Au Maccabi, le succès en héritage
Ne nous méprenons pas, quand bien même les changements de noms récurrents de l’équipe israélienne, du fait de l’arrivée de nouveaux sponsors, pourraient discréditer l’image générale du club : le Maccabi Tel-Aviv est une institution.
En Israël tout d’abord : depuis sa création, en 1932, ce sont105 titres que les Jaunes ont amassé dans leur conséquente armoire à trophées. Triple tenant du titre, le Maccabi aura réussi à traverser les décennies sans jamais fléchir plus que de raison. Si l’on ajoute à cela 6 Euroleagues, dont 4 dans “l’ère moderne” (2001, 2004, 2005 et 2014), il apparait évident que le club de Tel Aviv constitue une des places fortes du basket européen.
Continuité donc.
Entre 2000 et 2006, le binôme de tacticien Pini Gershon (head coach) – David Blatt (assistant), conduira l’équipe à 7 Final Fours en 7 ans, une performance colossable, qui plus est lorsqu’au passage, l’équipe décroche 3 titres (avec la génération des Anthony Parker, Sarunas Jasikevicius ou encore Nikola Vujcic notamment).
Lors de la saison 2013-14, le Maccabi Electra Tel Aviv, au terme d’une saison assez réussie et d’un upset notable avec l’élimination de Milan en quarts, retrouvait le Final Four et le CSKA Moscou. En son sein, une pléiade de grands noms du basket européen : Tyrese Rice, Devin Smith, Ricky Hickman, Joe Ingles, Guy Pnini, Yogev Ohayon, David Blu, Alex Tyus, Sofloklis Schortsanitis, etc, …
Ce Final Four, organisé à Milan, reste à mes yeux – et aux yeux de beaucoup de fans d’Euroleague et de basket en général – l’un des plus mémorables de ces 10 dernières années.
Alors qu’un blowout avait lieu lors de la confrontation entre les cadors espagnols (victoire du Real Madrid d’un Sergio Rodriguez de feu contre Barcelone… 100-62), le duel entre le CSKA Moscou et le Maccabi tenu toutes ses promesses. Menés 55-40 en fin de troisième quart-temps, les Jaunes réussissaient l’exploit de se hisser en finale, 68-67. Finale dont le suspense fut à la hauteur de la performance du feu follet Tyrese Rice en fin de match.
Cette force, cette capacité à se relever, à renaître de ses cendres, est l’une caractéristique de ce club du Maccabi, et l’a accompagné tout au long de son histoire.
Quels enseignements tirer de la saison passée, pourrions-nous entrevoir les prémices de le renaissance d’un équipe de champions ? Voyons tout cela.
Le bilan de la saison 2019-20
Parfois, l’impression visuelle laissée par les performances, le style (supposé) et les représentations que l’on peut avoir d’une équipe est démenti par la froideur pragmatique de l’analyse statistique, chiffrée, mathématique.
Il est absolument indéniable que la saison du Maccabi Tel Aviv fut un succès, avec une 5è place (4è ex-aequo en réalité) grâce à un bilan de 19 victoires pour 9 défaites.
En revanche, alors que l’on serait tenté de présenter cette équipe comme une copie réussie des modèles de jeu outre-Atlantique, avec un spacing maximal en attaque, l’utilisation d’un pivot protecteur d’arceau, l’augmentation de la fréquence des situations de jeu en isolation et la bascule vers le tir longue distance, et bien les chiffres tendraient à démentir ces a priori, et à nous renvoyer à nos études. Jugez plutôt :
- 8è attaque
- 5è au nombre de 3 points tentés et 11è au pourcentage à 3 points
- 8è à la PACE (le rythme de jeu)
- 10è aux passes décisives et 9è aux pertes de balle
- 16è aux fautes provoquées
Au contraire, et cela s’est confirmé lors de mes recherches et visionnages de matchs de 2019-20… Le Maccabi était une équipe défensive dite “élite” !
- 5è défense
- 2è aux rebonds et 1ère aux interceptions
- 4è pour le plus faible nombre de tirs à 3 points autorisés aux adversaires
- 4è aux nombres de pertes de balle provoquées
Comment expliquer une telle méprise ? Tout simplement la présence en masse de joueurs US, sur lesquels nous projetons nos griefs de supposés “amateurs du beau jeu”. Mais en se penchant avec davantage de neutralité sur le détail de l’effectif, la présence de joueurs “de rôle” prend son sens (Acy, Black, Casspi, Wolters, Bryant, Dorsey, Hunter, etc.), autour des artistes Wilbekin, Avdija et Zoosman.
Le cuisinier en charge de cet équilibre de goût et de la bonne association des différents ingrédients, avec un succès manifeste, n’est autre que le chef grec Sfairopoulos, que j’avais élu Entraineur de l’Année dans ma review de l’Euroleague, en mai dernier.
Le coach : Ioannis Sfairopoulos
A 53 ans, le grec de Thessalonique entame sa 33ème année au coaching, rien que ça.
A l’image de la construction de ses effectifs, et de son regard au bord du terrain, les choix ayant motivé son parcours sont précis, méthodiques, affutés. Après avoir fait ses classes en première division grecque au PAOK, club de sa ville natale, il sera pendant sept saisons assistant, auprès de Panagiotis Giannakis (en sélection grecque et à l’Olympiacos) mais également de… Pini Gershon, légende du coaching du Maccabi Tel Aviv.
Une fois de plus, l’héritage.
Au début des années 2010, Sfairopoulos diversifiera encore ses expériences et passera de la sélection hellène au CSKA Moscou, puis aux Houston Rockets.
Arrivé en 2014 au Pirée, en remplacement de Bartzokas, Sfairopoulos parviendra à remporter deux championnats de Grèce, en 2015 et 2016, au nez et à la barbe du Panathinaïkos (il fut d’ailleurs Coach de l’année en 2015). L’arrivée d’un autre brillant tacticien en 2016 au Panathinaïkos, l’espagnol Xavi Pascual, aura pour conséquence le fait que Sfairopoulos se casse les dents par deux fois en finale du championnat national, et quitte le pays, pour rejoindre les rangs de l’Institution Jaune et Bleue du Maccabi.
Depuis? Deux titres de champion, deux fois entraineur de l’année, un jeu plaisant, léché, une défense de fer, et un effectif sur mesure. Bref, un boss.
L’effectif de la saison 2020-21
Les départs :
Nate Wolters (UNICS Kazan), Jake Cohen (Obradorio), Jalen Reynolds (Bayern Munich), Tarik Black, Quincy Acy, Deni Avdija (Draft NBA), Aaron Jackson, Amar’e Stoudemire.
Les arrivées :
Chris Jones (Bursaspor), Oz Blayzer (Maccabi Rishon LeZion), Eidan Alber (Ironi Nes Ziona), Ante Zizic (Cleveland Cavaliers), Dragan Bender (Golden State Warriors), Max Heidegger (Santa Barbara, NCAA).
L’effectif pour la saison à venir :
Meneurs : Wilbekin, Jones, Di Bartolomeo (cap), Sahar
Arrières : Bryant, Cohen, Heidegger, Alber
Ailiers : Zoosman, Dorsey, Blayzer
Ailiers-forts : Casspi, Bender, Caloiaro
Pivots : Zizic, Hunter, Atias
Au vu des noms inscrits sur la liste des partants (Wolters, Black, Acy, Jackson, Stoudemire, Avdija), on pourrait penser que cet exode massif de joueurs portant l’étiquette – plus ou moins usée – NBA, serait synonyme de régression. Mais à bien y réfléchir, ce n’est pas forcément évident.
La saison dernière, quatre joueurs seulement dans l’effectif affichaient 20 minutes ou plus de temps de jeu (Wilbekin, Hunter, Casspi, Caloiaro). En revanche, sur les 17 joueurs passés par l’équipe, 11 d’entre eux avaient un temps de jeu situé entre 10 et 20 minutes.
Quelles hypothèses en découlent ?
- Première chose : coach Sfairopoulos apprécie le fait d’impliquer largement son effectif, afin de parer à d’éventuelles blessures.
- Ensuite : afin de modeler un effectif qui lui correspond, entre préférences et exigences du très haut-niveau, il lui était nécessaire de faire du tri.
C’est précisément sur ce point que la balance entrées/sorties nous renseigne.
Sur le backcourt, la création sera confiée en grande partie au naturalisé turc, Scottie Wilbekin. Auteur de sa meilleure saison en carrière (15 points, 3.9 passes, 43% longue distance, taux d’usage déjà de 26% environ), il sera secondé par le transfuge de Bursaspor Chris Jones (croyez-moi, j’ai fait mes recherches, les homonymes ne manquent pas). Spécialiste défensif depuis son cursus en NCAA II, l’athlétique guard se verra confiées les clés de la second unit, en partenariat avec l’ex-NBAer Tyler Dorsey.
Approche résolument moderne, Sfairopoulos a décidé d’entourer ses playmakers d’artilleurs longue distance (le capitaine DiBartolomeo, Heidegger, Blayzer) afin de créer des espaces pour les courses de ses dragsters.
Approche non moins moderne, l’utilisation d’un deuxième initiateur, en capacité de créer son tir mais aussi passer, et aller attaquer le cercle sur les postes de forward. Dans cette optique, le trio Casspi, Zoosman, Bryant aura un rôle certain.
Quelques jeunes ont été ajoutés au roster pour la profondeur et l’imprégnation à la “culture Maccabi”, pour assurer encore et toujours cette continuité.
Enfin, dans la peinture, pour accompagner le toujours jeune Otello Hunter (qui sort de sa meilleure saison en carrière avec 10.8 points et 6.6 rebonds), deux visages bien connus de l’Europe, et rapidement entrevus dans la ligue nord-américaine font leur retour sur les planchers du Vieux Continent.
Pour le premier, ce n’est autre que le croate Dragan Bender. Un pari peu risqué. Sélectionné en 4è positon de la Draft 2016 par les Phoenix Suns, le natif de Capljina n’aura jamais réussi à s’imposer au pays de l’Oncle Sam. Ressources mentales, implication ? Nul ne le sait. Le talent est certain, mais l’avenir beaucoup moins. Après une pige pas inintéressante au sein d’une équipe décimée des Warriors en 2019-20, il devra convaincre en Euroleague, afin de se relancer, s’installer… ou rentrer dans les rangs.
Le second ? En provenance directe des Cleveland Cavaliers, le jeune Ante Zizic, parait quant à lui plus armé pour être une des attractions de la saison à venir.
Le joueur à suivre : Ante Zizic
Le “petit” frère d’Andrija Zizic (lui-même vainqueur de l’Euroleague en 2014 avec le Maccabi – continuité je vous dis !) a posé ses bagages à Tel Aviv le 25 août dernier. Dès l’annonce, en début d’été, de la prolongation d’Andre Drummond aux Cavaliers, les rumeurs sont allées bon train concernant la destination probable du pivot croate.
Drafté par les Celtics en 2016, et resté en Europe le temps d’une saison d’Euroleague avec Darusafaka, il rejoint les Celtics en 2017, mais fait immédiatement partie du trade pour Kyrie Irving, et s’en va direction Cleveland.
Hélas pour lui, alors que le collectif des Celtics aurait pu être adapté à son profil et à sa progression, le fait d’arriver dans une équipe des Cavaliers enchainant les Finales, avec la concurrence de vétérans à son poste, apparait rapidement rédhibitoire. Pire, alors que la phase de recontruction “post-Lebron” aurait pu lui permettre de grapiller des minutes, progresser et se faire remarquer, le front-office de l’Ohio a décidé de recruter dans la raquette.
Avec Andre Drummond, Kevin Love, Tristan Thompson et Larry Nance Jr sur les postes intérieurs, avec des contrats plus conséquents que le sien, il semblait nécessaire pour le jeune homme (23 ans) originaire de Split d’essayer autre chose.
En l’espace de 3 saisons NBA, Zizic aura cumulé 113 matchs (pour 27 titularisations), 13,4 minutes par match pour 6 points à 58%, 3.9 rebonds. Si l’on projette ces stats aux standards de temps de jeu pour des intérieurs en Europe (autour de 25 minutes), et que l’on prend en compte le profil du joueur, on perçoit évidemment l’intérêt de ce recrutement pour le Maccabi.
Compte-tenu de l’importance défensive d’Othello Hunter dans l’équilibre collectif du Maccabi, il faut s’attendre à voir Ante Zizic débuter sur le banc. Cependant, le profil du pivot, son talent offensif, sa jeunesse sont autant d’arguments pouvant laisser imaginer des perspectives enthousiasmantes.
Dans un club où ses illustres ainés s’appellent Nikola Vujcic (aujourd’hui General Manager) ou Sofoklis Schortsanitis, l’avenir lui appartient !
A quoi s’attendre cette saison ?
Un coach talentueux et expérimenté, une colonne vertébrale préservée, des ajouts chirurgicaux en adéquation avec une philosophie de jeu bien définie, et l’ensemble de l’effectif sous contrat pour deux à trois ans… Sans même évoquer les résultats potentiels, il s’agit d’un ensemble de signes laissant penser que le projet est bien ficelé et que les différents protagonistes empruntent le même chemin.
Bien qu’en comparaison des autres grosses cylindrées, la densité en talent intrinsèque puisse paraitre moindre (pas franchement non plus), l’homogénéité du Maccabi semble être un gage de réussite.
Côté points forts, l’équipe israélienne devrait être en capacité de faire déjouer ses adversaires, notamment défensivement. Toujours agressifs dans le périmètre, ils ne laisseront pas les artilleurs adverses prendre leurs aises. Dans la peinture, la présence de solides intérieurs, associée à l’intelligence tactique des autres (Casspi, Zoosman, Caloiaro) affiche une complémentarité certaine.
Offensivement, il est à parier que la grande majorité des systèmes s’articulera autour d’un pick and roll central, avec Wilbekin ou Jones en première intention pour un roll, un drive ou la recherche des shooters en spot up, ou le handoff immédiat (main à main) vers les seconds initiateurs. Basique, simple, mais très efficace.
C’est le point fort du Maccabi de Sfairopoulos : réciter sa partition.
S’il y parviennent, les joueurs de Tel Aviv se mêleront sans doute à la lutte pour l’avantage du terrain en playoffs.
La saison dernière, avec une efficacité somme toute excellente, les hommes du coach grec avaient réussi à accrocher quelques gros noms et 5 de leurs 9 défaites subies l’ont été par un écart de 6 points ou moins.
Contrairement à de nombreuses autres équipes lors de ses previews, la différence entre le niveau “plancher” et le niveau “plafond” pour le Maccabi n’est pas large, il est donc plutôt prévisible d’estimer leur place entre 4è et 7è, car en dépit de la progression globale de ses concurrents, l’architecture de l’équipe semble édifiée pour durer. L’héritage on vous dit !
Le pronostic de l’EuroCrew QiBasket : 6ème
A n’en pas (peu) douter, le Maccabi sera en Playoffs en fin de saison. Si le niveau général de l’Euroleague a augmenté, celui des équipes du second tiers (Maccabi, Fenerbahçe, Milan) est resté sensiblement le même. Il est à parier que ces trois équipes se disputeront les places 5 à 7, mais attention aux blessures et aux trous d’air, la compétitivité de cette ligue peut rapidement vous faire basculer de l’avantage du terrain à la neuvième place.