Camarades, l’heure est grave. Vous l’aurez remarqué, les Boston Celtics affichent un niveau des plus préoccupants depuis quelques temps, un constat que l’on ne s’attendait certainement pas à dresser en octobre dernier, alors que les hommes de Brad Stevens sortaient de leur troisième finale de conférence en quatre ans. Nous étions loin d’imaginer l’ampleur des difficultés qu’allait connaître cet effectif, amputé de Gordon Hayward certes, mais encore largement capable de figurer dans le top 4 de l’Est.
Very bad trip
Avant de sortir le lance-flammes, il faut tout de même reconnaître une chose aux Celtics, ils ont été particulièrement poisseux jusque là – comme d’habitude, pourrait-on dire. C’est simple, absolument tous les joueurs majeurs ont connu des pépins physiques ou sanitaires à des moments charnières du début de saison.
Kemba Walker a manqué l’ensemble des 11 premières rencontres. Jayson Tatum a contracté le Covid alors que l’équipe venait d’enchaîner 5 victoires consécutives. Marcus Smart s’est blessé juste avant un road trip périlleux à l’Ouest et ne sera vraisemblablement pas remis avant le all-star break. Quant à Jaylen Brown, il a également dû se mettre en retrait l’espace de deux rencontres.
Conséquence de tout cela, les Celtics ont pu jouer le total incroyable de DEUX MATCHS avec leur cinq majeur “officiel”, composé des quatre oiseaux sus-cités et de Daniel Theis. Cette saison a beau être particulière pour tout le monde, il y en a pour qui le contexte est plus dur que pour d’autres et les Celtics en font indéniablement partie.
Forcément, dans un tel contexte, difficile de travailler dans la sérénité et de trouver des automatismes. Le bilan est catastrophique au regard des attentes de pré-saison (16-17 à l’heure de ces lignes), avec une remarquable médiocrité des deux côtés du terrain (14e offensive rating, 17e defensive rating), réalité plutôt désagréable si l’on se souvient de la performance réalisée l’an dernier (top 5 dans les deux catégories). Gordon Hayward n’est plus là, mais ce départ ne saurait à lui seul justifier un tel écart de performances.
Comment cette baisse d’efficacité s’illustre-t-elle sur le parquet ? Un trade est-il indispensable ? C’est ce que nous allons voir tout de s – non, en fait.
Non, parce que le problème va bien au-delà du fait que machin est trop petit pour défendre efficacement ou que bidule n’est pas assez bon sur les tirs à trois points pris au mois de janvier par temps neigeux lorsque le défenseur se situe entre 2 et 4 mètres de lui.
Pour résumer, les Celtics continuent de défendre correctement sur le périmètre mais leur protection de cercle est en berne. En attaque, les secteurs qui faisaient leur force (tirs en pull-up, isolation) sont à l’heure actuelle à un niveau médiocre, voire cataclysmique (17e percentile sur l’efficacité en isolation). On pourrait se dire qu’avec le temps, les choses s’amélioreraient sans doute, que la machine finirait par redémarrer avec un effectif au complet, et que la faiblesse de l’Est ne laisse que peu de doutes quant à la qualification des Celtics en playoffs. On pourrait, mais cela reviendrait à fermer les yeux sur un sujet de fond bien plus préoccupant.
Des avertissements ignorés
Car voyez-vous, chers lecteurs et lectrices, qu’il s’agisse des joueurs, des dirigeants ou du coach, il semblerait que personne ne sache réellement mettre le doigt sur ce qui cloche. En conférence de presse, nous avons droit aux sempiternels poncifs de l’interview sportive, à base de “on ne joue pas assez dur” ou de “nous avons eu les bons shoots, mais le ballon n’est pas rentré”, et vous trouverez un tas de déclarations de ce type dans les extraits relayés par les excellents @Celtics_Fra et @celticsfr :
Nous n’avons pas le centième des connaissances basket de ce bon Danny, mais nous allons tenter, modestement, de vous montrer ce qui constitue selon nous le nœud du problème.
Prenons la rencontre du 21 février face aux Pelicans, par exemple. Concentrés, les Celtics font la course en tête en première mi-temps à la faveur d’une défense en place et d’un jeu offensif simple, porté par ses deux stars en puissance, Jaylen Brown et Jayson Tatum. L’écart monte jusqu’à 24 points, Boston est en contrôle, tout va bien. Et puis les Pelicans se réveillent un peu, lancent un run devant leur public (quelle joie d’écrire ça en 2021), et reviennent aux alentours des 15 points. Il n’en faut pas plus pour que l’équipe perde totalement les pédales.
S’en suit un festival de possessions toutes plus caricaturales les unes que les autres : on cherche à écouler le chrono et à casser le rythme adverse, ballon dans les mains de Kemba Walker ou Jayson Tatum en tête de raquette, pick plus ou moins efficace, et tir casse-croûte en bout de possession. Un schéma inefficace, que les Celtics vont pourtant répéter à outrance sur tout le quatrième quart-temps, chaque tentative faisant fi des échecs passés. Le niveau zéro de la créativité, le niveau zéro de la prise de risque.
Les joueurs non-impliqués dans ce simulacre de gestion de fin de match sortent de leur rythme un à un, à commencer par Jaylen Brown, réduit à attendre dans le corner pendant que ses coéquipiers tentent de sauver la maison à eux seuls. Quand le ballon leur parvient en fin de possession, c’est souvent le fruit du hasard, et le résultat est… laid.
Pire, cette avalanche de mauvais tirs favorise le jeu en transition adverse, qui profite de la présence des ailiers dans les coins pour prendre de l’avance sur le repli. En cherchant à remettre la main sur le tempo du match, Boston en perd le fil de son jeu, et les Pelicans repassent devant. Malgré les exploits de Tatum, qui parvient à envoyer le match en overtime, la défaite est une nouvelle fois au rendez-vous.
Arrêtez de faire vos fragiles là, ce n’est qu’un mauvais match, ça arrive à tout le monde…
Mais cher(e) ami(e), avez-vous idée du nombre de rencontres ayant suivi un scénario proche de celui-ci depuis deux ans ? Oui, deux ans. Car la saison passée a aussi eu son lot de naufrages majestueux, alors que tout semblait en bonne voie, à commencer par les deux premières rencontres de la finale de conférence Est face au Heat.
Partant du constat que cette inaptitude à gérer les fins de matchs leur a probablement coûté une qualification en finale, on pouvait s’attendre à ce que l’accent soit mis là-dessus pour démarrer la saison. Naïfs que nous sommes ! Au lieu de s’améliorer sur ce point, les Celtics semblent plus enclins que jamais à tomber dans du jeu stéréotypé et à perdre tout leur mordant dès que le niveau d’intensité augmente en fin de rencontre.
Une impression visuelle confirmée par les chiffres : au lendemain de la défaite à New Orleans, ils affichaient le 29e net rating de la ligue dans le 4e quart-temps, seulement surpassés par les tristes Cavaliers. En comparaison, ils détenaient le 6e meilleur net rating sur les premières mi-temps, preuve d’un plan de jeu et d’une organisation qui s’étiolent de façon très préoccupante au fur et à mesure que le match avance.
Les sources de cet effondrement sont à la fois mentales et tactiques, et forment un cercle vicieux (parce que c’est plus drôle).
Quand la persévérance se mue en entêtement
Toutes les équipes, même les plus dominantes, connaissent des coups de mou au cours d’une rencontre. La force de celles-ci réside justement dans leur capacité à limiter l’impact de ces temps faibles, pour ne pas perdre le fil et rester dans la partie, ou garder un matelas de sécurité selon la configuration du score au moment où survient la période de trouble.
Pour accomplir cela, il n’y a pas trente-six solutions : si votre problème est offensif, resserrez les boulons en défense le temps que l’adresse revienne. A l’inverse, si vous êtes incapables de stopper l’adversaire, assurez-vous de lui rendre la monnaie de sa pièce quand vous attaquez. Si vous avez ces deux problèmes à la fois, bienvenue dans les quatrièmes quart-temps des Celtics.
Commençons par l’attaque, qui est à nos yeux le point le plus préoccupant. Cela peut vous paraître étonnant compte tenu de l’identité défensive de l’équipe, mais nous allons nous expliquer.
Comme nous l’avons suggéré plus haut, l’animation offensive de Boston n’est pas la plus sexy du quartier, loin s’en faut. Destinée à mettre en valeur les qualités balle en main de Jayson Tatum, Jaylen Brown et Kemba Walker, elle repose essentiellement sur du pick and roll et du jeu en isolation. Le ballon circule peu, et les passes décisives se font rares (28e moyenne de la Ligue).
Conséquence directe, Boston bénéficie de très peu de tirs wide open (19,6% de ses tirs, 26e), et plus de 50% de ses tentatives s’effectuent avec un défenseur à moins d’1m20 (4 feet) du tireur. Le niveau de difficulté global est donc élevé, et sans une sacrée dose de talent individuel, une telle abondance de tirs compliqués serait de la folie pure.
Cependant, aucun des trois leaders offensifs n’a la constance affichée par un Damian Lillard ou un Kevin Durant pour inscrire des tirs contestés tout au long du match, bien que l’espoir de voir Tatum approcher un jour ces monstres en la matière soit permis. Plus embêtant, si Tatum et Brown jouent à un niveau all-star, Walker alterne le bon et le catastrophique depuis son retour, et les inquiétudes se font grandissantes quant à sa capacité à retrouver son niveau.
De quatre menaces balle en main, Boston est donc passé à deux et demi, et cela facilite grandement le travail des défenses. Et que je fais une prise à deux sur le porteur lors des pick and rolls, et que je blinde ma raquette, et que je profite de la perte d’explosivité de Walker pour le contrer sans difficulté… Le plan de jeu de l’an passé, qui a permis à Boston d’être la quatrième meilleure attaque de la NBA, ne fonctionne plus. Sauf que le constat dressé pendant les finales de conférence 2020 est encore valable aujourd’hui, et même triplement valable : Boston ne dispose d’aucun plan B pour attaquer dès lors que la défense parvient à contrer le plan A.
– Euh, coach ? On vient d’envoyer trois briques consécutives en pull-up là, on pourrait peut-être tenter autre chose non ?
– Écoute Daniel, tu es mignon, mais sur la prochaine possession tu vas attendre que l’horloge descende à 10 puis tu vas aller poser un écran pour Kemba. J’ai l’intuition pour ces trucs, je le sens bien.
Et c’est comme cela que vous vous retrouvez devant de sublimes box scores avec Kemba Walker à 1/12 à 3 points.
Alors, comment en est-on arrivé là ? Comment un coach comme Brad Stevens, loué pour sa créativité en sortie de temps-mort et son sens tactique aigu, peut-il s’entêter à regarder ses joueurs envoyer brique sur brique en attendant que le miracle survienne ? Nous n’avons pas la réponse, et c’est franchement déplaisant.
Évidemment, l’effectif est mal construit. Jeff Teague est à la rue, aucun des trois pivots n’est un véritable taulier dans la raquette, et les choix de draft avidement gardés par Danny Ainge ces deux dernières années n’ont pour le moment produit aucun role player offensif solide sur la durée. Payton Pritchard, seul rayon de soleil dans ce ciel bien noir, est en bonne voie, mais soyons patients. Le front-office a une grosse part de responsabilité dans les difficultés actuelles, impossible de le nier. Cependant, au lieu de tenter et surtout de réussir à composer avec les joueurs à sa disposition, comme il l’a toujours fait, on a l’impression que Stevens n’essaie même plus, et se contente d’appliquer les recettes de l’an dernier encore et encore, quel que soit le moment du match, quelle que soit leur efficacité.
Cet état d’esprit démissionnaire se retrouve également chez les joueurs, d’autant plus depuis la blessure de Marcus Smart, dont l’importance dans l’équilibre de cette équipe n’a jamais été aussi évidente.
En effet, à force de tenter des tirs compliqués et de les rater, ou pire, à force de partir se placer dans le coin en sachant que le ballon n’arrivera sans doute pas, la frustration gagne les esprits de tout le monde, et cela a un impact terrible sur la qualité défensive des celtes. Comme vous le savez, Boston n’a à ce jour pas de protecteur de cercle à proprement parler – Robert Williams a le potentiel pour le devenir, mais restons focalisés sur le présent. Traduction, les défenseurs extérieurs n’ont pas de joker et s’ils sont dépassés par leur vis-à-vis, la sanction peut être sévère. Sans parler de la difficulté à contenir des engins comme Joel Embiid ou Bam Adebayo.
Pour mitiger l’impact de cette faiblesse et réussir, dans le même temps, à défendre efficacement le périmètre, comme le faisait Boston en 2019-2020, il faut une organisation collective d’exception. Un véritable ballet de switches, d’aides et de close-outs pour contester le moindre avantage obtenu par l’adversaire. Le genre de système impossible à mettre en place sans une communication efficace et une grande lucidité.
A ce titre, la frustration et l’impatience générées par l’échec du plan de jeu offensif sont autant de problèmes qui trottent dans les têtes, et qui empêchent les joueurs sur le parquet de défendre avec le mordant et la cohérence que l’on connaît. En l’absence de l’aboyeur en chef Smart, personne n’est en mesure de taper du poing sur la table et de monter l’intensité au niveau requis pour répondre à un adversaire jouant comme un mort de faim dans le money time. Quand le tactique et le mental sombrent de concert, la chute peut être vertigineuse.
La saison passée, ces trous d’airs se traduisaient par de simples accidents de parcours en saison régulière (en playoffs, c’est une autre histoire). Cette année en revanche, la multiplication des fins de match crève-cœur (Pacers, Lakers, Spurs, Pelicans, Mavericks) semble anéantir petit à petit le moral de l’équipe, qui nous gratifie parfois de prestations indignes d’un bout à l’autre (Knicks, Wizards, Hawks) et qui s’enfonce, de plus en plus, dans la crise de confiance.
Le tableau est sombre, et les portes de sortie à court terme ne sont pas si évidentes. Les supporters attendent Ainge au tournant sur le marché des transferts, mais chaque défaite rend les potentiels packages moins attractifs, puisqu’en grossissant le trait, les seuls joueurs ayant une réelle valeur sont ceux que la franchise ne veut pas transférer (Tatum, Brown, Smart).
Avant de chercher à bouger qui que ce soit, il nous paraît primordial qu’un changement de philosophie ait lieu, et cela commence par accepter que le plan de jeu minimaliste mis en place en attaque ne fonctionne plus comme auparavant. Brad Stevens est prompt à pointer du doigt le manque d’intensité et la mauvaise défense de ses ouailles, sera-t-il aussi honnête envers son attaque prévisible, inefficace et visiblement néfaste pour l’implication de ses joueurs ? La suite de cette saison mal embarquée nous le dira.
Pour terminer sur une note positive, une chose est sûre : Boston n’a plus le choix et doit se regarder longuement dans une glace, sans détour, sans fermer les yeux sur ses imperfections. Les semaines à venir ne s’annoncent pas gaies, mais peuvent (et doivent !) être riches d’enseignements quant à la suite du projet des Celtics, dont les fondations ont, faut-il le rappeler, seulement 22 et 24 ans. Le mode win now est encore loin, mais le mode think now doit être enclenché rapidement.