“Aujourd’hui, j’ai été élu MVP. Ou peut-être hier, je ne sais pas”. Si Antetokounmpo avait lu Camus, c’est ce qu’il aurait pu dire. En effet, après une intersaison plus que courte, bien que mouvementée, voici déjà l’heure pour les superstars de rechausser les sneakers. Pour le Grec, c’est l’occasion de soulever le trophée Maurice Podoloff pour la troisième année consécutive, et d’entrer par là dans un cercle des plus select ; seuls Bill Russell (1961 – 1963), Wilt Chamberlain (1966 – 1968) et Larry Bird (1984 – 1986) se sont fendus, dans l’Histoire de la Grande Ligue, d’un tel triplé.
Que dire sur le titre de MVP qui n’a pas déjà été cent fois narré ? Une fois n’est pas coutume, tentons de faire court, et rappelons rapidement les critères qui dictent l’attribution du trophée. Comme nous le disions l’an passé, il semblerait que les votants se basent – sans le dire haut et fort – sur deux éléments majeurs. Dans notre NBA contemporaine, à l’inverse de celle qu’a connu Bill Russell au début des années 1960, il est indéniable que le premier facteur reste la production statistique individuelle du joueur. La décennie 2010 est là pour nous le rappeler ; depuis la consécration de Derrick Rose, le MVP présente, en moyenne, les statistiques suivantes : 28,4 points, 7,9 rebonds, 7,2 passes décisives, 1,6 interception, 0,7 contre et 61,7 % au true shooting.
Il n’existe plus, à vrai dire, de joueur élu MVP alors que ses statistiques sont simplement bonnes. Nous visions ci-dessus le cas spécifique de Bill Russell dans un but précis ; celui-ci remporta le trophée en 1962 en présentant 18,9 points, 23,6 rebonds et 4,5 passes décisives. Extraordinaire, nous diriez-vous. Et pourtant, du pur point de vue statistique, Russell n’aurait même pas dû se retrouver sur le podium ; Wilt Chamberlain (50,4 / 25,7 / 2,4), Oscar Robertson (30,8 / 12,5 / 11,4) et Elgin Baylor (38,3 / 18,6 / 4,6) pouvant largement prétendre à lui passer devant.
C’est qu’en cette époque, que d’aucuns appellent préhistoire, les résultats collectifs comptaient encore plus, dans l’esprit des votants, que les performances individuelles. Aujourd’hui encore, sauf exception notable, le bilan collectif du joueur est prépondérant. La dernière colonne du tableau ci-dessus le démontre. Si on écarte Russell Westbrook de l’équation, lui qui fût élu MVP car il réalisa la première saison en triple-double de moyenne depuis Oscar Robertson (1962), on s’aperçoit que le Most Valuable Player de la dernière décennie a toujours remporté au moins 69,7 % de ses matchs. Rappelons, à cet égard, que les votes ne concernent que la saison régulière, et non pas le parcours de playoffs, quand bien même la remise des trophées s’effectue, ces dernières années et pour une raison qui nous échappe, à la fin des joutes printanières.
En 2020 – 2021, sont à nouveaux nombreux ceux qui peuvent espérer poser leurs dix doigts sur le trophée individuel le plus prisé. Suite à un sondage interne, nous avons décidé de vous parler des chances de plusieurs d’entre eux.
Ils seront probablement trop courts
Parler du titre de MVP, c’est savoir recycler ses informations. En effet, puisque le trophée ne consacre que les superstars, nous retrouvons inlassablement, depuis quelques années, les mêmes joueurs au sommet. Et si nous avons décidé de nous concentrer sur un top 3, il a fallu sortir quelques larrons de ce podium théorique.
James Harden est le premier qui en fît les frais. A l’heure de la rédaction de ces lignes, la Barbe la plus célèbre depuis le combo Gandalf – Lincoln – Jaurès souhaite quitter son cocon Houstonian. Les directions évoquées sont Milwaukee, Philadelphie, Miami ou Brooklyn. En attendant, où qu’il aille (ou presque, gageons qu’une arrivée dans le Wisconsin ou à Brooklyn hypothèquerait ses chances de trophée), il sera forcément bien placé pour remporter son second trophée Podoloff.
Monstre statistique, Harden est un vieil habitué du podium, sur lequel il est monté à 5 reprises (1 fois 3è, 3 fois 2è, 1 fois premier). Il reste ainsi sur trois exercices consécutifs à plus de 30 points scorés (avec, a minima, 5,4 rebonds et 7,5 passes décisives). Dans l’hypothèse où il reste un Rockets, l’arrivée de John Wall ne devrait pas porter préjudice à ses habitudes ; après tout, celle de Russell Westbrook l’an passé n’a pas semblé affecter outre-mesure ses statistiques personnelles (34,3 points, 6,6 rebonds et 7,5 passes décisives en 36,5 minutes).
Pourquoi, dès lors, l’exclure du podium ? S’il reste à Houston, les résultats collectifs de l’équipe pourraient mettre à mal sa candidature, dans une conférence Ouest toujours plus compétitive. S’il quitte la franchise, en fonction de sa destination, il risque de se retrouver avec un autre potentiel MVP dans les pattes, que ce soit Giannis Antetokounmpo à Milwaukee ou Kevin Durant à Brooklyn. Or, comme nous allons l’entendre tout au long de la saison : “il n’y a qu’un ballon sur le terrain”.
Et si 2020 – 2021 signait – enfin, pourraient dire les concurrents – la fin des ambitions individuelles de LeBron James ? Le King soufflera sa 36è bougie à la veille de la Saint-Sylvestre et semble pourtant toujours aussi fort. Il fût d’ailleurs le dauphin d’Antetokounmpo au classement 2020. Si nous n’en faisons pas un véritable favori, c’est notamment parce que l’enchaînement des deux saisons, mais également des rencontres au cours de l’exercice 2020 – 2021, peuvent favoriser sa mise au repos ponctuelle. En effet, les Lakers ont joué jusqu’à la mi-octobre et, avec les Jeux Olympiques en ligne de mire à l’été 2021, le rythme effréné est probablement le principal ennemi d’un LeBron James MVP.
Enfin, même s’il a reçu un vote interne, à l’inverse des deux stars ci-dessus, Stephen Curry se retrouve au pied de notre podium. Pourtant, celui qui fût notre favori la saison dernière présente, peu ou prou, le même dossier de candidature. Il sera l’option numéro 1 des Warriors et, en l’absence de Klay Thompson, il n’est pas improbable de le revoir tutoyer les sommets atteints en 2016. Néanmoins, pour l’imaginer, deux facteurs cumulatifs doivent être cochés.
Tout d’abord, Curry doit revenir à son meilleur niveau après sa fracture de la main gauche. Moins handicapante que celles subies par son compère du back-court, la blessure ne devrait pas être un frein à son retour en grâce. Ensuite, le meneur pourrait pâtir des résultats collectifs moyens des Warriors qui, sur le papier, devraient se battre pour une place directement qualificative en playoffs. Or, nous l’avons dit, à moins de dépoussiérer un record antédiluvien, afficher 50 % de victoires et une 7è place de conférence ne permet pas de soulever le trophée de MVP.
Pêle-mêle, nous pouvons également citer Nikola Jokic, Joël Embiid ou Kevin Durant. Ce dernier est un candidat crédible au titre de MVP dès qu’il pose un orteil sur un parquet. Cependant, trop d’incertitudes demeurent encore, à l’heure actuelle, pour en faire un véritable favori. L’exclure définitivement de la course nécessite cependant une certaine forme d’inconscience que votre serviteur a perdue en même temps que son adolescence.
Ils seront dans la course
Le jeu l’exige ; nous allons nous mouiller et énoncer ce que nous imaginons être le podium du futur classement du MVP. Comme l’an dernier, l’exercice est périlleux. Comme l’an dernier, il n’est pas improbable que nous passions absolument à côté.
3è : Giannis Antetokounmpo (Milwaukee Bucks)
Nous avons d’ores et déjà parlé du Greek Freak. Moqué pour son inaptitude – pour l’heure – à avoir des résultats probants en playoffs, Antetokounmpo n’en demeure pas moins le double MVP en titre. Il reste d’ailleurs sur une saison 2019 – 2020 extraordinaire et on voit mal pourquoi et comment son niveau viendrait à régresser. En effet, les mouvements automnaux, et notamment le départ de Bledsoe pour l’arrivée de Jrue Holiday, constitue un upgrade collectif, mais ne devrait pas avoir une influence néfaste sur les statistiques de Giannis.
De plus, il n’est pas farfelu d’imaginer les Bucks au sommet de la conférence Est pour une troisième saison consécutive, et de les voir taper les 75 % de victoires (soit, cette année 54 victoires pour 18 défaites). Rien ne semble faire véritablement obstacle à sa candidature, hormis les envies de changement dont fait souvent preuve la NBA. A cet égard, nous serions tentés de dire qu’Antetokounmpo doit, pour réaliser son triplé, faire encore plus que ses principaux concurrents. En effet, on le sait, la Ligue est parfois réticente à octroyer un trophée individuel plusieurs fois consécutives à un même homme. Si l’affirmation est probablement plus véridique pour des trophées plus secondaires, comme celui de Coach de l’année, il ne serait pas étonnant de voir l’ailier-fort pâtir, en quelque sorte, du fait qu’il possède les deux derniers titres sur le rebord de sa cheminée.
Attention toutefois. Voir Antetokounmpo en 30 / 14 / 5 et à 55 victoires est loin d’être inimaginable. Si tel est le cas, le Grec sera l’immense favori à sa propre succession. A vrai dire, si nous avions pu le faire, il aurait été second ex-aequo de notre classement. Mais puisqu’il faut se mouiller …
2è : Luka Doncic (Dallas Mavericks)
Prodige, extraterrestre, fabuleux. Les superlatifs viennent rapidement à manquer lorsqu’il s’agit de qualifier le niveau de jeu affiché par le jeune Slovène la saison passée. On savait qu’il était fort. On n’imaginait cependant pas qu’il puisse, aussi rapidement, devenir un véritable candidat MVP (il a terminé 4è en 2020). Avec ses 29 points, 9,4 rebonds et 8,8 passes décisives, le meneur dans un corps d’ailier a animé l’une des plus formidables attaques de l’Histoire et fût le meilleur contributeur – mais pas le seul – de la belle saison des Mavericks.
La problématique, ici, c’est qu’il est particulièrement malaisé de se positionner sur le plafond du garçon. Saura-t-il nous gratifier, encore, d’une progression exponentielle ? Celle-ci, bientôt, ne pourra plus se voir à travers les statistiques. Cependant, Doncic peut encore améliorer certaines facettes de son jeu. Nous pensons, par exemple, à une meilleure gestion des fins de match serrées, ou à son tir longue distance, qui est bien en-deçà des standards NBA (31,6 % en 9 tentatives l’an dernier).
A notre sens, la candidature du Slovène connaît deux bémols potentiels. Le premier est individuel ; Doncic n’est pas le dernier à se blesser. Or, fort logiquement, le titre de MVP ne peut être remis à un joueur qui a joué moins de 70 rencontres dans la saison (sur 82 ; on retrouve des exceptions, comme Bill Walton, MVP avec 58 rencontres disputées en 1978). Cependant, la concurrence actuelle ne lui permettra pas de devenir l’un des plus jeunes MVP de l’Histoire s’il passe plus de 10 rencontres à l’infirmerie.
Ensuite, à l’instar de ce que nous avons pu mettre en exergue au sujet de Stephen Curry, il se peut que Doncic voit ses ambitions de trophée individuel lui passer sous le nez en raison du bilan collectif final des Mavericks. Certes, nous l’avons dit récemment, les attentes sont nombreuses autour du projet Mavericks. Force est néanmoins de constater que depuis le début du siècle, le MVP figure dans l’équipe numéro 1 de sa conférence à 16 reprises. Seuls Westbrook (6è en 2017), Durant (2è en 2014), LeBron (2è en 2012), Nash (3è en 2006) et Duncan (2è en 2002) ont remporté le trophée Maurice Podoloff sans être assuré d’avoir l’avantage du terrain en playoffs jusqu’aux finales NBA. On le remarque d’ailleurs, seul Westbrook en triple-double de moyenne fût MVP dans une équipe moyenne.
Or, imaginer les Mavericks sur le podium de l’Ouest nécessite de réaliser une certaine forme de gymnastique d’esprit. Certes, c’est loin d’être impossible, la saison tout juste achevée nous l’a démontré. D’ailleurs, si Dallas squatte le podium de sa conférence, il y a fort à parier que Doncic deviendra, par la même occasion, le 4è MVP international (c’est-à-dire, non américain) de l’Histoire, après Nash, Nowitzki et Antetokounmpo.
1er : Anthony Davis (Los Angeles Lakers)
Le sourcil est le favori de notre rédaction. 6è la saison passée, et dans l’ombre gargantuesque de LeBron James, nous misons sur l’explosion définitive d’Anthony Davis. Arme offensive létale, l’intérieur est également un extraordinaire défenseur. Autrement dit, Anthony Davis serait le meilleur joueur dans 90 % des franchises de la Ligue. Puisque nous voyons James être mis au repos plus souvent qu’à l’accoutumé, Davis demeurera l’option offensive n°1 d’une équipe qui visera à nouveau le sommet de sa conférence. Il semblerait que les 26 points, 10 rebonds, 3 passes et 2,5 contres de la saison passée constituent une certaine forme de plancher, que le mono-sourcil peut atteindre à nouveau dans l’exercice à venir.
Les deux critères que nous évoquions ci-dessus, à savoir statistiques individuelles et résultats collectifs, sont autant d’arguments en faveur de son dossier. A cet égard, celui-ci contient moins d’incertitudes que celui de Doncic.
Des incertitudes, il y en a tout de même. La principale reste son état de santé ; depuis son arrivée en NBA, Davis n’a réalisé que deux exercices à plus de 70 matchs (85 % de présence, soit 62 rencontres cette année). Or, ce que nous évoquions pour LeBron James, à savoir un enchaînement démentiel des rencontres et l’objectif plus lointain des J.O, peut parfaitement s’appliquer à Anthony Davis. L’effectif pléthorique des Lakers, et les tickets shoots dont disposeront Harrell et Schröder, font qu’il est envisageable de voir le numéro 3 or et pourpre être laissé au repos de temps à autre.
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Pourquoi en faire, du coup, notre favori n°1 ? Sur le papier et les arguments mis en avant, c’est Antetokounmpo qui paraît posséder la candidature la plus solide. Peut-être que nous démontrons-là, également, nos envies de changements. Une chose est certaine ; les bookmakers ne s’inscrivent pas dans notre sillage. Dès lors, si l’envie de dépenser l’argent qui dort sur votre PEL vous démange, vous trouverez ci-dessous, en guise de conclusion, les côtes manifestement officielles pour le titre du MVP 2021 :
- Jimmy Bulter, Joël Embiid, Nikola Jokic & Jayson Tatum : 25,00 ;
- Damian Lillard : 15,00 ;
- Kevin Durant : 10,00 ;
- Kawhi Leonard : 9,00 ;
- James Harden : 8,00 ;
- Anthony Davis & LeBron James : 7,00 ;
- Stephen Curry : 5,00 ;
- Giannis Antetokounmpo : 4,25 ;
- Luka Doncic : 4,00.
Peu importe, au final, qui succèdera au Greek Freak. Après tout, “qu’importe le MVP, pourvu qu’on ait l’ivresse”. C’est ce que nous aurions pu dire, si nous avions lu de Musset.