Le Pana, à la croisée des chemins
Les rentrées scolaires sont généralement l’occasion de retrouver des visages connus, des amis, mais aussi de nouvelles têtes, de prendre de bonnes résolutions, d’adopter de nouvelles dispositions. En ces temps de rentrée pour la plus prestigieuse compétition européenne, l’Euroleague, le Panathinaïkos a pris le parti de tourner intégralement la page de ses glorieuses années 2000-2010.
Pour les nouveaux du fond, je récapitule. Le Pana’ et sa légendaire arène de l’OAKA (19.250 places), c’est depuis 1996 :
- 6 Euroleagues (dont 5 sous Zeljko Obradovic) les dernières en 2009 et 2011,
- 8 Final Fours, le dernier en 2012,
- 19 Championnats nationaux, notamment en 2017, 2018, 2019, 2020,
- 14 Coupes de Grèce
Une institution.
Alors lorsque les propriétaires, la famille Giannakopoulos (propriétaires de la multinationale pharmaceutique VIANEX), ont annoncé au milieu de l’été vouloir d’abord vendre le club, puis céder sa licence A (garantissant une place “à vie” en Euroleague) pour jouer la Basketball Champions League, avant de laisser partir ses talents vers d’autres contrées, ces changements brutaux firent l’effet d’une bombe. Ni plus, ni moins.
Certes, l’impact économique de la crise sanitaire est indéniable, et massif. Néanmoins, dans l’imaginaire collectif du passionné de basket européen, je suppose que le statut de leurs dirigeants permettait d’imaginer une certaine pérennité, notamment lorsqu’est concerné un des clubs les plus emblématiques du paysage. Que nenni…
Le bilan de la saison 2019-20 : une journée de plus au bureau
Au moment de la suspension, qui se transforma ensuite en annulation, de la saison passée, le Pana’ était à l’équilibre parfait (14 victoires – 14 défaites) en Euroleague.
Quelques stats :
- 2è attaque
- 3è aux rebonds et 3è aux contres
- 2è pour le moins de pertes de balle
- 2è à l’assist/turnover ratio (155.76%)
- 16èe à la PACE (rythme de jeu)
- 17è au defensive rating
Dans leur championnat domestique, le Panathinaïkos s’adjugeait pour la quatrième fois consécutive le titre national, bien aidé par l’absence de son historique rival du Pirée, l’Olympiacos (ce dont nous parlerons dans leur preview, pas de panique).
Les Verts étaient donc en passe de réaliser un exercice dans les standards des saisons précédentes, à savoir les playoffs en Europe et des trophées en Grèce, un mirage tout de même, lorsque l’on considère la dynamique négative du basketball grec ces cinq à dix dernières années, notamment dû à une très forte dégradation de la situation financière des clubs.
Cette continuité était assurée par la présence de tauliers, tels que leur capitaine et emblématique meneur Gréco-US Nick Calathes, Deshaun Thomas, Tyrese Rice, Nikos Pappas et les NBAers Jimmer Fredette et Wesley Johnson, ce petit monde, cornaqué par le sémillant Rick Pitino et sa propension au psychodrame (fuis moi, je te suis…).
Mais finalement, cette saison, patatras (interjection qui malgré sa consonnance hellénique, pioche ses racines dans l’italien – moment Bescherelle-).
Le coach : Georgios VovorasIoannis Papa
Le 17 juin dernier, dans un climat d’incertitude manifeste, le Président du Panathinaïkos, Panagiotis Triantopoulos, nommait en lieu et place de Pitino, son adjoint, Georgios Vovoras, 43 ans, qui prenait ainsi pour la première fois la tête d’une équipe majeure de la scène européenne.
Malgré des débuts au coaching en 2000, l’Athénien n’avait eu l’occasion d’être à la chefferie d’une équipe que lors des saisons 2008-09 à l’OFI Crete, et en 2015-16 à l’APOEL Nicosie (Chypre). Certains estimeront qu’il s’agit d’un signe prégnant d’une réduction de voilure (d’ambitions ?), ce qui n’est pas nié en interne.
Cependant, l’autre son de cloche est qu’il s’agirait d’une volonté de tourner la page Pitino et de se diriger vers un jeu plus conforme aux standards modernes. En effet, lors des intérims assurés par Vovoras, nous avons pu constater une augmentation de la fluidité offensive et du rythme, dans un basket finalement très “2020 compatible”.
L’effectif : run & run & gun & gun
Les départs :
Ioannis Athinaiou (Peristeri), Jacob Wiley (Gran Canaria), Tyrese Rice (AEK), Deshaun Thomas (Toyota Alvark), Nick Calathes (Barcelona), Jimmer Fredette (Shangaï Sharks), Nikos Pappas (Hapoel Jerusalem), Wes Johnson, Andy Rautins.
Les arrivées :
Howard Sant-Roos (CSKA Moscou), Nemanja Nedovic (Milan), Pierre Jackson (South Bay Lakers), Marcus Foster (Hapoel Holon), Aaron White (Tenerife), Zach Auguste (Galatasaray), Lefteris Bochoridis (Aris), Leonidas Kaselakis (Promitheas), Nikos Diplaros (Batumi), Georgios Kalaitzakis (retour de prêt), Keifer Sykes (Ankara Turk Telekom),…
L’effectif de la saison à venir :
Meneurs: Sykes ( en remplacement de Jackson), Bochoridis, Diplaros
Arrières : Nedovic, Foster, Kalaitzakis
Ailiers : Sant-Roos, Kaselakis, Persidis
Ailiers-forts : Papapetrou (cap), White, Mitoglu
Pivots : Papagiannis, Auguste, Vougioukas, Bentil
Tant de choses à dire, autant de questions. Pour faire simple : en l’espace d’un été, le Panathinaïkos a décidé de laisser partir ses 3 meilleurs scoreurs, ses 3 meilleurs passeurs, ses 3 meilleures évaluations de la saison 2019-20.
Le départ de Calathes, à lui seul, devait signifier un changement de paradigme, dans la mesure où le meneur de la sélection grecque restait un des rares playmakers ancienne école des différents effectifs européens (l’Euroleague ayant vu récemment une bascule à ce poste vers des profils type Shane Larkin, Mike James, etc.). L’ancien joueur du Lokomotiv Kuban et des Grizzlies cumulait 8 saisons sous les couleurs du Pana, pour 211 matchs, une victoire en Euroleague en 2011 puis en Eurocup en 2013 (dont il sera MVP). Il restait sur deux nominations dans la 1ere equipe d’Euroleague.
Une page s’est tournée.
Il n’est pas impensable que le staff, anticipant le départ de son stratège, ait décidé de changer d’approche et ait fait table rase du roster en place, en ne renouvelant pas les autres cadres. Le bilan ? Des joueurs à plus de 20 minutes l’an passé, ne reste que le nouveau capitaine, Ioannis Papapetrou.
Côté arrivées, on peut aisément apprécier à la fois la réduction salariale réalisée, avec aucun joueur majeur estampillé Euroleague, mais aussi le ciblage effectué sur les profils. A bon escient ? A voir…
Les signatures de Bochoridis, Kalaitzakis, Kaselakis et le retour de Vougioukas (seul vestige du dernier titre Européen en 2011) soulignent le souhait de permettre au public de s’identifier à son équipe, et de continuer à bénéficier du soutien de poids que représente la fanbase des Verts et Blancs.
Les arrivées de White et le retour de Zach Auguste après deux saisons brillantes en Eurocup avec Galatasaray (13.2pts, 7rbds), joueurs athlétiques, aériens, résolument offensifs, permettront de conserver cette culture du “lob”… Mais seulement si les playmakers acceptent de lâcher la balle.
Car oui… Nedovic, Foster, Jackson et donc Sykes sont arrivés à ces postes-clés. Quatre joueurs ayant débuté en tant que meneurs de jeu, tous ou presque décalés sur un rôle de deuxième arrière tant le fait de partager la possession leur semblait délicat – restons polis.
Le serbe Nedovic, joueur solide au contact, bon slasher, a pu démontrer partout où il est passé une certaine constance au scoring, à la hauteur de son individualisme et son diletantisme défensif.
Foster, deuxième scoreur du championnat israelien la saison dernière (près de 20 points par match) est un tireur d’élite longue distance. Jeune, il est apparu lors des matchs de préparation, en capacité de créer son tir ET d’évoluer en spot-up shooter.
Jackson, après des passages réussis en Euroleague, puis en Chine, évoluait la saison dernière en G-League, dans l’attente qu’un spot se libère dans un effectif NBA… Mais hop, COVID. Il était annoncé comme le meneur titulaire de l’équipe grecque, et une des attractions offensives de la compétition. Ce joueur, extrêmement rapide et tout à fait capable de s’investir défensivement (quid de la volonté ?), ne devrait finalement pas débuter la saison avec le Panathinaïkos (la faute à une blessure récurrente ? Les raisons ne sont pas encore connues), et l’hypothèse la plus vraisemblable de remplacement serait l’américain de poche Keifer Sykes.
Victime de la JDA Dijon en quart de finale du Final 8 de Basketball Champions League, organisé à… l’OAKA, l’éphémère joueur de l’Olimpia Milano à l’hiver 2020 n’aura pas à voyager loin pour poser ses jambes de feu dans sa nouvelle destination. Rapide, athlétique, passeur correct, son profil est assez similaire en définitive à Pierre Jackson.
Enfin, mais je l’évoquerai dans quelques lignes, gros coup sur le marché, l’arrivée du cubain transfuge de l’AEK, via un passage de 10 matchs au CSKA, le swingman cubain Howard Sant-Roos.
Les joueurs à suivre : Ioannis Papapetrou et Howard Sant-Roos (ou comment donner son corps à la science ?)
Mais si une orgie offensive est à prévoir, son effet secondaire premier devrait être le déchet occasionné. Comment ne pas subir défensivement ? La parti-pris du front-office grec a été de s’assurer la présence de deux défenseurs d’élite.
D’un côté, Papapetrou, révélation de la saison dernière (et joueur adoré de votre serviteur, ce que vous n’aurez pas manqué de remarquer si vous avez eu l’occasion de m’entendre lors des podcasts Ficelle), le Grec s’est métamorphosé de profil 3&D efficace, en joueur all-around, versatile, quatrième scoreur de la deuxième attaque d’Euroleague.
Il a montré une faculté à défendre des profils du 1 au 4, avec succès, et a développé une capacité à attaquer le cercle plutôt correcte, qui s’ajoute à un QI basket élevé permettant l’exploitation efficace des pertes de balle sur jeu de transition. L’ancien de l’Olympiacos et de l’université de Texas devrait évoluer sur le poste 4 cette saison.
Son nouvel acolyte, Sant-Roos, a un parcours moins standard que son capitaine.
Passé par Cuba, son pays natal, puis l’Allemagne, l’Italie, la République Tchèque (deux fois champion et meilleur intercepteur avec Nymburk), la Turquie (meilleur intercepteur de l’Eurocup 2018 avec Darusafaka), un premier séjour en Grèce, à l’AEK et un passage au CSKA donc, le joueur de 29 ans arrive au Panathinaïkos.
Ce spécialiste défensif, à l’excellent sens de l’anticipation, au shoot extérieur fiable, polyvalent, sera appelé à jouer sur les postes 1, 2 et 3, fonction des line-ups concoctées par Georgios Vovoras.
Dans un registre similaire à celui d’Andre Iguodala lors de ses premières années aux Warriors, il sera parfois appelé à être premier initiateur afin de libérer ensuite le champ aux seconds ball handlers (Vovoras a d’ailleurs précisé qu’il pourrait être meneur starter, propos à pondérer).
A coup sûr, le maintien d’un niveau de performance collective acceptable ou, la défaillance globale du projet dépendront du niveau de performance de ces deux joueurs (temps de jeu conséquent à prévoir).
A quoi s’attendre ? Vision manichéenne de la saison
Calathes, Pappas, Rice, Thomas partis… 614 matchs d’Euroleague à eux quatre. 10 nouveaux joueurs. Aucun contrat ne courant sur plus de 2 ans (1+1 au mieux). L’aspect périssable du projet du Panathinaïkos est flagrant. Il est à l’image de la dégradation, pour ne pas dire la déchéance, du basket grec ces dernières années.
Afin de fournir au public, exigeant, un semblant de performance offensive, des talents bruts individuels, certes revanchards, sont arrivés, en portant avec eux l’espoir d’une aléatoire alchimie.
Dès lors, deux scenarri envisageables.
Soyons optimistes : les nombreux scoreurs de l’effectifs parviennent à se partager la balle et passent le relais les soirs où la réussite n’est pas là. La densité en talent permet de ne pas perdre en productivité lors des rotations, et la présence du secteur intérieur approvisionne le backcourt suffisamment pour accrocher quelques victoires de prestige et lutter pour les dernières places en playoffs. L’abattage défensif et la bonne santé de Sant-Roos et Papapetrou, associés à la puissance de Papagiannis et Auguste apportent une dimension physique pénible pour les adversaires.
Les joueurs, motivés par le fait de se montrer en vue de leur fin de contrat haussent leur niveau de jeu et accrochent finalement la qualification.
Si l’on envisage la situation de manière plus pessimiste ?
Nedovic, Sykes, Foster, se disputent la vedette dans l’optique de rejoindre un des cadors la saison suivante, de manière caricaturale. Les cadres défensifs s’épuisent, se lassent et s’ils parviennent à éviter les blessures, n’ont pas le rendement nécessaire offensivement pour rendre cohérent le collectif. Les intérieurs se marchent dessus et la diversité des profils ne permet pas de continuité. Le Panathinaïkos termine dans le bas du “ventre mou”.
Le curseur se situe probablement entre ces deux hypothèses.
Néanmoins, dans une ligue où la prime est à l’expérience, la défense, l’identité du coach et la continuité, le Panathinaïkos pourra-t-il exister à la hauteur de sa réputation ? Vous avez 72h.
Le pronostic de l’EuroCrew QiBasket : 10è
Il est à parier que le Pana’ se situera dans ce ventre mou, pas si loin de la lutte pour les (la) dernière place qualificative pour les phases finales, mais tout aussi proche de la 14ème place.