La réflexion qui a mené à la rédaction de cet article était aussi simple que basique : comment les Clippers ont-ils fait pour se rendre tellement impopulaire ?
L’attitude de certains joueurs de Doc Rivers nous mène à nous poser d’autres questions, infiniment moins factuelles et bien plus profondes. Il n’est d’ailleurs pas tout à fait certain que nous puissions faire autre chose qu’apporter des éléments de réponses.
Le premier constat part d’un simple ressenti : il semblerait qu’avant d’entrer dans la bulle, les Clippers n’étaient certes pas adulés de tout le monde, mais ils jouissaient d’une certaine côte de popularité. A tout le moins, ils étaient respectés pour ce qu’ils étaient : un solide prétendant au titre NBA, possédant dans leurs rangs deux top joueurs, dont Kawhi Leonard.
Depuis ? Tout s’est cassé la gueule. Les prémices prennent racine dans le dernier quart-temps d’une rencontre disputée contre Portland le 8 août dernier. Damian Lillard, dans une soirée moyenne, rate deux lancers-francs consécutifs. Le fait n’est pas banal. Sur le banc des voiliers, Patrick Beverley et Marcus Morris trashtalkent allègrement le meneur des Blazers. Les faits sont peut-être communs. Après tout, lorsque la salle est pleine, on ne s’aperçoit pas forcément lorsque deux joueurs s’échangent des politesses. Cependant, en ce 8 août, la salle était vide de chez vide et les caméras étaient toutes tournées vers le duo Beverley – Morris, alors lancé dans leurs œuvres.
Jusque alors, peu de problèmes, pourrions-nous dire. Il n’en demeure pas moins que l’image des deux joueurs, et celle de toute la franchise, en a pris un coup. Le premier tour des playoffs achèvera de ternir ladite image. L’adversaire y est en partie pour quelque chose ; Dallas, c’est l’équipe en vogue (ce n’est pas moi qui vous dirai le contraire), et Luka Doncic, à force de marcher sur la concurrence, s’est attiré une sympathie quasiment unanime. Alors forcément, lorsque l’on s’en prend au petit Prince de la Ligue, potentiel futur visage de la NBA, cela ne contribue pas à améliorer sa popularité. Mention spéciale ici à Montrezl Harrell, qui a dépassé les bornes habituelles et officieuses du trashtalking lors de la première rencontre, puis à Marcus Morris – décidément – qui s’en est pris physiquement à deux reprises au jeune slovène.
Ajoutez à cela une confiance absolue – qui pouvait friser l’arrogance – et des résultats pas toujours en phase avec les paroles prononcées, et vous obtenez un cocktail détonnant, particulièrement visible lors de la série contre Denver : on avait ainsi l’impression qu’à l’exception du pauvre ClippersFR, toute la communauté souhaitait voir Kawhi, George et consorts perdre. C’était une sorte de but ultime.
Le trashtalking possède-t-il ses propres limites ?
Voilà pour le décor. A cette impopularité soudaine, qui s’est développée en un mois, on peut se poser plusieurs questions. La première qui nous vient à l’esprit est : peut-on toujours trashtalker ?
Certains seraient tentés d’invoquer l’esprit du défunt Pierre Desproges, dont les propos n’ont pourtant jamais véritablement été : “on peut rire de tout, mais pas avec n’importe qui”, même si l’essence de la pensée demeure. La réponse ne semble d’ailleurs pas satisfaisante, en l’espèce. Cela revient à dire que certains joueurs doivent être exclus du trashtalking. Comment ? Faut-il réaliser une distinction selon le niveau intrinsèque du joueur ? En fonction de son équipe ? Des résultats collectifs ? D’un savant mélange de tout ceci ? La réponse n’emporte pas l’adhésion. Puisqu’il semble admis que le chambrage fasse partie intégrante du sport de haut niveau – du basket américain a fortiori – empêcher implicitement un joueur d’en faire serait comme le priver d’une facette de son sport.
Dès lors, peut-être faut-il la rechercher ailleurs. Peut-être que la réponse à cette question, qui possède des contours presque philosophiques, peut se scinder en deux parties. La première concerne la forme du trashtalking, la seconde est relative au comportement ultérieur de son auteur.
Le chambrage est polymorphe. N’importe quel sportif du dimanche, pour peu qu’il fasse de la compétition, a déjà chambré un adversaire. Simplement, tous les mots ont un sens, et des répercussions. Le comportement du tandem Beverley – Morris face à Portland peut se ranger dans une première case, celle où le trashtalking vise à se moquer directement du niveau affiché par l’adversaire.
Celui de Paul George, qui disait en début de saison qu’il formait avec Kawhi Leonard le meilleur duo de la Ligue, pourrait être classé dans une seconde boîte. Ici, les mots employés ne visent pas à dévaluer l’adversaire, ils servent à se mettre en avant. Pour illustrer cela, il semblerait que les paroles de LeBron James lors de son arrivée au Heat, qui promettait à la fanbase au moins 8 bagues, pourraient pertinemment se ranger dans cette seconde catégorie.
Dans une troisième catégorie, l’on retrouverait les mots qui tombent sous le coup de la loi, comme ceux prononcés par Harrell, ou ceux qui semblent être totalement disproportionnés et irrespectueux. Il est cependant délicat de fixer une limite claire au “respect”, ici. Peut-on parler de la mère d’un joueur ? Peut-on en parler si celle-ci est décédée ? La question n’est pas qu’un cas d’école, puisque c’est ce qu’a eu la délicatesse de faire Kevin Garnett, qui souhaita une “happy Mother’s day, motherf*cker” à un Tim Duncan orphelin de figure maternelle depuis son adolescence. Les propos peuvent sans aucun doute choquer, et il est plus que probable que certain(e)s d’entre vous les condamnent fermement. D’autres estiment, à l’inverse, que cela fait partie du jeu. Il en résulte un flou, voire un vide, autour des limites de ce troisième compartiment du trashtalking.
Nul doute, d’ailleurs, que ces trois catégories ne s’auto-suffisent pas, et qu’en creusant le sujet, on en trouverait encore bien d’autres. Par exemple, où pourrait-on ranger le célèbre “choke sign” de Reggie Miller ? Le geste, mythique à bien des égards, pourrait être classé dans n’importe laquelle de nos différentes catégories. Voulait-il signifier qu’il était bien plus fort que les Knicks ? Avait-il l’intention de railler directement Spike Lee ? Faut-il prendre le geste à son sens premier, et le considérer comme absolument déplacé ?
Au-delà, plusieurs phrases légendaires de la Ligue semblent déborder, a minima, des catégories que l’on a créées jusqu’alors. C’est le cas de la punchline de Scottie Pippen, qui déclarait au sujet de Karl Malone :
“Le facteur ne passe pas le dimanche”.
La phrase semble, en effet, ne pas simplement dévaluer le niveau de l’ancien ailier-fort du Jazz ; sa portée paraît être infiniment supérieure. De même, dans un tout autre registre, où classer le “Merry f*cking Christmas” balancé par Larry Bird à Chuck Person en 1990 ? Aucune de nos trois cases semble véritablement adaptée, signe que le sujet est particulièrement vaste et que nous nous contentons d’en effleurer les contours.
Il n’en demeure pas moins que chacune de nos trois rubriques identifiées nous apporte un élément de réponse. Il semble être permis à tout le monde de se mettre en avant, d’estimer – et de le dire tout haut – que l’on est plus fort que les autres. D’ailleurs, les paroles classées dans cette catégorie de trashtalking ne semblent pas véritablement ternir la réputation d’un joueur / d’une équipe. Ou du moins pas immédiatement.
Simplement, et c’est la seconde phase de notre réponse, il est ensuite nécessaire d’assumer ses propos, et joindre l’acte à la parole. Sans quoi, irrémédiablement, on s’expose à la critique. Joël Embiid en sait quelque chose, lui qui clamait ses envies de MVP, de DPOY et de titres, pour au final réaliser une saison moyenne et être éliminé au premier tour des playoffs. Paul George est dans cette même situation, lui qui s’est liquéfié – à nouveau – lors des matchs à enjeu, et dont l’équipe s’est faite éjecter de la course au titre pas des Nuggets underdog et menés 3 – 1.
Comme contre-exemple, citons l’ancienne mais néanmoins fameuse phrase de Bill Russell, alors entraîneur-joueur des Celtics. Lors du game 7 des finales NBA de 1969, disputé au Forum d’Inglewood de Los Angeles, la franchise hollywoodienne avait vu les choses en grand, et avait accroché des centaines de ballons au plafond, retenus par un filet. L’occasion pour Russell de prononcer son célèbre :
“Ces putains de ballons vont rester là-haut”.
Et ils le restèrent. Signe que lorsque cette facette du trashtalking est assumée sur le terrain, elle ne cause aucun dommage à l’image d’un joueur ou d’une franchise. Par conséquent, ici, l’impopularité ne serait pas immédiate. Elle est conditionnée, soumise aux performances sportives ultérieures.
A contrario, il est moins facilement acceptable, dans la conscience collective, que tous les joueurs puissent se moquer du niveau d’un autre. Cela confine à la logique, et à ce que l’on apprend à la plus tendre enfance : es-tu capable de faire aussi bien que celui que tu charries ? Dès lors, il ne serait accepté que l’on emploie cette facette du trashtalking que si on possède un niveau basketballistique suffisant pour faire mieux. Si tel n’est pas le cas, l’impopularité guetterait l’auteur du chambrage. On comprend ici pourquoi Patrick Beverley s’est attiré les foudres de la majorité des observateurs de la Ligue ; puisqu’il est loin du niveau de Damian Lillard, il n’est pas le mieux placé pour le trashtalker lorsqu’il rate deux lancers.
Encore une fois, la réponse n’est pas totalement satisfaisante, et mériterait réflexions et débats. En effet, si l’on s’y tenait, personne ne pourrait, actuellement, trashtalker LeBron James lorsqu’il balance une passe en touche. Personne ne pourrait vanner Stephen Curry lorsqu’il est à 1 / 8 de loin, ce qui n’arrive d’ailleurs pas tous les jours. Des exemples de la sorte, il y en a des dizaines.
Dans cette hypothèse, l’impopularité est immédiate. Elle n’est pas soumise à la réalisation – ou non – d’actes sur le terrain. Les paroles prononcées se suffisent à elles même pour salir l’image de celui qui les a prononcées.
Pour ce qui concerne notre troisième catégorie, inutile de rentrer dans de longs développements. Si les paroles sont pénalement répréhensibles (racisme, homophobie, etc…), il est évident qu’elles n’ont rien à faire sur un terrain de basket. Il en va de même si elles sont manifestement déplacées, le problème étant que chacun possède ses propres limites, nous en avons parlé. Notons que même au Rap Contenders, des règles implicites sont fixées – et généralement respectées. Mais lorsqu’elles sont dépassées sur le parquet, la sanction populaire ne tarde pas à tomber. Combien de commentaires demandant la suspension de Montrezl Harrell avons-nous lus sur le réseau de l’oiseau bleu ?
Encore une fois, pour cette troisième facette du trashtalking, l’impopularité est immédiate.
Nous en arriverions à la conclusion selon laquelle tout le monde peut trashtalker. Ce ne serait pas l’acte du trashtalking qui est implicitement interdit à certains joueurs, c’est la teneur des paroles prononcées. Certaines d’entre elles semblent inappropriés, soit en raison de la cible (exemple du joueur qui est bien meilleur, intrinsèquement parlant, que celui qui le charrie), soit en raison du message véhiculé. Généralement qualifiées de stupides, ces paroles portent alors atteinte à la réputation et à la popularité de leur auteur.
Le débat est ouvert. Une chose est certaine, c’est que le sujet des limites du trashtalking et des retombées des mots prononcés est plus approprié à une thèse de doctorat qu’à un article publié sur internet.
Impact du résultat sportif sur l’acte
La nouvelle et majoritaire impopularité des Clippers (ou à celle de certains de ses joueurs, il n’est peut être pas opportun d’opérer une généralisation) peut également nous mener à nous poser une autre question. Le niveau de jeu déployé, individuellement ou collectivement, permet-il de camoufler, voire d’excuser, les propos tenus ? Nous pouvons avoir le sentiment que si les Clippers n’avaient pas été éliminés par les Nuggets, tout – ou presque – serait rentré dans l’ordre. Imaginez la bande de Rivers soulever le trophée le mois prochain : qui viendrait rappeler à notre mauvais souvenir le comportement de certains joueurs ? Personne, ou presque. Pourtant, les faits auraient été les mêmes.
Cette seconde interrogation – qui, je le crains, ne mènera pas non plus à une réponse tranchée et définitive – peut être illustrée par un exemple concret, qui concerne deux joueurs des Clippers. Au cours de cette saison 2019 – 2020, nous avons tout d’abord aperçu Kawhi Leonard dans un strip club, alors que son équipe bataillait sur les terrains. Si l’on est désormais habitué au fait qu’il ne dispute pas toutes les rencontres, nous pouvions être surpris de le voir dans un tel lieu alors que les copains s’arrachaient la cerise sur le terrain. Pourtant, si l’information a fait des vagues, elle n’a pas eu de véritable résonance. Il semblerait, avec 9 mois de recul (9 mois, pour une visite au strip club, c’est presque cocasse), que cette sortie nocturne n’a absolument pas ternie l’image de Kawhi Leonard auprès du grand public.
Le joueur de basket qu’il est, absolument génial, permettrait donc de passer l’éponge sur le comportement de l’homme, inapproprié ici. La réponse ne semble pas être manichéenne cependant, puisque Kevin Durant, autre monstre des parquets, jouit pourtant une popularité immonde depuis le 4 juillet 2016. Tout serait alors question de contexte et d’antécédents. Durant a rejoint l’armada des Warriors et avait d’autres frasques aux basques, notamment cette histoire de faux comptes Twitter. Ironiquement, pour conclure cette parenthèse, la popularité de KD semble être remontée depuis son très éphémère come-back en finale NBA l’an dernier.
Contexte et antécédents. L’exemple de Lou Williams, qui s’est aussi rendu dans un tel club, en est l’illustration idoine. Les critiques ont été bien plus acerbes. Certes, nous venons de le dire, il faut tenir compte du contexte spécial de la bulle, puisque Williams a manifestement quitté l’environnement sécurisé de la bulle d’Orlando pour se rendre dans un lieu public, avec le risque sanitaire que cela comporte. Il faut aussi avoir en tête les antécédents du bonhomme, qui n’en était pas à son coup d’essai. Si, pour lui, la critique populaire semble plus compréhensible, nous pouvons tout de même nous demander si les performances sportives permettent d’effacer les écarts de comportement.
Puisque c’est en partie de cela dont il s’agit ici. Nombreux sont ceux qui estiment que, payés et médiatisés comme ils le sont, les sportifs se doivent d’adopter un comportement irréprochable. La question du comportement des athlètes a été mise en lumière très récemment, avec la grève initiée par les joueurs des Bucks. Aux partisans du shut up and dribble répondaient ceux pour qui il est naturel que les sportifs professionnels utilisent leur plateforme médiatique pour parler de sujets sociétaux. Malheureusement pour les Milwaukéens, leur sortie de route en demi-finale de conférence n’est pas un résultat sportif suffisant pour leur épargner la critique. Et celle-ci porte, notamment outre-atlantique, sur les prises de positions politiques adoptées avant la cinquième rencontre face à Orlando. En aurait-il été de même si Giannis et compagnie avaient remporté le titre ? Peut-être que oui, la situation étant particulièrement grave et préoccupante. Nous revenons à l’importance du contexte. Mais il est probable que l’on se serait plutôt axé sur le résultat sportif de cette saison si particulière, comme si l’accomplissement parvenait à occulter le comportement adopté auparavant.
En ce qui concerne les Clippers, pour revenir à nos moutons, il est certain que la désillusion sportive est telle qu’elle vient aggraver encore plus les paroles tenues et les comportements adoptés depuis la reprise fin juillet. Les paroles n’ont pas été assumées sur le terrain, et les comportements (on pense, à des degrés divers, à la sortie de Lou Williams, à la brutalité de Marcus Morris, aux injures de Montrezl Harrell ou au trashtalking incessant de Patrick Beverley) n’ont pas pu être camouflés par un résultat sportif suffisant.
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L’impopularité serait donc, semble-t-il, la conséquence de plusieurs facteurs, qui sont aussi bien endogènes qu’exogènes. Le joueur livré à la vindicte populaire ne maîtrise pas toujours tout. Sans aucun doute, si Marcus Morris avait tapé sur la tête d’Alfonzo McKinnie au lieu de celle de Luka Doncic, les réactions auraient été bien différentes. Il en irait de même si c’était Ivica Zubac qui avait commis le même geste sur Doncic. Contexte et antécédents, encore et toujours. De plus, il semble que si le comportement adopté en saison régulière sera noyé dans la masse des rencontres disputées, celui adopté en playoffs sera bien plus rapidement passé à la loupe.
Les réseaux sociaux se sont d’ailleurs emparés de cette loupe. La “faute” parfois, aux joueurs eux mêmes. Lorsque Morris (vous pourriez avoir l’impression que l’on s’acharne sur le pauvre Marcus, mais il semblerait qu’il dispose d’un certain passif), après la qualification des Clippers pour le second tour aux dépens des Mavericks, tweete “Cry me a river. Clippers in 6” en réponse paroles de Doncic, qui expliquait qu’il était intolérable d’être la cible de telles brutalités, il apporte une réponse circonstanciée à nos questionnements précédents. Non seulement il est intrinsèquement moins fort que le prodige slovène, mais en plus il n’a pas joué un rôle dans la qualification de son équipe, puisqu’il a été exclut suite à son mauvais coup.
Nous entrons ici dans la seconde et la troisième rubrique du trashtalking, celles pour lesquelles nous avons tenté de démontrer que les paroles prononcées (ou tweetées, en l’occurrence) peuvent nuire directement à l’image de son auteur. Et en l’espèce, cela n’a pas loupé.
Alors peut-être que ces joueurs – nous en avons cité ici quelque uns en raison de la situation actuelle des Clippers, mais nous retrouvons des joueurs impopulaires en dehors des frontières de la ville de Los Angeles – n’en ont que faire d’être (im)populaires aux yeux du grand public. Cela pose une question encore plus philosophique, et qui constituera l’ouverture de notre article : faut-il être populaire ?
En voilà encore un beau, de sujet de thèse.