Depuis 1946 et la création de la National Basketball Association, quelque cinq mille joueurs ont foulé les parquets de la Grande Ligue. Certains d’entre eux ont laissé une empreinte indélébile qui ne sera jamais oubliée. D’autres sont restés bien plus anonymes. Entre les deux ? Des centaines de joueurs, qui ont tour à tour affiché un niveau de jeu exceptionnel, mais dont on oublie bien souvent la carrière.
Dès lors, @BenjaminForant et @Schoepfer68 ont décidé de dresser – littéralement – le portrait de certains de ces acteurs méconnus ou sous-estimés. Au total, ce sont 60 articles qui vous seront proposés : un par année, entre les saisons 1950 – 1951 et 2009 – 2010. Pour chaque saison, un joueur a été sélectionné comme étendard, parfois en raison d’une saison particulièrement réussie, d’une rencontre extraordinaire ou encore d’une action historique …
Chaque portrait s’inscrira dans une volonté, celle de traverser l’Histoire de la NBA de manière cohérente. Ainsi, ces portraits (hebdomadaires) seront publiés dans un ordre précis : un meneur, un arrière, un ailier, un ailier-fort, un pivot. Au bout de cinq semaines, c’est donc un cinq majeur qui sera constitué. Les plus matheux d’entre vous l’aurons compris : au final, ce seront douze équipes, toutes composées de joueurs ayant évolué au cours de décennies distinctes, qui auront été composées.
A vous de déterminer lequel de ces cinq majeurs sera le plus fort, le plus complémentaire, le plus dynastique.
Vous trouverez en fin d’article les liens vous permettant de (re)consulter les articles précédents.
La jaquette
Pour chaque article, @t7gfx vous proposera ses créations. Vous y retrouverez une illustration du joueur présenté (en tête d’article) ainsi qu’une présentation de chaque cinq majeur projeté (chacun avec une identité visuelle propre).
Le synopsis
Shawn Kemp est l’un de ces joueurs dont nous avons hésité à parler. Il est vrai que tout observateur du basket américain a, a minima, entendu parler du Reign man, de son duo avec Gary Payton et de ses capacités physiques extraordinaires. L’on peut toutefois se demander si la légende des Seattle Supersonics est réellement reconnue à sa véritable valeur ? Question à laquelle nous estimons qu’il convient de répondre par la négative.
Il a ensuite été au cœur d’un dilemme interne. Fallait-il parler de lui pour sa meilleure saison en carrière ? Fallait-il évoquer la saison 1995 – 1996, aux termes de laquelle Seattle ira défier les invincibles Bulls en finale NBA ? Nous avons opté pour une troisième solution, bien que les deux premières auraient, c’est certain, très bien pu faire l’objet de notre focus du jour.
En lieu et place, nous avons retenu l’exercice 1991 – 1992 pour une action précise. Il nous est arrivé, par le passé, de concentrer notre portrait sur une seule rencontre. C’était le cas pour le quadruple-double de Nate Thurmond en 1975. Légèrement plus proche de nous, nous avions également évoqué longuement les 13 points en 35 secondes d’un Tracy McGrady inarrêtable. Nous allons nous axer, aujourd’hui, sur une action. L’une de celles qui se déroulent en une demi-seconde, mais qui marque à tout jamais les esprits. L’une de celles qui caractérisent le mieux le joueur qu’était Shawn Kemp : un dunk d’une sauvagerie sans limite.
Si l’on peut garder en mémoire un joueur grassouillet en fin de carrière, Kemp était avant tout une brute physique. Ses mensurations sont celles, classiques, d’un ailier-fort des années 1990 : 2m08 pour 115 kilos au poids de forme. Cependant, au début de sa carrière, son taux de masse graisseuse était ridiculement bas et le joueur était aussi sec que le fin fond du désert du Sahara.
Surtout, lorsqu’on parle de lui, un mot arrive très rapidement sur la table : la détente. Effectivement, le malabar était un esthète aérien, dans la lignée de ce que faisait alors Dominique Wilkins. Avec 1m02 de détente sèche (chiffres non officiels, mais qui résultent de plusieurs sources croisées), Kemp martyrisait aussi bien le cercle que ses adversaires. Il écrasait fréquemment les seconds pour avoir accès au premier.
Le numéro 40 des Sonics n’était cependant pas qu’un dunkeur fou. Excellent rebondeur, défenseur plus qu’honnête et franchement pas maladroit de ses mains, il est l’un des artisans majeurs de l’une des plus belles périodes de sa franchise, au sein de laquelle il est le meilleur ailier-fort à avoir porté le maillot. Il est surtout incroyablement efficient, rentabilisant à merveille les minutes qu’il passait sur les parquets. Loin du cliché des années 1990, où un joueur pouvait passer 42 minutes par soir sur le terrain, Kemp n’a dépassé qu’à une seule reprise celle des 35 minutes (et encore, 35,1 mins / match en 1998 – 1999). Cela ne l’empêcha pas de réaliser 6 saisons consécutives en double-double de moyenne.
Plus que ses qualités physiques illimitées et ses capacités techniques améliorées au cours de sa carrière, Kemp était un homme à fleur de peau à qui la vie n’a pas fait que des cadeaux. En retour, il n’a pas toujours été irréprochable. Son train de vie ressemblait parfois plus à une soirée dans les loges des Rolling Stones à la fin des années 1960 qu’à celui d’un joueur professionnel de basketball, entre addiction à l’alcool, consommation de drogue et sexe à outrance. C’est cela, qui fait toute la complexité du personnage. Dès lors, plongeons dans le parcours tortueux d’une icône de la dernière décennie du siècle passé.
Action !
Que celui qui a déclaré que la vie est un long fleuve tranquille regarde le jeune Shawn Kemp dans les yeux. L’adolescent qu’il fût pourra aisément lui prouver le contraire. Pourtant, comme dans toute pièce de théâtre, les péripéties ont été précédées par le calme plat. Enfin, plat … Au lycée, dans son Indiana natal, Kemp se fait remarquer pour la première fois dans l’un de ces stages qui sont proposés aux jeunes prospects. Comment ? En surdominant la star proclamée du camp en question, tout simplement.
En effet, Terry Mills était un top prospect à la sortie du lycée. Cet ailier-fort, deux ans plus âgé que Kemp, était alors courtisé par les plus beaux programmes du pays, et fera une carrière honnête en NBA, notamment chez les Pistons de Détroit. Cependant, déjà au lycée, rien ne permettait de comparer Kemp et Mills sur un parquet de basket. Il en ira de même en NBA.
Au terme de son cursus lycéen, Shawn est le meilleur joueur à avoir porté les couleurs d’Elkhart. Il est probablement le meilleur joueur de l’État, d’ailleurs. Néanmoins, il sera boudé au moment de la remise du trophée honorifique d’Indiana Mr. Basketball, pour des raisons qui confinent plus à la politique qu’au sportif : ainsi, il avait donné son accord verbal pour rejoindre la très réputée faculté de Kentucky, alors que tout le monde l’imaginait intégrer la faculté d’Indiana. À l’inverse, son principal concurrent, Woody Austin, avait clamé haut et fort son envie d’intégrer une faculté de l’État.
Ce n’est que le premier écueil que connaîtra l’enfant d’Elkhart avec la « case université ». Ainsi, à l’instar d’Eddie Jones après lui, Kemp n’obtiendra pas les 700 SAT – l’équivalent du Baccalauréat d’outre-Atlantique, nécessaire pour jouer au basket à la fac en vertu de la proposition n° 48 de la NCAA – et ne peut donc pas jouer au basket lors de sa saison freshman. Pour éviter d’être totalement éloigné du parquet pendant un an, il envisage de sauter l’université pour intégrer directement la NBA. Il ne le fera pas. Grand mal lui en a pris. Les problèmes arriveront très rapidement, par paquets de douze.
D’abord, il est au cœur d’une polémique de recrutement. Kentucky, qui distribuait manifestement quelques billets sous la table pour attirer certains prospects, avait ainsi donné 1 000 dollars à Chris Mills, un ami de Kemp. Ni d’une, ni deux, ce dernier est également soupçonné d’avoir empoché illégalement de l’argent pour intégrer l’Université, ce qui expliquerait, selon ses détracteurs, pourquoi il n’a pas souhaité rejoindre les Hoosiers d’Indiana. En réalité, il n’a pas gagné un centime dans l’histoire. Le bonhomme entretiendra d’ailleurs une relation ambivalente avec l’argent tout au long de sa carrière.
La seconde affaire dans laquelle il sera traîné malgré-lui sera fatale à sa carrière NCAA. En effet, en novembre 1988, il est exclu de la faculté pour une sombre affaire de vol de chaînes en or appartenant au fils du coach. Une enquête sera diligentée par la NBA au cours de l’année suivante. Elle révélera que Kemp était innocent et qu’il s’était sacrifié pour couvrir les méfaits d’un de ses amis.
Cette exclusion, Kemp la vivra particulièrement mal. Lui qui était déjà plus grand que quiconque au collège et au lycée (à cet âge ingrat où l’on se moque automatiquement de tous ceux qui n’entrent pas dans le carcan de ce qui doit être considéré comme « normal »), le voilà injustement privé d’une partie de sa jeunesse :
“J’en ai souffert. J’aurais aimé côtoyer des gens de mon âge, découvrir l’ambiance d’un campus universitaire. J’aurais aimé vivre les joies simples de l’adolescence”.
Il souhaitera rebondir au Texas, à Trinity Valley. En vain : il y arrivera trop tard pour prendre part à la saison NCAA. Il aura donc bel et bien, au final, raté intégralement sa première année universitaire. De manière surprenante, il ne souhaitera pas prolonger l’expérience et se déclarera, à 19 ans, éligible à la draft 1989.
En cette époque, seuls cinq joueurs avaient posé leur baluchon dans la Grande Ligue sans avoir disputé le moindre match universitaire. Parmi eux, deux noms doivent être mentionnés : Moses Malone tout d’abord, qui était, avant Kevin Garnett, Kobe Bryant et Jermaine O’Neal, l’unique adolescent à être parvenu à devenir une superstar NBA. Celui de Darryl Dawkins ensuite, dont le profil physique était exactement similaire à celui de Kemp, et qui lui valut le surnom ô combien pertinent de Baby Gorilla.
Kemp sera sélectionné en 17è position par les Supersonics de Seattle, dont les stars étaient alors Dale Ellis et Xavier McDaniels. Le choix, qui pouvait sembler critiquable, voire incohérent, pour une partie des observateurs, était pourtant acté depuis un moment dans la tête du front-office de la franchise, dont un dirigeant déclara :
“On a vu un gamin de 2m08 et plus de 100 kilos prendre des rebonds, contre-attaquer puis shooter à trois-points. On s’est dit qu’il ne fallait pas le laisser passer”.
Pour la première fois depuis bien longtemps dans le monde basketballistique, Kemp possède la confiance de quelqu’un. Confiance qui sera déterminante dans le développement du jeune colosse, dont le rôle sera mineur lors de la saison rookie : 13,8 minutes par soir, 1 seul match débuté comme titulaire.
On note immédiatement son côté paradoxal. Il est ainsi capable de réaliser un geste défensif décisif, de remonter la balle et de claquer un dunk sur le museau du pivot adverse. Par contre, sur l’action suivante, il peut foirer sa rotation dans les grandes largeurs ou envoyer une passe a priori simple dans les tribunes. Comme n’importe quel rookie, il est inconstant.
Néanmoins, lui n’a pas pu se polir dans les joutes universitaires, comme les gamins de son âge. C’est ce que mettait en lumière Michael Jordan himself, quelques années plus tard, en énonçant que Kemp saura devenir plus naturel sur le terrain quand il sera parvenu à gommer certains défauts de jeunesse. Défauts qui, pour l’immense majorité des excellents joueurs, ont été identifiés, combattus et réglés lors du passage à la faculté.
Plus que ses performances, on retiendra de cette première saison un passage remarqué au dunk contest du All-star game 1990, alors qu’il était le plus jeune joueur de la Ligue.
Pourtant, les performances sont loin d’être mauvaises. Sur 36 minutes, le 40 vert et blanc clôture son premier exercice avec 17 points, 11 rebonds, 1,5 interception et 2,3 contres. On le sait, les comparaisons sur 36 minutes ne sont pas toujours pertinentes. En l’espèce, il s’agit presque de tripler le temps de jeu du bonhomme, sans que l’on puisse assurer qu’il aurait su garder la même activité. Cela démontre cependant que lorsque Bernie Bickerstaff l’envoyait sur le terrain, Kemp produisait sans s’économiser.
Avec le départ de Xavier McDaniels pour Phoenix, Shawn Kemp est propulsé sur le devant de la scène. Désormais titulaire quasi-indiscutable, les performances s’embellissent au même rythme que son temps de jeu augmente. Si les résultats collectifs sont moyens, l’ailier-fort fait montre de l’étendue de son talent. L’ensemble de la Ligue découvre alors un phénomène physique générationnel, un « joueur venu d’une autre dimension » selon les mots de K.C Jones.
Les parallèles avec Karl Malone, le très rugueux joueur du Jazz d’Utah commencent alors à émerger. Ces comparaisons ne sont pas uniquement fondées sur le physique similaire des deux bestiaux. Balle en main, Kemp est loin d’être un manche. Si son tir longue distance n’est pas encore très fiable – mais il le deviendra par la suite – il compense cette faiblesse par une activité de tous les instants, un sens de la passe peu commun pour un intérieur et un esprit de compétition que ne renierait pas le défunt Kobe Bryant.
Tout cela mélangé, cela donne un exercice sophomore à 15 points et 8,5 rebonds de moyenne. À quinze reprises, il réalisera un 20 points / 10 rebonds. Pourtant, s’il fallait retenir une seule rencontre, l’on opterait plutôt pour une autre. Opposés à Magic Johnson, Vlade Divac et autre James Worthy, les Sonics s’inclineront de 9 points pour le 35è match de la saison. L’effectif de Seattle fleure alors bon la jeunesse et l’inexpérience. Kemp et Payton ont 22 ans. McKey 23. C’est Dale Elllis et ses 30 printemps qui assure la « caution expérience » du cinq de départ.
Dans la défaite, Kemp trouve le moyen de planter 20 points, gober 8 rebonds, mais surtout de claquer 10 contres. Cette dernière marque constitue, probablement à tout jamais, le record de la franchise de Seattle.
En cette fin de saison 1990 – 1991, les Sonics se qualifient ric-rac pour les playoffs, avec un bilan de 41 – 41. Ils s’inclineront avec les honneurs face aux Blazers, meilleur bilan de la Ligue (63 – 19), aux termes d’une série plus serrée que ce que le papier laissait imaginer (3 – 2). Avant cela, celui qui se fait désormais surnommer The Reign Man a terminé second du dunk contest 1991, derrière Dee Brown.
La machine Kemp était lancée, et c’est tout Seattle qui se met à saliver en pensant à son duo avec le non moins prometteur Gary Payton. La NBA, elle, peut trembler. Mais avant cela, faisons un arrêt sur image au 30 avril 1992, pour évoquer l’une des actions les plus mythiques que la Ligue ait vues.
L’oscar de la saison 1991 – 1992
Pour cela, prenons quelques libertés avec les règles que nous avons fixées il y a désormais quelques 35 semaines. Comme dans ces pièces de théâtre kabuki moderne, racontons cette saison en trois actes distincts et marqués.
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Acte I – Le contexte
Scène 1 : 26 novembre 1991, Seattle Center Coliseum.
En 1991-92, Kemp entame son troisième exercice dans la Grande Ligue. Cependant, contrairement à la saison précédente, il joue les seconds rôles au poste d’ailier-fort, passant derrière Michael Cage dans la hiérarchie. Son temps de présence sur le devant de la scène baisse légèrement (-1,8 minute par soir). Pour autant, il continuera sa progression statistique, qui se reflétera sur l’exercice collectif de la cité d’émeraude.
Blessé, il ne débutera sa saison que le 26 novembre, le jour de ses 22 ans. La première rencontre qu’il dispute oppose Seattle à Golden State. Vous le comprendrez plus tard, mais la vie est extrêmement bien faite.
Le jeu est basé sur une PACE élevée (105 tirs pour chaque équipe) pour l’époque. Chris Mullin, Tim Hardaway et Sarunas Marciulionis donnent la réplique à Ricky Pierce, Eddie Johnson et Shawn Kemp. Maquillé en bulldozer, avec 21 points, 5 rebonds, 4 interceptions et 2 contres, l’ailier-fort mène les verts à la victoire (136 – 130). Vous vous demandez certainement quelles furent les statistiques d’Alton Lister dans cet affrontement inaugural ? Non ? Donnons les quand même, il se pourrait que le bonhomme ait, en dépit des apparences, une certaine importance pour la suite de notre pièce : deux minutes de jeu et aucun impact statistique sur le jeu de son équipe.
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Scène 2 : 29 novembre 1991 – 20 avril 1992, sur tous les parquets de la Ligue.
Opérons un léger saut dans le temps. Après dix rencontres de saison régulière, the Reign Man crève l’écran. Avec plus de 50 % de réussite au tir, et 80 % aux lancers (alors qu’il plafonnait à 66 % jusqu’alors), il maintient les Sonics à flot. Loin de cabotiner lorsqu’il pose l’orteil sur le parquet, il tient à merveille son poste de 6è homme des Sonics, dans un style de jeu que l’on pourrait presque, si nous étions plus grandiloquents, qualifier d’all around : 17,5 points, 7,5 rebonds, 2 passes décisives, 1 interception et 2 contres.
Il scorera moins le reste de la saison, laissant les premiers rôles offensifs à Ricky Pierce et Eddie Johnson. Par contre, il attrapera des brouettes de rebonds, aussi bien offensifs que défensifs. Deux rencontres consécutives illustrent cet aspect de son jeu :
- 29 janv. 1992 @ Miami: 25 points, 16 rebonds (dont 9 offensifs), 4 contres à 11 / 17 au tir, dans une défaite (- 5),
- 31 janv. 1992 @ Charlotte: 22 points, 21 rebonds (dont 9 offensifs), 2 passes décisives, 2 interceptions, 4 contres à 10 / 23 au tir, dans une victoire (+ 17).
C’est le premier 20/20 de sa carrière. Cinq autres suivront, dont deux en playoffs. Nous aurons l’occasion d’en reparler sous peu. Au final, sur les 64 matchs disputés cette saison-ci, il aura atteint ou dépassé la barre des 10 rebonds en 34 occurrences. On constate surtout que lorsqu’il obtient 30 minutes de temps de jeu (28 fois), il aspire au moins 10 rebonds 92,8 % du temps.
En raison de nombreuses absences, il est trop court pour être convié à son premier All-Star Game. Il n’aura pas à attendre longtemps pour être convié sur la plus belle scène du paysage basketballistique américain. En attendant cette consécration individuelle, il termina sa saison comme il l’avait commencée. À l’heure du tombé de rideau, Seattle a remporté 47 rencontres et s’apprête à disputer sa seconde campagne consécutive de post-season.
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Scène 3 : Juste avant cela : 19 avril 1992, Oakland-Alameda County Coliseum Arena.
Par un curieux scénario, la dernière rencontre de la saison régulière est disputée contre Golden State. Malgré la défaite (- 2), concédée contre des Warriors bien installés dans les sommets de la conférence, Kemp n’a pas fait dans la dentelle : 23 points, 19 rebonds, 3 interceptions et 3 contres, à 55,6 % au tir. Comme d’habitude, aurions-nous pu dire, si l’ailier-fort n’était pas passé totalement en travers de la seconde confrontation contre la franchise de la baie : 6 points, 8 rebonds en 21 minutes.
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Scène 4 : Repos, entre les 20 et 22 avril 1992, Seattle, État de Washington.
Shawn n’est pas encore dans son prime. Pourtant, par bien des aspects, cet exercice 1991-92 est l’un des meilleurs de sa carrière. Malgré un temps de jeu limité et un double changement de coach (K.C Jones dirigea 36 rencontres, Bob Kloppenburg 4 et George Karl les 42 restantes), il sut s’imposer comme un élément déterminant de la bonne saison des Sonics, profitant pour réaliser certaines de ses meilleurs statistiques au rebond et au contre. Au final, il réalise son premier double-double sur un exercice entier : 15,5 points, 10,4 rebonds, 1,5 interception et 2 contres par soir en 28,3 minutes de jeu.
C’est en sortant de 64 rencontres porteuses d’espoir que Kemp et les Sonics s’en vont défier les Golden State Warriors au premier tour des playoffs. Cela ne s’invente pas.
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Acte II – La bataille
Scène 1 : 23 avril 1992, avant le game 1.
À l’heure d’affronter les hommes d’Oakland, les Sonics ne sont pas favoris des bookmakers. Cependant, et la franchise verte et blanche l’apprendra rapidement à ses dépens, les premiers tours de playoffs réservent souvent de nombreux rebondissements.
L’affrontement entre Sonics et Warriors semblait écrit à l’absence. En effet, Seattle est 5è ex-aequo de la conférence Ouest, affichant le même bilan que les Spurs de David Robinson. C’est toutefois San Antonio qui a le tie-breaker (l’équivalent NBA, pour les plus footeux d’entre vous, du goal average particulier), et Seattle se retrouve relégué à la 6è position. Le scénario est exactement similaire en ce qui concerne Golden-State, finalement 3è avec le même bilan que le Jazz.
Au final, les deux franchises, qui ne se sont pas quittées au cours de la saison régulière, vont croiser le fer au meilleur des 5 rencontres. En saison régulière, ce sont les hommes de Don Nelson qui ont mené la danse : 3 – 1 dans les affrontements directs. 3-1 …
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Scène 2 : 23 avril 1992, game 1, Oakland-Alameda County Coliseum Arena.
Pour cette première confrontation, Seattle va faire course en tête et jouera à se faire peur dans le dernier quart-temps. Le grand monsieur de ce game 1 n’est nul autre que Shawn Kemp.
Défensivement, il asphyxia littéralement les pivots adverses. Ainsi, en 15 minutes, Tyrone Hill ne scora pas le moindre point, et se contenta de 4 rebonds à inscrire sur sa feuille de match. Son remplaçant, Alton Lister, rendit à nouveau une copie vierge, comme ce fût le cas en saison régulière. À l’instar d’un comédien qui oublie son texte, le pivot oublia ce qu’il devait faire sur un terrain de basket : 0 point, 0 rebond, 0 passe, 0 interception, 0 contre, 3 fautes en 7 minutes.
Offensivement, la symphonie jouée par the Reign Man fût quasi-parfaite : 28 points, 16 rebonds (dont 8 offensifs) et 3 contres, à 10 / 15 au tir.
Le backcourt des Sonics fût plus en difficulté, malmené par Mullin, Hardaway et Marciulionis. Néanmoins, quand bien même les guerriers de la baie eurent un sursaut d’orgueil dans le dernier acte (29 – 21), Seattle s’imposa assez facilement et repris l’avantage du terrain.
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Scène 3 : 25 avril 1992, game 2, Oakland-Alameda County Coliseum Arena.
La seconde rencontre fût le théâtre d’un véritable combat. Très rugueux, les intérieurs des Warriors prennent Kemp à son propre jeu, le forçant à entrer dans une confrontation physique et virile permanente. À ce petit jeu, Lister n’est pas le plus mauvais. Avec 5 / 14 au tir, Kemp a connu des jours meilleurs.
Les deux bonhommes seront les principaux acteurs d’une bagarre, déclenchée par une faute flagrante du premier sur le second, qui répliqua non seulement sur la ligne des lancers, mais également avec ses poings. Cette combine, digne des Bad Boys de Détroit, porta cependant ses fruits. En seconde mi-temps, l’ailier-fort fût complètement à côté de ses pompes, et Golden State en profita pour remporter la rencontre (115 – 101).
Rancunier comme un éléphant, Shawn Kemp attend désormais l’occasion de se venger du sale coup que Lister lui a envoyé. Il semblerait, à ce titre, que la vengeance est un plat qui se mange au bout de 5 jours …
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Scène 4 : 28 avril 1992, game 3, Seattle Center Coliseum.
“On ne modifie pas une tactique qui gagne”, aurait pu énoncer Don Nelson à l’issue de la seconde rencontre. Ainsi, pour repartir avec une seconde victoire consécutive, les Warriors avaient deux mots d’ordre : marquer des paniers et faire sortir – une fois encore – Shawn Kemp de ses gonds. C’est une sorte de Kemp rules, si l’on peut dire, qui est en train de se mettre en place.
Mais le grand gaillard ne sera pas deux fois le dindon de la farce. Il ira 15 fois sur la ligne des lancers, pour 12 points inscrits. À côté, il convertit 5 de ses 7 tirs. Avec 22 points et 10 rebonds, il épaule parfaitement McKey et Pierce, pour parvenir, au bout du suspens, à terrasser les Warriors (129 – 128).
Kemp sera d’ailleurs particulièrement clutch, inscrivant 3 des 6 derniers points des siens dans la dernière minute de la partie, dont un alley-oop grandiose qui fît lever la foule.
Seattle mène 2-1 et a l’occasion de plier la série lors du game 4, disputé à domicile lors de ce fameux 30 novembre 1992. Let the battle begin.
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Scène 5 : 30 avril 1992, game 4, Seattle Center Coliseum.
Pour la seconde fois depuis qu’il est arrivé en NBA, Kemp dispute une rencontre à enjeu. Rappelez-vous : l’année précédente, la défaite face aux Blazers ne s’est dessinée qu’après le cinquième et dernier match. Cette fois-ci, le match n’est pas encore couperet : il ne s’agit que du quatrième de la série. Ce sera le dernier et il portera le sceau du Reign Man.
Si l’Histoire de la Grande Ligue vous intéresse, il se peut que vous ayez entendu parler du « Lister Blister ». En effet, nos détours fréquents entre Shawn Kemp et Alton Lister ne relevaient pas que d’un running gag. Leur bagarre constitua le premier épisode de leur face-à-face dans cette série. Si l’on prend un peu de recul, c’est d’ailleurs Lister qui en est ressorti vainqueur.
C’est là tout le drame d’Alton Lister. Il était un role player parmi tant d’autre et bien qu’il ait passé 16 années dans la Grande Ligue, on se souvient de lui comme de la victime de l’un des plus gros attentats sportifs de l’Histoire. Un drame qui se déroule en deux phases, d’ailleurs.
D’abord, le dunk. On l’a dit, Shawn Kemp était un engin musculeux et monté sur ressort. En fait, il conviendrait d’en parler comme l’un des 5 meilleurs dunkeurs de match de tous les temps, ni plus ni moins. Celui du 30 avril 1992 contribue grandement à sa légende.
Nous sommes au milieu du second quart-temps. Golden-State mène d’un point. Il n’y a pas péril en la demeure, pourrions-nous dire. Kemp gobe l’un de ses douze rebonds défensifs et donne immédiatement la balle à Payton, qui cherche Nate McMillan. Bien pris par la défense des Warriors, le second meneur ressort la balle un peu comme il le peut. Le cuir tombe dans les mains du Reign Man, au niveau de la ligne des trois-points. Sous le cercle ? Alton Lister. La vengeance avait attendu 5 jours.
La musique commence. Les tambours s’emballent.
En trois pas, Kemp est sous le cercle. Droit comme un i, Lister cherche à gratter un passage en force. En face de lui, superman bondit : appel pied gauche, balle coincée dans le poignet droit. Jamais le terme « passage en force » n’a été aussi bien employé. Les 213 centimètres et 110 kilos de Lister sont littéralement balayés et le bonhomme se retrouve le cul par terre avant d’avoir eu le temps de cligner de l’œil.
La brutalité du geste est inouïe. Mais plus encore que la sauvagerie, c’est la célébration qui fît passer ce dunk à la postérité.
Genoux pliés, bras tendus, Kemp fixe sa victime du regard. Le genre de regard qui se passe de mots. À lui seul, il signifie “IN YOUR FACE”. Une célébration qui, à coup sûr, lui aurait aujourd’hui valu une faute technique. Ce trashtalking, bien que silencieux, stoppe le temps et tient le public en haleine. Les tambours cessent de jouer.
La violence de la séquence nous rappelle les paroles prononcées peu de temps avant par Eddie Johnson :
“Shawn est inarrêtable. Personne ne veut défendre sur lui. Je lui ai dit qu’il ressemblait de plus en plus à Karl Malone. Quand il pénètre dans la raquette, tu n’as pas envie de te mettre sur son chemin. Ou alors, pas seul”.
Nous avons toutefois le sentiment que Lister aurait pu ramener toute son équipe et peut-être même l’ensemble de la ville d’Oakland : Kemp leur aurait quand même dunké sur la trogne. L’ambiance dans la salle décrit à merveille le geste de l’ailier-fort (jusqu’à 1m25).
Plus encore que cet instant de féerie absolue, les Sonics avait une rencontre à gagner. Et Kemp allait très rapidement refaire parler de lui. Moins de quatre minutes plus tard, et alors qu’on se demande encore si Alton Lister sait de nouveau comment il s’appelle, les projecteurs étaient à nouveau braqués sur le Reign Man : Chris Gatling contre un lay-up de McMillan. Le rebond est pris par Kemp. La suite, vous l’imaginez parfaitement : appel deux pieds, contact, et boum. Gatling, lui, ne chutera pas. Il n’en demeure pas moins que le tomahawk qu’il vient de prendre sur le crâne était, à nouveau, d’une violence indescriptible. Pas rancunier, il viendra taper dans la main de son bourreau : à partir de 1m25 dans la vidéo ci-dessus.
En plus d’écrabouiller tout ce qui bouge sous le panier, Kemp est particulièrement en jambe dans ce match décisif, remporté à l’arrache par Seattle (119 – 116). Clutch en plus d’être colossal, l’ailier-fort profite pour réaliser son second 20 / 20 en carrière : 21 point, 20 rebonds et 4 contres.
Seattle se qualifie pour les demi-finales de conférence (perdues en 5 matchs contre Utah) pour la première fois depuis quatre saisons. Avec 22 points, 16,3 rebonds et 2,5 contres de moyenne sur la série du premier tour, l’ailier-fort est l’artisan principal du succès des siens. Ses 25 rebonds offensifs captés sont toujours la seconde marque de l’Histoire pour une série de 4 rencontres.
Voici venue la fin de notre second Acte, qui fît de Shawn Kemp le héros de la pièce et d’Alton Lister le bouffon d’une farce burlesque. Reste alors une dernière scène à raconter, qui se déroula bien des années plus tard.
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Acte III – L’épilogue
Scène unique, des années plus tard, sur un plateau de télévision.
Les deux compères furent tous les deux invités sur un plateau TV. L’occasion, bien entendu, de revenir sur la genèse de ce dunk. L’occasion, surtout, pour Shawn Kemp de faire son mea culpa. Nous l’avons dit, l’homme est torturé ; son mental n’a jamais été l’équivalent de son physique, loin s’en faut :
“Je me sens un peu mal, car ce dunk aurait dû être sur Tim Hardaway. Je pensais que c’était Alton qui m’avait attrapé (NDLR : au game 2), mais c’était en fait Hardaway. Alton, je me sens mal. J’ai libéré toute ma frustration sur toi à ce moment”.
Vis-à-vis du public, les excuses n’y changeront rien, Lister se verra toujours associé à ce grand gaillard sonné par la charge d’un 36 tonnes. La NBA retiendra à tout jamais le “Lister Blister”. Mais mieux vaut tard que jamais. Et dans cette fin, finalement plus proche d’un shônen que d’un kabuki, tout est bien qui finit bien. Les acteurs de cette action légendaire peuvent définitivement se retirer. Noir salle.
Le générique de fin
Kemp n’a alors que 22 ans. Il jouera en NBA encore 11 années, dont 8 à très haut niveau. Son prime individuel coïncidera avec la montée en puissance des Sonics, qui deviendront une place forte de la conférence Ouest au milieu de la décennie.
L’exercice 1992 – 1993 débute par une victoire (+ 17) contre les Rockets d’Olajuwon, avec 29 points et 20 rebonds d’un ailier-fort bien déterminé à devenir All-star. Ce qu’il sera d’ailleurs. Seattle et ses 55 victoires dispute un premier tour de playoffs serré face au Jazz. La série est digne des années 1990 : sur les cinq rencontres, la barre des 100 points n’est atteinte qu’à une seule reprise (100 points tout rond lors du game 5). Autrement, les barbelés étaient sortis et chaque rencontre prenait la forme d’une bataille rangée. Kemp, lui, se frotte alors à Karl Malone, l’un des rares joueurs aussi athlétique que lui.
La première banderille est plantée par le Sonics, avec 29 points et 17 rebonds lors de la première rencontre. Lors des quatre autres, Malone dominera outrageusement son vis-à-vis, mais c’est Seattle qui s’en sortira (3 – 2). Les hommes de George Karl s’en sortiront à nouveau de justesse en demi-finale contre les Rockets (4 – 3) et retrouvent les Suns du MVP Charles Barkley en finale de conférence. Après Malone, Kemp se frotte à nouveau à ce qui se fait de mieux dans la Ligue.
Il sera loin d’être ridicule, avec 20,6 points, 9,3 rebonds et 3,5 contres de moyenne sur les 7 rencontres de la série. Cependant, l’on ne parle de cette série que pour une seule et unique raison : dans du 7è et dernier match, Barkley massacra Kemp : 44 points, 24 rebonds. Pour certains, pas avares de bons mots, ses problèmes d’alcool ont commencé ici, en raison du magistral coup qu’il a pris sur la tête. S’il est toujours compliqué de dater avec précision l’origine d’un tel problème, on sait cependant que l’alcoolisme chronique du Reign Man ne tardera pas à être dévoilé au grand jour.
Assommé par Barkley, Kemp sera atomisé par Dikembe Mutombo la saison suivante. Avec 63 victoires et la retraite de Jordan, les Sonics sont favoris pour le titre. Mais, nous l’avons dit, les premiers tours de playoffs réservent beaucoup de surprises. Et quelle ne fût pas l’ébahissement des observateurs lorsque les Nuggets firent la nique aux Sonics, devenant la première franchise à avoir terminé la saison régulière à la 8è place à se qualifier pour les demi-finales de conférence.
Pourtant, avec 18,5 points, 11 rebonds et 2,5 contres, Kemp est dans la forme de sa vie. Double All-star, son one-two punch avec Payton fonctionne à merveille. Tout va bien dans le meilleur des mondes. D’ailleurs, après deux rencontres, Seattle caracole en tête sans trembler : + 24, + 10. Le monde s’écroula trois rencontres plus tard. Trois rencontres … c’est le temps qu’il fallut à Mutombo pour réaliser 22 contres, faisant passer Kemp pour l’enfant qu’il n’a jamais été.
Que celui qui a déclaré que la vie est un éternel recommencement regarde Shawn Kemp dans les yeux. L’adulte qu’il était pourrait alors le confirmer. En effet, après une nouvelle saison de très belle facture, au cours de laquelle il inscrira son career high contre les Clippers (42 points, 14 rebonds) et où il fût All-star pour la troisième fois consécutive, devenant un habitué de l’événement, il sera à nouveau éliminé au premier tour des playoffs (3 – 1 contre les Lakers, 5è de conférence). Le train est passé, et les Sonics l’ont raté à deux reprises. Ce sont les Rockets qui en auront profité, remportant les deux titres mis en jeu en l’absence du n° 23 des Bulls.
Et pourtant, la locomotive repassa. Cette fois-ci, Seattle monta dedans, direction les finales NBA. Les premières depuis le sacre de 1979. Sous le maillot de la ville émeraude, jamais Kemp ne fût aussi fort. Son début de saison est magistral, au point qu’il figure dans le 5 majeur du All-star game pour la première fois de sa carrière. Il faut dire qu’à l’heure de l’annonce des votes, le dossier du Reign Man était en béton armé :
Seattle remporta cette année-ci 64 matchs. Record de la franchise. Pourtant, en finale, jamais les Sonics n’ont eu autant l’aspect d’un petit poucet. En face, ce sont les Bulls de Jordan, Pippen et Rodman et leurs 72 victoires de saison régulière qui se dressent. Autant dire que le mur est difficilement franchissable. Mais l’espoir fait rêver et sur les 11 dernières rencontres de playoffs, alors qu’il s’est coltiné Karl Malone au cours de 7 d’entre elles, Kemp affiche 21 points, 11 rebonds, 2 contres à 61 % de réussite au tir. Le duel avec Scottie Pippen et Dennis Rodman fera des étincelles.
Une semaine plus tard, Chicago mène 3 – 0. Les Bulls sont tout simplement trop fort pour les hommes de George Karl, dont la tactique défensive peut cependant être remise en question. En attaque, pas de problème à signaler. Son ailier-fort domine étonnamment : 32 points et 8 rebonds au game 1 (- 17), 29 points et 13 rebonds au game 2 (- 4). Sans une défaillance incompréhensible du banc, les Sonics aurait d’ailleurs pu, voire dû, remporter cette seconde rencontre. Las, malgré leurs 34 minutes cumulées sur le parquet, Askew, Wingate, Brickowski et Snow ne marqueront pas le moindre point, là où le banc chicagoan en inscrira 18.
Changement de tactique au game 4 : Gary Payton, réputé pour sa défense incroyable sur l’homme, se charge de Michael Jordan. His Airness tirera à 6 / 19 lors de la rencontre. En face, Payton et Kemp en profitent. Le second est d’ailleurs en état de grâce : 25 / 11 à 70 % au tir, alors qu’il est défendu par deux des meilleurs défenseurs extérieurs … de tous les temps.
Seattle reviendra à 3 – 2. La suite, tout le monde la connaît. Le game 6, disputé le jour de la fête des pères, sera remporté par les Bulls. Michael Jordan sera élu MVP de ces finales 1996, en obtenant 6 des 11 votes. Seulement 6, effectivement, puisque Shawn Kemp en récupérera 3. Mis à part Jerry West, MVP des finales en 1969 malgré la défaite, jamais un « perdant » n’aura été aussi proche de remporter le trophée que Kemp ne le fût en 1996.
Il ne sera pourtant pas retenu pour participer au J.O d’Atlanta 1996, décision qu’il ne comprendra jamais réellement. Et les problèmes, cette fois-ci rédhibitoires, commenceront à ce moment-ci. Alors que ses demandes de revalorisation salariale étaient constamment ignorées par sa direction (il gagnait 3 millions de dollars en 1996), il voit la franchise offrir 35 millions sur 5 ans à Jim McIlvaine, un no name absolu dans le paysage NBA.
Ses problèmes d’alcool deviennent récurrents au même moment. Alors qu’il n’a plus aucune estime pour ses dirigeants, son comportement se dégrade et il est envoyé à Cleveland dans un blockbuster trade. Il passera trois saisons dans l’Ohio. Il sera All-star la première d’entre elle (titulaire, une première pour un joueur des Cavaliers), dans ses standards habituels (18 points, 9,5 rebonds). Il scorera plus de 20 points par soir la saison suivante (20,5), mais ratera la moitié de la saison sur blessure.
En plus de la bouteille, il tombe à cette période dans la cocaïne. L’on découvre aussi qu’il serait père d’au moins 7 enfants, de 6 mères différentes. Lui qui fût si énergique lors de son début de carrière semble désormais sur la pente descendante. Retards, kilos en trop, attitude inacceptable, il cumule tout ce qu’un entraîneur ne doit pas accepter. Bien que ses retards donnent parfois lieu à des scènes lunaires :
“Kemp était en retard pour prendre l’avion avec l’équipe, comme d’habitude. Il était à court d’excuse. Cette fois-ci, il a donné ce motif : mon chien s’est endormi devant ma voiture et j’ai dû attendre qu’il se réveille”. Randy Wittman, coach des Cavaliers.
Le tournant du siècle sonnera la fin de sa carrière. Enfin, il disputera encore deux saisons à Portland et terminera sa carrière à Orlando. Toutefois, comme il convient de retenir que la carrière musicale de Renaud s’est arrêtée en 2003, il faut impérativement considérer que Kemp n’a plus jamais joué en NBA après son départ de Cleveland.
Il ne se présentera pas à un workout de la dernière chance du côté des Mavericks en 2005, alors qu’il avait retrouvé un poids décent. À tout jamais, sa fin de carrière ressemblera à la longue agonie d’un joueur rattrapé par les démons qui le hantent depuis sa plus jeune enfance.
Crédits et hommages
Ses problèmes d’alcool et de drogue, Kemp les traînera sur l’ensemble de la première décennie de notre siècle. Il les traînera aussi devant les tribunaux, sans conséquence judiciaire cependant. Alors que le joueur faisait pleuvoir la foudre, l’homme semblait cloué au sol. Il n’a plus rien à voir avec celui qui concurrença Michael Jordan pour le titre de MVP des finales 1996. Il quitta la NBA avec un palmarès qui ne reflète en rien son talent :
- All-NBA, à 3 reprises : 2è équipe entre 1994 et 1996, parfois devant Charles Barkley !
- All-star, à 6 reprises.
La disparition de la franchise des Sonics en 2008 intervient même avant que son maillot ne soit monté au sommet de la salle. Gary Payton est d’ailleurs dans la même situation. Rien que pour cela, il convient de militer pour un retour dans la Ligue des Seattle Supersonics.
Au final, Shawn Kemp aura régné 10 années sur la NBA. Un règne qui n’était certes pas sans partage. Un règne qui s’est indubitablement terminé trop tôt.
Cependant, plutôt que de s’en souvenir comme le cocaïnomane aux proportions éléphantesques qu’il fût au 21è siècle, retenons la brute marsupiale qu’il a été 10 ans auparavant. Faisons comme tous ceux qui ne connaissent la Grande Ligue que de loin : gardons de Shawn Kemp cette image du 30 avril 1992 où il joua son rôle à la perfection, dans le meilleur costume et sur la plus belle des scènes. Donnons lui, dans l’imaginaire collectif, la sortie théâtrale qu’il n’a pas pu avoir.
Noir salle.
Les précédents épisodes et portraits du Magnéto :
- Cinq majeur #1 : Penny Hardaway (1994/95), Manu Ginobili (2007/08), Terry Cummings (1988/89), Jerry Lucas (1964/65), Nate Thurmond (1974/75),
- Cinq majeur #2 : Jason Kidd (1998/99), Tracy McGrady (2004/05), Rick Barry (1966/67), Elvin Hayes (1979/80), Neil Johnston (1952/53),
- Cinq majeur #3 : Isiah Thomas (1989/90), David Thompson (1977/78), Paul Arizin (1951/52), Tom Gugliotta (1996/97), Yao Ming (2008/09),
- Cinq majeur #4 : Baron Davis (2006/07), Bill Sharman (1958/59), Chet Walker (1963/64), Gus Johnson (1970/71), Jack Sikma (1982/83),
- Cinq majeur #5 : Tiny Archibald (1972/73), Dick Van Arsdale (1968/69), Bernard King (1983/84), Jermaine O’Neal (2003/04), Larry Foust (1954/55),
- Cinq majeur #6 : Fat Lever (1986/87), Richie Guerin (1961/62), Grant Hill (1999/00), Dan Issel (1971/72), Ben Wallace (2002/03),
- Cinq majeur #7 : Lenny Wilkens (1965/66) (Lenny Wilkens, bonus : le coach), Calvin Murphy (1975/76), Peja Stojakovic (2001/02),