Les secondes sont longues et importent toutes, dix secondes, neuf, huit… quand le chronomètre affichera six, il sait qu’il devra y aller.
La lumière d’Illinois
Dans l’Illinois, Champaign se refroidit comme tous les ans à cette période de l’année, laissant place aux rangées de neige qui se déposent comme partout dans le nord du pays. Habituellement, ce sont aussi les espoirs de toute une fanbase qui se congèlent rapidement à mesure que l’hiver avance. Les Fighting Illini sont passionnés, une université de basket comme on en fait peu, même dans l’aire pourtant folle de Chicago. Pourtant, cette passion depuis quinze ans n’obtient de la réalité du parquet aucune réponse à la hauteur de ses grandes attentes. Une finale nationale, en 2005, et une équipe menée par un prodigieux Deron Williams, qui échoue face aux Tar Heels de North Carolina à deux possessions et quelques secondes près. Puis plus rien. Deron Williams s’en va, le programme s’embourbe dans la médiocrité, change plusieurs fois de head coach, retrouve quelques fois le tournoi national, mais ne parvient plus jamais jusqu’au deuxième week-end de celui-ci.
Brillant à tous les niveaux, glanant en séries les titres au lycée, au niveau AAU, et même international avec le Team USA U18, Ayo Dosunmu est un énième superbe produit des rues et gymnases de Chicago.
Habitué aux victoires et aux “accolades”, il peut suivre la voie de certains de ses récents et illustres prédécesseurs, Derrick Rose, Anthony Davis, Jahlil Okafor ou encore Jabari Parker qui choisissaient toujours de suivre leur chemin loin de chez eux passant par des sentiers menant à Memphis, Kentucky ou Duke, chez John Calipari (Memphis, puis Kentucky) ou Mike Krzyzewski, là ou la victoire est une obligation mais surtout, déjà, une tradition. Laisser sa propre trace dans ces industries de la gagne et usines à talents n’est pas chose aisée, et souvent, ce sont surtout les caméras qui attirent, et la projection vers l’étage supérieur qui en découle généralement.
Considéré comme l’un des meilleurs joueurs de sa classe d’âge, Dosunmu rêve bien sûr de NBA, elle est déjà son objectif, et chaque dribble, chaque panier inscrit le rapprochera de son but. Mais comme chaque seconde compte dans la dernière action du match, chaque moment compte dans la vie d’un basketteur. La façon d’envisager une carrière universitaire est différente pour certains, parfois juste une transition obligatoire (pour combien de temps encore ?) pour des jeunes à qui le podium et la poignée de main avec Adam Silver (ou un simple salut sur Zoom pour les moins chanceux) semblent déjà promis, ou bien les plus belles années d’une carrière et d’une vie pour d’autres, qui ne retrouveront pas pareille atmosphère et passion là où la balle orange les portera partout dans le monde.
Son statut de top recrue, membre de Team USA devrait faire pencher Dosunmu vers la première catégorie. Pourtant, son choix d’Illinois – une fac de grande dimension à l’échelle nationale, soyons clairs malgré tout – fait preuve d’une ambition différente. Il veut laisser une trace indélébile, poser les premières pierres de quelque chose de nouveau et contribuer à instaurer une “culture” qui restera présente bien après son passage. C’est ce dont rêvent tout coach et tout fan dans cette ligue aux cycles parfois si rapides, avec des joueurs qui doivent nécessairement partir vite, car l’université est ainsi faite.
La première saison répond en tous points aux attentes. Illinois est une équipe encore trop jeune pour échapper à la médiocrité et les victoires se font rares. Pour la première fois dans sa vie, le jeune Ayo perd régulièrement des matchs de basket. Mais il montre malgré tout sa valeur, inscrit 13,8 points par match, en faisant le meilleur marqueur de son équipe, une performance jamais réalisée auparavant par un Fighting Illini de première année.
Après avoir évalué un passage direct vers la NBA au terme de sa première année, et avoir reçu des retours plus optimistes pour l’avenir que pour le présent immédiat, Dosunmu se décide à repartir pour une deuxième année, celle qui doit être celle du passage d’un cap, pour lui comme pour son équipe.
“He has it”
Aidé par un nouveau recrutement clé réussi par son coach Brad Underwood, avec notamment l’arrivée du pivot de la Oak Hill Academy, l’imposant jamaïcain Kofi Cockburn, qui fait tout de suite sentir sa présence dans les raquettes, Dosunmu répond encore une fois aux attentes grandissantes, ne devenant pas seulement le leader incontesté de son équipe, mais plus simplement l’un des visages de la conférence Big Ten, qui étonne par son niveau et sa densité, en faisant pour beaucoup la conférence la plus compétitive du pays, devant l’ACC ou la Big 12. En dominant une conférence aussi forte, Dosunmu est simplement devenu l’un des meilleurs joueurs du pays. Et l’un des plus “clutch”, aussi.
Alors que tout semblait ouvert et imaginable en mars, la situation sanitaire a coupé court à une saison qui semblait déjà être celle de tous les possibles pour Illinois. De retour dans le Top 25 national avec un bilan de 21-10 et un intéressant 13-7 en conférence, les Fighting Illini ont plus que répondu aux attentes. Les victoires se sont parfois écrites avec des scénarios dramatiques et des fins de matchs aux scores serrés et aux battements de cœur rapprochés. Presque systématiquement, à la fin, c’est à Champaign que les fans sourient, avec toujours le même dénominateur commun : Ayo Dosunmu.
L’arrière-meneur ne fuit jamais les responsabilités. Au contraire, tous savent déjà que la balle finira dans ses mains, puis probablement dans le panier. Contre Iowa et Indiana, pour les deux derniers matchs de la saison à domicile – et les derniers de la saison tout court, même si personne ne s’en doutait alors – face à un public à guichet fermé, il va clore les débats à chaque fois avec des tirs décisifs pour creuser l’écart dans le moneytime, partant toujours en isolation en tête de raquette pour finir à 3pts contre les Hoosiers, puis à mi-distance face aux Hawkeyes.
Mais son moment signature était déjà arrivé, plus tôt encore, en déplacement à Ann Arbor, face au Michigan de Juwan Howard, une vieille gloire du basket chicagoan. A 62 partout avant la dernière possession, qui sera pour Illinois, le discours du temps-mort ne sert pas à comprendre qui prendra ce dernier tir : tous le savent déjà. Son coach Brad Underwood lui demande plutôt comment veut-il le jouer.
Four-flat iso ? “Yeah, let’s do it”
Quatre joueurs prennent la ligne de fond et laissent Dosunmu et son vis à vis, Zavier Simpson, seuls en face à face sur une petite île en tête de raquette.
Dix secondes, neuf, huit… Dosunmu veut s’assurer que ce tir, qu’il finisse dedans ou pas, soit le dernier du temps réglementaire. Chaque seconde est calculée méticuleusement. A six secondes, il lance son attaque, quelques dribbles croisés mais serrés, car il doit déséquilibrer son adversaire, mais sait que ce dernier a des mains rapides qui ne se feront pas prier pour aller subtiliser ce ballon si important. Tant bien que mal, il l’emmène là où il le voulait, sur la ligne des lancers. Son défenseur est plus petit, lui colle au torse jusqu’au bout, mais en léger déséquilibre, Dosunmu a le toucher de balle qu’il faut.
Tout est presque parfait, le tir rentre, Illinois va gagner ce match d’une grande difficulté à l’extérieur, mais Dosunmu a quand même laissé 0,5 secondes sur l’horloge, une déception pour celui qui comptait chaque centième pour n’en laisser aucun. Peu importe pour les autres Fighting Illini, cette demi-seconde ne changera rien.
Difficile de se prononcer sur la définition exacte de ce “it”, mais c’est certainement quelque chose qui rend différent, à l’instar de la fameuse Mamba Mentality de Kobe Bryant, insufflée à toute une génération de basketteurs. Ayo Dosunmu fait partie de cette génération, et plus que la plupart, il a ce “it”. Des médias aux fans en passant surtout par son coach, tous s’accordent sur ce point : ce joueur est spécial. S’il n’est pas aussi matinal que le maniaque extrême Jimmy Butler, le bien plus jeune Dosunmu a pourtant déjà réglé son rythme pour devenir le meilleur, couché tôt pour se lever tôt et sans cesse travailler ses gammes, se fixant sans cesse des objectifs avec une volonté inébranlable de les atteindre.
Paradoxalement, son tir extérieur, bourreau de ses adversaires de la Big Ten et arme terriblement fiable dans les moments chauds, est pour Illinois une bénédiction également par sa relative faiblesse globale, car si un tel joueur va disputer en 2021 une troisième saison universitaire, c’est surtout parce que les retours de la NBA cette année encore ne sont pas ceux attendus, le personnel de la Grande Ligue attendant mieux qu’un 29% à 3pts en moyenne sur une saison sophomore (en baisse par rapport à la première saison).
Il faudra donc améliorer ce tir, le faire monter dans la trentaine haute en terme de pourcentage, pour terminer de convaincre les derniers sceptiques. S’il fallait rater quelques tirs pour le garder un an de plus, les fans et son coach Brad Underwood accepteront bien le compromis, tant que leur leader restera si létal en fin de match.