L’épreuve classique de l’intersaison, consistant à rafraîchir son fil d’actualité de manière frénétique en attendant de pied ferme la première Woj Bomb, n’aura pas duré très longtemps. Dans les tuyaux depuis quelques jours, l’arrivée de Chris Paul chez les Phoenix Suns a été officialisée quelques minutes seulement après l’ouverture officielle de la période des transferts.
Cette première opération, de par la notoriété de son principal élément, est un magnifique os à ronger pour n’importe quel fan de NBA. Cependant, chauvinisme oblige, votre serviteur a décidé de se placer dans la peau de son personnage fan des Suns – on vous l’accorde, on a connu des défis plus ardus – et de vous partager la conclusion qui a illuminé son 16 novembre : oui, cette franchise sait enfin ce qu’elle fait.
Quelques évidences pour s’ouvrir l’appétit
Faire venir Chris Paul en 2020, c’est envoyer un message clair : on veut faire du grabuge, et on veut le faire maintenant. Regardez le Thunder, promis à tous les tourments dans l’après-Westbrook, qui n’a pourtant pas pu s’empêcher de nous pondre une saison remarquable avec CP3 aux commandes. Et bien ça, maintenant, c’est pour Phoenix.
Il est bien sûr inutile de détailler tout ce que le joueur peut apporter en termes d’améliorations dans une franchise comme celle-ci, d’une part car nous risquerions d’y passer la soirée mais surtout car ce site ne s’appelle pas “QiEnfonçageDePortesOuvertes”. Sans manquer de respect à Ricky Rubio, qui a joué un grand rôle dans le retour des Suns au rayon des écuries respectables, on passe tout simplement dans une autre dimension. Quand on voit les dégâts causés par Devin Booker cette saison avec un meneur compétent à ses côtés, on ne peut que rester songeur devant les possibilités offertes par cette nouvelle association sur le terrain.
Il en va de même pour Deandre Ayton, qui dispose désormais du pourvoyeur de ballons ultime pour (enfin) passer un cap, pourvoyeur auréolé d’une légitimité grandement suffisante pour secouer le bahaméen si l’investissement n’est pas au rendez-vous. Et ça, aucun fan de Phoenix ne dira le contraire, c’est au moins tout aussi précieux pour la franchise que ce que CP3 peut produire sur le terrain. Quant à Mikal Bridges et Cam Johnson, ils ne doivent pas être trop dérangés à l’idée de côtoyer un backcourt capable de créer des espaces suffisants pour leur permettre de tirer dans un fauteuil soir après soir. On ne parle même pas du leadership ou de l’expérience dont pourra faire usage Paul pour tirer cet effectif le plus haut possible.
En bref, pas de surprise : en intégrant un meneur 9 fois All-NBA à votre effectif, vous êtes susceptible de devenir une meilleure équipe.
Le moyen terme préservé
Prenons quelques instants pour admirer la plus-value générée par cet article jusqu’à présent, et venons-en plutôt à ce qui fait régulièrement tiquer les observateurs dans de telles acquisitions : les contreparties. Le détroussage en règle opéré par Danny Ainge sur Billy King en 2013, et les conséquences de celui-ci, font régner un climat d’extrême méfiance dès lors qu’il s’agit de faire venir un joueur en fin de carrière, aussi réputé soit-il. A fortiori quand celui-ci se ramène avec une brouette de 41 millions de dollars dans votre salon.
En sillonnant les réseaux sociaux, on se retrouve rapidement confronté à un raisonnement passe-partout, consistant à dire qu’il faut se limiter à lâcher des tours de draft et/ou des jeunes joueurs à fort potentiel dans le seul cas où ceux-ci prendraient part à un échange susceptible de vous ramener un titre. Sinon, mieux vaut ronger son frein en attendant d’exprimer son plein potentiel dans plusieurs années, plutôt que de vouloir être bon trop vite en brûlant les étapes, et de devoir repartir à zéro dans quelques années.
A la lumière de ce raisonnement, dont le bien fondé est un sujet de débat qui n’a pas sa place ici, examinons le prix payé par Phoenix dans cette affaire : Ricky Rubio, Kelly Oubre Jr, Ty Jerome, Jalen Lecque et un tour de draft 2022.
Il est évident que Rubio ne constitue pas une grosse perte compte tenu de ce qui arrive en face. Jerome et Lecque, pour leur part, ne faisaient clairement pas partie des plans de l’équipe de Monty Williams, et souffraient du trop plein de concurrence à leur poste.
Le départ de Kelly Oubre reste donc le plus douloureux : le scoring, l’intensité et l’énergie de l’ailier feront défaut à l’avenir, c’est indéniable. Cependant, il nous faut préciser que ce bon Kelly entrait dans sa dernière année de contrat. Malgré une bonne relation de façade avec la franchise, rien ne garantissait une prolongation de l’aventure en Arizona. De nombreux points d’interrogation, allant de sa santé – lui qui va revenir de blessure la saison prochaine – à sa cohabitation sur l’aile avec un Mikal Bridges de plus en plus remuant, planaient sur la situation de l’ancien Wizard. Ce n’est donc pas comme si les Suns avaient jeté par la fenêtre un jeune joueur verrouillé pour plusieurs années.
Et justement, ces joueurs verrouillés, ils sont toujours là, bien au chaud. Et c’est précisément en cela que ce trade prend une bonne partie de sa valeur pour les Suns, outre l’apport de Chris Paul.
En spectateurs avertis, conscients de la remorque de casseroles traînée par les Suns en matière d’intersaison depuis de nombreuses années, nous ne voyions pas d’un œil rassuré la rumeur envoyant Chris Paul, ses 35 ans et ses énormes sacs de billets dans l’Arizona, pour la simple et bonne raison qu’elle ouvrait potentiellement la porte à un départ de Bridges, de Johnson voire d’Ayton – on parle d’une franchise ayant comme propriétaire Robert Sarver tout de même. Même en n’étant pas adepte de la philosophie “tout pour des assets” décrite plus haut, difficile d’être enclin à se débarrasser de joueurs si précieux, qui s’inscrivent dans une vision à moyen-long terme.
Fort heureusement, les trois jeunes talents sont restés au bercail, prêts à bénéficier de la présence d’un futur Hall Of Famer pour continuer leur progression et, surtout, prêts à signer de nouveaux contrats lorsque la pige de CP3 sera arrivée à terme, soit dans deux ans, à l’instar du contrat qu’avait Ricky Rubio. De quoi éviter de se retrouver en fâcheuse posture à l’horizon 2022, avec un vétéran au contrat XXL sur les bras et des jeunes joueurs, arrivés à maturité, qui mettent les voiles. Dans cette même optique, on pourra aussi se réjouir de voir que le pick envoyé au Thunder a été correctement protégé (top 12 en 2022, top 10 en 2023, top 8 en 2024).
On est donc loin, très loin d’un all-in déraisonné en mode Billy King.
Par ailleurs, la situation financière est forcément impactée par la digestion des 40 millions de Paul – et les clopinettes d’Abdel Nader, s’il venait à être conservé – mais n’oublions pas non plus que les quatre joueurs échangés par Phoenix pesaient quelque 35 millions dans la balance. En tout état de cause, la magie du salary cap et ses exceptions devrait permettre aux Suns de re-signer leurs principaux free agents (Dario Saric, Jevon Carter, voire Aron Baynes) et pourquoi pas d’aller à la chasse grâce à la Mid-Level Exception.
Rien de drastiquement différent, en somme, par rapport à la situation de base. L’acquisition d’un joueur de 35 ans à ce prix constitue intrinsèquement un risque, mais on peut saluer la faculté des Suns à se donner le plus gros matelas de sécurité possible dans le cas présent. Encore une fois, quand on connaît le passif de cette organisation, il y a de quoi s’enthousiasmer.
Capitaliser sur la dynamique actuelle
Enfin, il est impossible d’évoquer ce trade sans aborder son aspect symbolique et psychologique.
Vous n’êtes pas sans savoir que le cœur de la franchise bat depuis quelques années au rythme de celui d’un arrière scoreur talentueux portant le n°1. Vous savez également qu’il est généralement utile de montrer à une superstar qu’elle n’aura pas à exporter ses talents ailleurs pour arriver à ses fins, quand bien même celle-ci aurait paraphé un contrat en or massif.
En des termes plus crus, Devin Booker en a plein le dos de streamer du Call of Duty pendant que ses pairs se battent comme des chiens dans des séries en 7 matchs, et a besoin de connaître le grand frisson à son tour. Il ne cache plus sa frustration de jouer les quatrièmes rôles dans cette ligue, et la direction se devait d’envoyer un message fort à celui qui incarne son présent, mais aussi son futur. Pour remettre Phoenix sur la carte, pour assurer la pérennité d’un projet centré autour de Booker, et pour se prémunir de lendemains qui déchantent.
Avec cette arrivée, conjuguée à la préservation d’un noyau dur de jeunes joueurs talentueux, le pari semble relevé haut la main.
La bulle a créé une certaine effervescence autour des Suns, qui sont subitement revenus dans les bonnes grâces des observateurs de la ligue, et se sont pris à rêver à une destination plus reluisante que les tréfonds de la conférence Ouest. Le trade de Chris Paul s’inscrit dans la continuité de ce phénomène, avec une ascension fulgurante potentielle, tout en s’assurant une chute amortie s’il devait en être ainsi. Après avoir appuyé sur l’accélérateur une première fois, il est temps de lâcher les chevaux. Et s’il on peut toujours penser qu’il y avait la place de faire mieux, il y avait certainement la place de faire pire. On a déjà hâte d’y être en tout cas !