Avez-vous déjà rêvé, ou imaginé lors d’une tardive insomnie ce scénario fictif dans lequel vous, jeune basketteur au talent sous-estimé et non révélé, finissez par être repéré par la bonne personne qui par hasard passe sur les bords d’un obscur petit terrain, ou mieux encore, d’une vidéo de highlights dans un petit gymnase compilés par vous-même et postée sur Twitter ?
Peut-être avez-vous aussi été ce jeune joueur qui aime avoir le ballon dans les mains, mais que l’entraineur cantonne à un rôle de joueur loin du ballon qui doit attendre son heure pour prendre un tir ouvert, et qui par conséquent saute de joie quand loin de ce gymnase maudit, ses amis l’invitent à jouer et le laissent mener le jeu pendant toute une partie.
A l’heure des sites de scouting/recruiting et des tournois AAU, aucun talent ne devrait être perdu dans les méandres du basket américain, les meilleurs joueurs sont repérés dès le début de leur adolescence, d’autres tardent un peu mais finissent toujours tôt ou tard dans le radar des grands coachs et sites internet tels que Rivals.com, 247sports ou le classique ESPN.
Ce parcours traditionnel, Jason Preston ne l’a pas connu. Il a vécu en revanche les scénarios précédemment énoncés, dont celui qu’on s’imagine à trois heures du matin quand le sommeil peine encore à venir. Il n’est pas une seule fois starter en quatre ans dans l’équipe de son lycée, sauf pour l’un de ses derniers matchs, lors du « senior day », une titularisation plus symbolique qu’autre chose. Cantonné au banc ou au corner à attendre la balle quand il a la chance de voir le terrain, il tourne à une moyenne de deux points par match pour sa saison senior, la dernière.
Oubliez pourtant les Cade Cunningham et Jalen Suggs, venus de la galaxie des prédestinés. Votre nouveau chouchou s’appelle Jason Preston, et si avec ses deux points de moyenne, il vient d’un monde différent, il finira pourtant lui aussi sur la même planète : la National Basketball Association.
Il est cela dit facile de tomber dans les excès du storytelling à l’américaine et accentuer chaque petite difficulté pour embellir une histoire. Pas avec Jason Preston. Sa maman l’élève seule, et c’est elle qui vient l’initier à son jeu favori. Le jeune Jason se voit offrir un mini-panier quand il est encore tout petit – rien de révolutionnaire jusqu’ici – puis sa mère l’éduque aux fondamentaux et aux règles du jeu en le faisant regarder avec elle les matchs de ses bien aimés Pistons. Quand Jason a onze ans, elle lui annonce qu’elle souffre d’un cancer.
Judith Sewell décède cinq ans plus tard des suites de la maladie et laisse son enfant entre les mains de sa sœur, qui déménage de Jamaïque avec son fils pour pouvoir prendre soin de son neveu maintenant orphelin (son père biologique n’a jamais donné signe de vie après la naissance de Jason). Quelques mois après, dans les heures suivant le dernier match de sa carrière au lycée, lors duquel il ne dispute pas une seule seconde et reste scotché au banc, il reste seul dans sa voiture pendant une bonne heure, et contemple le présent et l’avenir proche. Est-il temps de raccrocher les sneakers et oublier ses rêves de haut niveau qui semblaient de toute façon déjà trop irréalistes et très utopiques ?
C’est en tout cas la décision qui semble s’imposer, et Jason Preston commence l’été en s’inscrivant à l’université de Central Florida, pas pour entrer dans l’équipe des Knights dirigée par Johnny Dawkins (ex-Duke), réalité encore inaccessible, mais simplement pour suivre des cours en ligne et se préparer à commencer une formation en journalisme. Ne voyant pas de porte ouverte vers le monde du basket par le jeu, Preston veut vivre autour de sa passion d’une manière ou d’une autre, et voit l’écriture comme un bon moyen de rester proche du basket. Il écrit même alors de courts articles sur les Detroit Pistons de sa maman, publiés sur pistonpowered.com, la section Pistons du célèbre site fansided.com.
Au même moment, un ami l’invite à ressortir sa paire sneakers pour lui donner un coup de main. Cherchant à compléter un groupe de joueurs pour disputer un tournoi d’été sur le circuit AAU, il invite Jason Preston à le rejoindre et devenir le cinquième membre nécessaire pour former une équipe, et lui offre même la possibilité de mener le jeu.
Disputant des matchs en Géorgie et à Disney World, il se fait – enfin – remarquer pour ses qualités, y compris par un assistant coach à UNC Asheville, qui lui explique qu’il ne peut pourtant le recruter car son roster est déjà complet, mais lui conseille de faire une année de formation pré-universitaire dans une « prep school » (sorte de lycée au format spécial, donnant aux étudiants la possibilité d’améliorer leurs notes en vue de leur entrée à l’université, ou même aux athlètes de se faire remarquer dans le même but) pour s’améliorer, peut-être se faire encore remarquer, et retenter sa chance l’année suivante.
Il rencontre également Brad Traina, un ancien joueur de UCF, qui recrute alors des joueurs pour Believe Prep, une prep school, justement. Traina lui offre une place, et Preston saisit l’opportunité. Il quitte donc sa Floride natale pour aller passer l’année en Caroline du Sud.
Le conte de fée a pourtant encore du mal à démarrer. Preston joue dans l’équipe première de l’école, mais continue à ne pas beaucoup voir le parquet. Pendant ce temps, ses amis et « roommates » jouent eux pour ce qu’ils décrivent comme « l’équipe C ». Ne voyant pas son temps de jeu décoller et souhaitant au moins s’amuser un peu, Preston demande au staff de le laisser jouer avec cette équipe C, pour prendre un peu de plaisir avec ses potes.
Dans ce nouveau contexte qui rappelle celui de l’été précédent, Jason Preston redevient un meneur titulaire, brille et fait briller les autres, et lors d’un tournoi, il réussit même un triple-double. Ce sont ses highlights lors de cette compétition qu’il décide de découper et compiler, puis demande à les faire poster par le compte Twitter de Believe Prep.
Le bruit se propage et rapidement Preston reçoit des offres et un intérêt concret de deux facs de NCAA D-I : Longwood et Ohio.
Will Ryan, fils du légendaire Bo Ryan (ex head coach de Wisconsin) et alors assistant coach à Ohio est chargé au printemps 2018 de trouver un nouveau meneur de jeu pour palier au départ sur transfert du remplaçant Zach Butler. Forcé de chercher dans ce qui ressemble presque aux dessous des fonds de tiroir, il tombe sur le tweet de Believe Prep et comprend qu’il a trouvé son homme. Le talent de passeur de Preston, cette vision et cette qualité d’exécution qui peuvent sembler innés mais qui sont surtout le fruit de dizaines d’heures à décortiquer les actions des meilleurs passeurs du jeu, sautent enfin aux yeux d’un coach qui comprend tout de suite qu’il a posé son regard sur un joueur très spécial.
Hors de question de laisser passer cette opportunité et de risquer que ce secret soit révélé, car Ryan avait déjà laissé filer avant cela un autre talent caché, un certain Tyrese Haliburton, qui avait finalement attiré l’attention de quelques grandes écoles un peu à la dernière minute, rejoignant finalement les Cyclones de Iowa State.
La première année sur le campus d’Athens, Ohio permet à Preston de s’acclimater à une nouvelle réalité qui aurait pu ressembler à un univers onirique seulement quelques mois plus tôt. Il dispute tout de même en moyenne trente minute par match, mais son rôle avec le ballon ne décolle pas de suite, et ses statistiques restent modestes à 6 points et 3,4 passes. C’est en fin de saison qu’il laisse entrevoir sous le maillot des Bobcats ce qu’il réserve alors pour les deux années suivantes, en réussissant une série de 23 passes décisives étalées sur trois matchs sans perdre le moindre ballon, terminant de convaincre le coaching staff que la pioche réalisée sur Twitter était réellement excellente.
Il y a cependant du mouvement à l’intersaison puisqu’à la suite d’une décevante saison et un bilan de 14V-17D, la direction du programme décide de faire un changement et d’offrir le poste de head coach à Jeff Boals, joueur des Bobcats dans les années 90 devenu head coach de Stony Brook, après plusieurs expériences en tant qu’assistant, la plus longue ayant lieu à Ohio State, la « powerhouse » de l’État.
Devant les images du jeu de son nouveau meneur, Boals dit retrouver ce qu’il voyait chez D’Angelo Russell ou Evan Turner, parmi les joueur les plus talentueux qu’il a pu croiser lors de sa carrière. Preston ne tire pas beaucoup, comme c’était déjà le cas dans la fameuse compilation Twitter, mais son sens de la passe et sa créativité sautent tout de suite aux yeux.
L’équipe devient systématiquement meilleure lorsque le ballon est confié à Preston qui gagne également des centimètres et des kilos, atteignant une taille de 6’4’’ (environ 193cm), plus que respectable pour un guard, surtout au niveau universitaire. Plus confiant mais aussi plus physique et endurant, Preston, en plus de devenir le leader incontesté de l’équipe, en devient aussi l’Iron Man, disputant en moyenne 38,1 minutes par match. Ses stats explosent, il monte à 16,8 points, 6,4 rebonds et 7,4 passes (4ème moyenne en NCAA Div. I).
Ce n’est pourtant qu’au début de la saison actuelle, sa troisième avec les Bobcats, que Jason Preston fait connaitre son nom aux observateurs de tout le pays. Il est jusque-là encore caché dans la peu médiatisée Mid-American Conference au sein de laquelle évoluent les Ohio Bobcats, pour lesquels les audiences au-delà d’Athens n’existent pas ou peu, et même lorsqu’il brille face à de grosses écuries comme Villanova (16 points, 8 passes), Utah (21 points) ou Baylor (12 points), son équipe n’arrive pas à suivre et ses performances individuelles sont noyées dans le naufrage des différents « blowouts » subis.
C’est le 27 novembre dernier, le lendemain de Thanksgiving, que le destin de Jason Preston semble commencer à réellement changer, encore une fois. Opposé avec les siens au Illinois de Ayo Dosunmu, l’un des meilleurs joueurs du pays au sein d’un des favoris au titre national, Preston sort de sa botte un match référence, 31 points, 6 rebonds, 8 passes, aucune perte de balle. Surtout, son équipe passe à trois petits points d’un succès retentissant, échouant finalement sur un score de 77 à 75. Cette fois, pas besoin de monter soi-même les highlights du match, YouTube s’en charge et le monde entier découvre le joueur qu’est Jason Preston.
Plus agressif au scoring, il montre qu’il est capable de marquer des points, même face à l’une des plus grosse écuries du championnat universitaire, mais Preston est avant tout un passeur, et pas des plus conventionnels, multipliant les offrandes pour ses coéquipiers en bonne position, passant par des angles normalement illisibles et montrant une qualité d’exécution rarissime, avec notamment une grande capacité à toucher le joueur ouvert d’une passe à une main alors qu’il se retrouve dans les airs.
La passe en sautant, celle que tous les coachs détestent et interdisent à leurs joueurs. C’était aussi le cas pour Preston à son arrivée sur le campus, mais au vu de l’efficacité de la créativité de son meneur dans ces situations, Saul Philipps, le head coach lors de la première année de Preston, lui offre un passe-droit que lui seul à le privilège d’avoir. Face à Buffalo ce 29 janvier, ce genre de situation se multiplie : une ouverture qui apparaît vers le panier, l’accès au cercle qui se ferme finalement avec l’aide défensive, et Preston qui saute, semblant parfois flotter dans les airs, le temps de ressortir le ballon vers un joueur libre dans le périmètre après avoir fixé toute la défense adverse. Une situation typique du jeu NBA actuel par ailleurs, qui ressemble toujours plus à la prochaine étape du meneur des Bobcats, dont le nom apparaît progressivement sur les mocks draft, et surtout, dans la bouche des observateurs et acteurs de la grande ligue.
C’est l’histoire d’un joueur dont on pourra – sans exagérer, comme c’est souvent le cas – dire qu’il vient un peu de nulle part. D’un joueur qui même si ceux qui l’ont eu sous leurs ordres ont souvent peiné à lui trouver une utilité, a toujours cru en lui, bénéficiant aussi des quelques coups de pouce du destin qui peuvent changer une vie.
So inspirational…