Peut-être certains d’entre vous avaient-ils lu cet article en cours de saison ? Au mois de janvier déjà, nous sortions un papier autour de la révélation OKC. Alors que la franchise faisait déchanter tous nos pronostics estivaux, nous préférions nous concentrer sur le bilan à mi-saison, et éviter les prévisions pour la suite des hostilités. D’autant que le Thunder affichait une solidité certaine et avait creusé l’écart avec ses poursuivants dans la course aux Playoffs. Les semaines suivantes ne virent pas la bande à Chris Paul s’effondrer, bien au contraire. OKC a tracé sa route et le bouleversement de la saison lié à la crise sanitaire ne l’a pas arrêté. Retour sur un parcours aussi sublime que surprenant.
Déjouer les pronostics
Nous le rappelions en janvier : rares étaient ceux qui attendaient le Thunder à un tel niveau de jeu cette saison. Après un été marqué par le départ de l’emblématique Russell Westbrook vers Houston, et alors que Chris Paul prenait le chemin inverse, tout portait à croire qu’un vaste chantier de reconstruction attendait la franchise. Armé de jeunes joueurs certes intéressants, et fourni en vétérans reconnus, le roster d’Oklahoma semblait tout de même prédestiné aux bas fonds de la Ligue. Bien sûr, Sam Presti avait récupéré des joueurs de qualité pendant la période estivale, avec Chris Paul, Danilo Gallinari et Shai Gilgeous-Alexander. Mais l’effectif, sur le papier, affichait des limites réelles à première vue, et Billy Donovan restait en proie aux doutes et aux critiques. Dès lors, il était difficile de savoir ce qui attendait OKC : une saison galère, composée de défaites malgré la combativité, ou même du tanking ? Détail intéressant concernant la Draft 2020 : le Thunder avait envoyé son premier tour à Philadelphie, mais protégé 1-20, lors du recrutement de Jerami Grant. Lorsque ce dernier fut envoyé à Denver, OKC récupérait le premier tour 2020 des Nuggets, protégé 1-10. Si les joueurs de Donovan terminaient la saison avec une place parmi la Lottery, ils bénéficieraient alors de deux choix au cours du premier tour, la place élevée de Denver ne faisant guère de doutes.
Pourtant, le Thunder n’a jamais été en position de cancre pendant cette saison NBA. Malgré des débuts difficiles, avec 12 défaites lors des 20 premiers matchs, OKC lance pleinement sa campagne. Le collectif se met en place, emmené par un Chris Paul en mode Point God – nous y reviendrons. Pour ses opposants, le Thunder ne devient pas seulement un adversaire coriace, relou par sa combativité et ses jeunes qui en veulent. L’équipe développe un jeu attrayant, collectif, et d’une remarquable justesse. Surtout, OKC affiche une capacité à tenir face à ses adversaires tout au long du match, avant de faire basculer la rencontre dans le dernier quart, voir même de renverser une situation. Sous l’impulsion de CP3 et d’autres vétérans, l’effectif exécute son basket avec efficacité, et les victoires s’enchainent. Certains jeunes joueurs prennent leurs responsabilités et passent un cap, pendant que Chris Paul s’occupe de diriger l’équipe sur le parquet et en dehors. Car si le meneur a connu des passages difficiles ces dernières saisons, il a montré son plus beau visage au cours de cet exercice.
Point God, ce mentor
Dans son meilleur registre, celui de meneur gestionnaire, CP3 a tout simplement excellé. Alors qu’on ne le voyait pas faire de vieux os dans l’Oklahoma, l’ancien des Hornets est finalement resté. Par choix des dirigeants, ou par impossibilité de transférer son immense contrat, difficile de le savoir. On imaginait le Thunder continuer les mouvements dans son effectif pour lancer une reconstruction, et Paul faisait office de favori comme premier fusible. Il n’en fut rien, et tant mieux pour la saison d’OKC. Sous les ordres de son stratège, c’est tout le roster qui a bénéficié des qualités de gestionnaire du Point God. Car oui, Chris Paul a bien retrouvé son surnom cette saison. Leader sur le parquet comme dans le vestiaire, son influence s’est portée sur tout l’effectif, et particulièrement les jeunes joueurs. Sous son aile, des joueurs comme Shai Gilgeous-Alexander bien sûr, mais aussi Darius Bazley ou Luguentz Dort, ont pu découvrir le plus haut de professionnalisme qui soit. Tous arrivés pendant l’intersaison, pour venir densifier un effectif qui semblait bien pauvre. CP3 s’est comporté toute la saison comme un véritable patron d’une franchise NBA, à la fois mentor et leader dans la performance.
Bien sûr, ces statistiques ne sont pas celles d’une superstar NBA en plein prime, mais son rôle n’est plus là. Cette saison, Paul a tout simplement sublimé l’effectif du Thunder. En véritable meneur, au sens premier du terme, il a distribué les galettes, organisé le jeu de son équipe, mais surtout diffusé un professionnalisme et une envie de gagner à toute épreuve. Dans les fins de match serrées, CP3 a répondu présent. Prenant tout le monde sur son dos, l’ancien des Rockets a produit des performances dingues dans plusieurs quatrième quart temps. Preuve est, avec les statistiques suivantes : pendant la saison régulière, le Thunder a été l’équipe ayant joué le plus de matchs décidés en clutch-time (45), à égalité avec les Spurs et les Nuggets. Le clutch-time est déterminé sur une différence de points inférieure ou égale à 5 points, avec un maximum de 5 minutes à jouer dans le match. Sur ces 45 rencontres, OKC est la franchise qui en a remporté le plus, avec un superbe bilan de 30 victoires pour seulement 15 défaites.
Bien sûr, l’effectif entier est responsable de cette belle performance. Mais son leader se nomme Chris Paul, et le meneur est le joueur ayant inscrit le plus de points dans ce fameux clutch-time, avec 150 unités, devant Nikola Jokic et Donovan Mitchell. Dernier chiffre concernant les fins de match : dans cette statistique, OKC est la seule franchise à classer trois joueurs dans le top 40 : Chris Paul donc, accompagné de SGA et Dennis Schroder. L’occasion de parler de ce trio si particulier, que l’on pouvait penser difficile à gérer avant la saison. Chris Paul arrivait en star accomplie de la NBA. Schroder devait accepter une place de 6ème homme, alors qu’il pourrait lutter pour un spot de titulaire ailleurs. Quant à SGA, il arrivait des Clippers avec le statut de sophomore en devenir qui doit donc avoir des responsabilités. Billy Donovan, bien aidé par le leadership de CP3, a parfaitement su managé ce trio. Paul a joué sa partition de main de maître, donnant à Gilgeous-Alexander les clés du camion par moment. Parmi les titulaires, c’est même Shai qui détient le plus haut Usage Rate (23,5% contre 22,8% pour CP3). Chacun a joué son rôle, et Donovan a même eu le culot d’aligner les trois extérieurs ensemble par séquences. Si ce trio ne compte 6,7 minutes de moyenne passées ensemble sur le parquet, il est intéressant de noter qu’il détient le meilleur plus/minus (4.5) et le plus haut impact estimé (66.9 de PIE) parmi les lineups de 3 joueurs ayant disputé plus de 50 matchs à OKC cette saison. D’ailleurs, ce trio a souvent été aligné dans le clutch-time évoqué ci-dessous, pour les résultats qu’on connait. Une sorte de botte secrète pour Billy Donovan.
Vous l’aurez compris, Chris Paul s’est comporté en véritable taulier cette saison. Il était accompagné de plusieurs vétérans considérés, à juste titre, comme des modèles dans la Ligue. Steven Adams, Danilo Gallinari et Dennis Schroder ont parfaitement joué leur rôle aux côtés du meneur, auprès des jeunes joueurs. L’ancien Clipper lui, ne s’est jamais ménagé. Sur les parquets, il n’a cessé de porter ses coéquipiers, et de les guider à travers ses performances mais surtout sa voix. Leader vocal incontesté, son implication en dehors des terrains fut également remarquable. On le sait, Chris Paul est le Président de l’Association des joueurs NBA, mais il a su prendre du temps pour son équipe. En décembre, il faisait fabriquer des costumes sur mesure pour tout l’effectif. Le soir même, OKC remontait un déficit de 24 points pour l’emporter sur Memphis. Un mois plus tard, le meneur organisait une sortie pour voir un match de NFL entre les Philadelphia Eagles et les Seattle Seahawks pendant un road trip. Tout au long de la saison, CP3 a d’ailleurs emmené les jeunes voir des matchs de G-League. Vous avez dit mentor et professionnalisme ?
Une jeunesse prometteuse
Son impact sur les jeunes éléments du Thunder est indéniable. En progression constante, sérieux à l’image de leur leader, les jeunes joueurs ont réalisé une saison pleine, et repoussé les attentes placées en eux. Shai Gilgeous-Alexander, que l’on savait prometteur depuis sa saison rookie avec les Clippers, s’est imposé dans le backcourt aux côtés de Paul. Capable de prendre ses responsabilités, complet, il a affiché une véritable régularité tout au long de la saison. Scoreur dans toutes les positions, toujours volontaire, il sera l’un des nouveaux visages de la franchise pour les prochaines années.
Autre bonne nouvelle, la montée en puissance de Darius Bazley. Plutôt absent de la rotation avant la coupure de la saison, il a complètement explosé lors de la reprise dans la bulle à Orlando. Alors que le Thunder se montrait irrégulier, Bazley a su saisir la chance qui lui était donnée. Avec des performances probantes face aux Wizards et aux Suns notamment, l’ailier fort a montré des progrès dans tous les compartiments du jeu. Offensivement plus juste, ses meilleurs choix lui ont permis d’améliorer sensiblement ses pourcentages au tir. En défense, il s’est montré plus agressif, et plus intelligent dans ses déplacements. Des efforts appréciés par son coach, mais aussi par Chris Paul. D’ailleurs, le meneur ne semble pas étranger aux progrès de Bazley. L’ailier fort, initialement drafté par le Jazz, confiait que CP3 ne cessait de l’aider, lui donnant des conseils tactiques ou en lui expliquant, lors du temps mort suivant, des phases de jeu sur lesquelles il avait semblé perdu.
Malgré les problèmes de Terrance Ferguson, en grandes difficultés – personnelles et sportives – depuis février, le Thunder a pu compter sur les relais d’Abdel Nader et du jeune Hamidou Diallo, une autre satisfaction chez les jeunes. Mais la plus grosse surprise de cette saison est certainement Luguentz Dort. Appelé de G-League notamment pour combler l’absence de Ferguson, l’arrière a parfaitement trouvé sa place dans l’effectif. Originaire de Montréal et non drafté à sa sortie d’Arizona State, il obtient un two-way contract avec le Thunder lors de la dernière Free Agency. S’il évolue pendant plusieurs semaines en G-League avec le Blue, il est appelé par Donovan le 6 décembre pour affronter les Wolves. Et contribuera largement à ce qui est considéré comme l’un des tournants de la saison pour OKC. Alors que Minnesota mène de deux points avec 18 secondes à jouer, Dort s’arrache pour récupérer un ballon dans les mains de Napier sur une remise en jeu. Cette action décisive insuffle de l’énergie aux siens et évite le KO, et sera suivie de la remise en jeu incroyable de Steven Adams pour le panier victorieux de Schröder au buzzer. Si par la suite, l’arrière retournera quelques temps en G-League, il finit par revenir dans l’équipe, et glanera même une place de starter dans un trident de petite taille autour de CP3 et SGA. Capable de défendre plusieurs positions, il est souvent envoyé sur le meilleur attaquant adverse, mais est aussi capable de belles performances offensives. On se souvient notamment de son match face à James Harden ancienne star de son université, qu’il avait contraint à un sale 1/17 du parking. Ses superbes prestations ont valu à Dort d’obtenir enfin un contrat, sur 4 ans, assortis de 5,4M de dollars. Un moindre mal pour le Thunder, qui bénéficie des services d’un vrai joueur solide.
Au terme d’une campagne de Playoffs sur laquelle nous allons revenir, Dort dressait un bilan personnel rempli d’émotions :
C’était dur de ne pas être drafté. Et cette équipe m’a juste donné beaucoup de confiance. Venant des vétérans comme Chris, Dennis, Gallo, Steve-o (Adams), coach Billy, Sam, ils m’ont donné beaucoup de confiance et ils ont cru en moi. C’est une bénédiction d’être ici, venant de Montréal, d’être avec tous ces gars, et la manière dont on a joué.
Campagne de Playoffs réussie, Donovan parti
Les Playoffs, parlons-en. Considérée comme l’une des équipes les plus faibles de la Ligue au début de la saison, le Thunder finit par accrocher une magnifique 5ème place. Ils doivent affronter les Rockets, mais la série tourne rapidement au vinaigre alors que les hommes de Donovan sont menés 2-0. Les Rockets déroulent, et les trois points pleuvent sur la tête d’OKC. Alors, lorsque P.J. Tucker en plante un à 59 secondes du terme de la troisième rencontre, c’est la douche froide. Chris Paul prend alors les choses en mains, et sera impliqué dans les 7 points suivants de son équipe, que ce soit au scoring ou à la passe. C’est le jeune Gilgeous-Alexander qui se charge de marquer un 3pts décisif pour arracher une prolongation, et éviter un 3-0 rédhibitoire. En prolongations, CP3 plantera deux tirs derrière l’arc, et le Thunder prend le large pour revenir à 2-1 dans la série.
Comme en saison régulière, OKC rompt mais ne cède pas, et s’accroche. Lors du Game 4, c’est un lay-up de Schroder qui fera la différence en fin de match, et OKC égalise à 2-2. Houston relèvera la tête après ces deux défaites, en écrasant le Thunder dans le match 5. Et lors du Game 6, alors que la victoire finale leur semble promise, c’est à nouveau Chris Paul qui active le mode Point God. Le Thunder est mené de 6 points à un peu plus de 4 minutes du terme, et le meneur va délivrer une performance mémorable. Deux tirs plantés derrière l’arc, deux interceptions, deux lancer-francs convertis, et une séquence défensive d’une grande intelligence pour forcer la 22ème perte de balle des Rockets sur leur dernière possession. Emmené par leur génial meneur, le Thunder arrache la victoire, et un Game 7 inespéré.
Au cours de ce match accroché, Luguentz Dort va encore sortir une performance magnifique. 30 points, et une défense de tous les instants sur James Harden, qu’il limite à 17pts. Le rookie, en délicatesse avec son tir au cours de la série, redresse la barre au meilleur moment. Pourtant, malgré cette prestation et le triple-double de Chris Paul, c’est le Thunder qui s’incline. Trop de pertes de balle, un manque d’expérience certain pour ce genre de rencontres face à 2 MVP, et Harden qui renvoie l’ascenseur à Dort sur la dernière action du match, en contrant sa tentative de tir. Le pauvre Dort s’est retrouvé avec le tir décisif d’un Game 7, une lourde responsabilité même lorsque vous êtes dans la zone avec 30 points. Défaite 104-102 et fin de saison pour le Thunder donc, et un mélange de déception mais aussi d’une grande satisfaction pour avoir largement dépassé les attentes.
Alors que les joueurs rentrent chez eux pour se remettre de leurs émotions et de cette défaite, Billy Donovan n’aura pas le temps de reprendre ses esprits. En fin de contrat avec la franchise, le coach devait rencontrer ses dirigeants pour évoquer la suite de sa carrière. Le management d’OKC n’a pas été en capacité de donner des indications clairs sur les mouvements à venir et sur le futur proche de l’effectif. En clair, difficile pour eux d’imaginer de quoi les prochains mois seront faits, et si le Thunder pourra être compétitif comme cette saison. Après cinq saisons passées dans l’Oklahoma, ponctuées de succès mais aussi souvent contestées, Donovan souhaite aller voir ailleurs, participer à un nouveau projet. Il quitte OKC avec un bilan honorable à 60% de victoires en 400 matchs, avec des équipes plus ou moins compétitives. On se souvient bien sûr de l’époque Kevin Durant – Russell Westbrook, mais aussi des saisons où le meneur semblait bien seul, avant l’arrivée de Paul George. Donovan a toujours su emmener ses équipes en Playoffs, mais on retiendra également le traumatisme de 2016, et la série laissée aux Warriors malgré une avance de 3-1. On connait la suite, avec le départ d’un ailier vers la Californie. Cette saison restera un beau point d’orgue pour l’ancien coach universitaire, même si le succès de l’équipe est nettement attribué à la combativité des joueurs et à Chris Paul qu’au coach. C’est à Chicago, dans un autre projet de construction, que Billy Donovan vient de rebondir.
Quelle est la suite pour le Thunder ? Un vaste chantier s’annonce dans l’Oklahoma, avec des vétérans encore sous contrat, et des deux éléments prometteurs. Les dirigeants vont-ils se servir de leurs anciens pour récupérer de nouveaux assets et construire autour de Shai Gilgeous-Alexander ? Rappelons que la franchise dispose d’un nombre démentiel de tours de Draft sur les prochaines saisons, accumulés lors des derniers transferts. La franchise risque d’être très active dans les semaines et mois à venir, et bien malin est celui qui peut deviner le visage de l’effectif à la reprise de la prochaine régulière. Si elle a lieu un jour. OKC a du matos, mais devra faire des bons coups et avoir le nez fin pour rester une équipe compétitive et s’armer pour les prochaines années. Il faudra également remplacer Donovan au coaching, mais difficile d’envisager un coach tant que le projet n’est pas clair. Avec Sam Presti à la barre, la confiance est de mise, et on observera ça de très près. Pour ce qui est de la superbe saison qui vient de s’écouler, c’est probablement Luguentz Dort qui la résume le mieux : “It was hell of a season I had“.