Depuis 1946 et la création de la National Basketball Association, quelque cinq mille joueurs ont foulé les parquets de la Grande Ligue. Certains d’entre eux ont laissé une empreinte indélébile qui ne sera jamais oubliée. D’autres sont restés bien plus anonymes. Entre les deux ? Des centaines de joueurs, qui ont tour à tour affiché un niveau de jeu exceptionnel, mais dont on oublie bien souvent la carrière.
Dès lors, @BenjaminForant et @Schoepfer68 ont décidé de dresser – littéralement – le portrait de certains de ces acteurs méconnus ou sous-estimés. Au total, ce sont 60 articles qui vous seront proposés : un par année, entre les saisons 1950 – 1951 et 2009 – 2010. Pour chaque saison, un joueur a été sélectionné comme étendard, parfois en raison d’une saison particulièrement réussie, d’une rencontre extraordinaire ou encore d’une action historique …
Chaque portrait s’inscrira dans une volonté, celle de traverser l’Histoire de la NBA de manière cohérente. Ainsi, ces portraits (hebdomadaires) seront publiés dans un ordre précis : un meneur, un arrière, un ailier, un ailier-fort, un pivot. Au bout de cinq semaines, c’est donc un cinq majeur qui sera constitué. Les plus matheux d’entre vous l’aurons compris : au final, ce seront douze équipes, toutes composées de joueurs ayant évolué au cours de décennies distinctes, qui auront été composées.
A vous de déterminer lequel de ces cinq majeurs sera le plus fort, le plus complémentaire, le plus dynastique.
Vous trouverez en fin d’article les liens vous permettant de (re)consulter les articles précédents.
La jaquette
Pour chaque article, @t7gfx vous proposera ses créations. Vous y retrouverez une illustration du joueur présenté (en tête d’article) ainsi qu’une présentation de chaque cinq majeur projeté (chacun avec une identité visuelle propre).
Le synopsis
Pour la NBA, le virage de l’an 2000, plus que le passage au 21è siècle, fût celui de l’explosion des joueurs internationaux. Nous en parlions, l’an passé ; le grand mouvement de l’internationalisation de la NBA a débuté dans les années 1990. Néanmoins, c’est au cours de la première décennie de notre siècle que les “non-américains” ont pris la mesure de leurs homologues de l’Oncle Sam. En témoignent les deux titres de MVP de Steve Nash, Canadien, les performances de l’Allemand Dirk Nowitzki (MVP, et bientôt MVP des finales) ou encore de notre Tony Parker national, multi-bagué et meilleur joueur des finales 2007.
D’autres joueurs, qui n’ont pas tous eu la chance de mettre la main sur un trophée individuel, ont également contribué à faire évoluer la mentalité américaine, pour laquelle le basketball était un sport américain, pour les américains et donc, naturellement, dominé par les américains. Les noms de Dikembe Mutombo, Yao Ming ou Drazen Petrovic peuvent sans aucun doute être cités. Celui de Predrag Stojakovic ne doit surtout pas être oublié.
Celui que l’on connaît sous le surnom de Peja vient de souffler sa 43è bougie le 9 juin dernier. Né à Pozega, ville de ce qui était alors le centre de la Yougoslavie (Est de la Croatie aujourd’hui), de deux parents Serbes, le jeune Stojakovic quitte le pays dès ses 16 ans pour rejoindre la Grèce, fuyant par là les conflits qui opposèrent alors … Croates et Serbes. Un très bon documentaire d’ESPN permet de mieux comprendre l’influence de la guerre pour les basketteurs d’alors. Certes, Stojakovic n’est pas de la génération des Kukoc, Petrovic ou Divac, nés 10 ans avant lui, qui vécurent le conflit armé alors qu’ils étaient stars de leur équipe nationale. Malheureusement toutefois, la guerre ne fait que peu de cas sur l’âge de ceux qu’elle touche.
Lorsqu’il quitte la Yougoslavie, Peja est déjà joueur professionnel, évoluant sous les couleurs du Red Star Belgrade (Crvena Zvezda en VO). Alors âgé de 15 ans, il n’a qu’un rôle mineur dans l’équipe, championne du pays en 1993. En Grèce, il évolue pour le PAOK Thessalonik, et ne tarde d’ailleurs pas à agrandir son armoire à trophée, avec une coupe de Grèce et deux MVP du All-star game. Il reste comme celui qui a mis fin à l’hégémonie nationale de l’Olympiacos, alors quintuple champion en titre, d’un trois-points salvateur au buzzer en demi-finale des playoffs 1998.
Le trois-points … Dans l’illustre lignée des joueurs balkans adroits de leurs mains, Stojakovic a son mot à dire. Grand pour son poste (2m08, quelques 100 kilos), il se distingue sur le parquet par son incroyable adresse, grâce à laquelle il ne s’est pas contenté de plomber les espoirs de sextuplé de l’Olympiacos. Quelques années plus tard, en NBA, voir Peja seul derrière l’arc était une vision proche du cauchemar. Vision qui se terminait souvent par le son caractéristique d’une ficelle transpercée.
Action !
Drafté dans la fameuse cuvée 1996 en 14è position, c’est-à-dire entre Kobe Bryant et Steve Nash, Stojakovic ne traversera l’Atlantique que deux années plus tard, pour débuter sa carrière NBA en 1998 – 1999, à l’âge de 21 ans. Un âge auquel les jeunes américains débutent généralement leur carrière après une longue période universitaire. Donnons l’exemple de Damian Lillard, qui fit ses débuts en NBA à 22 ans.
Toutefois, vous l’aurez compris, s’il avait tout juste l’âge de siroter une bière aux USA, Peja avait déjà quelques saisons professionnelles derrières lui : 6 exactement. On ne le sait que trop bien aujourd’hui, avec l’exemple de Luka Doncic : jouer contre des adultes au milieu de son adolescence est un avantage déterminant à l’heure de débuter sa carrière NBA. Ainsi, comme la jeune pépite slovène 20 ans après lui, mais après Toni Kukoc par exemple, Predrag arriva en NBA avec l’âge du bambin, mais avec l’expérience du briscard.
Sélectionné par Sacramento, c’est donc dans la capitale californienne que le Serbe découvre la Grande Ligue. Lorsqu’il pose son premier doigt de pied sur un parquet NBA, celui des Spurs de Duncan et Robinson (défaite -18 en guise de bienvenu), la saison 1998 – 1999 vient de commencer, après avoir été paralysée par le plus long lock-out de l’Histoire de la Ligue. Il est alors intégré dans un roster alléchant, articulé autour de la superstar Chris Webber, du fantasque Jason Williams et du compatriote Vlade Divac.
Malgré un temps de jeu limité, mais loin d’être anecdotique (21,4 minutes par soir), il importe en NBA ce qu’il faisait de mieux en Europe : le tir. Le principal intéressé a construit sa carrière sur le geste majeur du basketball. Malin. De son propre aveux, c’est la répétition du geste qui a fait de lui un sniper redouté, d’abord sur le vieux continent, ensuite dans la Grande Ligue :
“A partir de 14 ans, j’ai commencé à m’entraîner deux fois par jour (au tir à trois-points). Mon coach insistait énormément pour que je prenne entre 500 et 800 tirs par jour. Mais il n’a jamais essayé de modifier ma gestuelle”.
La gestuelle, parlons-en ! Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle est très peu conventionnelle. Si peu conventionnelle. C’est la plume de Frank Hughes, pour le compte de ESPN, qui la décrit peut être le mieux. Ou, du moins, qui la décrit de la manière la plus humoristique :
“Lorsque Stojakovic tire, il ressemble à un homme ivre sur le point de tomber et qui parvient à lancer le ballon vers le panier. Ses bras et ses jambes volent partout, il est penché vers sa gauche et sa balle a un schéma de vol de la gauche vers la droite”.
Et, de toute évidence, il y a un petit quelque chose de cela :
https://www.youtube.com/watch?v=oNdwoBzO3kE
Le tir, donc. On le retrouve ainsi, dès sa saison rookie, dans le top 25 (25è) des joueurs qui tentent le plus de tirs pris derrière l’arc : 3,7 par soir. La réussite était alors encore fluctuante (32 %), mais les bases étaient posées. Mieux, si l’on effectue une comparaison sur 36 minutes, Stojakovic est alors 8è de ce classement dominé par Dee Brown. Signe que la consigne était de dégainer de loin à Sacramento, Vernon Maxwell et Jason Williams sont respectivement 2è et 4è de ce classement.
Ce premier exercice, raccourci, verra le Serbe réaliser quelques performances de choix, et les Kings atteindre les playoffs. Ce qui, déjà à cette époque, était une surprise. La franchise n’avait ainsi disputé les rencontres printanières qu’à 3 reprises sur les 17 dernières éditions. Néanmoins, désormais dirigés par Rick Adelman, les californiens s’apprêtent à devenir une équipe redoutable, sur laquelle il convenait de compter pour le titre NBA.
Mais ne grillons pas les étapes.
Sur les 48 matchs joués, Stojakovic atteindra la barre des 15 points à 10 reprises, avec une pointe à 26 points claquée sur la tête du Jazz (26 points, 2 rebonds, 3 passes décisives et 4 interceptions, à 9 / 17 au tir dont 5 / 8 à trois-points). S’il n’est pas titulaire, il partage équitablement son temps de jeu avec Corliss Wiliamson, qui sera bientôt transféré du côté de Toronto pour faire de la place au joyau des Balkans.
Les Kings échoueront au premier tour des playoffs face à Utah (3 – 2). Ils s’inclineront sur le même score l’année suivante face au rival honni, les Lakers. S’il n’a pas plus joué au cours de sa saison sophomore (+ 2 minutes), Stojakovic s’est vu être responsabilisé. Il tirait plus, mais surtout tirait mieux. La mire était réglée, avec 37,5 % de réussite à longue distance et 88,2 % aux lancers francs.
Avec 12 points, 3,7 rebonds et 1,4 passe décisive de moyenne, il semble prêt à tenir le poste d’ailier titulaire. En atteste sa fin de saison, placée sous le signe d’une régularité enfin acquise. S’il avait la fâcheuse tendance d’être sur courant alternatif (25 points un soir, 4 le lendemain, par exemple), ses 20 dernières rencontres sont porteuses d’espoir, avec 17 points de moyenne, sans qu’il n’y ait de véritable carton offensif (jamais plus de 23 points sur la période). Au cours de cette vingtaine de matchs, son temps de jeu devint celui d’un titulaire (plus de 28 minutes), et la machine à précision était lancée à pleine balle, le Serbe frôlant la mythique barre des 50 – 40 – 90 : 47,7 % au tir, dont 45,5 % à trois-points (avec 4,3 tentatives par soir) et 89,6 % aux lancers. L’école Yougoslave dans toute sa splendeur.
Et puis vint l’explosion. Forte, dévastatrice et surtout chirurgicale. Enfin titulaire indiscutable, le numéro 16 de Sacramento va contribuer à l’exceptionnelle saison de la franchise, qui va tout simplement égaler le meilleur bilan de sa vaste histoire, elle qui fût créée en 1948 (sous le nom de Rochester Royals. On a tendance à l’oublier, mais les Kings ont un titre NBA, remporté en 1951 sous ce même nom).
Ce nouveau siècle sera marqué par le jeu proposé par les Kings. Cette période sera sobrement surnommée “The Greatest Show on court”. Entre le flamboyant Jason Williams, dont on soupçonne qu’il était capable de se feinter lui-même, un Chris Webber inarrêtable et un Stojakovic en mode Simo Häyhä, Sacramento faisait peur. A juste titre. Mais les Kings, surtout, étaient beaux à voir jouer. Ami(e)s romantiques, peu importe votre équipe favorite, cette période de l’Histoire vous est dédiée : vous ne pouvez pas rester insensibles devant l’excellence des hommes de Rick Adelman.
Dans le rôle de lieutenant de luxe d’un Chris Webber tout fâché et futur 4è du MVP (27 points, 11 rebonds et 4 passes par soir), Stojakovic entame sa 3è saison comme il avait terminé la précédente. A la différence qu’il dépasse désormais les 20 points plus souvent que lors des exercices passés. Tout semble réunit pour que les Kings deviennent un véritable poil à gratter dans le short des Lakers, tout juste sacrés champion NBA. Contre ces mêmes angelinos, pour la 10è rencontre de la saison, il scorera 29 points et attrapera 17 rebonds, dans une rencontre perdue (112 – 110, après prolongation) au cours de laquelle il aura disputé … 51 des 52 minutes de jeu. Le sniper est également marathonien, et cela ne présage rien de bon pour les défenses adverses.
Toute la saison, il flirtera avec la sélection au All-star game, signe de sa progression fulgurante. Et si les Kings auront bel et bien deux représentants, c’est Vlade Divac qui accompagnera Chris Webber à Washington, pour ce qui constitue son unique sélection. Un choix discutable, même si le rôle de l’actuel vice président des opérations basket des Kings n’était pas à négliger.
En sortie de All-star week-end, Stojakovic réalisera le meilleur match de sa saison, mêlant statistiques et clutchitude. En déplacement au Air Canada Center de Toronto, Sacramento repartira avec la victoire (+ 1) après trois prolongations. Il pense d’abord donner la victoire aux siens dans le temps réglementaire, puisqu’il offrira 2 points d’avance au Kings à 2,7 secondes du terme, sur un jump shot pris juste devant la ligne à trois-points. Mike D’Antoni en ferait des cauchemars. Divac fera toutefois faute et Vince Carter inscrira ses deux lancés, pour offrir une première prolongation aux spectateurs.
C’est Stojakovic qui plantera le dernier clou du cercueil des Raptors, en inscrivant les trois derniers points de son équipe à 45 secondes du terme. Le score n’évoluera plus : 119 – 118. 39 points, 12 rebonds, 3 passes décisives à 14 / 29 au tir et 6 / 10 de loin pour l’ailier, qui su pallier avec brio l’absence de Chris Webber.
Sans atteindre de tels sommets, sa fin de saison sera excellente, et Sacramento arrachera la 3è place de la conférence Ouest avec 55 victoires pour 27 défaites. Un regret demeure toutefois, puisque les hommes d’Adelman se sont inclinés à trois reprises lors des quatre dernières rencontres de la saison régulière. Or, un carton plein (difficilement atteignable, les défaites contre les Mavericks et les Suns n’étant pas infamantes) aurait permis à Sacramento de terminer avec le meilleur bilan de la Ligue.
Aux termes des 82 rencontres, le Serbe a quasiment doublé sa moyenne de points. Certes, son temps de jeu n’est en rien comparable avec celui qui était le sien jusqu’alors (38,7 minutes). Il n’empêche. Avec 20,4 points, 6 rebonds et 2,2 passes décisives (47 – 40 – 85,6 au tir), il termine second au classement de la meilleure progression de l’année, seulement battu par un Tracy McGrady sur une autre planète depuis son arrivée à Orlando.
Les Suns seront éliminés au premier tour des playoffs (3 – 1), malgré la défaite inaugurale pour les californiens. Avec 37 points lors de la dernière rencontre, Stojakovic fût de très, très loin le meilleur joueur de son équipe, qu’il sauva du naufrage qui guettait. Les Kings affichent alors 34,9 % de réussite au tir, avec un immonde 7 / 27 pour Chris Webber. Au final, seul un joueur du roster a tiré à plus de 50 % : Peja, avec 10 / 18 (dont 3 / 6 de loin et 14 / 14 aux lancers). Cette qualification, si elle ne porte pas le sceau de la Serbie tant Vlade Divac fût dépassé par les événements, est clairement “signée Stojakovic”.
En demi-finale, les Lakers firent de la purée de leurs voisins. Du moins, c’est ce que le sweep laisse imaginer. On s’aperçoit toutefois qu’hormis le game 3, synonyme d’orgie pour les Angelinos (+ 22), chaque rencontre fût particulièrement serrée (+3, +6, +6). Un Stojakovic à son meilleur niveau aurait d’ailleurs certainement permis aux noir et violet de rester en vie dans cette série, puisque lors des deux défaites concédées à L.A, le sniper maison jouait manifestement en moufle.
Quoi qu’il en soit, Sacramento est devenu une équipe compétitive. Arrive alors la saison 2001 – 2002, porteuse d’espoir. Comme vous le savez certainement, son issue sera un mélange de déception et de scandale. Un scandale dépassant largement le parquet et le sport en général. Mais avant d’en parler brièvement, analysons la 4è saison NBA d’un Peja Stojakovic, désormais considéré comme l’un des meilleurs ailiers de la Ligue.
L’oscar de la saison 2001 – 2002
Avant de retrouver la chaleur californienne, le Serbe et son équipe nationale se confrontent aux bouillantes arènes Turques, lors du 32è Eurobasket, pour lequel la Yougoslavie fait figure d’épouvantail. Le premier tour, au cours duquel le pays des Balkans affrontera tour à tour la Croatie, l’Estonie et l’Allemagne, verra l’ailier terminer meilleur scoreur de chaque rencontre (3 victoires). Il en sera de même en quart de finale (29 points contre la Lettonie) et en demie (30 points contre l’Espagne). Et s’il ne parviendra pas à régler la mire lors de la grande finale contre le pays hôte, c’est bien la Yougoslavie qui terminera championne d’Europe, et Stojakovic qui sera nommé MVP du tournoi, devant Dirk Nowitzki et Pau Gasol.
Le sniper est chaud comme la braise lorsqu’il rejoint ses coéquipiers de Sacramento. La franchise nourrit à nouveau de grandes ambitions, et s’est donné les moyens d’atteindre son objectif, en transférant Jason Williams contre Mike Bibby, ancien meneur des Grizzlies de Vancouver, beaucoup plus clutch que fantasque. Ce que les Kings viennent de perdre en spectacle, ils l’ont peut-être gagné en solidité. L’avenir prouvera qu’ils ont eu raison.
Au mois d’octobre, Stojakovic va poursuivre sur la lancée qui était la sienne en Turquie quelques mois plus tôt. Son début de saison en atteste : 26, 24, 32, 36 et 31 points lors des 6 premières rencontres, à 42,5 % à trois-points (malgré un vilain 2 / 9 lors de l’ouverture de la saison). En cette époque où l’ordre entre les options offensives revêtait encore une importance primordiale, Peja figure tout de même dans le top 20 des meilleurs scoreurs de la Ligue. Seul Michael Finley, ailier du côté des Mavericks, peut se targuer d’une telle performance (étant précisé que Kobe Bryant ne peut que très difficilement être considéré autrement que comme une option 1 bis, puisqu’il prenait autant de tirs qu’O’Neal).
Mieux : ils sont 9 à marquer sensiblement le même nombre de points en cette fin de top 20. Parmi eux, on retrouve de belles légendes, comme Ray Allen, Kevin Garnett ou Stephon Marbury. C’est pourtant l’ailier Serbe qui est le plus efficient, assez largement, en scorant 1,33 point par tir tenté. Seul Ray Allen, avec 1,31 point par tentative, rivalise un tant soit peu avec Stojakovic.
Voilà donc la cour dans laquelle s’amusait alors celui qui fût nommé Mister Europa of the Year 2001 : celle de l’un des tous meilleurs shooteurs de l’Histoire de la NBA. Si l’on peut bien entendu mettre cette efficacité à toute épreuve sur le compte de son adresse longue distance (42 %, pour 4,4 tentatives de moyenne), rappelons toutefois que Peja n’était pas qu’un artilleur de loin. Cette année-ci, il prenait ainsi 27,5 % de ses tirs derrière l’arc, et affectionnait particulièrement ce que l’on appelle aujourd’hui les “longs deux” (comprenez à plus de 5m du cercle). Il était également féroce dans l’attaque du panier, avec près de 68 % de réussite au cercle (23,5 % des tirs tentés). Scoreur, oui, mais pas unidimensionnel.
Et puisqu’il n’y a aucune raison de brider l’artiste qui sommeille en soi, le numéro 16 était également capable de gestes venus d’ailleurs dans d’autres compartiments du jeu. A la passe par exemple, où il a vu partir Bobby Jackson en contre-attaque bien avant les commentateurs, le public, et nous, devant notre écran :
Et alors même que C-Webb ne disputera sa première rencontre qu’à la mi-décembre, en raison d’un genou qui grince, les Kings gagnent : 15 – 5 en l’absence du franchise player. Les statistiques de Stojakovic en l’absence de l’ailier-fort ? 23,8 points, 6,3 rebonds, 2,6 passes et 1 interception, à 50 % au tir et 41,4 % derrière l’arc. Autant le dire, la conférence Ouest claquait des dents à l’idée de voir les deux ailiers être alignés ensemble. 17 victoires en 18 rencontres plus tard, difficile de leur donner tort.
Avec un bilan collectif exceptionnel et des statistiques individuelles qui ne l’étaient pas moins, Stojakovic est doublement invité au All-star game 2002. Au concours à trois-points d’abord, où, opposé à Allen, Nash ou encore Pierce, il sortit vainqueur de cet affrontement à distance avec les hommes les plus adroits des parages. Au match des étoiles ensuite, où il contribua à la victoire de l’Ouest avec 11 points en 18 minutes.
Nous sommes le 10 février 2002. Sacramento a remporté 75 % de ses rencontres et culmine au sommet de sa conférence, à la lutte avec les inusables Spurs, Lakers et Mavericks. Personne n’en doute, même si Jason Kidd fait des merveilles de l’autre côté du pays, chez les Nets : le champion NBA 2002 sera une franchise de l’Ouest. Rarement la conférence a été aussi compétitive.
Pour Stojakovic, la saison régulière va prendre fin de manière prématurée, ou presque. Il sera éloigné des parquets pendant deux semaines, et verra son temps de jeu être réduit pour les 8 derniers affrontements de la saison. Une saison dominée en long, large, travers et diagonale, et qu’il aura éclaboussé de sa facilité déconcertante, quand bien même ses statistiques ont pâti, fort logiquement, du retour en forme de Chris Webber. Une domination récompensée par une 16è place au classement du MVP. Avec Nash et Stackhouse, il est l’unique seconde option à avoir obtenu des voix.
Pour Sacramento, la saison est historique, puisque les 61 victoires remportées constituent encore et toujours le meilleur bilan de la franchise, qui termina 1è de la Ligue. Le seul point noir, si l’on veut chipoter, sont les résultats des confrontations directes contre Los Angeles et Dallas : 1 – 3 dans les deux cas, ce qui n’est pas forcément encourageant pour les joutes au sommet qui se profilent.
Cependant, ni pourpre et or ni géant Allemand à l’horizon pour ce premier tour des playoffs. A la place, ce sont les vieillissants mais néanmoins inusables Stockton / Malone qui font face à Adelman et consorts. Timide en première partie de round, Peja sortira de sa boîte lors des deux dernières rencontres pour porter le coup de grâce aux grabataires de Salt Lake City, avec 30 points à 70 % au tir pour terminer la série (4 – 1).
Cette fois-ci, Sacramento n’y coupera pas. Ce sont bel et bien contre les Mavericks qu’il conviendra de se battre pour se donner le droit de disputer les finales de conférence. Décisif lors du game 1 (26 points, 11 rebonds, + 17 de box), Peja ratera la fin de la série. Au milieu du 3è quart-temps de la 3è rencontre (1 – 1 dans la série), il se tordra violemment la cheville, suivant depuis les tribunes ses coéquipiers qui se déferont finalement assez aisément de la franchise texane (4 – 1). La problématique, c’est qu’il ratera également les quatre premières rencontres contre l’Ogre Lakers. La série, par bien des aspects, est unique en son genre.
Le Serbe est remplacé dans le cinq majeur par le Turc Hedo Türkoglu. Ce dernier sera fantomatique lors du game 1 (0 / 8 au tir, 0 point), remporté sur le fil par Shaq et Kobe. Malgré cet échec à domicile, c’est Sacramento qui mène 2 – 1, et qui est en position favorable pour faire le break au Staples Center. A 10 secondes du coup de sirène final de cette 4è rencontre, les Kings mènent 99 – 97. Kobe pénètre. Raté. Shaq prend le rebond offensif et tente sa chance. Raté. Le ballon est boxé et retombe sur Robert Horry, seul face au cercle. Des tirs comme celui-ci, au buzzer, il n’en a plus raté depuis sa première année de lycée. Il ne ratera pas non plus celui-là : 100 – 99, Los Angeles est en vie.
Pas refroidis pour un sou, les Kings remporteront le game 5 à domicile (+1). Arrive alors la 6è rencontre, qui peut être considérée comme le plus grand scandale que la NBA ait connu. A l’entrée du dernier quart-temps, le score est de 75 – 75. Les Kings sont à 12 minutes de rejoindre les Nets en finale NBA. Sauf que voilà, Sacramento – New-Jersey comme affiche finale, ça ne fait pas rêver les foules. Et cela, Messieurs les arbitres, Dick Bavetta en tête, vont clairement le faire comprendre, à grands coups de sifflet donnés à tort, et surtout à travers.
Après 36 minutes, les Lakers avaient tiré 13 lancers. Ils en auront 27 de plus à la fin de la rencontre, pourtant terminée sans prolongation. Ce total de 27 lancers en un quart-temps dépasse le nombre de lancers moyen obtenu par les Lakers sur une rencontre depuis le début des playoffs (25 par soir). Vlade Divac et Scott Pollard seront exclus pour 6 fautes, dont certaines sont fantomatiques. Sur une remise en jeu, Kobe Bryant se la jouera comme Khabib Nurmagomedov, en envoyant un coup de coude dans le nez de Mike Bibby … pour qu’on lui rende finalement la balle.
Au bout de la mascarade, les Kings s’inclineront 106 – 102, pour finalement rendre les armes lors du 7è match. Mais tout le monde se moque de cette dernière rencontre, tant la précédente cristallise les critiques, comme l’énonce Tim Donaghy, ancien arbitre NBA … banni pour avoir truqué des matchs :
“Sacramento avait largement la meilleure équipe de la Ligue. Mais les arbitres et la Ligue ont empêché la meilleure équipe de gagner”.
Cette élimination en finale de conférence reste encore comme une plaie béante dans le cœur des Sacramentins. Stojakovic aura vécu une drôle de série, lui qui eu, et c’est assez rare pour le souligner, le poignet qui trembla dans le dernier quart-temps de ce fameux game 6, en ratant ses 2 lancers. Diminué par sa cheville toujours récalcitrante, il n’eut qu’un rôle mineur dans les 3 rencontres qu’il pu disputer.
Sa saison n’était toutefois pas complètement terminée. En 2002 se disputèrent les championnats du monde, aux USA. La Yougoslavie commettra un crime de lèse-majesté en battant les USA dès les quart de finale, avec 20 points de Stojakovic, élu homme du match. Les Yougo termineront le travail entamé l’année précédente en Turquie, en renversant l’Argentine en finale.
Nous étions donc à un arbitre honnête de peut-être voir Peja remporter le championnat d’Europe, le titre NBA et le championnat du monde la même saison. Le tout en évoluant à un niveau de All-star confirmé. Jamais ce focus n’aurait été aussi pertinent.
Le générique de fin
Ce n’est que des années plus tard qu’il sera révélé au grand jour que la NBA, et David Stern plus particulièrement, a tout fait pour que les Lakers se qualifient en finale pour y remporter un troisième titre consécutif. Le regret peut être éternel du côté de Sacramento, car nul ne donnait cher de la peau des Nets dans une confrontation face aux Kings. Les plus optimistes peuvent néanmoins se dire que ce n’est que partie remise.
Effectivement, l’année suivante, c’est avec 59 victoires que les Kings arrivent en playoffs. Leur ailier vient de rendre une 3è saison de très haut niveau, une nouvelle fois auréolé d’une sélection au All-star game. Il faut dire qu’il eut le goût de particulièrement bien soigner sa candidature, comme le démontre les statistiques ci-dessous, réalisées à cheval sur les 16 rencontres précédant l’événement :
Avec plus de 51 % de réussite à trois-points, l’issue du concours annuel ne laissait pas place au doute, et Stojakovic le remporta pour la seconde année consécutive. A l’inverse de la saison 2000 – 2001, Sacramento ne craquera pas en fin de saison régulière, et arrive en playoffs avec le maillot d’outsider. Utah sera balayé en 5 rencontres (4 – 1), et l’adresse du numéro 16 frise le ridicule, avec 55 % au tir, mais 57,7 % derrière l’arc ! (15 / 26 sur la série).
En demi-finale, un séisme de magnitude 9 frappe la NBA : les Lakers, invincibles depuis 3 ans, sont tombés sous les coups de Tim, Manu, Tony et David. L’Ouest est désormais plus ouverte que jamais, et il reste à déterminer qui des Kings ou des Mavericks rejoindront San Antonio en finale de conférence. Sacramento part d’ailleurs favori. Sauf que patatra. Badaboum, même. Au cours de la seconde rencontre, Chris Webber se blesse au genou, mettant fin à sa saison, et un coup d’arrêt dans sa carrière. Dallas, avec Nowitzki, Finley et Nash, en profitera et se qualifiera en 7 matchs.
Il semblerait qu’avec un effectif complet, les Kings seraient allés défier les Spurs. En effet, le 4è match est perdu de justesse après une double prolongation (141 – 137), avec un Stojakovic à 39 points et 8 rebonds et son adresse insolente habituelle. Néanmoins, avec des si … Il n’en reste pas moins qu’au final, c’est à nouveau avec des regrets que Sacramento part en vacances.
Sa blessure, Webber la traînera tout au long de la saison 2003 – 2004. Comme au début de l’exercice 2001 – 2002, les clés du camion sont confiées à Peja. Il réalisera alors une saison stratosphérique, signe qu’une franchise aurait peut-être pu être bâtie autour de lui et de son talent. Allons droit au but : avec 24,2 points, 6,3 rebonds et 2 passes (48 % au tir, 43,3 % de loin et 92,7 % aux lancers), Stojakovic mena Sacramento à 55 victoires en saison régulière et terminera 4è du classement du MVP. Les Kings tomberont avec les honneurs face aux Wolves du MVP Kevin Garnett, mais jamais le sniper Serbe n’a semblé aussi dominant en NBA.
A ce stade de l’article, nous avons retracé 6 des 13 saisons NBA du bonhomme, puisque nous avons choisi de mettre l’accent sur certains moments précis de sa carrière. Contentons-nous, pour terminer, de quelques derniers coups d’éclat. Par exemple, citons cette rencontre du 14 novembre 2006, disputée sous les couleurs de la Nouvelle-Orléans, après une pige d’un an à Indiana. Face à Charlotte, Stojakovic entre dans l’Histoire de la NBA, en inscrivant … les 20 premiers points de son équipe ! Après 7 minutes, le score était le suivant : Stojakovic 20 – 17 Charlotte. Encore aujourd’hui, personne n’a réalisé une telle performance. Cette rencontre, Peja la terminera avec 42 points, son record en NBA. Un record réalisé dans un style bien à lui : 15 / 22 au tir, dont 7 / 8 de loin.
Jamais plus il ne sera en mesure de remporter un titre NBA. Si son palmarès international est conséquent, on l’a dit, le rêve d’une bague semble lui avoir été arraché un soir de mai 2002. Sauf que parfois, les histoires se terminent en happy end ailleurs que dans votre Disney préféré. En effet, pour sa dernière pige (2010 – 2011), il entame la saison à Toronto, avant d’être envoyé du côté de Dallas à la fin du mois de janvier. Il prend alors part à une campagne de playoffs exceptionnelle, ponctuée par deux événements majeurs.
Il prendra d’abord sa revanche sur les Lakers, en participant activement au sweep des or et pourpre en demi-finale de conférence. Un sweep qui mit fin à la carrière de Phil Jackson. Un sweep qui termina sur une branlée monumentale (122 – 86), où Stojakovic disputa son ultime match de très haut niveau : 21 points, à 7 / 7 au tir dont 6 / 6 de loin. Comme pour boucler la boucle : c’est ça, l’histoire de la vie : un cycle éternel.
Il enfilera ensuite la bague tant attendue à son annulaire, aux termes d’une finale remportée contre LeBron, Wade et Bosh. Il fait ainsi partie des vieux briscards qui auront remporté leur bague cette année-ci, avec Jason Kidd, Shawn Marion ou Dirk Nowitzki. Il partira à la retraite sur un titre NBA, et vous ne trouverez personne pour dire qu’il ne le méritait pas.
Crédits et hommages
C’est avec un palmarès énorme que Stojakovic fait ses adieux aux parquets :
- Champion NBA en 2011,
- All-NBA Team, en 2004,
- All-star, à 3 reprises,
- Double vainqueur du concours de trois-points,
- 4è au nombre de trois-points inscrits en carrière (20è aujourd’hui),
- Maillot retiré : n°16 à Sacramento.
Ce palmarès, il l’a construit principalement sur son tir. Scott Pollard l’énonce parfaitement dans la première des vidéos ci-dessus : Stojakovic attrapait la balle et tirait. Encore, encore et encore. Surtout, la balle tombait dans l’arceau. Encore, encore et encore. Cela tient parfois à peu de chose, une carrière de superstar : comme, par exemple, au fait d’être d’une agilité hors du commun (40,1 % en carrière de loin).
Parce que c’est là, le point le plus important. Il semblerait que la beauté du geste n’importe finalement que très peu. L’important, c’est que la balle fasse ficelle. C’est en tout cas ce que confirme un joueur qui en connaît un rayon en la matière :
“Vous n’êtes pas un grand shooteur grâce à votre geste. Vous êtes un grand shooteur parce que le ballon rentre dans le panier”. Ray Allen.
Peja Stojakovic était donc un immense shooteur. En voilà une histoire qui termine bien. Hakuna Matata.
Les précédents épisodes et portraits du Magnéto :
- Cinq majeur #1 : Penny Hardaway (1994/95), Manu Ginobili (2007/08), Terry Cummings (1988/89), Jerry Lucas (1964/65), Nate Thurmond (1974/75),
- Cinq majeur #2 : Jason Kidd (1998/99), Tracy McGrady (2004/05), Rick Barry (1966/67), Elvin Hayes (1979/80), Neil Johnston (1952/53),
- Cinq majeur #3 : Isiah Thomas (1989/90), David Thompson (1977/78), Paul Arizin (1951/52), Tom Gugliotta (1996/97), Yao Ming (2008/09),
- Cinq majeur #4 : Baron Davis (2006/07), Bill Sharman (1958/59), Chet Walker (1963/64), Gus Johnson (1970/71), Jack Sikma (1982/83),
- Cinq majeur #5 : Tiny Archibald (1972/73), Dick Van Arsdale (1968/69), Bernard King (1983/84), Jermaine O’Neal (2003/04), Larry Foust (1954/55),
- Cinq majeur #6 : Fat Lever (1986/87), Richie Guerin (1961/62), Grant Hill (1999/00), Dan Issel (1971/72), Ben Wallace (2002/03),
- Cinq majeur #7 : Lenny Wilkens (1965/66) (Lenny Wilkens, bonus : le coach), Calvin Murphy (1975/76), Peja Stojakovic (2001/02),