La continuité, recette du succès merengue
Le rival catalan, le F.C Barcelona a décidé, après la déception de la phase finale de Liga ACB (défaite à la dernière seconde contre Vitoria-Baskonia), de tout miser sur cette saison 2020-21, en investissant dans leur effectif et coaching staff. Les castillans et le Président du club omnisports du Real Madrid, Florentino Perez, ont quant à eux estimé que le niveau de performance affiché depuis l’arrivée de Pablo Laso, il y a bientôt 10 ans, était dû à une certaine continuité dans l’effectif.
Au Real, cette valorisation de l’Histoire du club est culturellement très ancrée, et on peut le comprendre en se penchant sur le palmarès du club de la capitale.
Au plafond du WiZink Center (l’arène du Real depuis 2016) et ses 13.109 places, sont exposés les exploits de la Maison Blanche :
- 35 fois champion d’Espagne (avec une sur-domination dans les années 60 et 70, notamment sous les ordres de Pedro Ferrandiz, avec Walter Szczerbiak-père et Juan Antonio Corbalan), et une renaissance nationale au début des années 2010 (5 titres au cours de la décennie)
- 28 Coupes d’Espagne (6 sur cette décennie, vainqueur l’an dernier)
- 7 Super Coupes d’Espagne (6 également entre 2012 et 2020)
- 10 Euroleagues (avec deux périodes de disette entre 1980 et 1995, puis entre 1995 et 2015)
- 11 Final Fours d’Euroleague
- 4 Coupes Saporta, 1 Coupe Korac, 1 Eurocup
Et le tout sans évoquer les Coupes Intercontinentales et les différentes compétitions auxquelles le Real Madrid participe depuis sa création en 1931.
Si certains clubs ayant écrit l’Histoire du basket européen ont pu, pour diverses raisons, disparaitre ou se placer en retrait au fil du temps (ASK Riga, Cibona Zagreb, Jugoplastika Split, Benetton Treviso, Varese, Bosna Sarajevo), le Real Madrid a réussi l’exploit, malgré quelques périodes moins fastes, de toujours faire parti de l’élite européenne du basketball de club.
A la domination des années 60 et 70, est venue s’ajouter la (courte) ère Sabonis, entre 1992 et 1996, pour laquelle je vous renvoie à l’article du Magnéto dédié. En l’espace de 4 saisons, les merengue participèrent à 3 Final Fours, dont une victoire en 1995.
Une fois de plus, je vous livre pêle-mêle quelques noms de la casa blanca, pour briller en société basketballistique : Arvydas Sabonis (92-95), Ricky Brown (91-93), Mark Simpson (91-93), José Biriukov (84-95), José Antunez (91-98), Joe Arlauckas (93-98, record de points en Coupe d’Europe avec 63 points en 1996 contre la Virtus Bologne), Rimas Kurtinaitis (93-95), Antonio Martin (84-95), Skeeter Henry (94-95, passé par Dijon, Montpellier, Cholet, Toulouse, Le Havre), Zoran Savic (95-96), Nikola Loncar (95-96), Mike Smith (95-97) et… Pablo Laso (95-97).
Concernant le parcours du Real Madrid au cours de la décennie 2010-20, nous l’évoquerons lors du portrait du coach Pablo Laso, tant son arrivée en 2011 est indissociable du succès et de la notoriété des Madrilènes.
Mais avant cela, je vous propose un bilan de la saison passée des hommes du capitaine Felipe Reyes.
Le bilan de la saison 2019-20
C’est avec un succès 87-78 contre l’ASVEL que devait s’arrêter la série de sept succès consécutifs du Real Madrid, ainsi que sa saison 2019-2020. Avec un bilan de 22 victoires pour 6 défaites (une seule à domicile, contre les premiers, l’Anadolu Efes Istanbul), les espagnols pointaient alors à la 2è place du classement.
Sur le plan des statistiques, les divers rankings illustraient une saison aboutie, et un statut élite dans de nombreux domaines :
- 4ème attaque et 4ème défense
- 4ème aux rebonds
- 1er aux passes décisives et 1ère équipe à autoriser le moins de passes décisives
- 5ème équipe en ce qui concerne les balles perdues (1er à l’assist-turnover ratio)
- 1er aux contres
- 4ème équipe provoquant le plus de fautes et 3ème équipe faisant le moins de fautes
- 3ème équipe tentant le plus de tirs à trois points et 2ème équipe à tolérer le moins de tirs à trois points
Propre donc. Chirurgicale dans son approche.
Ces chiffres sont d’autant plus éloquents que parmi les seize joueurs ayant foulé le parquet en Euroleague, aucun ne jouait plus de 24 minutes par match (5 joueurs entre 20 et 24 minutes, 5 joueurs entre 15 et 20 minutes, 3 joueurs entre 10 et 15 minutes et Reyes, Mejri et Nakic moins de 10 minutes).
Point complémentaire, seulement deux joueurs, Anthony Randolph et Trey Thompkins (deux ailiers forts, au profil stretch forward, shooteurs de fin de chaine), scoraient plus de 10 points par match, et ce à 49.1% et 48.5% à trois points, pour 5.6 et 3.3 tentatives par match.
Enfin, en jouant moins de 25 minutes par match, le pivot cap-verdien Walter Tavares (aux rebonds et aux contres) et le meneur argentin Facundo Campazzo (passes décisives) apparaissaient dans le top 3 des classements de ces catégories.
Quel(s) enseignement(s) tirer de cette litanie de chiffres ? Et bien tout simplement que le collectif du Real Madrid est si fort, si bien huilé, si bien structuré, que presque chaque joueur peut remplacer l’autre sans baisser le niveau de performance.
Pour reprendre les termes chers aux camarades podcasteurs de Dunkhebdo et de l’Echo des Parquets (que je recommande) : pas d’héliocentrisme ni de rendement décroissant. Et le constat est le même depuis l’arrivée du coach basque Pablo Laso.
Si les performances de 2019-20 auraient vraisemblablement permis aux castillans d’être encore des concurrents à la victoire finale, n’oublions pas que depuis environ dix ans, quelques soient les joueurs formés ou passés par l’Institution madrilène, quelque soit l’adversité, on retrouve Madrid (et Felipe Reyes) au Final Four (7 fois entre 2011 et 2019).
Nous avons compris quelle était la recette, présentons maintenant le Chef.
Le coach : Pablo Laso
Si vous croisiez ce quinquagénaire, ni petit, ni grand (1.78m), un peu rond, dégarni, les cheveux poivre et sel, souvent mal rasé, et portant quasi-constamment cette mine renfrognée, difficile de s’imaginer son parcours.
Né à Vitoria, dans une ville où le basketball est Roi, Laso effectuera les onze premières années de sa carrière dans sa ville natale, avec le club de Baskonia. C’est après avoir été élu MVP de la Coupe d’Espagne et 1995 qu’il décidera de s’engager au Real Madrid. Ce meneur gestionnaire, dans un style à l’ancienne, excellent défenseur, remportera une Coupe Saporta en 1997 avec Arlauckas et Savic.
Et finalement, après avoir hésité onze ans à quitter ses terres, il jouera dans six équipes entre 1995 et 2003, année de sa retraite de joueur.
Les sneakers (probablement des Reebok Pump, vu l’époque) raccrochés, Laso épousera sa destinée et le modèle familial (son père, José “Pepe” Laso, avait lui même été coach pendant 17 ans) en s’asseyant sur le banc de Castello, pour une saison, puis au Pamesa Valencia et se rapprochera de son Pays Basque en 2006-07 avec Cantabria Baloncesto.
La vraie rampe de lancement pour sa carrière fut son expérience avec l’équipe basque (San Sebastian) de Gipuzkoa, entre 2007 et 2011. Il permettra au club basque, en pratiquant un jeu résolument moderne, orienté vers la vitesse, le partage de balle et la prise de responsabilité de s’installer au milieu de tableau de la première division espagnole, et ce avec des effectifs somme toute très modestes (il contribuera néanmoins à lancer la carrière européenne du meneur légende du Maccabi Tel Aviv, Devin Smith).
A l’aube de la saison 2011-12, Pablo Laso rejoignait le Real Madrid. Le club de la capitale sortait d’une saison vierge de tout trophée, Ettore Messina, en poste depuis 2009, avait dû céder sa place en cours de saison à son adjoint Emanuele Molin. Il s’agira du début de ce que l’on peut décrire comme l’ère moderne victorieuse du Real Madrid.
En effet, en 9 saisons au club, voici un aperçu du bilan du coach basque :
- Champion d’Espagne en 2013, 2015, 2016, 2018, 2019
- Vainqueur de la Coupe d’Espagne en 2012, 2014, 2015, 2016, 2017, 2020
- Vainqueur de la Super Coupe d’Espagne en 2012, 2013, 2014, 2018, 2019, 2020
- Final Four de l’Euroleague en 2013, 2014, 2015, 2017, 2018, 2019 (vainqueur en 2015, 2018)
- Coupe Intercontinentale FIBA en 2015
La Finale d’Euroleague 2018, au terme d’une incroyable saison
9 saisons, 20 titres remportés. Continuité et succès, voilà comment on pourrait résumer la décennie Laso.
De grands noms sont passés par le club ces dernières années, mais rarement plus de quatre arrivées simultanées, tout en gardant le noyau dur du trio nous ayant tant fait cauchemarder : Rudy Fernandez (au club depuis 2012), Sergio Llull (au club depuis 2007) et le capitaine Felipe Reyes (au club depuis 2004), auxquels on peut ajouter Jaycee Carroll (au club depuis 2012).
Sans épiloguer davantage, je vous propose de saupoudrer cette section consacrée à Pablo Laso de quelques noms qui ont pu être dirigés par le technicien espagnol : Ante Tomic, Carlos Suarez, Nikola Mirotic, Sergio Rodiguez, Mirza Begic, Kyle Singler, Serge Ibaka, Dontaye Draper, Willy Hernangomez, Ioannis Bourousis, Tremmell Darden, Salah Mejri, KC Rivers, Andres Nocioni, Jonas Maciulis, Gustavo Ayon, Luka Doncic, Othello Hunter, etc.
Des patronymes aussi fameux dans le basket FIBA que pour certains outre-Atlantique.
L’effectif de la saison 2020-21
Les départs :
Jordan Mickey (Khmki Moscou), Salah Mejri (Beinjing), Klemen Prepelic (retour de prêt Badalone, départ à Valencia B.C)
Les arrivées :
Carlos Alocen (retour de prêt, Zaragoza), Alberto Abalde (Valencia B.C)
L’effectif de la saison :
Meneurs : Facundo Campazzo, Sergio Llull, Carlos Alocen
Arrières : Fabien Causeur, Nicolas Laprovittola, Jaycee Carroll
Ailiers : Jeff Taylor, Alberto Abalde, Rudy Fernandez
Ailiers-forts : Gabriel Deck, Anthony Randolph, Trey Thompkins
Pivots : Walter Tavares, Usman Garuba, Felipe Reyes (cap)
Vous l’aurez compris si vous avez réussi à tenir jusqu’ici, le maitre mot dans la casa blanca est la stabilité. Ici, pas de révolution pour un joueur, aussi talentueux soit-il. Les recrues sont ciblées, devant adhérer à une approche globale, une philosophie, et correspondre à un profil demandé par coach Laso.
Il est intéressant de voir de quelle manière se structure le roster madrilène.
De vraies “catégories” générationnelles apparaissent au fil du temps. La direction du club injecte progressivement des joueurs, qui les années passant, deviendront les cadres et auront pour rôle de transmettre le glorieux héritage de l’institution Real.
De fait, cohabitent encore aujourd’hui l’ancienne garde, dont nous parlions il y a quelques lignes (Llull, Fernandez, Carroll, Reyes), avec la génération créée il y a cinq ans environ (Campazzo, Causeur, Taylor, Randolph, Tavares), s’y ajoutant récemment les jeunes talents Deck, Garuba puis cette année Abalde et Alocen.
Ainsi, les cycles se succèdent sans franche rupture, si ce n’est quelques matchs échappés en début de saison, le temps que les automatismes soient acquis. Cependant, certains joueurs viennent faire ciment entre ces strates générationnelles, et sont parfois appelés à quitter le navire, attirés par les sirènes de la NBA. La free agency tout juste ouverte, pourrait provoquer le départ de notre joueur à suivre.
Le joueur à suivre : Gabriel Deck
25 ans, 2 mètres pour 106 kg, jouant indifféremment sur les postes 2, 3 ou 4 et en capacité de défendre, au moins par séquence les cinq positions. Voilà Gabriel Deck.
Précoce, il a débuté en équipe nationale à vingt ans, en 2015, en étant mentoré par des Andres Nocioni ou Luis Scola.Ayant débuté au club de Quimsa, en Argentine (à 15 ans et demi en Primera Division), il est d’abord champion et Most Improved Player en 2015. L’année 2016-17, rejoignant le club cador, San Lorenzo, il explose, étant élu dans le cinq de l’année, remportant le titre en étant élu MVP des Finales. Sa dernière saison, en 2017-18, il fait carton plein en s’adjugeant le titre national (meilleur jeune, MVP du championnat et des Finales), mais également la Ligue des Champions des Amériques, étant là aussi désigné MVP et meilleur marqueur.
A l’issue de cette saison pleine et en ayant absolument raflé tout ce qui était possible en Argentine avant ses 24 ans, il était recruté par le Real Madrid. Cette saison 2020-21 sera sa 3è saison de Liga Endesa et d’Euroleague.
Si son volume statistique n’est pas phénoménal, il s’explique de diverses manières.
Tout d’abord, l’identité de jeu du Real Madrid de Laso ne favorise pas les exploits individuels, auxquels il préfère l’implication collective. D’autre part, Deck a montré qu’il était en capacité de se fondre dans un collectif afin de fluidifier à la fois la mise en place offensive (excellent sens du placement et de l’anticipation, polyvalence, skillset au-dessus de la moyenne), et la cohérence défensive, grâce à une dimension physique considérable.
- En Liga ACB : 52 matchs pour 17.3 minutes, 6.9 points à 57.5% dont 39.6% à 3pts (50% la saison dernière, 60% cette saison), 3.2 rebonds, 1.3 passes.
- En Euroleague : 59 matchs pour 18 minutes, 4.7 points à 50.6% au tir, 2.7 rebonds.
Rien de transcendant si l’on s’en tient à l’analyse des boxscores, effectivement.
Mais ce en quoi le profil de Gabriel Deck est extrêmement intéressant, c’est qu’il a du à moins de 25 ans, se transformer de scoreur en spécialiste défensif, au sein d’une équipe qui joue le titre en championnat et en Europe chaque saison. Dans un basket où le profil de 3&D est une denrée recherchée, il excelle.
Son QI basket développé et son expérience du haut niveau lui permettront d’intégrer des lineups aussi bien de grande taille que plus petites. Il est en capacité de jouer le spot up ainsi que le jeu au poste.
S’il vient à céder à l’appel de la Grande Ligue et quitter Madrid cet hiver, il ne serait pas surprenant de le voir produire les mêmes statistiques, mais être très prisé dans de nombreuses équipes.
J’aime à penser qu’il pourrait être considéré comme l’équivalent sud-américain moderne d’un Boris Diaw. Non pas sur son profil technique, mais quant à l’investissement et l’implication qu’il fournit dès qu’il pose un pied sur le parquet, sans que cela puisse se voir dans les Fantasy Leagues.
Suffisant pour durer ? Pas certain, mais réjouissez-vous si nous revoyions cette crête et cet air pataud sur les parquets européens. Précoce donc, mais né pour durer.
A quoi s’attendre ?
A cette question, on pourrait être tentés de répondre “comme chaque année chef !”. Du fait de son statut de référence européenne, et de cette perrénité dans son effectif, nous pourrions avoir tendance à penser que le Real n’a pas réellement besoin d’ajuster quoi que ce soit, et par conséquent se doit de performer.
Chaque saison, moi le premier, le public s’étonne de voir Madrid bégayer lors du premier tiers de la saison, pour systématiquement terminer en trombe.
- La saison dernière : trois défaites lors des cinq premiers matchs, avant d’enchainer treize victoires.
- En 2018, 6 défaites lors des 11 premières journées et une victoire finale.
- En 2016, 5 défaites au cours de 7 premières journées.
Le décryptage de cette tendance est plutôt aisé : du fait du peu de mouvement au sein du club, Laso prend le parti de tenter en début de saison des modifications franches, et une responsabilisation des nouveaux, quitte à parfois modifier la nature même de leur jeu, et du collectif.
Généralement, cette tendance s’atténue par la suite jusqu’à se dissoudre totalement dans le jeu et l’identité du club sous Laso.
A parier donc cette saison :
- Implication plus importante des prospects Usman Garuba (dont le profil n’entre dans aucune catégorie jusqu’alors présente dans l’effectif, ni vrai protecteur d’arceau, ni en capacité d’écarter le jeu, dans un moule type Montrezl Harrell), Carlos Alocen, lui en revanche meneur typique espagnol et Alberto Abalde (ailier all around moderne sur le modèle des Deck, Nocioni ou encore il y a quelques années Garbajosa, San Emeterio ou Mumbru).
- Essais défensifs avec périodes de quelques matchs en utilisation systématique du drop et d’autres du edge (à outrance).
- Du déchêt à prévoir jusqu’en janvier, réussite au tir, pertes de balle, passages à vide défensifs
- A partir de janvier, montée en puissance progressive avec avantage du terrain pour les playoffs.
Je rappelle que ces pronostics ont une valeur substantiellement subjective et que mes compétences d’oracle sont fortement discutables…
Dernier élément à prendre en compte, la perte potentielle du binome argentin Campazzo/Deck, en partance pour la NBA, qui le cas échéant devrait entrainer l’arrivée de deux joueurs issus de la NBA (les dernières rumeurs évoquaient Vincent Poirier, JJ Barea ou Brad Wanamaker). Réponse dans quelques semaines.
Le pronostic de l’EuroCrew QiBasket : 4ème
A l’image de la continuité historique, dans son effectif, dans les résultats, dans la philosophie de jeu, il ne serait pas surprenant de voir le Real Madrid être encore là lorsque la compétition arrivera à son terme.
Si le CSKA, le Barça et l’Anadolu semblent un tantinet au-dessus du lot, les merengue pourraient tirer leur épingle du jeu grâce à leur expérience, et leur sens inné pour les recettes durables.