le jeu et ses responsabilités que par l’argent qu’il percevait à la fin du mois, ce qui ressort très clairement dans une interview accordée à ESPN où il énonça en avoir plus que gros sur la patate :
“Le salaire ne signifie pas tout, je veux jouer avec passion. Je pensais que je jouerais, gagnerais et serais heureux. Ce n’est pas le cas. Je souhaite être là où on a besoin de moi, et ce peut être dans mon pays. Je suis proche de quitter la NBA !”.
Il resta malgré tout à Utah, dans ce rôle de défenseur élite. Difficile de donner tort à Jerry Sloan, d’ailleurs, puisqu’avec sa nouvelle formule, le Jazz atteignit la finale de conférence 2007, seulement vaincu par les Spurs, futurs champion. De ses playoffs, on retient surtout le fait qu’il fût placé sur un extraordinaire poster par Baron Davis. Une action qui nous donne l’occasion de rappeler que seuls ceux qui montent au contre peuvent se faire dunker dessus, et que tous les contreurs devant l’Éternel se firent bâcher au cours de leur carrière.
Cette année-ci, il put évacuer toute sa frustration américaine au Championnat d’Europe, qu’il remporta avec la Russie, en étant élu MVP du tournoi. Il est d’ailleurs élu meilleur basketteur européen de l’année 2007.
Il jouera sous les couleurs du Jazz jusqu’en 2011, en continuant d’enfiler ce costume qu’il détestait tant. Les 4 saisons qu’il réalisa se ressemblent comme des jumelles : entre 11 et 11,9 points, entre 4,6 et 5,1 rebonds, entre 1,2 et 1,4 interception, entre 1,4 et 1,8 contre.
Puis vint le lock-out 2011, qui paralysa la Ligue jusqu’au mois de décembre. Animé par l’envie de jouer, Kirilenko retraversa l’Atlantique pour retrouver ses anciennes couleurs, celles du CSKA Moscou. Il ne retourna d’ailleurs pas en NBA à la reprise de la saison. Moscou s’inclina d’un cheveux en finale de l’Euroligue face à l’Olympiakos (62-61) et AK47 fût nommé MVP et meilleur défenseur de cette saison européenne.
Il retourna cependant en NBA en 2012-2013, et disputa une saison dans ses standards statistiques chez les Wolves, avant de signer à Brooklyn la saison suivante, où il devint un simple joueur de bout de banc. Il réalisa une troisième et dernière pige au CSKA en 2013-2014, en chutant à nouveau de peu face à l’équipe du Pirée, cette fois-ci en demi-finale de l’Euroligue (70-68) avant de remporter le match pour le bronze.
Il termina sa carrière à Brooklyn en 2015, de manière aussi anecdotique que confidentielle. Tout ce qu’il n’a jamais été, finalement. Son palmarès individuel ne reflète que très peu le joueur qu’il fût :
- All-star, à une reprise,
- All-defensive team, à trois reprises,
- Meilleur contreur de la saison, à une reprise.
A posteriori, le bilan de son passage dans la Grande Ligue laisse un goût doux-amer. Certes, il fût pendant 4 saisons la coqueluche des fans, grâce à son jeu instinctif et extrêmement spectaculaire. Seulement, il passa son prime dans un rôle très réducteur pour ses qualités et son potentiel. Qui sait ce qu’aurait pu donner un Andreï Kirilenko responsabilisé comme il se doit au tournant de la décennie 2010 ?
Crédits et hommages
Avec sa dégaine d’Ivan Drago et son côté excentrique, Kirilenko était l’un des chouchous des médias, auxquels il n’hésitait pas à donner quelques bons mots. Voici ce que le rookie qu’il était déclara au sujet de Chris Webber alors dans son prime, après l’élimination du Jazz par les Kings au premier tour des playoffs :
“Il ne m’a pas semblé aussi imposant que lorsque je le regarde à la TV. Il faut certainement accorder beaucoup de crédit aux réalisateurs”.
Cela ne l’a pas pour autant empêché d’être adoré par la fanbase du Jazz, ni d’être reconnu par ses pairs. Dennis Lindsey, actuel vice-président des opérations basket du Jazz, se permet même une comparaison osée :
“Je pense qu’à bien des égards, Andreï était pour le Jazz ce que Pippen était pour les Bulls”.
Si la comparaison est bien évidemment partisane, il semble certain qu’aujourd’hui, AK47 demeure l’un des joueurs les plus all-around de tous les temps. Par certains égards, il est également l’un des plus “inclassables”, tant son jeu était fondé sur son instinct hors du commun.
Quand il déployait ses ailes, Jonathan Edwards retombait parfois 18 mètres plus loin, ce qui lui valut le surnom du “Goéland“. S’il ne pouvait pas non plus faire plus de trois pas, Kirilenko n’avait pas la prétention de voler avec ses propres ailes. Lui, lorsqu’il les sortait, c’était pour contrer à tout-va. Il demeure d’ailleurs encore le 38è meilleur contreur de l’Histoire de la Ligue, avec 1 461 contres réalisés. Dans ses plus belles années, il en claquait d’ailleurs 2,8 par soir, ce qui constituerait la 5è meilleure moyenne de l’Histoire, ex aequo, s’il-vous-plaît, avec Alonzo Mourning et Dikembe Mutombo.
Dès lors, plus que le surnom d’AK47, qui brille certes par sa symbolique et son simplisme, continuons de comparer le sportif et l’oiseau, et faisons d’Andreï Kirilenko le seul et unique albatros du basketball américain.
Les précédents épisodes et portraits du Magnéto :
- Cinq majeur #1 : Penny Hardaway (1994/95), Manu Ginobili (2007/08), Terry Cummings (1988/89), Jerry Lucas (1964/65), Nate Thurmond (1974/75),
- Cinq majeur #2 : Jason Kidd (1998/99), Tracy McGrady (2004/05), Rick Barry (1966/67), Elvin Hayes (1979/80), Neil Johnston (1952/53),
- Cinq majeur #3 : Isiah Thomas (1989/90), David Thompson (1977/78), Paul Arizin (1951/52), Tom Gugliotta (1996/97), Yao Ming (2008/09),
- Cinq majeur #4 : Baron Davis (2006/07), Bill Sharman (1958/59), Chet Walker (1963/64), Gus Johnson (1970/71), Jack Sikma (1982/83),
- Cinq majeur #5 : Tiny Archibald (1972/73), Dick Van Arsdale (1968/69), Bernard King (1983/84), Jermaine O’Neal (2003/04), Larry Foust (1954/55),
- Cinq majeur #6 : Fat Lever (1986/87), Richie Guerin (1961/62), Grant Hill (1999/00), Dan Issel (1971/72), Ben Wallace (2002/03),
- Cinq majeur #7 : Lenny Wilkens (1965/66) (Lenny Wilkens, bonus : le coach), Calvin Murphy (1975/76), Peja Stojakovic (2001/02), Shawn Kemp (1991/92), Arvydas Sabonis (1995/96), (Arvydas Sabonis, bonus n°1 : la carrière européenne), (Arvydas Sabonis, bonus n°2 : la carrière internationale).
- Cinq majeur #8 : Kevin Porter (1978/79), Tom Gola (1959/60), Xavier McDaniel (1987/88), Bob Pettit (1955/56), Vin Baker (1997/98),
- Cinq majeur #9 : Stephon Marbury (2000/01), Michael Cooper (1984/1985), Lou Hudson (1973/1974), Tom Heinsohn (1962/63), Maurice Stokes (1957/58),
- Cinq majeur #10 : Slater Martin (1953/54), George Gervin (1980/81), Chuck Person (1990/91), Ralph Sampson (1985/1986), Bill Walton (1976/77),
- Cinq majeur #11 : Micheal Ray Richardson (1981/82), Drazen Petrovic (1992/93), George Yardley (1956/57), Antawn Jamison (2009/10), Dolph Schayes (1960/61),
- Cinq majeur #12 : Walt Frazier (1969/70), Mitch Richmond (1993/94), Bailey Howell (1967/68),