Depuis 1946 et la création de la National Basketball Association, quelque cinq mille joueurs ont foulé les parquets de la Grande Ligue. Certains d’entre eux ont laissé une empreinte indélébile qui ne sera jamais oubliée. D’autres sont restés bien plus anonymes. Entre les deux ? Des centaines de joueurs, qui ont tour à tour affiché un niveau de jeu exceptionnel, mais dont on oublie bien souvent la carrière.
Dès lors, @BenjaminForant et @Schoepfer68 ont décidé de dresser – littéralement – le portrait de certains de ces acteurs méconnus ou sous-estimés. Au total, ce sont 60 articles qui vous seront proposés : un par année, entre les saisons 1950 – 1951 et 2009 – 2010. Pour chaque saison, un joueur a été sélectionné comme étendard, parfois en raison d’une saison particulièrement réussie, d’une rencontre extraordinaire ou encore d’une action historique …
Chaque portrait s’inscrira dans une volonté, celle de traverser l’Histoire de la NBA de manière cohérente. Ainsi, ces portraits (hebdomadaires) seront publiés dans un ordre précis : un meneur, un arrière, un ailier, un ailier-fort, un pivot. Au bout de cinq semaines, c’est donc un cinq majeur qui sera constitué. Les plus matheux d’entre vous l’aurons compris : au final, ce seront douze équipes, toutes composées de joueurs ayant évolué au cours de décennies distinctes, qui auront été composées.
A vous de déterminer lequel de ces cinq majeurs sera le plus fort, le plus complémentaire, le plus dynastique.
Vous trouverez en fin d’article les liens vous permettant de (re)consulter les articles précédents.
La jaquette
Pour chaque article, @t7gfx vous proposera ses créations. Vous y retrouverez une illustration du joueur présenté (en tête d’article) ainsi qu’une présentation de chaque cinq majeur projeté (chacun avec une identité visuelle propre).
Le synopsis
Plus de deux mois plus tard, nous revoilà dans les nineties. Clin d’œil du destin, la dernière fois que nous avons abordé la décennie chère à Michael Jordan, c’était pour parler de Shawn Kemp. Il s’avère que la carrière de l’ancien numéro 34 des Sonics est intimement liée à celle de celui qui fait l’objet de notre portrait du jour. Vincent Lamont Baker, que toute la NBA connaît sous le diminutif de Vin, est un ancien pivot passé dans la plus grande Ligue du monde entre 1993 et 2006.
Doté d’un physique absolument idéal pour son poste 5 (2m11 et 105 kilos, au poids de forme), l’expérience de Vinnie en NBA peut se scinder en deux périodes bien distinctes. Comme celle de Kemp. Ses cinq premières saisons virent un intérieur musculeux, bagarreur sous les cercles et possédant de très bons moves au poste. Ses huit dernières furent le témoin macabre de son fantôme boulimique et addict à l’alcool. Qui a dit “comme Kemp” ?
Depuis 1950, la NBA vit passer en son sein plus souvent qu’à son tour des joueurs torturés. Nous n’avons eu que trop souvent l’occasion de le dire, le basket a sauvé la vie de dizaines de joueurs. Isiah Thomas et Chet Walker, pour ne citer qu’eux, font parties de ceux qui surent se sortir de la mouise en dribblant avec la balle orange. D’autres ont continué à être de véritables écorchés vifs au cours de leur carrière. C’est l’exemple typique d’Allen Iverson. Certains, enfin, ont brusquement sombré dans les abysses, alors que rien ne le laissait présager, comme Vin Baker. Toutefois, avant cela, le pivot fît les beaux jours des Bucks et des Sonics.
Action !
L’expérience universitaire de Vinnie, au sein de la faculté d’Hartford (Connecticut), est celle d’une évolution exponentielle. Loin d’un Anfernee Hardaway, un futur collègue de draft, qui a immédiatement dominé du côté de Memphis State, Baker n’affichait que 5 points et 3 rebonds lors de son exercice rookie. Trois années plus tard, il fût nommé “joueur le plus dominant de la America East Conference” depuis Reggie Lewis. Vous l’imaginez, c’est qu’entre temps, le jeune homme a passé la surmultipliée.
Les quatre années de l’enfant de Lake Wales (Floride) dans le Connecticut sont celles d’un soliste. L’université d’Hartford n’a jamais été au premier plan basketballistique. Sans être mauvaise langue, entre 1989 et 1993, c’est le moins que l’on puisse dire. Pourtant, au poste de pivot, Vin Baker n’a pas grand chose à envier aux autres big men du pays, et cela dès son année sophomore. En 29 rencontres et 31 minutes de présence par soir sur les parquets, il quadruple sa moyenne de points et double cette au rebond (19,7 points, 10,4 rebonds), devenant à l’occasion membre de la première équipe de sa conférence. Pourtant, son adresse en cours de jeu a drastiquement chuté (- 12 points), passant de 61,7 % de réussite à un plus moyen 49,1 %. A l’inverse, de manière surprenante, son adresse sur la ligne des lancers fît un bon spectaculaire, passant de 39 % de tentatives converties à 67,8 %.
Au cours de son année junior, son talent explosa véritablement. Second scoreur et cinquième contreur du pays, il aurait tout à fait pu prétendre à rejoindre la Grande Ligue à l’issue de la saison. Il aurait alors fait partie de la draft 1992, dans une cuvée qui a fait part belle aux intérieurs dominants, puisqu’on y retrouve Shaquille O’Neal et Alonzo Mourning aux deux premières positions. Il n’en sera rien, vous l’aurez compris, et Baker réalisa finalement un cursus universitaire complet. Il profita de cette année senior pour décrocher un diplôme en communication et augmenter encore une fois ses moyennes statistiques (de 27,6 points à 28,3, 4è scoreur du pays), dans une équipe qui brillait, collectivement, par sa médiocrité. Ainsi, en quatre saisons, malgré des performances individuelles impressionnantes, il n’a jamais disputé le tournoi NCAA, et n’a même jamais connu un bilan positif.
C’est cependant avec une belle côte de popularité qu’il se présente à la draft 1993, après avoir démontré toute l’étendue de ses capacités des deux côtés du terrain, certes dans une conférence de seconde zone (classée, pour cette saison 2019 – 2020, à la 21è place des conférences les plus compétitives, sur un total de 32). Du côté d’Auburn Hills, où se déroula la cérémonie annuelle, Baker n’eût pas à se montrer très patient pour monter sur l’estrade. Dans une cuvée relativement homogène, bien que menée par deux leaders incontournables (Chris Webber et Anfernee Hardaway), il fût appelé en 8è position, sélectionné par les Bucks de Milwaukee.
Collectivement, cette venue dans le Wisconsin ne sera pas dépaysante, tant la franchise désormais habituée aux premières places faisait grise mine au début des années 1990. Il faut dire que lorsque votre star principale est Franck Brickowski, la probabilité de disputer les hauteurs de la conférence est assez mince. C’est d’autant moins le cas lorsque Brick est âgé de 34 ans. Cela fait donc deux saisons – à vrai dire, depuis les départs conjoints de Dale Ellis, Adrian Dantley, Alvin Robertson et Jack Sikma, qui n’ont pas été remplacés – que les Bucks sont plus proches du first pick de draft que des playoffs. Il y aura au moins une troisième saison.
D’abord remplaçant, Baker ne va attendre que 22 matchs pour débuter les rencontres sur le terrain. La starting line-up rendrait dépressif le plus fervent des supporters : Eric Murdock – Blue Edwards – Ken Norman – Franck Brickowski – Vin Baker. Autant dire qu’on a connu plus clinquant. Ses titularisations s’accompagnèrent d’ailleurs d’un temps de jeu avoisinant les 30 minutes par soir, contre une toute petite vingtaine jusqu’alors. Et Vinnie fît fructifier ces nouvelles minutes ; lui qui n’avait pas scoré plus de 12 points et n’avait réalisé aucun double-double lorsqu’il sortait du banc, attendra 3 rencontres en tant que titulaire pour poser 15 points et 10 rebonds contre les Clippers.
Le reste de cet exercice rookie est une longue montée en puissance individuelle et une longue agonie collective. Ainsi, après 42 rencontres, le pivot présente 10 points, 6,3 rebonds et 1,5 contre de moyenne en 25,8 minutes (45,8 % au tir, dont 50 % de loin (en … deux tentatives !) et 58,8 % aux lancers). Milwaukee affichait alors 12 victoires. Il n’y aura plus que 8 sur les 40 derniers matchs de la saison. Mais le motif de satisfaction est ailleurs ; plus jamais au cours de cette saison Vin Baker ne descendit sous les 10 points. Sa moyenne, jusqu’alors, devient son plancher le plus bas. Il réalisa même quelques solides prestations :
- 2 févr. 1994 @ Détroit : 18 points, 16 rebonds, 4 passes décisives, 1 interception et 3 contres à 58,3 % au tir, dans une défaite (- 14). La performance est loin d’être anodine. Depuis 1994, rares sont les intérieurs rookies qui ont claqué un 18 / 16 / 3. Ils sont 17 très exactement, et on ne retrouve que des joueurs confirmés, à l’exception de Drew Gooden et Carlos Rogers. Voyez plutôt : LaMarcus Aldridge, DeMarcus Cousins, Tim Duncan, les frères Gasol, Dwight Howard ou Yao Ming,
- 17 mars 1994 @ New-York : 25 points, 11 rebonds, 2 passes décisives, 3 interceptions et 4 contres, dans une défaite (- 22). Le tout en se coltinant Patrick Ewing.
Cela donna, sur cette seconde partie de saison, 17,2 points, 8,9 rebonds et 1,3 contre de moyenne, soit une amélioration plus que notable de la production individuelle, malheureusement accompagnée d’une adresse à la limite du catastrophique aux lancers (55,8 %). C’est lui qui accompagne Chris Webber dans la raquette de la première All-rookie Team cette saison-ci.
Dans une moindre mesure, ses quatre premières saisons NBA ressemblent à s’y méprendre à ses années universitaires : une progression constante qui le mène de hautes sphères.
Toujours coachés par Mike Dunleavy, les Bucks enregistrèrent l’arrivée notable d’un rookie nommé Glenn Robinson. Évoluant au poste d’ailier, il va immédiatement apporter sa contribution dans un collectif qui manquait énormément de scoring la saison passée : 21,9 points à 45 % au tir de moyenne. Mine de rien, ils ne sont que 26 dans l’Histoire de la Ligue a avoir frôlé les 22 points par soir dès la première année (le dernier en date étant Blake Griffin).
Sous le cercle, c’est Alton Lister, que vous connaissez désormais, qui vient jouer le rôle de doublure de Baker. Et si Milwaukee sera moins immonde que la saison précédente (+ 14 victoires : 34 – 48), c’est en grande partie grâce à son jeune one-two punch : Robinson x Baker. Ce dernier posa les bases immédiatement, en affichant 22 points, 12 rebonds, 7 passes et 3 interceptions dans une victoire arrachée au buzzer face aux Lakers. La suite sera du même acabit. Au point qu’à la fin du mois de janvier, alors que les Bucks réalisaient pourtant jusqu’alors une saison plus que moyenne (19 – 29), Vinnie fût convié pour le All-star game qui se déroula à Phoenix.
Dans un petit soir, et privée de Michael Jordan, la conférence Est se fît massacrer (139 – 112). Il faut dire qu’en face, l’Ouest a pu se payer de luxe de laisser Payton, Stockton, Richmond (MVP de la soirée), Robinson et Malone … sur le banc des remplaçants. Baker lui, scora 2 petits points pour sa grande première, qui en appellera d’autres.
Sa fin de saison sera excellente. Il y réalise ses meilleures performances au scoring et à la passe. Effectivement, le numéro 42 des daims était loin d’être manchot au moment de servir ses camarades dans des positions adéquates pour scorer. C’est ainsi qu’au cours de cet exercice sophomore, sur les 82 rencontres disputées, il distribua au moins 5 passes décisives 33 % du temps. A titre de comparaison, au cours de la saison tout juste achevée, seuls Nikola Jokic (78 %), Bam Adebayo (59,7 %) Domantas Sabonis (48,4 %) et Al Horford (44,8 %) firent au moins aussi bien parmi les big men, dans une NBA pourtant plus encline à demander à ses intérieurs de distribuer le jeu.
Cela donna quelques performances bien complètes, dont un triple double (12 points, 12 rebonds, 12 passes décisives dans une victoire + 13), mais également un énorme 31 points, 12 rebonds et 9 passes décisives face à Détroit le 11 avril 1995. Cette dernière ligne statistique le fait côtoyer des bonhommes tels qu’Abdul-Jabbar, Chamberlain, Gilmore et autres Olajuwon dans la caste des 30 / 10 / 9 pour un pivot. Inutile de dire que ces gens-là ne s’asseyent pas autour d’une table basse. Sa saison se clôt avec 17,7 points, 10,3 rebonds, 3,6 passes et 1,5 contre de moyenne. Mais plus que les chiffres, l’intérieur impressionne par sa bestialité, mais aussi par sa panoplie technique : footwork supérieur à la moyenne, hook mais également des fadeways et des petits jumper.
La saison 1995 – 1996 sera une sorte de bis repetita. Les Bucks sont toujours mauvais et Vin Baker est toujours plus fort. Il démarre sa saison sur un rythme de MVP sans les victoires collectives : 24,5 points, 14 rebonds et 4 passes décisives à 50 % au tir. Il réalise quasiment quotidiennement un chantier dans les raquettes adverses, peu importe le nom du pivot qui se trouve en face. En 4 rencontres, le Shaq a pris plus de 25 points à trois reprises. Seul David Robinson est parvenu un tant soi peu à le contenir. On en vient à regretter que la défense du numéro 42 ne soit pas à la hauteur de ses performances offensives.
Puisque Milwaukee termina à nouveau dans les bas-fond de la conférence Est, il nous reste simplement à dire que Baker sera à nouveau All-star cette année-ci. C’est plus que mérité, tant l’intérieur semble, devant Glenn Robinson, être l’homme fort de sa franchise. Énonçons enfin, au coin des statistiques individuelles, qu’il inscrivit plus de 40 points pour la première fois de sa carrière face aux Blazers (41, dans une victoire + 17), et qu’il claqua 35 points et 21 rebonds sur la tronche des 2m30 de Gheorge Muresan un soir de février 1996. A cette époque, Vinnie fait partie des 8 meilleurs pivots de la Ligue. S’il n’est pas au niveau d’Olajuwon, Shaq, Robinson et Ewing, on le retrouve dans le peloton des poursuivants, aux côtés de Mutombo ou Mourning.
Au-delà de sa domination dans les raquettes du pays, Baker est également ce qu’on appelle communément un “bon coéquipier”. Après trois ans dans la Ligue, le pivot à tout pour lui, et notamment une foi inébranlable en son talent, sans pour autant dépasser la ligne de l’arrogance :
“Dieu m’a donné certains dons. Je pense être compétitif et je n’ai pas envie de pleurer sur mon sort car je ne suis pas parvenu à devenir le joueur que j’aurais souhaité être. Je veux être ce joueur-ci”.
Et “ce joueur-ci”, il est en train de le devenir indubitablement. 8è scoreur de la saison (1 729 points scorés, soit 21,1 de moyenne) et 6è rebondeur (808, 9,9 de moyenne), il est ce joueur marathonien que chaque franchise aime avoir (près de 41 minutes par soir). Il disputera une quatrième et dernière saison sous le maillot frappé du daim, pour des performances parfaitement similaires. Voyez plutôt : pas de playoffs, 40,5 minutes de jeu, 21 points, 10,3 rebonds et une troisième sélection consécutive au All-star game. Que demander de plus ?
A lui, pas grand chose. Mais les dirigeants des Bucks commencèrent à s’impatienter. Drafter, c’est bien chouette, mais remporter plus de 35 rencontres par saison, c’est encore mieux. Dès lors, le 25 septembre 1997, juste avant que la saison ne reprenne, Milwaukee, Seattle et Cleveland s’entendent pour un trade à trois. Vinnie est envoyé à Seattle, ville que quitta, dans le même trade, un intérieur nommé Shawn Kemp. Les coïncidences, parfois …
L’oscar de la saison 1997 – 1998
Plusieurs fois déjà, lors de nos 39 portraits précédents, nous avons évoqué le fait que le premier trade d’une carrière a pu être salvateur pour le joueur concerné. Jermaine O’Neal et Dick Van Arsdale font parties de ces joueurs dont le potentiel a explosé après un transfert. Pour Baker, il ne s’agissait pas tant de démontrer aux yeux de tous l’étendu de son talent que de parvenir à confirmer ses trois excellentes saisons. Présentée comme ceci, la chose n’est pas aisée.
Surtout que pour la première fois depuis ses 18 ans, il se trouve dans une équipe qui possède la prétention de disputer autre chose que la 11è place de sa conférence. Les Sonics, finalistes NBA en 1996, sont toujours incroyablement compétitifs dans une conférence ouest peut-être moins relevée que celle d’aujourd’hui. Surtout, exit Eric Murdock à la mène ; désormais, ce sera Gary Payton qui balancera des lobs à Vinnie, qui n’en demandait pas tant.
Cependant, s’intégrer dans un tel collectif, c’est également faire des concessions. S’il ne touche pas moins la gonfle qu’à Milwaukee, ou à peine (24,7 % d’usage rate, contre 25,3 et 25,6 les deux saisons écoulées), il prend 3 tirs de moins qu’habituellement. Ce qui ne se remarquera qu’à peine dans ses performances au scoring, puisqu’il eut le bon goût, soudainement, d’afficher 54,2 % de réussite au tir (record à 50,5 % jusqu’alors). L’effet Payton, on imagine.
Après 25 rencontres, Baker a remporté autant de rencontres que lors de sa saison rookie (20 tout rond). Les Sonics sont une sorte de rouleau compresseur qui ne cale que rarement. Les Spurs du duo Duncan – Robinson est balayé en début de saison (94 – 74, 20 points et 7 rebonds pour Baker) et les Lakers du duo Shaq et Kobe est passé à la moulinette trois fois sur quatre. En réalité, si les Bulls ne terrorisaient pas (à nouveau) la NBA depuis le 17 mars 1995, Seattle serait un solide prétendant au titre, au côté du Jazz (2 victoires et 2 défaites dans les confrontations directes).
Au-delà du risque d’indigestion de victoires (voire d’extinction de voix, celle de Vinnie n’était pas habituée à autant de célébrations), le pivot est effectivement parvenu à confirmer les belles promesses Wisconsinoises. Jamais blessé, Marathonian-Vin, qui n’a raté que 4 rencontres depuis son début de carrière, devient le meilleur scoreur et le meilleur rebondeur de l’une des trois meilleures franchises de la Ligue. On a connu pire comme curriculum vitae.
Lui qui avouait au Dallas Morning News avoir pleuré plus souvent qu’à son tour à la fin d’un match du côté de Milwaukee est désormais unanimement salué par ses pairs. Robert Parish est le premier à dégainer cette saison-ci, dans un compliment qu’on pourrait – sans rougir – qualifier d’étonnant :
“Avec sa taille et sa polyvalence, Baker doit forcément être comparé avec Magic Johnson”.
Et si ce n’est pas la comparaison que nous aurions choisie, force est de constater que cela vous situe le joueur. Faire partie d’une winning team – comme il le dit lui-même – lui confère d’ailleurs le sens des responsabilités. Dans les moments chauds, Vin Baker n’est pas le dernier à faire ficelle pour faire gagner son équipe. Les Bulls du quatuor Jordan – Pippen – Rodman – Jackson en savent quelque chose. Pour la 14è rencontre de la saison disputée à Seattle, Chicago mène d’un point à une dizaine de seconde du terme. Balle à Baker, dos au panier, Luc Longley dans le short. Vinnie se retourne pour, à trois secondes de la sirène, planter un jumper sur la tronche de l’Australien. Seattle remporta la rencontre 91 – 90.
Il sera à nouveau clutch en assassinant les Spurs lors de la 49è rencontre (24 points, 10 rebonds, victoire +1) et contre les Hawks deux semaines plus tard (17 points, 6 rebonds, buzzer beater, victoire +2). Si un certain numéro 23 n’avait pas eu l’idée de planter the shot à la fin de cette saison 1997 – 1998, le titre de joueur le plus décisif de l’exercice aurait parfaitement pu être remis à ce pivot de 2m10, pas franchement esthétique, mais diablement efficace.
Cette efficacité, Rik Smits, le géant hollandais des Pacers (2m24 sous la toise) peut en attester. Juste avant le break, Sonics et Pacers croisèrent le fer dans l’État de Washington. Une rencontre au sommet, en quelque sorte, puisque les deux franchises caracolaient en tête de leur conférence respective avec un bilan quasi-similaire (37 – 10 pour les Sonics, 33 – 13 pour les Pacers). Ce sont les hommes de l’ouest, dirigés par George Karl, qui s’en sortiront au final (104 – 97). Au duo Reggie Miller – Chris Mullin, la réponse est donnée par l’Allemand Detlef Schrempf (24 points, 58 % de réussite au tir), mais surtout par un Vin Baker de gala : 41 points (16 / 22), 11 rebonds, 6 contres. Une ligne statistique aperçue qu’à deux reprises au 21è siècle dans la Grande Ligue, comme en témoigne le tableau ci-dessous :
Il n’en avait pas besoin, mais cette performance lui permis de soigner son arrivée pour son quatrième All-star game consécutif, au cours duquel il inscrivit 8 points et capta 8 rebonds. Notons qu’ils ne furent que sept, en cette période (1995 – 1998), à avoir été conviés au All-star game quatre fois consécutives. Outre Baker, on retrouve Grant Hill, Dikembe Mutombo, Penny Hardaway, Gary Payton, Karl Malone et Mitch Richmond.
Post-break, sa forme déclinera petit à petit. Qu’importe, l’essentiel est ailleurs : pour la première fois de sa carrière, Vinnie peut annuler la réservation de ses vacances programmées au mois d’avril : il va disputer les playoffs ! Et quoi de mieux qu’une place dans une All-NBA Team pour fêter ceci ? Après avoir figuré dans la 3è équipe de la Ligue la saison précédente, Baker est cette fois-ci membre de la seconde, aux côtés de David Robinson dans la raquette, mais devant Dikembe Mutombo, seul véritable big men de la third team.
Il ne le sait pas encore, mais cette saison régulière 1997 – 1998 et cette place d’honneur dans la deuxième meilleure équipe de la Ligue va constituer son apogée. Jamais plus Vin Baker affichera le niveau de cette cinquième saison dans la Ligue. Mais avant de parler de sa périlleuse descente aux enfers, concluons cette saison en beauté avec le parcours de playoffs.
Avec 61 victoires pour 21 défaites, Seattle possède le second bilan de l’ouest, derrière le Jazz (62 – 20) et ex aequo avec les Lakers. Cependant, nous l’avons dit, trois des quatre confrontations entre Rainy City et les Angelinos se sont soldées par une victoire des verts. C’est donc en seconde position que les Sonics attaquent cette cuvée 1998 des joutes printanières, face aux Wolves de Kevin Garnett.
Pour son baptême à ce niveau-ci, Baker, pas impressionné pour deux ronds, réalisa un match Karl Malonesque : 25 points, 12 rebonds et une large victoire dans l’escarcelle (108 – 83). Dans une série disputée aux meilleurs des cinq rencontres, c’est cependant Minnesota qui se présente en position de force, en parvenant à remporter les games 2 et 3. A l’expérience, Seattle va remporter la 4è rencontre (+ 4), malgré une adresse catastrophique de son pivot (1 / 8 aux lancers !), avant de conclure sa première balle de qualification deux jours plus tard.
Globalement, hormis sa première rencontre particulièrement réussie, Baker ne fût pas à son avantage face aux Wolves. Bien défendu, il n’a pris en moyenne que 8 tirs par rencontre, contre 14 lors de la saison régulière. Il faut tout de même préciser que son impact offensif aurait pu être bien plus important s’il avait pris la peine de travailler son adresse aux lancers. Pourtant relativement à l’aise au tir à mi-distance, Vinnie n’a jamais été un bon sur la ligne. Depuis son début de carrière, son plafond est de 68,7 % de réussite (dernière saison à Milwaukee). Pour sa première à Seattle, il affiche 59,1 % de réussite dans l’exercice, et cette moyenne, déjà pas folichonne, va dégringoler l’année suivante : 45 % de tentatives converties.
Cette performance de 1 / 8 aux lancers (12,5 % !) lors du game 4 est l’une des 6 pires de l’Histoire des playoffs (minimum 8 tentatives). Seuls Wilt Chamberlain (qui est parvenu à réaliser un dramatique 2 / 17 en 1967) et Shaquille O’Neal (0 / 8 en 1995) ont fait pire. Comme quoi, il y a des clubs restreints au sein desquels ne figurent que des légendes, mais où il est préférable de ne pas être convié.
Quoi qu’il en soit, les Sonics retrouvèrent les Lakers en demi-finale de conférence. Baker aura donc minimum quatre rencontres pour discuter tir de précision avec le Shaq. Et si au cours de la saison régulière, Seattle a quasiment constamment pris le dessus sur les Lakers, il n’en sera rien. La première rencontre, remportée par Payton et consorts (+ 14) fait figure de trompe l’œil. Les quatre rencontres suivantes se termineront avec autant de blow out encaissés par les Sonics (17,25 points d’écart moyen). O’Neal va d’ailleurs faire de la compote de son homologue lanceur de parpaings (30,6 / 10 de moyenne … 59,7 % aux lancers pour le Lakers, 16,8 / 8,5 de moyenne et … 44,4 % aux lancers pour le Sonics).
Cette première campagne est source de sentiments ambivalents. Bien évidemment, après quatre saisons de disette, une première participation aux playoffs est une victoire en soi. Cependant, l’élimination – et la manière – peuvent laisser un goût amer. Cette amertume, Baker et les Sonics auront d’ailleurs le temps d’y goûter ; la NBA est en effet frappée d’un lockout, qui va retarder la reprise des rencontres de 191 jours. La saison 1998 – 1999, tout comme la 2019 – 2020, ne ressemblera à aucune autre.
Pour Baker, point de ressemblance en effet. L’homme que l’on retrouvera le 5 février 1999 n’est plus celui que l’on a quitté le 12 mai 1998, soir de l’élimination face aux Lakers.
Le générique de fin
L’inactivité est un poison, c’est bien connu. C’est une sorte de cercle vicieux : moins on fait, moins on a envie de faire, moins on fait … Le sportif professionnel, aussi compétiteur soit-il, n’en est pas à l’abri. Combien de joueurs arrivent en surpoids au moment de réenfiler les sneakers pour une nouvelle saison ? Ce point, particulièrement sensible, est l’une des origines de la guerre que se menaient Kobe Bryant – modèle de travail – et Shaquille O’Neal lorsqu’ils se côtoyaient à Los Angeles.
Vin Baker cèdera à ce poison au cours du lockout de 1999. Lui l’athlète musculeux reviendra sur les parquets avec 30 kilos de plus ! 136 kilos sur la balance au moment de reprendre la saison, dans une équipe en fin de cycle. On l’apprendra rapidement, ce surpoids est lié à un autre poison, au moins aussi insidieux : l’alcoolisme.
Pourtant, il fera illusion un temps. A force de travail, il redescendra à 115 kilos et parviendra à se stabiliser. Cela fait toujours 10 kilos de plus que jusqu’alors, et cela se ressentira énormément. Sur le parquet, d’abord ; il n’est plus l’intérieur bestial qui peut prendre le dessus sur à peu près n’importe qui lorsqu’il est au poste. Il y a bien des rencontres où “All-star Baker” ressurgit, mais c’est désormais quasiment aussi rare qu’un jour férié. Son début de saison est un long chemin de croix (13 points, 6 rebonds à 43 % au tir et 38 % aux lancers, avec un temps de jeu exactement similaire à celui de la saison précédente), et cela n’ira pas en s’arrangeant.
A l’infirmerie, ensuite ; alors qu’il n’avait raté que 4 rencontres depuis sa draft, il se blessera une fois au pouce et une fois au genou gauche. Il perd même, de temps à autre, sa place de titulaire. Lui qui, il y a de cela un an et demi, était comparé à Magic Johnson, est désormais la cible des remarques les plus acerbes. Hubie Brown, ancien coach des Knicks, y est ainsi allé de sa pique. Parce qu’au-delà des performances insipides, les Sonics sont sur la pente descendante et ne se qualifieront pas pour les playoffs. Cela n’empêcha par Baker, pourtant auteur de sa pire saison en carrière, de signer un contrat énorme pour l’époque. Ce qui inspira manifestement Brown :
“Quand votre superstar atteint 135 kilos, elle ne domine plus dans la raquette, elle prend simplement beaucoup de place. Vous êtes Walker (NDLR: GM des Sonics). Le gars devient free-agent. Il faut lui dire au revoir. Au lieu de ça, vous lui offrez le maximum : 87 M$ sur 7 ans ! Les supporters doivent se demander ce que vous fumez, non ?”.
A l’instar de Renaud, on a cru à un come back. Toujours vivant, rassurez-vous, aurait pu dire Baker. La saison 1999 – 2000, si elle n’est pas exceptionnelle, est encourageante. Dans une équipe renouvelée, le pivot retrouve petit à petit son niveau d’antan. A tel point qu’il figure dans l’équipe championne olympique à Sydney en 2000, face à l’Équipe de France.
Toutefois, comme pour Renaud, on s’est vite rendu compte que s’il était effectivement vivant, il n’y avait pas de quoi être rassuré. Baker a 29 ans, mais sa carrière de sportif de haut niveau est quasiment intégralement derrière lui. Il évoluera encore deux saisons à Seattle (14 points, 6,5 rebonds au cours de la dernière, tout de même), mais il enchaîne les blessures. En aucun cas il ne justifie son salaire. Surtout, il ne semble pas s’être sorti de ses problèmes de bouteille.
Il est envoyé de l’autre côté du pays, à Boston, en juillet 2002. Il ressemble alors à tout sauf à un joueur de NBA : pataud, lourd, à bout de souffle et terriblement maladroit, il n’est même plus l’ombre de lui même. Il est d’ailleurs suspendu par son équipe en raison de son alcoolisme et effectuera une cure d’un mois. Salutaire et extraordinairement bénéfique. Pas tant pour le joueur de basket, mais pour l’homme. Il fera son retour sur les terrains en 2003 – 2004 avec un peu plus de 10 points et 5,5 rebonds. C’est mieux, bien mieux que les 5 points et 3 rebonds de la saison précédente. Cela ne ressemble peut-être plus à Vin Baker, mais cela ressemble de nouveau à du basket, et pour celui qui est revenu de loin, le progrès est immense.
Il prit sa retraite en 2006, après des passages anecdotiques à New-York, à Houston et aux Clippers. Après 791 rencontres de saison régulière, et 24 de playoffs, il tire sa révérence :
- All-NBA Team : à deux reprises,
- All-star : à quatre reprises.
Il laisse bien évidemment un souvenir mélancolique aux fans de la Grande Ligue. On se dit qu’il était trop dominant pour terminer comme il l’a fait. On se demande ce qu’il serait advenu sans cette addiction à l’alcool. Comme Shawn Kemp, finalement. Putain de lockout.
Crédits et hommages
A l’instar de tous les joueurs en perdition, Baker a toujours trouvé une main tendue. C’était celle de Jim O’Brien, son coach, lors de son passage bostonien. C’était, fugacement, celle de Dwane Casey, juste après sa retraite sportive. Mais plus que de se souvenir de ces sept années de galère, les hommages qu’il reçus lorsqu’il fît ses adieux à la NBA évoquaient plutôt ses performances sportives du milieu des nineties. Sam Perkins énonçait ainsi que lorsque Vinnie était en forme, il était capable de transfigurer n’importe quelle équipe de l’époque.
Depuis lors, Baker semble avoir trouvé la paix intérieur. Il déclarait ainsi :
“Pour moi, ça aurait pu finir au cimetière ou en prison. Mais je ne suis plus dépendant à l’alcool et je n’ai plus honte de savoir que j’ai une famille dont je dois m’occuper.
Et au principal intéressé de donner, sans le vouloir, le fin mot de notre portrait :
“Avoir la force de s’afficher aux yeux du monde (il dirige aujourd’hui un Starbucks) et essayer de subvenir aux besoin de ma famille, c’est plus héroïque que d’être un joueur de 2m11 qui maîtrise le fadeway”.
Toujours la banane, toujours debout.
merci pour cette article, on parlais il y a qq jours sur un discord du 5 bibines et son nom a bcp été cité (Mullin en 2, king en 3, kemp en 4 et vin baker en 5) et je dois avouer que ma connaissance de vin étais assez limité.
donc merci encore et bonne continuation