À la suite de l’arrêt de la saison 2019-2020, le 11 mars dernier, des voix se sont élevées avant et pendant le début de la bulle pour parler d’une saison à astérisque, avec un vainqueur au rabais. Des voix qui ont rapidement été ignorées vu le niveau de jeu des play-offs et la victoire en patron des Lakers. Néanmoins, cette formule de « saison à astérisque » trouve de nouveaux adeptes avec cet exercice 2020-2021 pour le moins étrange. Qu’en est-il réellement ? Puis, comment essayer d’arranger cela ?
Pourquoi la saison dernière était tout à fait légitime ?
Si la saison 2019-2020 a connu son lot d’aléas majeurs à cause de la pandémie avec, notamment, l’arrêt brutal de la saison à la mi-mars puis une reprise sur un terrain neutre, qui peuvent avantager certaines équipes et en désavantager d’autres, le « What If ? » n’est pas de taille à supplanter les aléas d’autres saisons récentes, dont tout le monde s’accorde pourtant à dire que le champion a mérité sa victoire. Jugeons plutôt : lors des Finales 2019, sans la rupture du tendon d’Achille de Kevin Durant au match 5 puis la rupture des ligaments croisés de Klay Thompson au match 6, il n’y aurait sans doute pas de bannière accrochée au plafond de la Scotiabank Arena de Toronto ; et dans la globalité, l’ère « Kevin Durant » aux Warriors n’est-il pas un pied de nez à toute la Ligue et une façon de tordre le cou à l’équité sportive ? À une époque pas si lointaine, la NBA de David Stern a bien empêché Chris Paul de rejoindre les Lakers pour, justement, ne pas entacher la fameuse équité sportive. Donc, sans même encore parler de terrain, nous entrons sur le champ de la philosophie : au nom de quoi une saison chamboulée par des contraintes et des aléas sanitaires serait davantage sujette à un astérisque qu’une saison marquée par des aléas financiers, qui permettent l’existante d’une superteam indécente, ou des aléas musculaires, qui débouchent sur des blessures au pire moment ?
Ensuite, parlons de la bulle. Oui, les cinq mois sans matchs à haute intensité ont pénalisé des équipes et brisé des dynamiques, comme celles des Clippers ou des Bucks. Oui, le Heat a sans doute surperformé grâce à son collectif soudé et ne serait peut-être jamais allé en Finale si la saison s’était déroulée selon l’agenda initial. Cela dit, bulle ou pas bulle, l’équipe la plus forte a tout simplement gagné. Tous les matchs ont pu se dérouler comme prévu. Aucune blessure majeure n’a été à déplorée, ni aucun scandale d’arbitrage manifeste. Personne n’a été testé positif au Covid-19. Une post-season somme toute classique, donc. Pour aller même plus loin et casser définitivement cette histoire de saison au rabais, il s’agirait même, peut-être, du titre le plus sensé de l’histoire. Pourquoi ? Le format bulle a ceci de particulier qu’il réunit toutes les équipes au même endroit, au même moment, et sur un terrain neutre. Cela change tout puisque, en temps normal, le rapport de force entre deux adversaires peut être influencé : par la ferveur du public à domicile ; par les homecall advantage, qui va du petit and-one tombé du ciel au braquage en bande organisée du Lakers–Kings 2002 ; ou bien par les déplacements en avion à rallonge, qui ajoutent de la fatigue, tant et si bien qu’il est statistiquement beaucoup plus avantageux de jouer à domicile en play-offs.
Enfin, ce format bulle a fait que toutes les équipes avaient les mêmes conditions de jeu : hôtel, nourriture, entrainement, sommeil, déplacement, absence générale de public, tout était harmonisé pour que cela soit similaire pour tout le monde. Les fantasmes de la pureté absolue et de la réduction maximale de l’iniquité sportive, avec les mêmes armes sur la ligne de départ pour tous les participants. La loi du playground finalement, dans laquelle les équipes les plus fortes, les plus solides mentalement et les plus soudées collectivement s’extraient de la masse. Que l’on aime ou non les champions en titre, il est difficile de contester qu’ils ont triomphé à la loyale et que ce titre 2019-2020 est mérité. Case closed.
Pourquoi cette saison 2020-2021, elle, est déjà plus problématique ?
Si la saison dernière était en réalité tout à fait légitime, celle de cette année l’est bien moins. L’expérience « bulle » ne pouvant durer dans le temps, autant d’un point de vue logistique que d’une question de santé mentale pour les athlètes, la NBA se devait de repartir sur un exercice plus ou moins normal, avec une reprise des rencontres dans les enceintes des franchises et des joueurs libres de tout mouvement à l’extérieur. Pour limiter les risques de contamination massive, la Ligue a mis en place un protocole sanitaire lourd, strict et contraignant pour les équipes. Et là, entendons-nous, c’est devenu la cacophonie. Au point même que la saison régulière 2020-2021 en perd de son sens, tant l’équité sportive s’est transformée en un horizon de plus en plus lointain, à des années-lumière finalement de la situation de la bulle, il y a seulement quelques mois. Alors, quels sont les problèmes majeurs ?
Passons d’abord sur le fait que les franchises n’ont pas toutes eu le même temps de récupération entre les deux saisons : certaines ayant eu neuf mois sans jouer, tandis que les deux finalistes ont eu l’intersaison la plus courte de l’histoire des sports US, avec 71 jours de pause. Soit. Cela, c’était un mal obligatoire. L’écueil principal est dans l’application concrète de ce « protocole Covid », qui pousse les joueurs testés positifs ou même simplement cas contact sur la touche pendant 5 à 14 jours. En NBA, avec en moyenne trois à quatre rencontres par semaine pour chaque équipe, lorsqu’un joueur est absent jusqu’à deux semaines pour cause de quarantaine, cela se remarque. Dès lors, les conséquences sont nombreuses et impactantes sur le bon déroulé de cette saison régulière. La première conséquence est un classement qui ne signifie en réalité pas grand-chose, tant les rosters n’ont jamais été au complet ou presque nulle part. Il n’y a aucune visibilité, jugez plutôt, avec quelques exemples représentatifs des différentes situations :
- Les Celtics préchauffaient début janvier et alignaient quatre victoires de suite ? Boum, leur franchise player Jayson Tatum, lui aussi bien en forme, doit observer quatorze jours de quarantaine entre le 10 et le 24 janvier. Dynamique brisée, avec des défaites en pagaille pendant son absence (et oui, on ne remplace pas si facilement le meilleur joueur de son effectif), mais aussi un bilan mitigé par la suite, car chacun doit se réhabituer et se réajuster. Depuis, c’est chancelant et cela manque de continuité dans les performances et dans les résultats. Cet exemple vaut aussi pour le Heat, qui a vu Jimmy Butler disparaitre du 12 au 28 janvier, ce qui s’est évidemment ressenti sur les résultats pour l’instant en demi-teinte de l’équipe floridienne.
- Quand trop de joueurs sont absents en même temps, les matchs sont reportés. Sur une grosse cinquantaine de jours de compétition, 24 rencontres ont déjà été reportées. À quand ? Nul ne le sait. Est-ce que cela signifie des back-to-back pour les équipes concernées ? Très probablement. Donc des risques de fatigue, et de défaites par la même occasion, accrus. Les Grizzlies et les Wizards ont été les deux équipes les plus impactées, avec six matchs reportés chacune, et les conséquences sont rudes : en ne jouant pas, elles perdent le rythme de la compétition et une certaine continuité, puis les matchs rattrapés seront ajoutés dans un calendrier déjà serré. Double peine.
Liste des 24 rencontres qui ont déjà été reportées cette saison. Très peu d’entre-elles ont une nouvelle date.
- Quand beaucoup de joueurs sont absents, mais pas suffisamment pour reporter le match (obligation de coucher au minimum huit noms sur la feuille de match), cela donne des « Tyrese Maxey’s Game », soit des matchs qui, au lieu de voir des superstars fouler le parquet, se transforment en des confrontations avec deux lineups déséquilibrés : une équipe au complet ou presque contre une autre obligée d’inscrire un joueur blessé pour faire le nombre. Aucune surprise dans le résultat, évidemment. Alors que dans le bilan comptable, cela donne : une victoire pour les Nuggets et une défaite pour les Sixers. Tout cela restera ainsi, et dans quatre mois, au moment de faire les comptes, personne ne se souviendra qu’il s’agissait de l’équipe A de Denver contre une équipe D de Philadelphie, avec un rookie qui a tous les tickets shoot qu’il désire, et les illustres Isaiah Joe et Dakota Mathias à plus de quarante minutes de temps de jeu. C’est l’exemple le plus saillant de ce début de saison, mais en réalité, il y a beaucoup de rencontres qui se sont jouées sans que les deux équipes disposent de leur roster complet ne serait-ce qu’à 80% et ne luttent ainsi à armes égales.
Ci-dessus la répartition des minutes lors de ce fameux match contre Denver du 9 janvier.
Ci-dessus la répartition des minutes théorique, avec toutes les titulaires disponibles, ici lors d’une victoire contre Toronto, le 29 décembre dernier.
Dès lors, les notions de bilan collectif et de victoire/défaite s’effacent, tant elles sont liées à une part de chance : espérer que le roster reste au complet et soit épargné (avec l’exemple du Jazz, certes excellent et dans les hauteurs de la Ligue, mais aussi pas du tout touché par des matchs reportés ou des absences de joueurs, voir graphique ci-dessous) ; croiser les doigts pour que les superstars ne contractent pas le virus ou ne soient pas cas contact (vous imaginez les Warriors soudainement sans Curry pendant deux semaines ?) ; prier pour que les matchs se déroulent bien au moment prévu, pour conserver une continuité. Pour s’adapter au niveau du coaching et dans les rotations, peu importe que tu sois Phil Jackson ou Scott Brooks, c’est invivable. Cette saison régulière 2020-2021 ressemble à un parcours du combattant pour les trente franchises, des joueurs à l’ensemble du staff : celles qui jouent de malchance se retrouvent injustement pénalisées puis reléguées dans les bas-fonds du classement ou à des places non conformes à leur statut.
Les statistiques individuelles et collectives n’ont plus grand sens, puisqu’il est difficile de dégager des tendances fiables. Dernier petit bonus, encore plus savoureux que les autres : comme nous avons pu le voir avec le match du 6 février entre les Nets et les Raptors, un joueur peut être mis sur la touche, puis être autorisé à renter sur le terrain, avant d’être enjoint à ressortir. Des blockbusters sanitaires rocambolesques au sein d’un même match. Stop.
Nous plaignons les équipes qui rateront les play-offs ou le play-in pour deux ou trois victoires, tant ces succès potentiels auraient pu intervenir avec une pincée d’aléas négatifs en moins. Ce sera le jeu, mais celui-ci sera cruel et hautement inéquitable. Pour l’heure, la saison régulière suit donc son cours saccadé, et l’on attend tous d’être en play-offs pour y voir réellement plus clair sur les forces en présence. Enfin ? Oui, mais pas si vite. Si rien ne change dans le protocole et si la situation sanitaire mondiale reste similaire, les play-offs, le saint Graal de tous les amoureux de NBA, seront aussi impactés. Là il ne sera plus question de triviales problématiques de Fantasy League et de petits soupirs excédés parce qu’un franchise player d’une équipe a raté trois ou quatre matchs, sans finalement que ça change outre-mesure la saison d’une équipe (oui, si LeBron est par exemple cas contact dans quelques semaines, cela n’empêchera pas les Lakers de finir dans le top 3 à l’Ouest). En revanche, cela devient plus embêtant lorsqu’arrive la post-season, c’est-à-dire les matchs qui comptent vraiment. Là, une superstar absente pour cause de protocole sanitaire, ce serait dramatique, fragiliserait l’équité sportive et marquerait définitivement cette saison d’un astérisque. Imaginez une série de play-offs, car avec une absence potentielle de quatorze jours, c’est de ça dont il est question, sans la superstar de l’équipe. Une Finale sans LeBron ? Une demi-finale de Conférence avec des Sixers sans Embiid ? Une finale de Conférence des Bucks sans Giannis ? Etc. D’emblée, cela ne voudrait plus rien dire. Hélas, vu comment c’est parti, cela a des risques de survenir.
Comment dès lors tenter de remédier au mieux à ces problèmes ? Quelles solutions peuvent être envisagées ?
Si aucune piste n’a officiellement été annoncée, nous pouvons jouer le jeu et faire le tour des différentes options envisageables.
- Assouplir le protocole sanitaire. Moins de tests = moins de problèmes ? Par assouplissement, nous entendons une réduction, notamment, de la fréquence des tests et/ou de la durée d’isolement, en l’abaissant par exemple entre 5 et 7 jours, au moins pour les cas contacts, qui correspondent finalement à la majorité des joueurs placés en quarantaine. Cette option n’empêcherait pas les joueurs de contracter la maladie, mais aurait pour avantage de disputer quand même la majorité de la série de play-offs en question. Néanmoins, difficile de penser qu’une telle voie puisse être empruntée, puisque ce serait négligeant d’un point de vue sanitaire, et qu’il y aurait toujours une forme d’iniquité à se priver de sa superstar, par exemple pour un match 7 au couteau.
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Renforcer le protocole sanitaire à l’approche des play-offs. C’est déjà ce qu’a fait la NBA à la mi-janvier, avec un durcissement des mesures, pour éviter une nouvelle flambée des cas. Dans cette situation, il serait envisageable par exemple de placer les joueurs en quarantaine avant les play-offs, de leur faire passer une batterie de tests et de maintenir un protocole strict (masques obligatoires, aucun invité dans les hôtels en déplacement, etc.) pendant les deux mois de post-season. Le problème ici est double : le timing plutôt serré de la Ligue, qui peut difficilement caser deux semaines de pause entre la fin de la saison régulière et les play-offs ; compliqué aussi d’un point de vue logistique de confiner une vingtaine d’équipes (celles assurées d’aller en play-offs et celles concernées par le play-in), avec un risque également de perte de rythme, de fatigue due aux protocoles et de séries donc de moins bonne facture.
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Finir bon gré mal gré la saison régulière, puis le retour de la bulle Disney pour les play-offs. Et pourquoi pas, après tout ? Ce serait un camouflet pour la Ligue, qui espère toujours des play-offs dans les enceintes des franchises, avec l’habituel domicile/extérieur, et pourquoi pas des fans dans les salles, mais un retour à Orlando (ou ailleurs) n’est pas totalement à exclure. L’avantage de cette mesure est son expérience réussie de l’an passé. Nous savons ce que cela donne et à quel point cela peut se dérouler de la meilleure des façons d’un point de vue sanitaire et du niveau de jeu. Néanmoins, le format bulle est très contraignant mentalement pour les joueurs, qui peuvent rester un à deux mois au même endroit, sans pouvoir sortir ni voir qui ils veulent. Derrière les séries épiques auxquelles nous avons assistés, il y avait le revers de la médaille et bon nombre de joueurs qui ont avoué avoir subir des épisodes de déprime ou été touchés par la dépression. Format peut-être le plus sensé de toutes les mesures, le retour de la bulle ne ferait pas que des heureux.
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Forcer à la vaccination des athlètes et des staffs. Attention, sujet épineux. Pousser à la vaccination règlerait sans doute bien des problèmes et réduirait drastiquement la circulation du virus, mais d’un point de vue éthique, logistique et légal, c’est difficile à mettre en place. Pourquoi ? Tout d’abord, admettons que l’on veuille y recourir, les doses de vaccins actuelles ne seront pas suffisamment nombreuses pour vacciner toute la population américaine au cours des prochains mois, même si Joe Biden a affirmé qu’il désirait que tous les Américains soient vaccinés d’ici la fin de l’été. Il faut donc, dans un premier temps, établir une liste prioritaire, dans laquelle figure théoriquement les soignants, les personnes âgées puis les personnes qui présentent une comorbidité. Ensuite, au nom de quels droits les basketteurs professionnels seraient prioritaires et privilégiés ? La NBA jouit certes d’une bonne image, mais c’est très loin d’être le sport le plus populaire aux USA, et vacciner les joueurs et les staffs, au détriment de la population, aurait sans doute du mal à passer auprès de l’opinion publique.
Le sport, quoi qu’on en dise et peu importe à quel point on l’apprécie, n’est pas indispensable au bon fonctionnement d’une société, et la NBA ne se trouve pas au-dessus des lois. Ensuite, même si la Ligue obtenait le feu vert, nous sommes aux États-Unis, pays où les libertés individuelles sont toujours fortement brandies, et il serait presque impossible de forcer un joueur réticent à se faire vacciner. Si des joueurs ont pu refuser d’entrer dans la bulle pour des raisons sanitaires, il pourrait en être de même pour la vaccination, même si l’on brandit la menace d’une interdiction de participer aux play-offs.
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En conclusion, le problème est difficilement soluble et, pour différentes raisons, il y a des risques que cette formule de « saison à astérisque » puisse être accolée à cet exercice 2020-2021 : nous en sommes à peu près certains en ce qui concerne la saison régulière, et il ne demande qu’à la Ligue d’entreprendre des mesures pour garantir la bonne tenue des play-offs. À moins d’une amélioration significative de la situation sanitaire mondiale, il est tout de même probable que la NBA se penche à nouveau sur l’organisation d’une bulle, avec les avantages et les inconvénients qu’elle apporte. Serait-ce la solution idéale ? Non. Serait-ce la moins pire ? Peut-être, hélas.