A l’approche de Jeux Olympiques historiques à Paris pour cet été 2024, QIBasket vous propose de revenir sur l’incroyable histoires des équipes de France féminines et masculines à travers deux séries d’articles. Pour l’épisode 5 sur l’équipe masculine, c’est par ici !
Liste des épisodes précédents :
- Episode 1 : Les pionnières du basket (1893-1928)
- Episode 2 : Championnes avant l’heure (1929-1939)
- Episode 3 :La patte Busnel (1945-1957)
- Episode 4 : Survivre dans le basket soviétique (1957-1963)
- Episode 5 : Génération Clermont (1963-1980)
Episode 6 : Les légendes de l’Horizon 80 (1980-1990)
Riffiod s’en va
Nous l’avions vu dans l’épisode précédent, avec la génération Clermont, la France avait connu une relative mais notable période de compétitivité. A l’entrée des années 1980, et à l’instar de leurs homologues masculin, les bleues vont devoir malheureusement passer dans une période discrète, durant laquelle il faudra être patient avant de voir l’équipe resurgir. Il faut conclure cette ère clermontoise et l’émotion est forte car après avoir atteint les 247 sélections, Elizabeth Riffiod s’est décidée : la compétition de 1980 ne sera pas dans son agenda. Elle termine ainsi sa carrière internationale avec le record de sélections de l’histoire des deux équipes de France à l’époque. Plus tard, bien plus tard, son fils Boris Diaw s’arrêtera intentionnellement à 246.
Le sélectionneur Jean-Paul Cormy savait qu’il devait assurer la transition. Le groupe bleu se lance, une fois n’est pas coûtume, en URSS, pour cet Eurobasket 1980 au format chaotique. Cormy convoque Florence Andrée, Blandine Roudet, Anna-Marie Sarabia, une certaine Paoline Ekambi (on y reviendra), Sylvie Simonetti, Guylaine Isnard, Viviane Labille, Sylvie Gorczewski, Chrystelle Doumergue, Agnès Sainte-Croix et Catherine Malfois. Un groupe vraiment renouvelé. Mais les françaises ne profitent pas de ne pas tomber, pour une fois, dans un groupe remplie d’équipes soviétiques. Pire, elles chutent d’entrée contre les Pays-Bas (49-53) se rattrapent contre la Finlande (76-67), mais chutent contre la Roumanie et sortent au premier tour. L’Italie achèvera tout espoir d’un classement honorable, avant de finir sur deux victoires laborieuses contre la Belgique, puis l’Angleterre avant de chuter contre l’Espagne (55-75). Résultat : 11e place sur 14, et aucun espoir de jouer l’Eurobasket 1981. L’URSS remporte son 15e titre européen consécutif.
“L’horizon 80”, incarné par Paoline Ekambi
Le groupe de l’Eurobasket 1980 l’a montré, une nouvelle génération arrive. Si, au début de la décennie, elles ne sont que des joueuses en progression, certaines d’entre-elles vont devenir incontournables dans le basket-ball français. Paoline Ekambi est l’une d’elles. Ekambi, c’est ce que, à la Fédération et à l’INSEP, on appela “L’horizon 80”. C’est effectivement en 1980 que cette génération de joueuses, au parcours junior prestigieux peut apporter au renouveau du basket féminin. Professionnelle dès 17 ans, et championne de France dès sa première saison, Ekambi est remarquée très jeune ! Elle nous raconte :
“Tout a commencé au club de Sainte-Geneviève-Bois (dans le 91 ndlr) où je fais mes premiers paniers à l’âge de 13 ans et demi. Je mesure 1.75m et j’évolue au niveau Départemental. Lors d’une visite médicale, notre médecin de famille me conseille de pratiquer du sport car je grandit vite et j’ai un début de scoliose. Il m’oriente vers 3 sports, natation, basketball ou volley-ball. Ce sera le basketball. C’est une de mes copines de classe qui me proposera de la rejoindre dans le club génovéfain.”
Très vite, elle est repérée. Mais attention, pas repérée par n’importe qui, puisque c’est Jacqueline Cator sursommée « Yako » ex-internationale et Bernard Grosgeorges également puis Robert Busnel, mais aussi Joé Jaunay qui sont interpellés par son talent. Leur ambition était claire : s’inspirer des américains pour faire évoluer le basket. Résultat ? Dès 1976, direction l’INSEP et sport études pour la jeune joueuse pour prendre part à ce que l’on appelle alors “L’Horizon 80”.
Pourquoi 80, parce qu’en 1980, les jeux Olympiques auront lieu à Moscou. Un objectif sympathique quand on sait qu’ils seront totalement boycottés par l’Ouest. Un bide ? Pas tout à fait, car à l’INSEP en 1976, on voit grand : “ça commence d’abord par un stage de grands gabarits” nous explique Paoline Ekambi, qui remplit les critères sans soucis lors de ce stage : “je fais partie des joueuses qui intègreront l’INSEP. J’avais 14 ans et demi, j’étais cadette et je n’avais qu’un an de basket”.
Elle ne va pas attendre pour incarner cet Horizon 80 par ses performances précoces, puisqu’elle est déjà sur le parquet au championnat d’Europe “cadette 2” de 1978 à Cuenca en Espagne, bien qu’elle nous confie : “En réalité, je n’ai pas été sélectionnée parmi les 12 joueuses qui constituaient cette équipe de France. J’étais mise sur la liste comme 13e joueuse par Joë Jauney et Jacquie Delachet. Ils voulaient provoquer un électrochoc avec moi afin que je mesure toute l’étendue du travail que j’avais à accomplir pour atteindre le haut niveau en jeune.” Et le résultat ? : “Ça a marché. Au cours de cette compétition, j’ai eu un déclic en voyant des joueuses de mon âge être si talentueuses. A mon retour en France, c’est décidé, je veux devenir une des meilleures joueuses. Je mettrai tout en œuvre pour atteindre cet objectif. Jusqu’à dormir quelque fois avec mes baskets et mon ballon pour bien m’imprégner de mon rêve. Je demandais à mes coaches de me prêter des cassettes VHS du championnat masculin NCAA. Je regarderai un maximum de match du championnat de France NM1 (actuel PRO A). Je veux m’inspirer des garçons pour évoluer”. Difficile de ne pas penser à un certain Kobe Bryant à travers ces mots…
Plus de talents, mais aussi plus de diversité.
Ce n’est pas un secret, le basket-ball et la diversité sont mariés depuis la nuit des temps et pourtant, l’Horizon 80, c’est aussi un objectif de mettre en valeur le basket pour tous. Paoline Ekambi nous raconte :
“Joé Jaunay me disait un jour qu’il souhaitait plus de diversité avec des joueuses noires au sein des équipes de France féminines. Il percevait la diversité comme un atout et source de richesse pour améliorer les performances de notre sport.”
Diversité dans le recrutement, mais aussi dans le staff :
“A cette époque, l’encadrement technique sera mixte et les Head-coaches en grande majorité féminins. Notre équipe est coachée par Jackie Delachet et Manue Doussain, Irène Guidotti, Suzy Bastié font partie du staff technique jusqu’en 1981. Colette Passemard sera Head-coach des juniors à partir de 1981, poste qui lui sera confié par le nouveau DTN d’alors, André Ostrics. Jean-Pierre de Vincenzi [futur sélectionneur chez les garçons ndlr.] complètera le staff technique de Colette Passemard lors de stages préparatoires aux compétitions internationales jeunes.”
La génération Horizon confirme rapidement
Faire comme les américains, tel est le plan de l’horizon 80. Dès lors, les heureuses élues de l’INSEP sont invitées à se rendre au Kansas pour une première tournée avec les juniors de l’équipe de France. Paoline nous a partagé cette incroyable photo d’un journal de l’époque (sur votre droite). A l’issue de cette tournée, sa carrière continue d’aller dans le sens prometteur tant espéré à travers l’Horizon 80 :
La saison 1979-1980 à dix-sept ans, j’entame une carrière de joueuse semi-professionnelle au Stade français Paris Basket, en Nationale 1 féminine, actuelle Ligue féminine de basket. Cette même année, nous remportons notre premier titre de championne de France en faisant tomber le légendaire club de Clermont. Notre équipe est composée de 7 jeunes internationales pensionnaires à l’INSEP aux côtés de l’internationale et ancienne joueuse du CUC Irène Guidotti, et l’internationale américaine Mary-Ann O’Connor qui participera aux JO de Montréal en 1976 avec Team USA. Ce sont les tous premiers jeux auxquels les féminines vont participer.
Un départ tonitruant et pour Paoline, le Stade Français “incarnait cet ère du semi-professionnalisme”, une époque avec ses anecdotes comme la marque de peinture pour modeste sponsor sur les maillots, ou les road-trip d’un match à l’autre dans la voiture de Joë Jaunay et son Bobtail terrier, forcé de loger dans le coffre pour laisser place aux grandes joueuses. Le sympathique canidé aura dû voir du bon basket, puisque Paoline et ses coéquipière dévorent les compétitions : “Avec le Stade-Français Paris Basket nous seront trois fois Championnes de France en 1980, 1983 et 1984 et 3 fois vainqueur de la Coupe de France en 1982, 1983 et 1984.” nous raconte Paoline. Et en bleu, les juniors grapillent l’argent aux championnats d’Europe de 1981, échouant face aux indéboulonnables soviétiques. Mais le vrai détail qui montre le potentiel des joueuses, c’est que les matchs de préparation sont joué face à des garçons, ou bien des équipes féminines du championnat de France. Spoiler : tous et toutes ont pris une rouste, sauf les garçons, plus forts physiquement. Et Paoline nous fait le bilan : “sept joueuses des juniors vont rejoindre l’équipe de France sénior par la suite.”
Mais au-delà des anecdotes et des performances, durant cette période, il y eu aussi un contexte sur lequel le reliquat doit encore se faire :
Une clause dans mon 1er contrat avec le Stade Français Paris, stipulait qu’il était « interdit de tomber enceinte » au risque d’être licenciée. Comme je ne comptais pas devenir maman si jeune, j’avais laissé couler même si cette clause m’avait interpellé à l’époque. Je pensais à ce que mes aînées avaient dû traverser. En tout cas, la maternité pendant la carrière sportive était inenvisageable ! Nous n’avions d’autres choix que de renoncer au sport ou reporter la maternité après notre carrière.
Les portes de l’Amérique s’ouvrent rapidement
Dès 1979, Paoline Ekambi avait honoré sa première sélection en sénior -à 18 ans- dans un match face à…Team USA :
J’ai la fierté de jouer avec mes aînées, les internationales Elisabeth Riffiod, Cathy Malfois, Maryline Joly, Agnès Sainte-Croix, Viviane Labille, Florence Maire pour ne citer qu’elles, sous la houlette de Jean-Paul Cormy. Je sympathise avec la joueuse américaine Lynette Woodart, qui sera par la suite championne olympique aux JO de Los Angeles en 1984 et première femme à être admise au sein des fameux Globetrotters de Harlem en 1985. Lynette Woodart me propose d’aller jouer à son Université à Kansas. Je suis très honorée qu’une si grande joueuse me fasse cette proposition. Mais je la décline car je ne me sens absolument pas prête à faire le grand saut à ce moment-là.
Emerveillée par le niveau, mais aussi les équipements étoilés des joueuses (les américaines sont toutes aussi adoratrice des tuniques tricolores), Paoline Ekambi n’a fait que repousser l’inévitable : son talent mérite l’Amérique. Et si ça n’est pas Lynette Woodart qui finit de convaincre la joueuse française, c’est finalement Inge Nissen, et Mary-Ann O’Connor qui jouaient dans le championnat de France qui vont aider Ekambi à entrer dans l’histoire :
Mary-Ann O’connor contactera la Head Coach Joan Bonvicini de Long Beach et celle de Marist College ; Patty Torza qui étaient toutes deux ses anciennes coéquipières. A cette époque nous ne pouvions pas envoyer des Highlights en vidéo VHS. Coach Bonvincini portera donc son choix uniquement sur Cindy Brown. Ce sera donc Marist College pour moi.
Mais c’est aussi Mike Perry, coachant les garçons au Stade Français, qui recommandera Marist College. Plus tard, bien plus tard, Perry reviendra lui-même à Marist, où il coachera un certain Rik Smits. Paoline fait sa première année sur place, puis une deuxième où elle croise Rudy Bourgarel, le père de Rudy Gobert.
Comme en France, le combat pour donner plus de place aux femmes se fait ressentir en Amérique. Pendant la rédaction de cet article, le 23 juin 2022, la loi Title IX commémorait ses 50 ans, notamment à l’occasion d’une réception avec Jill Biden à la Maison Blanche. Paoline nous raconte :
En 1972, Président Richard Nixon a signé la loi sur l’éducation Title IX, interdisant la discrimination fondée sur le sexe dans les écoles US qui reçoivent un financement fédéral. Cela a permis l’inclusion d’un plus grand nombre de femmes dans les activités sportives. Sans cette loi, moi non plus je n’aurais jamais pu évoluer en NCAA aux USA en 1984 soit une dizaine d’années après TitleIX… . Sans compter qu’à Marist College ça faisait 5 ans seulement avant mon arrivée qu’ils avaient intégré des noir(e)s. Je me souviens lors de notre premier match en déplacement en bus. Mes coéquipières noires s’étaient assises au fond du bus et mes coéquipières blanches devant. Imaginez où je me place face à ce dilemme qui se présentait devant moi la petite “frenchie” fraîchement arrivée.
Plus tard, la légende du sport Billy Jean King assurera que si cette loi a pu profiter à jusqu’à 7% de jeunes filles noires en Amérique, elle montre aujourd’hui ses lacunes pour les personnes LGBT+ et handicapées.
Surmonter les obstacles et les préjugés.
Comme tout pionnier du basket français outre-Atlantique, Paoline doit faire face aux doutes des américains :
Mes coéquipières me diront un peu plus tard, que mon allure de mannequin toute fine, habillée comme une gravure de mode parisienne les avaient laisser perplexe quant à ma capacité à jouer au basket. Je leur prouverai sur le terrain qu’il ne faut pas se fier aux apparences.
Et pourtant, certains se méprendront dans ces apparences, His Airness Mickaël Jordan lui-même en sera la victime. Lors d’un retour à Paris entre deux années universitaires, Paoline Ekambi nous raconte comment Jordan, venu à l’occasion d’un déplacement avec son sponsor, s’était retrouvé nez-à-nez avec la championne tricolore, peu après la draft de 1984 :
Je passe dans une boite-restaurant branchée de la capitale avec une amie mannequin. On y accédait en montant un escalier, dont je vois descendre plein de grands, mais je ne fais pas vraiment attention, et pourtant, le premier d’entre-eux était Jordan, avec un responsable de Nike et son frère. Il n’était pas connu en France à l’époque, mais je le félicite pour la draft avant de lui dire où je joue aussi au basket à haut niveau. Jordan me dit “c’est pas possible !”. Il pensait que j’étais mannequin. D’ailleurs ça soulève un autre cliché de l’époque. Il me dira que les joueuses de basket ne sont pas très féminines en général. On lui pardonne, il n’avait que 21 ans (rires…). En tout cas, j’ai fini par le convaincre en citant quelques noms de joueuses de Team USA contre lesquelles j’avais joué comme Cheryl Miller, Lynette Woodard, Pamela McGee…. Après ça, on a finit par sympathisé. Jordan m’avait donné ses coordonnées pour aller le voir aux Bulls. Les derniers mots échangés entre nous, étaient qu’à chaque fois qu’il reviendrait en France, il saura qu’il a désormais une grande sœur à Paris.
En dépit de la remarque du frangin Jordan, si, Paoline était bien une basketteuse et plus que ça d’ailleurs. Aux USA, Paoline progresse et s’épanouit, et pas seulement sur le terrain. Sur le campus de Marist, elle vivra d’autres choses, qu’elle avait du mal à retrouver en France : “Le mélange entre les étudiants, j’aimais ça aux USA, on n’était pas dans l’entre-soi. Je préparais déjà ma reconversion professionnelle à l’époque”, nous confie-t-elle.
On y reviendra, Paoline a du faire ses preuves en Amérique, mais aussi face au contexte parfois inégalitaire qui régnait dans le basket et le basket français à l’époque. Mais comme vous venez de le lire, elle n’a pas manqué de mentionner les contraintes et sacrifices, mais aussi les préjugés.
Malgré ces obstacles, Paoline a détenu le record de sélections en équipe de France, avec 254 participations, pendant plus de vingt ans. En octobre 2017, elle passe le relais à Céline Dumerc, sélectionnée à 262 reprises. Mais elle reste la seconde joueuse la plus capée et occupe la troisième place, femmes et hommes confondus. Elle reste aujourd’hui la 6ème meilleure marqueuse (2321pts) en équipe de France. En parallèle à ses activités professionnelles, elle a participé, à la demande de Laura Flessel, alors Ministre des Sports alors en fonction, aux séminaires de la rénovation de la gouvernance du sport français, qui s’est trouvé sous l’égide, depuis octobre 2018, de Roxana Maracineanu. Après avoir été Superviseure LNB sur des matches de PRO A et PRO B pendant deux saisons, elle est aujourd’hui membre de la Commission Juridique et Discipline (CJD) de la LNB, membre du collectif Egal Sports pour la parité Femme/Homme dans le sport, membre du réseau Expertes France et Expertes Francophones, dans la catégorie « Femmes de sport Egal Sport » qui a pour objectif de donner encore plus de visibilité à des femmes expertes, afin de pallier l’absence ou la rareté de la présence des femmes dans les médias, tout particulièrement dans le domaine du sport. Membre du Club des internationaux de basket et membre du Conseil d’Administration du syndicat Union Nationale des Sportifs de Haut Niveau (UNSHN). Elle a participé au programme « Dirigeantes » du CNOSF, mis en place en 2020 par la championne de boxe Sarah Ourahmoune, vice-présidente du CNOSF chargée des mixités, avec pour objectif de soutenir la féminisation des instances dirigeantes sportives et de valoriser l’engagement des femmes dans le sport.
Les sélectionneurs successifs ne capitalisent pas
Problème : malgré des talents qui font clairement la différence sur un terrain, le sélectionneur Jean-Paul Cormy ne sait pas trouver un cocktail pour relancer la sélection. Absente de l’Eurobasket 1981, la France disparaît, et rate les jeux de 1982, l’Eurobasket 1983 et le mondial de cette même année. La domination soviétique est encore là et Paoline Ekambi nous le résume très bien : “C’était le sport d’Etat, à n’importe quel prix” avant de nous confier plus tard :
“Lors des compétitions [dans un pays du bloc de l’Est ndlr], nous sommes obligées de nous cacher pour parler avec les joueuses des pays de l’Est car il y a toujours des membres du KGB dans l’encadrement et même au sein des équipes. Les joueuses d’une même équipe ne pouvaient pas savoir laquelle de leurs coéquipières pouvait être membre du KGB. Nous étions constamment surveillées par des membres du KGB et les lignes téléphoniques dans nos chambres d’hôtel étaient sur écoute.
Le monde soviétique a marqué le basket comme il marqua ceux qui n’étaient pas de ce monde de l’homme rouge : “J’ai en mémoire ces longues files d’attentes devant les magasins en Union Soviétique. Dans n’importe quelle épicerie soviétique, les produits étaient en déficit (…) Les gens utilisaient des tickets de rationnement et de l’argent pour payer.” ajoute-t-elle au tableau.
Et ce monde de l’Est, il est aussi celui qui dominera le Championnat d’Europe 1985 à Vicenze en Italie. Mais cela se fera sans le sélectionneur Cormy dont le bilan est maussade : 33 victoires, 77 défaites. La fédération souhaite prendre une autre direction et s’en sépare en 1984. C’est, pour la 2e fois de l’histoire, une femme qui prend le pouvoir. Et pas n’importe laquelle, puisque c’est Jacqueline Delachet, élève de Joë Jaunay, et membre éminente de la génération Clermont, qui devient sélectionneuse. Le retour de la mentalité Clermont ? Pas tout à fait même si Delachet parvient à qualifier la France à l’Eurobasket 1985. Pour Paoline, c’est enfin l’occasion en or de confirmer : elle tourne à 18 pions par match en moyenne. De quoi être récompensée ? Oui, dans le 5 All Star, mais aussi en tant que “Miss Championnat d’Europe” par la Gazetta Dello Sport. Coach Marianne Stanley de Lady Monarchs d’Old Dominion, présente à ce championnat d’Europe, lui propose une bourse pour rejoindre son Université (3ème au classement NCAA). Paoline qui, dans ce cas, aurait été redshirt, n’a cependant plus qu’un an d’éligibilité pour jouer dans le cadre universitaire américain et ne peut accepter cette offre. Paoline figurera quelques années plus tard dans son top 15 des joueuses européennes du magazine italien.
Et ce championnat ? La France y fera amende honorable, en terminant 8e sur 12, mais marquera les esprits en battant les yougoslaves, archi-favorites du tournois. Paoline plante 31 points ! La raison: “les bienfaits de la NCAA, j’avais progressé mentalement, je voulais montrer que j’avais pris mon rôle à cœur. Mais le rythme imposé par la FIBA (7 matchs en 8 jours) ne donne l’avantage qu’aux nations qui disposent d’avantage d’expérience et de condition physique pour enchaîner ces rencontres (sport d’Etat soviétique…)
Et la politique restera dans le giron de Paoline Ekambi qui, si elle ressort grandie de cette expérience, mais subira les foudres de l’opinion publique américaine lors des tensions entre les USA de Raegan et la France de Mitterrand, en désaccord sur la politique militaire à mener en Lybie contre Kaddafi. Résultat ? Boycott des produits français, il faut 10 francs pour un dollar, et Paoline devra donc trouver un job pour récupérer plus d’argent de poche, tout en prenant les clichés français (notamment Pépé le Putois) de plein fouet.
En quête d’un nouveau souffle
Delachet passe la main, et l’héritage des demoiselles de Clermont s’éteint. C’est désormais au tour d’un tourangeau de prendre le relais : Michel Bergeron. Un choix surprenant, mais compréhensible. Champion de France avec Tours, et même finaliste d’une coupe d’Europe, Begeron était un joueur de leadership durant sa carrière. Interrogé par La Nouvelle République en 2018, il explique : “Je n’aimais pas le sport individuel. Pour moi, le sport est, par essence, collectif. J’ai tout de suite été meneur, j’aimais diriger, encadrer, défendre, avoir une vision du jeu… J’aimais aussi enseigner”. Sa période tourangeau sera glorieuse. Il en rappelle même, au Figaro, que son équipe ne pouvait “pas aller dans un endroit sans être invités à boire un verre ou à déjeuner. Nous étions reconnus, adulés ”. Mais surtout, Bergeron était coéquipier de la légende de l’équipe de France, Jean-Michel Sénégal. Mais c’était là aussi son soucis, d’être toujours derrière les plus gros, ce qui lui empêcha de percer en bleu. En tant que coach, il saura rester un personnage central à Tours, et aura même l’occasion de coacher…Michael Jordan, encore lui ! Durant un match d’exhibition en 1990. Mais lui-même ne s’y attendais pas. Au journal LNR, il explique : “Pierre Dao qui était à la fédération m’a appelé… Une expérience intéressante… Coacher les filles est compliqué dans la gestion quotidienne. Il faut peser ses mots, ménager les susceptibilités. Par contre, elles s’investissent à fond. Le fait de coacher les filles m’a rendu plus souple…”, une déclaration qui ne manque pas de rappeler les préjugés que nous avions évoqué ci-dessus. Mais tout ce portrait à l’avantage de ce bon vieux Michel qui reste très impliqué dans le basket de l’Indre-et-Loire encore aujourd’hui, ne permet pas de se compléter par un tableau flatteur en équipe de France. Après seulement trois ans, 24 victoires et 30 défaites, il passe lui aussi la main.
La chute des murs
Lorsqu’en 1989, Paul Besson prend la tête de la sélection, l’équipe de France n’a participé qu’à deux compétitions championnat d’Europe 1985 Vicence, Trévise (Italie) et championnat d’Europe 1987 à Jerez, Puerto Santa Maria, Cadix (Espagne) où elle termine à la 8ème place. La saison suivante, la France s’assure de sa participation championnat d’Europe suivant, mais échoue une 2e fois dans sa quête Olympique à Séoul 1988. La période de vache maigre sous l’ère Bergeron est clairement identifiée. Mais avec Besson, les bleues en reconstruction participent à l’Eurobasket, en 1989 à Varna (Bulgarie), avec Odile Santaniello (que vous découvrirez au prochain épisode), Paoline Ekambi, et une certaine Valérie Garnier. Besson ne peut pas offrir mieux qu’une 8ème place avec une victoire et quatre défaites, mais il sait, contrairement à son prédécesseur, qu’il peut réellement emmener cette équipe.
A cela s’ajoute un élément de contexte non-négligeable, et Besson va pouvoir enfin libérer les énergies grâce à lui. Durant les précédents épisodes, vous l’aviez compris, le basket féminin européen est ultra-dominé par l’URSS et les Etats satellites du bloc soviétique. Lorsque le sélectionneur emmène les bleues vers un retour à l’Eurobasket, il ne sait pas que la hiérarchie va s’effondrer, et que le basket féminin va pouvoir se libérer. L’URSS remporte encore le championnat d’Europe de juin 1989, son 20e, suivie par la Yougoslavie, la Tchécoslovaquie et la Bulgarie. Mais cinq mois plus tard, le mur de Berlin tombe, et l’Union Soviétique amorce un processus qui va aboutir à sa disparition. Le monde soviétique, son sport d’Etat, va disparaître, et avec lui, la domination sans partage de ses basketteuses. De nouvelles nations vont arriver dans le jeu, et ça, ça peut tout changer. Dans ce contexte, les murs et les plafonds de verre ne sont plus, l’équipe de France féminine va pouvoir entrer dans une nouvelle ère qui va l’amener à des victoires historiques, mais pour cela, il faut trouver un événement marquant, une première étincelle.
Prochain épisode : Premières étincelles (1990-1995)