Durant la pause automnale, nous nous penchions sur le projet Spurs à quatre mains pour tenter de voir quels pouvaient être les contours du futur de la maison blanche et noire du Texas. Après des années au sommet, les choses semblaient pour le moins claires : DeMar DeRozan et LaMarcus Aldridge n’incarnent plus le futur de l’équipe, et s’ils sont bien présents cette saison encore, les Spurs ont le regard porté au loin. Vers l’été 2021 notamment, où ils seront à n’en pas douter à l’affût des opportunités pour relancer la machine. Mais aussi et surtout sur le développement de leurs jeunes joueurs.
Nous avions déjà évoqué dans notre preview de la saison l’importance qui allait être donnée à un jeu résolument plus moderne, orienté vers le small ball, avec la fin de la systémisation d’un cinq majeur à deux intérieurs. Gregg Popovich l’avait d’ailleurs lui-même annoncé lors du Media Day d’avant-saison : le projet de jeu aperçu dans la bulle d’Orlando allait s’exporter, et les joueurs allaient devoir se mettre au diapason. Un seul intérieur, des arrières/ailiers interchangeables, une plus grande proportion de tirs extérieurs, une redistribution globale des cartes offensives, et surtout un rythme bien plus élevé. Un schéma dans lequel les jeunes joueurs devaient, en théorie, s’épanouir.
Celui qui nous intéresse aujourd’hui, s’il est certes jeune, est installé dans la rotation de coach Popovich depuis quelques saisons déjà.
Revenant d’une saison blanche après une lourde blessure, Dejounte Murray a traversé la saison 2019-20 de manière pour le moins délicate. Pas franchement tranchant, pas franchement en confiance, pas franchement au niveau. Bref, à l’image des Spurs, on avait le droit à un Murray des plus timorés. Mais on le sait, les retours de longue blessure sont parfois compliqués à gérer, et il faut du temps pour que les sensations, le rythme et la confiance reprennent le dessus. Alors à l’aube de la saison 2020-21, Murray était attendu par les fans, et sans doute par le staff texan.
Et sur le début de saison, n’ayons pas peur des mots : Dejounte Murray fait forte impression. D’un meneur de jeu limité techniquement dans son bagage offensif, il s’est employé à la tâche pour accroître celui-ci et devenir enfin, dans l’ombre d’une éthique de travail certaine et d’un changement de philosophie qui lui va à ravir, une pièce importante du dispositif texan.
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A son arrivée à San Antonio en 2016, le jeune homme a suivi le parcours classique d’un prospect de fond de draft récupéré par la franchise dont la formation devait se poursuivre : 38 participations pour 8 titularisations avec les grands et la G-League en défouloir. Sa deuxième saison fut celle de l’exposition.
Profitant de l’absence de Tony Parker, Murray prit davantage de responsabilités pour finalement s’installer durablement dans le cinq majeur à la mène, y compris au retour du meneur historique de la franchise. La transition était actée avec le départ du tricolore à Charlotte à l’intersaison suivante, et l’ancien de Washington se voyait attribuer le titre de meneur en chef des noirs et blancs.
Mais si Dejounte Murray s’est illustré dès sa deuxième année, il le doit avant tout à ses qualités défensives. Son profil longiligne, sa taille, sa belle envergure, ses mains très actives et son sens du rebond lui permettaient de s’illustrer soir après soir dans la défense collective des Spurs. De l’autre côté du terrain en revanche, le chantier était total, ou presque.
Au niveau du tir extérieur, Murray partait du niveau zéro, tant sur le tir longue distance qu’à mi-distance. Dans la peinture, galvanisé par ses aptitudes physiques naturelles, il pêchait dans la finition au cercle, notamment lorsque les intérieurs lui barraient l’accès au panier, traduisant un manque de variété et de toucher de balle évidents.
Mais si les défauts étaient visibles, les qualités sur lesquels construire le futur bagage offensif du meneur étaient elles aussi évidentes, au premier plan duquel on retrouvait ses inévitables qualités physiques. Il faut dire qu’un meneur capable de conclure des alley-oops, on avait pas vu ça depuis un moment du côté de San Antonio.
Bref, le travail pour faire de Dejounte Murray ne serait-ce qu’un danger offensif était des plus importants. Mais la soif de travail et l’envie de progresser du joueur allaient être autant d’ingrédients facilitant la tâche du coaching staff texan, si bien qu’à ce jour, à 24 ans et après 4 saisons NBA dont une blanche, Dejounte Murray semble faire enfin étalage de son plein potentiel offensif.
Dans le labo de Chip Engelland
Le tir de Dejounte Murray était l’évident point faible du meneur de jeu dans son arsenal offensif. Une mécanique pas franchement fluide, un touché de balle pas rassurant, mais aussi et surtout un manque de confiance sur ses propres capacités à shooter à plus de 3 mètres du cercle.
Ca ne vous rappelle rien ? Un jeune meneur au shoot absent et qui pourtant se voyait confier les clés de l’attaque des Spurs ? Le raccourci est certes facile, mais il est pourtant vrai. Surtout, pour Murray, la comparaison avec Parker était des plus rassurantes. Si TP n’est jamais devenu un as longue distance, son tir mi-distance s’est en revanche amélioré d’années en années, fruit d’un travail conséquent abattu à l’ombre des spotlights avec l’un des assistants références de Gregg Popovich, Chip Engelland, le spécialiste maison du tir.
Dejounte Murray n’y échappera pas. En passant dans le laboratoire Engelland, il va progressivement mais sûrement développer ce qui fût l’une des armes principales de son ex-mentor, avec ce fameux elbow shot, un tir mi-distance déclenché au niveau du “coude” de la ligne des lancers-francs.
L’objectif était clair : avant de se concentrer sur le tir primé, il fallait tenter d’optimiser ses qualités premières de vitesse, de rupture et d’explosivité. Pour ne pas être confronté à un choix se résumant à “finition au cercle ou rien”, Murray a donc développé petit à petit son tir dans la zone intermédiaire, gravitant autour de la ligne des lancers francs.
De la sorte, il s’offre une opportunité de scoring supplémentaire dans une zone qu’il exploitait fréquemment en situation de matchs, soit sur une isolation avec son vis-à-vis où il créé la rupture en dribble (vidéos 1, 2, 3), soit sur des situations de pick and roll où l’intérieur l’attend très bas, pour protéger le cercle (vidéo 4).
Cette saison, tout en ayant conservé ce tir mi-distance qui doit ravir DeMar DeRozan, Dejounte Murray semble avoir franchi un nouveau cap, cette fois sur son tir longue distance. Jusqu’à maintenant, et fort logiquement, ces tirs-là restaient timides voire absents de son jeu. Sans être omniprésents, les tirs primés sont désormais un vrai élément du bagage technique offensif du meneur, avec quasiment 4 tentatives par match.
Saison | 3P marqués | 3P tentés | % |
---|---|---|---|
2016-17 | 0.2 | 0.6 | 39,1 % |
2017-18 | 0.1 | 0.4 | 26,5 % |
2019-20 | 0.6 | 1.7 | 36,9 % |
2020-21 | 1.2 | 3.7 | 33,3 % |
Carrière | 0.4 | 1.0 | 34,8 % |
La raison ? Une mécanique plus sûre, avec un mouvement plus fluide sur le relâchement de balle, et sans interférence dans le flow de la mécanique – malgré un positionnement des pieds pas toujours académique. Mais surtout, conséquence de cette meilleure technique, une vraie confiance. On le sait, mais on a tendance à toujours le sous-estimer : la confiance est l’un des paramètres les plus importants d’un shoot. Sans avoir l’ultra-confiance des snipers les plus réputés de la Grande Ligue, Murray semble avoir passé un cap sur ce point, surtout lorsque le tir se propose à lui en rythme.
Et ce rythme, c’est là un autre critère important dans le développement du tir extérieur du meneur, tant il semble avoir compris que rien ne servait de se forcer à prendre les tirs. Aussi, lorsque Murray prend ses tirs à 3 points cette saison, bien souvent ceux-ci sont le fruit d’un travail antérieur, qu’il s’agisse d’un décalage provoqué par un coéquipier, d’une extra-passe, ou d’un bon positionnement de sa part pour se faire oublier de la défense.
La zone de Minnesota craint le drive de DeRozan. Rubio vient aider (trop) généreusement Edwards : le décalage est simple, mais immédiatement identifié par DeRozan, puis Mills. La balle arrive en rythme sur Murray dans le corner, qui déclenche immédiatement son tir, dicté par le jeu.
Encore une fois, un tir primé en rythme et sans forcer le jeu. Le système de jeu offre un double écran de DeRozan puis Aldridge. Culver change sur le premier écran, et fait le choix de passer sous le second écran de LaMarcus Aldridge. Murray, en rythme avec son dribble, déclenche naturellement le tir.
Nouveau tir en rythme, parfaitement dans le timing. Mills fixe d’un côté avec Eubanks, pendant que Gay et Murray créent du mouvement à l’opposé de la balle. La passe de Mills arrive parfaitement dans la course de Murray qui n’a qu’à planter ses appuis pour déclencher son tir, sans hésitation.
Cette fois-ci, pas de décalage créé, la défense reste bien sur l’homme, mais Murray illustre parfaitement le critère de confiance en son shoot : pull-up sur la tête de son vis-à-vis, qui peut difficilement mieux défendre le tir. Le “planté” de son deuxième pied en même temps que le “dip” – le mouvement d’abaissement à réception de la balle – impulse le tir, la mécanique est fluide, bingo.
Quelle est la prochaine étape de ce développement du tir pour Murray ? Avant tout chose, avant même d’envisager une quelconque évolution nouvelle, l’important sera de confirmer sur la longueur d’une saison entière. Si le début de saison est évidemment prometteur, il faudra surtout voir comment réagit Murray les soirs où la réussite le fuira. Aura-t-il développer assez de confiance en son tir pour continuer à prendre ceux qui s’offrent à lui, ou retombera-t-il dans ses travers ? Une chose est sûre pour l’instant : les progrès sont là.
Ne pas confondre vitesse et précipitation, enfin
Parmi les qualités de Dejounte Murray, la vitesse occupe à n’en pas douter une place de choix. Une qualité qui lui permet d’exploser rapidement en contre-attaque lorsqu’il parvient à chiper le ballon des mains de son opposant et que le terrain s’ouvre à lui. Doté d’une appétence particulière pour le rebond, cette vitesse naturelle lui permet fréquemment de lâcher les gaz après avoir récupéré un tir adverse manqué, et ainsi de projeter rapidement l’attaque texane vers l’avant.
Là où Murray pêchait en revanche, notamment en raison d’un manque d’intelligence offensive, de variété et de toucher de balle, c’était dans sa qualité de finition au cercle. Une fois entré dans la raquette, le meneur se retrouvait confronté à ses lacunes techniques, et à un manque cruel d’efficacité pour conclure les transitions qu’il avait lui-même initié. Si les situations n’étaient pas fréquentes lors de ses premiers pas sous le maillot des Spurs, il lui fallait inévitablement travailler ce défaut à mesure que les responsabilités se faisaient plus nombreuses entre ses mains.
L’an dernier, il a alterné le bon et le moins bon dans le domaine, avec un astérisque important toutefois que l’on a déjà souligné en introduction : son retour de blessure. L’appréhension, le manque de sensation et la peur sont autant de freins à une finition libérée et à des appuis solides, confiants. Revenu plein d’envie pour cette saison, à l’image de la confiance qu’il développe dans son tir extérieur, Dejounte Murray semble également plus appliqué et plus précis prêt du cercle.
Les chiffres ne mentent pas, sans compter qu’il faut nécessairement pondérer ceux-ci d’une augmentation du nombre de ballons joués de ce type par Murray au fil des saisons.
% de réussite | |
---|---|
Saison |
< 1m du cercle |
2016-17 | 55,9 % |
2017-18 | 58,6 % |
2019-20 | 59,1 % |
2020-21 | 68,4 % |
Carrière | 60,5 % |
Comment une telle différence peut-elle s’exprimer ?
Tout d’abord, en ce début de saison, Dejounte Murray semble avoir compris comment utiliser ses qualités naturelles d’explosivité et de vitesse balle en main pour optimiser ses finitions au cercle. Dis comme ça, ça peut sembler évident, mais avoir des qualités et savoir les exploiter au mieux sont deux choses très distinctes.
Frêle physiquement, Murray ne peut pas compter sur son gabarit pour venir défier les armoires à glaces qui occupent les raquettes NBA, à l’instar d’autres arrières plus volumineux du haut du corps. Aussi, il doit profiter des césures qu’il arrive à créer balle en main avec sa vitesse de déplacement et de dribble pour se dégager le temps nécessaire à une finition propre. Au lieu de foncer tête baissée dans la peinture, prendre une demi-seconde balle en main peut s’avérer précieux, et bien souvent, permet de créer la différence par la suite. Savoir perdre une demi-seconde pour s’en créer une d’avance : c’est là l’une des clés de la progression de Murray au cercle en ce début de saison.
Ici, le changement de rythme est létal pour la défense des Wolves, sur les talons. Murray monte la balle sur un rythme modéré, et semble quasiment prêt à s’arrêter pour placer son jeu, avant de prendre la défense à revers avec un simple changement d’allure très explosif, doublé d’un dribble croisé pour protéger la balle et s’ouvrir la voie vers le cercle avant le retour de Towns.
Nouvel exemple ici, avec une ouverture au cercle que Murray se créé face à Anthony Davis. L’hésitation balle en main après le pick and roll fait monter légèrement Davis sur ses appuis. Le meneur se saisit immédiatement de l’opportunité et active le turbo jusqu’au cercle. Ses longs segments lui permettent de finir malgré le retour de Davis, main gauche en prime.
Ensuite, non seulement Dejounte Murray semble plus apte à se servir de ses qualités naturelles pour faire la différence, mais il semble également avoir travaillé sur ses finitions au cercle et son toucher de balle lorsque son mouvement est enclenché.
Sans avoir une finition d’élite à la Stephen Curry ou Kyrie Irving, Murray semble plus à l’aise sur sa main gauche, et plus confiant globalement sur ses finitions, qu’elles se fassent après contact ou sous la pression d’un retour des défenseurs. Les angles pour trouver la planche sont mieux trouvés, le corps et la vitesse mieux contrôlés. Rien de spectaculaire, mais beaucoup de petites corrections apportées qui, au final, donne un nouvel élan au joueur.
Belle protection de balle pour forcer la ligne de drive sur Patrick Beverley. L’appel deux pieds limite les possibilités, mais Murray évite superbement Ibaka avec un “up and under” improvisé.
Epaule en avant après une légère césure créée sur Brandon Clarke, Murray va chercher sa ligne de drive, et profite une nouvelle fois de ses longs segments pour éviter la contestation de Clarke au cercle et chercher la planche main gauche.
Murray, lancé et plus athlétique que Gasol va le défier au cercle. Là où il n’aurait eu que le floater comme solution il y a quelques temps, il se sert à nouveau de son envergure pour contourner les bras de l’espagnol et terminer au cercle main forte. C’est très simple encore une fois, mais c’est avec ce genre de petites choses que Murray progresse.
Nouvelle preuve de la confiance avec laquelle évolue Murray depuis le début de saison près du cercle. Un beau contrôle de son corps pour passer sous l’aide d’Harrell, et une finition main gauche tout en maîtrise malgré les appuis inversés sur le lay-up.
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Vous l’aurez compris, la progression de Dejounte Murray, sans être fulgurante ou spectaculaire, est réelle. Le meneur de San Antonio a attaqué la saison 2020-21 du bon pied, mais le plus dur reste à faire : confirmer dans la durée. Surfant sur une vague de confiance en ce début d’année, il faudra voir si le niveau se maintient au fur et à mesure de l’avancée de la saison et si les progrès continuent de se confirmer.
Surtout qu’il lui reste encore bon nombre de secteurs où il peut encore largement progresser, notamment dans sa création balle en main(s).
Si certains fans se sont déjà résignés à l’idée de voir leur meneur titulaire devenir un véritable playmaker, on serait partisan de laisser le bénéfice du doute au jeune homme de 24 ans. S’il y a en effet fort à parier qu’il ne sera jamais un organisateur de jeu de premier ordre, la marge de progression en la matière reste encore importante, surtout lorsque l’on sait qu’une telle qualité, quand elle n’est pas innée, ne s’acquière en grande partie qu’à la force de l’expérience.
Déjà cette saison, certains ont pu noter de vrais progrès notamment dans l’un de ses points noirs des saisons passées, la fameuse “vision tunnel” dont il est si difficile de se débarrasser.
A force de pratique et, à n’en pas douter, de séances vidéos avec le coaching staff, Murray semble par séquences plus à même d’optimiser sa vitesse de propulsion en attaque pour offrir des opportunités de scoring à ses coéquipiers. Savoir prendre la bonne décision le plus rapidement possible, c’est l’un des objectifs que doit se fixer le joueur pour franchir un premier palier en terme d’organisation de jeu.
Ses hésitations entre envie d’aller scorer et tentation de faire la passe, débouchant souvent sur une prise de décision tardive annihilant toute opportunité de jeu facile, doivent peu à peu disparaître de son jeu au profit d’un decision making plus efficace.
L’un des bénéfices d’un jeu rapide avec des joueurs athlétiques : les opportunités plus nombreuses sur les phases de transition. Ici, Murray intercepte et se projette en attaque, tête levée. Dès son entrée dans les trois-points, il voit Lonnie Walker IV arriver en position de “trailer”. Il fixe Beverley avant de servir, dans le tempo, son coéquipier pour le and-one. Un brin de patience, et une transition rondement menée, le genre de séquence dont Murray doit se servir pour progresser davantage.
Grâce à la redistribution des cartes offensives mise en place par coach Popovich cette saison, Dejounte Murray est désormais réellement impliqué dans l’attaque des Spurs. Est-ce que ses progrès ont aidé à cette tendance ou est-ce que la tendance l’a forcé à progresser ? Difficile à dire, mais le constat est au final le même à ce jour : le meneur apprend, grandit, et San Antonio ne peut que s’en réjouir.
Avec près de 15 shoots par match sur le début de saison, il a dépassé pour la première fois de sa jeune carrière les 15 points de moyenne, en ne perdant rien de son appétit pour les rebonds, et en passant également pour la première fois la marque des 5 passes décisives. De la bouche même du vétéran Patty Mills, quand Dejounte va, tout va à San Antonio.
Espérons donc pour la maison blanche et noire que le jeune Dejounte continuera sur sa lancée ! Et qui sait, si la progression se confirme, pourquoi ne pas aller tenter de décrocher un trophée de MIP en fin d’année ?