La draft arrive. Et qu’elle tombe à une période où la NBA a normalement déjà repris ses droits ne change en rien ses codes : comme tous les ans, nous assistons à la même rengaine. Parmi l’une des plus surprenantes : des franchises qui clament à tort et à travers leur amour et leur admiration pour des jeunes prospects. Dans ce cirque, la logique est souvent mise à rude épreuve : les équipes n’hésitent pas, des semaines avant l’événement, à annoncer leurs préférences, voire : “dévoiler leur plan”.
Souvent, quand on s’apprête à mener une bataille, on tâche de cacher ses prochains coups à l’adversaire. Question de se préserver et de ne pas se faire damer le pion. Vous comprenez, la draft est l’un des meilleurs moyens donné aux franchises NBA pour construire leur avenir ou améliorer l’effectif. De fait, pourquoi dévoiler au grand jour le travail accumulé de plusieurs années à scouter un joueur ?
A cause d’une consigne de la NBA ? Par besoin de remplir son devoir médiatique ? Ou parce que, justement, tout ce battage médiatique est une grande partie de poker menteur à forte dimension tactique ?
Distiller l’information
Évidemment, les dirigeants NBA ne prennent pas la parole par plaisir ou par besoin de répondre à une injonction de la Ligue. Et, quand bien même, échanger avec les journalistes fait partie des obligations de la vie d’une franchise, jamais la langue de bois ou les déclarations vides en contenu ne furent un problème à quelque niveau que ce soit.
En revanche, et paradoxalement, on remarque que ces derniers (pour bon nombre d’entre eux) sont prolixes en prise de parole et envolées lyriques dès lors qu’on leur tend un microphone une fois le processus de la draft enclenché. Mieux encore, on remarque souvent une décorrélation forte entre les décisions prises le soir de la draft, la qualité des cuvées disponibles et les déclarations durant tout le circuit pré-draft. Et pour cause, les enjeux sont si nombreux durant cette soirée que, de nombreuses franchises, se lancent dans une partie de jeu de dupe aux objectifs divers :
- compliquer le travail des équipes sélectionnant après ;
- augmenter la valeur de son pick de draft (notamment si l’objectif est de monter un échange) ;
- augmenter la côte d’un joueur dans l’optique d’en drafter un autre (pour ceux plus bas dans la draft) ;
- brouiller les pistes sur son choix pour éviter qu’une franchise mette la pression pour un “pick & trade“.
A la volée, ce sont quelques exemples d’objectifs classiques de la draft. Et si ces méthodes sont utilisées, c’est qu’elles rencontrent un certain succès en raison de divers aspects qu’il est nécessaire de comprendre. Tout d’abord, toutes les franchises ne sont pas égales dans le scouting. Les raisons les plus évidentes que l’on peut évoquer : taille des départements scouting d’une franchise à une autre (on peut citer celui des Bulls qui n’avait, peu ou prou, pas bougé depuis les nineties !), qualité de leur organisation, qualité des effectifs. Ainsi, il n’est pas étonnant que certaines équipes soient réputées pour leurs prises de décisions en matière de pick (Spurs, Nuggets, Warriors, Celtics, Raptors, Thunder), alors que d’autres sont regardées de haut après des années d’échecs (Knicks, Kings, Suns, Wolves…).
Dès lors, les franchises n’arrivent pas avec la même quantité d’informations, pas sur les mêmes joueurs et doivent composer avec le statut de l’une et l’autre au moment de déterminer leurs cibles. Le moment où le travail de désinformation, plus ou moins subtile peut commencer.
Quelques exemples…
Cette saison, la cuvée de draft est annoncée particulièrement faible, avec peu ou pas de potentielles stars dans le haut de la draft. Souvent ces drafts moins courtisées que la moyenne sont le théâtres de nombreux mouvements. Une poignée de franchises veulent monter pour le seul prospect qui leur a semblé en adéquation avec leur projet et leurs besoins. Un nombre plus important veut se retirer : soit en échangeant un choix élevé contre plusieurs choix plus bas ou carrément, récupérer des joueurs ou de futurs picks de la part de franchises plus pressées par le temps. La scène parfaite pour mener une bataille médiatique qui dure depuis plusieurs semaines.
Quelques exemples cette saison ?
Le plus criant semble être le cas de Golden State. En possession du second choix alors que la franchise souhaite faire un retour chez les prétendants au titre dès cette saison, l’idéal serait d’échanger ce choix contre des joueurs capables de contribuer immédiatement et dont le niveau de jeu ne soit pas un pari. Résultat, les Warriors ont lancé une campagne médiatique, pas nécessairement des plus subtiles. En quelques semaines, la majeure partie des prospects attendus dans le haut de la draft ont reçu des louanges de la franchise. L’objectif ? Faire monter la côte de la draft et, par extension, celle de leur pick. En laissant sous-entendre un intérêt fort pour de nombreux prospects, ils tentent de donner à penser qu’abandonner ce pick leur coûte. En outre, la franchise semble organiser un jeu médiatique ou plusieurs parties prenantes tiennent des discours contradictoires. D’un côté, la franchise semble priser des joueurs mobiles façon Anthony Edwards, pendant que Stephen Curry donne un discours contraire, notant leur intérêt pour plus de taille dans l’effectif. Des discours dissonants qui ont toutes les chances d’être orchestrés.
L’autre exemple intéressant : les Minnesota Timberwolves. Début novembre, James Wiseman faisait savoir qu’il n’était pas intéressé par une sélection en premier de la part des Wolves. La raison ? La franchise possède déjà un pivot de haut vol en la personne de Karl-Anthony Towns. Pour un rookie, ce n’est pas la position idéale pour obtenir beaucoup de minutes et avoir la maximum de temps de jeu. Pourtant, le 8 novembre, Minnesota laissait filtrer son intérêt pour le pivot.
Pourquoi ? Possiblement car les Charlotte Hornets possèdent de véritables lacunes à l’intérieur et auront nécessairement de l’intérêt pour le pivot. Puisqu’aucun joueur n’a vraiment le profil idoine pour les Timberwolves, redescendre un peu dans la draft et récupérer un asset en compagnie de l’échange de pick pourrait être intéressant. Depuis cette déclaration, l’intérêt connu de Charlotte semble porter ses fruits puisque des rumeurs enverraient le pick 1 dans leur giron. Un possible trade dès l’ouverture de cette draft 2020 serait donc possible ? Oui.
Enfin, on peut parler d’un cas plus général : LaMelo Ball. Un temps annoncé comme le futur top 1 de la draft 2020, on peut lire un peu partout que la place de l’arrière ne cesse de baisser depuis quelques semaines. Le cas présent, on peut remettre en question cette idée : pourquoi les franchises laisseraient planer cette idée ? A qui cela profiterait, si les doutes sont justifiés, de prévenir les concurrents de leur scepticisme autour du joueur ? …A moins que des franchises moins bien classées tentent de faire douter celles au-dessus pour glaner la bonne affaire ? Ou que les franchises subissent le travail effectué par d’autres parties prenantes ?
Auxquels s’ajoutent des facteurs aléatoires
Pour rendre l’aspect plus flou, de nombreux éléments extérieurs aux franchises peuvent jouer un rôle. Que cela soit provoqué par les joueurs eux mêmes, les médias ou par des arrangements en backstage, d’autres facteurs peuvent venir brouiller les pistes ou compliquer la tâche des décideurs.
Entre les joueurs ne souhaitant pas rencontrer certaines franchises, ceux plus tard dans la draft, qui n’hésitent plus à demander à ne pas être drafté (nous vous proposons l’exemple de Terence Davis l’an passé dans cet article), ou les accords de principes entre joueurs et franchises à l’issue de certains entretiens, il est parfois compliqué de déterminer les moves des concurrents.
Dans le même temps, les médias peuvent jouer un rôle en décidant de cibler certains prospects ou non, de relayer des rumeurs et pas d’autres selon les titres les plus vendeurs. En cela, ils peuvent également jouer un rôle important. L’exemple de LaMelo Ball cette saison paraît révélateur. Très médiatisé depuis son adolescence, les articles sur le jeune prospect sont vendeurs. Alors que ce dernier semble faire des prestations mitigées dans ses entretiens avec les franchises, le fait de relayer ces rumeurs peut nuire à la réputation du joueur. Difficile de trier le vrai du faux dans les témoignages souvent anonymes, mais toujours est-il que la bataille n’est pas nécessairement une affaire de déclarations, mais peu aussi, se faire à coup de murmures. Or, ne pas avoir le fin mot de l’histoire peut générer des doutes au moment d’engager un top pick dans la balance.
Enfin, on sait que les arrangements aux termes de certains entretiens entre prospects et franchises sont monnaie courante. Une promesse de drafter peut parfois pousser les joueurs à arrêter les entretiens, décliner des offres. Si ces paroles ne sont pas toujours tenues, elles peuvent avoir pour but de sécuriser un prospect, comme priver d’informations certaines franchises.
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La draft n’est pas qu’une affaire de bon scouting, et de positionnement. C’est aussi une affaire où l’information vaut son pesant d’or, où la réputation est un maître mot. Obtenir une position avantageuse ou désavantageuse n’est pas une fin en soi. A ce titre, la bataille médiatique que l’on peut observer avec circonspection est une partie intégrante de ce folklore annuel. Et tout ce folklore sert une ambition majeure : s’arroger les talents de demain. Que ce soit pour porter sa franchise, garnir son effectif en joueurs de rotations ou monter des échanges. Ainsi, si ces déclarations ont des objectifs évidents en haut de draft, elles deviennent de plus en plus déstabilisantes en avançant dans le premier tour où le choix des autres franchises rend la difficulté d’anticiper son pick de plus en plus compliqué. Un poker menteur qui a de beaux jours devant lui avec le développement des nouvelles technologies, l’explosion des réseaux sociaux et les sources d’informations croissantes autour de la Grande Ligue.