Depuis 1946 et la création de la National Basketball Association, quelque cinq mille joueurs ont foulé les parquets de la Grande Ligue. Certains d’entre eux ont laissé une empreinte indélébile qui ne sera jamais oubliée. D’autres sont restés bien plus anonymes. Entre les deux ? Des centaines de joueurs, qui ont tour à tour affiché un niveau de jeu exceptionnel, mais dont on oublie bien souvent la carrière.
Dès lors, @BenjaminForant et @Schoepfer68 ont décidé de dresser – littéralement – le portrait de certains de ces acteurs méconnus ou sous-estimés. Au total, ce sont 60 articles qui vous seront proposés : un par année, entre les saisons 1950 – 1951 et 2009 – 2010. Pour chaque saison, un joueur a été sélectionné comme étendard, parfois en raison d’une saison particulièrement réussie, d’une rencontre extraordinaire ou encore d’une action historique …
Chaque portrait s’inscrira dans une volonté, celle de traverser l’Histoire de la NBA de manière cohérente. Ainsi, ces portraits (hebdomadaires) seront publiés dans un ordre précis : un meneur, un arrière, un ailier, un ailier-fort, un pivot. Au bout de cinq semaines, c’est donc un cinq majeur qui sera constitué. Les plus matheux d’entre vous l’aurons compris : au final, ce seront douze équipes, toutes composées de joueurs ayant évolué au cours de décennies distinctes, qui auront été composées.
A vous de déterminer lequel de ces cinq majeurs sera le plus fort, le plus complémentaire, le plus dynastique.
Vous trouverez en fin d’article les liens vous permettant de (re)consulter les articles précédents.
La jaquette
Pour chaque article, @t7gfx vous proposera ses créations. Vous y retrouverez une illustration du joueur présenté (en tête d’article) ainsi qu’une présentation de chaque cinq majeur projeté (chacun avec une identité visuelle propre).
Le synopsis
Vous le connaissez, ce sentiment de ne pas savoir par quel bout commencer quelque chose ? Celui de se dire que le morceau qui nous attend est trop gros, et qu’il faut se creuser la soupière pour trouver un angle d’attaque convenable ? C’est très exactement le sentiment qui nous a habité avant de commencer la rédaction de ce 45ème épisode.
Il faut dire qu’on ne peut pas parler de Maurice Stokes comme on parlerait de n’importe quel autre joueur. Si nous étions animé par un souci impérieux de respect, nous pourrions même dire que l’histoire que nous nous apprêtons à raconter ne se prête guère au sourire, à la vanne ou à la gaudriole. Après celle de Tom Heinsohn la semaine passée, cela commence à faire beaucoup.
Dès lors, et sans jamais tomber dans le blasphème – au sens premier du terme – tentons tout de même de narrer la carrière, mais surtout l’après-carrière de celui qui fût, fugacement, la terreur des raquettes d’une Grande Ligue qui n’en était qu’à ses premiers balbutiements. Qui sait, peut-être même que nous parviendrons à dédramatiser ce récit qui en aurait d’ailleurs bien besoin.
Né le 17 juin 1933 en Pennsylvanie, Stokes était un pivot d’un tout petit plus de 2 mètres (2m01) pour quelques 105 kilos. Un physique classique pour un poste 5 de l’époque, en somme. Il s’imposera rapidement comme l’un des tous meilleurs joueurs NBA. Scoreur et rebondeur féroce, il n’était pas le dernier à faire jouer ses coéquipiers. A posteriori, ses adversaires retenaient de lui sa dimension athlétique hors norme et son sens du jeu.
Si l’on peut oser, disons qu’il n’aurait pas fait tâche dans notre Ligue contemporaine.
Action !
Avant cela, le bonhomme a su se rendre indispensable pour ses équipes de jeunesse. Dans son lycée de Westinghouse, il fût l’artisan principal du back-to-back de l’établissement au tournoi annuel de la ville de Pittsburgh. Il n’eût pas besoin de plier bagage pour aller à l’Université, puisqu’il intégra celle de Saint Francis en 1951. En grossissant le trait, la faculté n’a laissé de trace(s) dans le paysage basketballistique universitaire qu’au début de la décennie qui a vu Rosa Parks s’élever contre le racisme systémique qui gangrénait encore le pays.
En effet, Saint-Paul possède en guise de palmarès une incursion en tournoi NCAA (1991), et quatre participations au tournoi NIT. Son meilleur résultat ? Une 4ème place en 1954, avec un intérieur qui, dans son maillot floqué du numéro 26, termina Most Oustanding Player du tournoi, titre généralement réservé à un finaliste.
Si on opère un très court saut dans le temps, on a le temps d’apercevoir Maurice être sélectionné, le 13 avril 1955, en tant que 2ème choix de la draft annuelle, derrière Dick Ricketts mais devant Jack Twyman, personnage qui aura une importance capitale dans la suite de la vie du pivot. Stokes, tout comme Twyman d’ailleurs, intègre l’équipe des Rochester Royals, dont le roster est dénué de tout nom ronflant, en attendant qu’Oscar Robertson vienne replacer la franchise sur la carte (rappelons que celle qui deviendra les Kings de Sacramento en 1985 a remporté le titre NBA en 1951 !).
Alors comment dire. Parmi les 5 000 rookies qui ont, un jour, disputé leur toute première rencontre NBA, seuls 7 ont inscrit 30 points ou plus. Le dernier fût Lamar Odom en 1999, avec 30 points tout rond. Ils sont également 4 à avoir attrapé au moins 20 rebonds : Chamberlain (qui s’est aussi payé le luxe d’inscrire 43 points), Walton, Unseld sont les trois autres larrons. Enfin, nous ne dénombrons que 33 primo-débutants qui ont délivré a minima 8 passes décisives dès leur premier soir, dont 4 intérieurs.
Vous l’aurez compris, pour son grand plongeon face aux Knicks, Stokes termina la rencontre avec 32 points, 20 rebonds et 8 passes décisives. Soit, sans conteste, l’une des 5 plus grandes premières performances de tous les temps. Puisque nous y sommes, ne résistons pas à l’envie de dire qu’ils ne sont que 18, dans l’Histoire, à avoir terminé une rencontre en 32 / 20 / 8, pour 66 occurrences en tout et pour tout. Dans cette catégorie, au 21ème siècle, nous pouvons saluer David Lee, DeMarcus Cousins, Tim Duncan, Dirk Nowitzki et Luka Doncic. En attendant Anthony Davis ?
La suite s’inscrira très clairement dans la même veine. Maurice Stokes n’était pas le Michael Carter-Williams de son époque. La comparaison n’est pas uniquement farfelue ; l’ancien meneur des Sixers a frôlé le quadruple-double lors de son premier match, avec 22 points, 7 rebonds, 12 passes décisives et 9 interceptions. C’est ainsi que l’intérieur des Royals, bien installé sous les cercles, enchaînera avec 17 points et 20 rebonds, puis avec 26 points et 20 rebonds. On n’a pas fait les recherches précises, mais ils ne doivent pas être pléthores à avoir gobé au moins 20 rebonds lors des 3 premières sorties professionnelles.
Collectivement, les Royals sont sur courant alternatif. La franchise de Rochester ne le savait pas encore, mais elle était entrée l’année précédente dans une spirale négative, dont elle ne sortira qu’en 1961. Nous n’aurons donc aucune campagne de playoffs à décrire en fin de cette première saison. Nous ne pourrons nous mettre sous les ratiches que les performances individuelles d’un Stokes peu avare en prestations XXL. On le sait d’ailleurs, puisque nous l’avons raconté il y a tout juste un mois, l’issue de la saison 1955 – 1956 permettra à la NBA de sacrer le premier MVP de son Histoire.
Et si seuls Wilt Chamberlain et Wes Unseld parviendront à rafler le titre individuel suprême pour leur première saison, Stokes figurera bel et bien dans ce classement qui couronnera Bob Pettit.
Époque oblige, il nous manque l’immense majorité des statistiques au rebond et à la passe du numéro 12 des Royals. Celles à notre disposition nous permettent – sans risquer de passer pour des affabulateurs – de dire que le pivot n’était manifestement pas impressionné lorsqu’il fallait se frotter avec d’autres superstars, actuelles ou futures. Ainsi, lorsque les Celtics et Ed Macauley, futur hall-of-famer, viennent en ville, c’est Stokes qui repart non seulement avec la victoire, mais également avec la statuette informelle d’homme de la rencontre.
Pourtant, avec 28 points, 12 rebonds et 7 passes décisives, nous pourrions difficilement dire que Big Ed soit passé à côté de sa rencontre. Simplement, son rookie de vis-à-vis, pourtant dans un petit soir au tir (7 / 23), lui était encore supérieur : 31 points, 27 rebonds et 6 passes décisives (17 / 20 aux lancers), et une victoire 109 – 108. A cette occasion, celui qui était surnommé The Cat devint le premier joueur de l’Histoire à réaliser une telle ligne statistique. Il a bien entendu été rejoint depuis, comme vous pouvez vous en douter. Néanmoins, le dernier à avoir intégré le club des 31 / 27 / 6 est nul autre que Kareem Abdul-Jabbar, dans un temps que les moins de 48 ans n’ont pas connu.
Si nous mettons – volontairement – l’accent sur les cartons de l’intérieur, il serait d’une mauvaise foi admirable de passer sous silence le fait que le franchise player de Rochester était, lors de ce premier exercice, d’une irrégularité consubstantielle aux rookies. Sur les 67 rencontres disputées, il ne dépassa les 30 points qu’à trois reprises. C’est en onze occurrences qu’il scora moins de 10 points, par contre. Il faut dire que si son adresse aux lancers était correcte pour un pivot (71 % sur 7 tentatives de moyenne), son adresse au tir était pas loin d’être catastrophique selon nos standards actuels : 35,4 %, ce qui constituera son record de précision en carrière.
Nous avons donc face à nous un joueur qui pourrait faire passer les mauvais soirs de James Harden pour un travail d’horloger suisse. Ainsi, lorsque les Royals s’inclinèrent face aux Warriors juste avant Noël (- 4), Stokes n’a converti que 2 de ses 16 tentatives. Rebelote – ou presque – le soir de la Saint-Valentin 1956 (2 / 15).
Nous l’avons dit, Rochester ne se qualifiera pas pour la post-season 1956. Terminons donc la description de cette saison par deux éléments. Tout d’abord, par une prestation d’une autre ère ; le 14 janvier 1956, Stokes réalisa peut-être sa meilleure performance en carrière, face à Dolph Schayes s’il-vous-plaît : 26 points, 38 rebonds et 12 passes décisives à 61 % au tir.
Deux choses à cet égard : si nous excluons Wilt Chamberlain et Bill Russell de l’équation, ils ne sont que 4 a avoir un jour, dans leur carrière, gobé au moins 38 rebonds : Neil Johnston, Jerry Lucas, Nate Thurmond et Maurice Stokes. Enfin, il s’agit tout simplement de l’un des deux uniques triples-doubles de l’Histoire avec 38 rebonds. Et encore, même Chamberlain n’en n’a pas attrapé plus : 24 points, 38 rebonds, 13 passes décisives.
L’information selon laquelle Maurice Stokes fût le meilleur rebondeur de cette saison n’étonnera donc que les plus crédules. Avec les titans dans le domaine, Chamberlain et Russell, il est l’unique meilleur rebondeur rookie de l’Histoire. Plus étonnant, il termine également second meilleur passeur de la saison, derrière l’inévitable Bob Cousy : 16,8 points, 16,3 rebonds, 5 passes décisives en 67 rencontres.
Une ligne statistique qui fera dire à George Beaton, journaliste chez ESPN :
“Maurice Stokes mesure 2 mètres, passe comme s’il faisait 1m85 et prend des rebonds comme s’il faisait 2m40″.
A l’issue de cet exercice inaugural, il fût nommé rookie de l’année devant Tom Gola et, à l’instar de l’arrière des Warriors, obtiendra quelques voix au classement du MVP 1956.
Après Mikan et en même temps que Russell, Cousy ou autre Pettit, Stokes disposait de toutes les armes pour devenir l’une des toutes premières tête de gondole de la Ligue américaine. Il était indubitablement appelé à dominer les raquettes pendant un petit bout de temps. Jusqu’au crépuscule des années 1960, qui sait.
Âgé de 23 ans, sa seconde saison professionnelle sera sensiblement similaire à celle que nous venons de présenter. Déjà, les Royals termineront avec le même bilan de 31 victoires pour 41 défaites, manquant par là les playoffs pour la seconde fois consécutive, la seconde fois de l’Histoire de la franchise. Individuellement parlant, les statistiques du numéro 12 varieront tout autant, c’est-à-dire très peu.
Nous retrouvons donc un intérieur dominant et irrégulier, qui cueille encore plus de ballons sous les cercles que l’année précédente. Bien évidemment, le chat ne se priva pas pour réaliser quelques performances de mammouth. Parmi tout le florilège, il vous en sera présenté deux.
Opérons par chronologie, et commençons par une rencontre disputée – et perdue de justesse – face aux Hawks de Saint-Louis le 16 janvier 1957. Si, comme à son habitude, Bob Pettit était le meilleur joueur des siens, il fût totalement éclipsé par son jeune homologue des raquettes qui, à l’occasion, devint le second joueur à réaliser un 30 – 30, juste après George Mikan : 31 points et 33 rebonds, très exactement.
Au 21ème siècle, seuls Kevin Love (31 / 31) et Dwight Howard (34 / 30) ont intégré ce qui est devenu le club des vingt. Pour la pure démesure, notons que c’est Walt Bellamy, avec 4 performances du genre, qui se trouve sur la seconde marche du podium. Devant lui, nous vous le donnons en mille, c’est Wilt Chamberlain que l’on retrouve. Avec combien d’occurrences ? 126. Soit 80,7 % des 30 / 30 de l’Histoire.
La seconde rencontre s’est déroulée peu de temps après, le 25 janvier et fût disputée – et perdue de justesse – face aux Hawks de Saint-Louis. Comme un air de déjà vu, il semblerait. En procédant à une certaine forme de spéléologie de statistiques, il semblerait – le conditionnel est important – que le jeune Maurice se soit illustré en scorant 33 points, auxquels il ajouta – le gourmand – 20 rebonds et 14 passes décisives.
Si les pincettes sont de mises, c’est que le nombre de rebonds est source de litige entre les différentes sources croisées. S’il en a bel et bien attrapé 20 – spéculons – nous serions face, non seulement, à l’un des rares “escaliers” (30 – 20 – 10) de l’Histoire, mais surtout face au tout premier.
A ce tableau, mentionnons le fait que Stokes fût All-star lors de ses deux premiers exercices, mais également double membre de la All-NBA 2nd Team. Et alors que tous les astres semblaient alignés pour que nous puissions assister au décollage d’un des meilleurs bolides de l’époque, le destin – pernicieux, sournois, cruel, sadique, employez le synonyme que vous souhaitez – vint s’en mêler.
L’oscar de la saison 1957 – 1958
A tout point de vue, ou presque, cette troisième saison professionnelle sera la meilleure disputée par Maurice Stokes. Les Royals ont déménagé à Cincinnati et eurent l’excellente idée de ramener dans l’Ohio un futur troisième Hall-of-famer, en la personne de Clyde Lovelette. Dès lors, si la ligne arrière de la franchise dirigée par Bobby Wanzer constituait indéniablement son tendon d’achille, les trois postes forwards étaient désormais tenus par Jack Twyman, Maurice Stokes et Lovelette.
Alors qu’ils restaient sur deux saisons difficiles, les Royals peuvent désormais légitimement prétendre à autre chose qu’à des vacances anticipées au mois d’avril.
Le début de saison sera tout de même cahin-caha, avec d’ores et déjà 4 défaites après 6 rencontres disputées. Stokes, devenu seconde option offensive de la franchise, en reste le maître à jouer et développe un jeu de passe que ne renierait pas certains meneurs de notre NBA actuelle. Un sens de la passe qui lui permis, entre les 8 et 17 novembre 1957, de réaliser 4 triples-doubles consécutifs, ce que seules 7 légendes absolues ont réalisé dans l’Histoire (Jordan, Magic, Robertson, Harden, Westbrook, Chamberlain, Kidd).
Le performance, même aujourd’hui, constitue un petit évènement. Il y a plus de 60 ans, c’était un véritable exploit. En effet, nous le savons, les triples-doubles se sont aujourd’hui démocratisés dans la Grande Ligue. Ainsi, dans le top 20 des joueurs qui en ont réalisé le plus dans l’Histoire, nous retrouvons 8 joueurs qui foulent actuellement les parquets. Au bout de 5 saisons professionnelles, Nikola Jokic est 10ème, avec 41 unités. Au bout de 3, Ben Simmons est 15ème (28 unités) et est déjà talonné par Luka Doncic (25 unités, ex aequo avec Clyde Drexler).
Si nous nous concentrons sur les deux plus grands joueurs en la matière, Oscar Robertson et Russell Westbrook, la série de 4 triples-doubles consécutives de Stokes n’est battue qu’à 6 reprises. Robertson en a réalisé 7 consécutifs entre les 1 et 12 janvier 1961 là où Wesbrook en a réalisé 10 entre les 24 janvier et 14 février 2019.
- 8 nov. 1957 vs Boston : 22 points, 30 rebonds et 12 passes décisives, dans une défaite (- 12),
- 10 nov. 1957 vs Philadelphie : 20 points, 16 rebonds et 10 passes décisives, dans une défaite (- 5),
- 15 nov. 1957 vs New-York : 22 points, 26 rebonds et 10 passes décisives, dans une victoire (+ 2),
- 17 nov. 1957 vs Saint-Louis : 14 points, 13 rebonds et 11 passes décisives, dans une défaite (- 1).
Profitons-en pour énoncer qu’hormis Chamberlain, premier de tous les classements officieux de ce style, Maurice Stokes est celui qui a réalisé le plus de triples-doubles avec 30 rebonds dans sa carrière.
Lorsque le All-star game pointe le bout du museau, Cincinnati possède un bilan positif, avec 20 victoires et 15 défaites. A l’occasion de la rencontre de gala disputée à Saint-Louis, The cat fût à nouveau titulaire. Il est donc l’un des rares joueurs de l’Histoire, notamment en compagnie de Jerry West et de Julius Erving, à avoir été All-star chaque saison. En effet, nous y reviendrons bientôt, mais ce troisième exercice sera également son dernier. Certes, l’Angelinos a disputé 13 saisons professionnelles, là où Docteur J en a joué 16. L’exploit de Stokes est donc moindre, mais a le mérite d’exister.
En passant, c’est Bob Pettit qui fût nommé MVP de cette édition 1958, et reste à ce jour l’unique MVP du All-star game a avoir perdu la rencontre.
Post match des étoiles, plus rien n’ira du côté des Royals, qui enchainèrent les défaites aussi rapidement que leur pivot attrapait les rebonds. Heureusement, la qualification en playoffs était cette fois-ci assurée depuis bien longtemps. En cette époque où les conférences n’étaient composées que de 4 franchises, les 3 premières se qualifiaient pour les affrontements printaniers ; le 1e se payait le luxe de ne disputer que la finale de conférence, là où les second et troisième se disputaient la qualification au cours de demi-finales.
Or, cette année-ci, les Lakers ne remportèrent que 19 victoires. Cela revient donc à dire que lorsque le All-star game s’est déroulé, le 19 janvier 1958, les Royals étaient déjà qualifiés pour les playoffs. Avec 33 victoires pour 39 défaites, les coéquipiers de Stokes affichent exactement le même bilan que les Pistons, qui possèdent dans leurs rangs Harry Gallatin et surtout George Yardley, meilleur scoreur de la saison (27,1 points par soir) et qui reste, avec Elgin Baylor, le seul extérieur a avoir réalisé un 52 / 20 dans l’Histoire (cette saison-ci, contre Syracuse).
Après trois saisons professionnelles, Maurice Stokes découvre donc enfin les playoffs. Juste avant ceci, il fût à nouveau nommé dans la All-NBA 2nd team. Il affiche ses meilleurs statistiques aux points, aux rebonds et à la passe décisive : 16,9 points, 18,1 rebonds et 6,4 passes décisives.
C’est dans cette catégorie que se trouvait Mo. A tout le moins, puisqu’il faut reformuler, c’est dans la caste des Chamberlain, Russell, Pettit et autres Bellamy que nous devrions en parler aujourd’hui. Le joueur avait tout pour. C’est d’ailleurs confirmé par Bob Cousy :
“Physiquement, il faisait des choses inédites. Il ressemblait à un ailier, fort, rapide et athlétique. Il venait du futur”.
Que s’est-il donc passé ?
Pour répondre à cette question, il convient de remonter trois jours en arrière. Lors du dernier match de la saison régulière, disputé et remporté face aux Lakers, Stokes score 24 points et gobe 19 rebonds. La routine, pourrait-on dire. A un détail près ; alors qu’il attaquait le panier, il fût heurté et tomba la tête la première sur le parquet. La médecine étant ce qu’elle était, il reprit ses esprits grâce à des sels odorants, avant de retourner terminer son chantier dans la raquette de Minneapolis.
Un simple choc, pense-t-on alors. Dès lors, il est bien évidemment titulaire le 15 mars 1958 pour la première rencontre de playoffs de sa carrière. Les Royals sont balayés (- 17) et l’intérieur réalise une toute petite performance (12 points, 15 rebonds, 3 / 12 au tir), mais possèdent l’occasion de se racheter dès le lendemain dans leur antre de Cincinnati.
Cependant, pour Stokes, les 39 minutes disputées sur le parquet de Détroit en ce 15 mars 1958 furent les dernières de sa carrière.
Le générique de fin
Dans l’avion qui ramenait la franchise défaite à Cincinnati, Stokes tomba malade. Les bières englouties après le match, pensent ses coéquipiers. La grippe, estimait le staff de l’équipe ; après tout, Jim Paxson Sr était également souffrant.
Lorsqu’il se réveilla à l’hôpital, il était paralysé. Le verdict, incompréhensible pour les non-initiés, tombe rapidement : encéphalopathie post-traumatique. Traduisez : lésion cérébrale, qui l’empêchera de marcher et bientôt, de parler.
Mais plutôt que d’être larmoyant, abordons la fin de la sa vie sous un autre angle : celui de l’espoir. Avant cela, il est tout de même nécessaire de poser le contexte. Nous racontions, le 3 avril dernier, la grève des joueurs lors du All-star game 1964 auquel Chet Walker participa. Si grève il y a eu, c’est parce que les acquis sociaux des joueurs, en cette époque, étaient bien proches du néant. Souvent, les joueurs, même les superstars, devaient travailler entre deux saisons NBA, pour pouvoir subvenir aux besoins les plus primaires.
Vous pouvez donc l’imaginer ; Stokes, et ses 20 000 $ annuels, n’avait clairement pas la fortune nécessaire pour pouvoir financer ses soins hospitaliers sur la durée (estimés à 100 000 $ / an). A titre de comparaison, Stephen Curry et ses 43 millions de dollars pour la saison 2020 – 2021 gagne le salaire annuel de Stokes en l’espace de 4 heures. La situation n’était donc pas viable, d’autant plus que, business is business, son contrat avec les Royals de Cincinnati est rompu.
Et c’est là que Jack Twyman, que tout opposait jusqu’alors à son intérieur, entre dans la danse.
En effet, depuis leur draft respective, les relations entre les deux hommes étaient tendues, au mieux. Jack et Maurice n’étaient pas copains. Et pourtant, c’est bel et bien le premier qui prendra soin du second jusqu’à son décès.
“Quelqu’un devait faire quelque chose, je suis devenu ce quelqu’un”.
Énoncée comme ceci, la décision semble être aussi simple que celle de prendre une baguette farinée en lieu et place d’une baguette lavée. Bien évidemment, ce n’était pas le cas. D’autant plus que le salaire de Twyman était encore plus faible que celui de son nouveau protégé.
Rapidement devenu tuteur légal de Maurice Stokes, il remuera ciel, mais surtout terre, pour trouver l’argent nécessaire pour subvenir aux besoins financiers colossaux de son ancien coéquipier. Heureusement, lorsqu’il travaille l’été, Jack n’est pas videur ou agent d’autoroute, comme certains de ses contemporains. Non pas que ces métiers valent moins que d’autres, bien évidemment. Mais en l’occurrence, cela n’aurait pas forcément contribué à améliorer la situation.
Il s’avère que l’ailier était agent d’assurance. Il mobilisa donc son savoir, ses contacts et des avocats pour que Stokes obtienne une pension. Plus encore, il organisa le Maurice Stokes Memorial Basketball Game, un match annuel destiné à lever des fonds, et qui rassemblait toutes les plus grande stars de l’époque : Chamberlain, Robertson, Abdul-Jabbar, Havlicek, Monroe …
Au-delà de l’argent, Twyman et Stokes deviendront ce qu’ils n’ont jamais su être en tant que basketteurs : amis. C’est lui qui lui réapprit à communiquer, d’abord en clignant des yeux, puis avec les doigts, puis avec la voix. Il l’intégra dans sa famille pour des repas dominicaux.
Pendant 12 années, c’est l’ailier qui fût le principal soutien de celui qui fût la terreur des raquettes. Twyman lui-même n’est jamais véritablement parvenu à mettre des mots sur les raisons qui l’ont poussé à porter secours à un homme avec lequel il n’avait pourtant pas d’atomes crochus. C’est certainement ce qui confère à l’histoire son côté irrationnel.
Plus qu’une carrière brisée, c’est peut-être ceci qu’il convient donc de retenir de la vie de Maurice Stokes : un lien d’amitié qui permit à celui qui souffrait de réapprendre à vivre.
Crédits et hommages
Maurice Stokes s’est éteint le 6 avril 1970. Comme vous pouvez l’imaginer, les hommages n’ont pas manqué. Oscar Robertson dira que The cat était le premier guard de plus de 2 mètres. Dolph Schayes, son adversaire de toujours, le compara à Magic Johnson et à LeBron James. Il faut dire – et nous ne l’avons probablement pas fait assez – que Stokes se distinguait principalement par sa dimension physique nouvelle pour l’époque (Chamberlain arrivera plus tard, mais mesurait 15 centimètres de plus !) et par sa vision du jeu extraordinaire. Comme LeBron, par exemple.
La NBA, en hommage à l’Histoire de Stokes et Twyman, créera en 2013 le trophée “Twyman-Stokes Teammate of the Year”, qui récompense le coéquipier idéal. Les deux hommes eurent – pour leur carrière sportive, mais pas que – les honneurs du Hall-of-fame.
Cependant, c’est la phrase – certes connue – de Jack Twyman qui nous semble être la plus pertinente :
“Durant 12 ans, je ne l’ai jamais vu triste, énervé ou se plaindre de sa condition. Maurice était une personne fantastique et une merveilleuse opportunité pour moi d’être au contact de cet homme. Il a inspiré tous ceux qui l’ont approché”.
Maurice Stokes a donc su relever la tête après son drame. Et si c’était celui-ci, son plus beau rebond ?
Les précédents épisodes et portraits du Magnéto :
- Cinq majeur #1 : Penny Hardaway (1994/95), Manu Ginobili (2007/08), Terry Cummings (1988/89), Jerry Lucas (1964/65), Nate Thurmond (1974/75),
- Cinq majeur #2 : Jason Kidd (1998/99), Tracy McGrady (2004/05), Rick Barry (1966/67), Elvin Hayes (1979/80), Neil Johnston(1952/53),
- Cinq majeur #3 : Isiah Thomas (1989/90), David Thompson (1977/78), Paul Arizin (1951/52), Tom Gugliotta (1996/97), Yao Ming (2008/09),
- Cinq majeur #4 : Baron Davis (2006/07), Bill Sharman (1958/59), Chet Walker (1963/64), Gus Johnson (1970/71), Jack Sikma (1982/83),
- Cinq majeur #5 : Tiny Archibald (1972/73), Dick Van Arsdale (1968/69), Bernard King (1983/84), Jermaine O’Neal (2003/04), Larry Foust (1954/55),
- Cinq majeur #6 : Fat Lever (1986/87), Richie Guerin (1961/62), Grant Hill (1999/00), Dan Issel (1971/72), Ben Wallace (2002/03),
- Cinq majeur #7 : Lenny Wilkens (1965/66) (Lenny Wilkens, bonus : le coach), Calvin Murphy (1975/76), Peja Stojakovic (2001/02), Shawn Kemp (1991/92), Arvydas Sabonis (1995/96), (Arvydas Sabonis, bonus n°1 : la carrière européenne), (Arvydas Sabonis, bonus n°2 : la carrière internationale).
- Cinq majeur #8 : Kevin Porter (1978/79), Tom Gola (1959/60), Xavier McDaniel (1987/88), Bob Pettit (1955/56), Vin Baker (1997/98),
- Cinq majeur #9 : Stephon Marbury (2000/01), Michael Cooper (1984/1985), Lou Hudson (1973/1974), Tom Heinsohn (1962/63),