Après un exercice 2018-2019 plutôt encourageant, les Pistons voulaient simplement continuer sur leur lancée et voir où le vent pouvait les mener. Pour sa deuxième saison aux commandes de l’équipe, Dwane Casey pouvait se reposer sur le quatuor Blake Griffin – Andre Drummond – Reggie Jackson – Derrick Rose en tant que figure de proue, et s’attacher au développement des jeunes talents de l’effectif comme Luke Kennard, Sekou Doumbouya ou Bruce Brown. Il y avait donc en théorie de quoi intéresser les observateurs, à défaut d’emmagasiner les victoires en quantités industrielles.
Dans la pratique, la saison fut pourtant un cauchemar, la faute au nombre astronomique de blessures s’étant abattu sur les cadres de la franchise. Condamnés à être systématiquement privés d’un ou plusieurs de leurs leaders, les Pistons ont erré comme des âmes en peine, sans jamais parvenir à construire quelque chose.
Et les doutes sur la capacité de la franchise à aller loin de s’intensifier. La direction s’est alors engouffrée dans la brèche de cette saison perdue pour enclencher le processus d’éclatement de l’effectif, comme pour anticiper une reconstruction inévitable. Le grand ménage a commencé, avec son lot de changements drastiques dont le principal n’est autre que le départ d’Andre Drummond, visage incontournable de l’équipe depuis 7 saisons.
La stratégie de Detroit pour la fin de saison, avant l’interruption de celle-ci, ne faisait aucun doute. Une bonne vieille roue libre comme on les aime, en attendant de reprendre le chantier cet été. Faisons un point d’avancement.
Une saison ? Un chemin de croix, oui
Quels enseignements peut-on tirer d’une saison aussi chaotique ? D’un point de vue comptable, Detroit présente son pire ratio victoires/défaites depuis la saison 1993-1994, et peut s’estimer heureux – toutes proportions gardées – que la saison se soit arrêtée quand on sait que 12 des 13 derniers matchs se sont soldés par un revers. 20 victoires pour 46 défaites, 21e attaque et 22e défense, merci au revoir.
Au moment d’expliquer ce bilan cataclysmique, les blessures font office de coupable idéal, ce qui n’est pas spécialement déraisonnable. Si l’on s’amuse – chacun son délire – à additionner les matchs manqués par Blake Griffin, Reggie Jackson et Luke Kennard, trois membres importants de la rotation, on arrive à la coquette somme de 129. Sur une saison de 66 matchs, c’est une belle performance. Dwane Casey a passé son temps à bricoler des cinq majeurs, ne pouvant jamais disposer de tous ses joueurs à la fois.
Il est difficile de gagner des matchs dans ces conditions, mais les décisions prises par la franchise laissent supposer des problèmes structurels, plus profonds qu’une simple faute à pas de chance.
En effet, alors qu’elle aurait pu jouer la carte de l’unité dans l’adversité, la direction n’a pas hésité à appuyer sur le bouton “reconstruction” lorsque la saison a commencé à partir en vrille, preuve d’une confiance toute relative dans le projet alors en vigueur. Considérée en début de saison comme une équipe expérimentée cherchant à aller le plus loin possible – c’est à dire le premier tour, ne nous voilons pas la face – Detroit est devenu un vide grenier géant où les gros contrats s’échangent contre des bouchées de pain.
Anticipant le départ possible d’Andre Drummond à l’issue de son contrat, la franchise a expédié son pivot dans l’Ohio contre Brandon Knight (membre récurrent des transferts qui sentent le pâté), John Henson et un deuxième tour de draft 2023. Dans la foulée, Reggie Jackson et Markieff Morris ont été coupés pour libérer de la masse salariale et éclaircir la voie pour les jeunes de l’effectif. Terminus, tout le monde descend.
Le projet qui pouvait exister en début de saison a été abandonné en cours de route, et cette reconstruction amorcée brutalement laisse Detroit dans une position ambiguë, nous y reviendrons.
Des raisons d’espérer
En attendant, tout n’est pas à jeter. Au milieu du marasme, on peut noter deux progressions intéressantes pour l’avenir de Detroit, la première étant bien sûr celle de Christian Wood. Le joueur de 24 ans est entré par la toute petite porte dans le Michigan, profitant de la blessure de Joe Johnson pour s’assurer la dernière place libre de l’effectif après avoir été récupéré sur les waivers. Ça ressemble à un début de belle histoire, on est d’accord.
Auteur de quelques fulgurances bien sympathiques sur la première partie de la saison, Wood semble avoir franchi un cap par la suite, bénéficiant de la blessure de Blake Griffin et du départ d’Andre Drummond pour cumuler des minutes sur les postes 4 et 5 et, surtout, gagner en régularité dans ses performances.
Lors des fameux 13 derniers matchs en mode “roue libre”, l’intérieur a tourné à 22.8 pts et 9.9 rbds, à 56.2% au tir et 40% à 3 points. Il profita d’ailleurs de la dernière rencontre pour envoyer 32 points sur la tête des Sixers, pas les premiers venus en terme de défense intérieure.
Doté d’un physique taillé pour la NBA actuelle (2m22 d’envergure), Wood présente une panoplie offensive très complète, où figure tout ce que vous attendez aujourd’hui d’un intérieur en termes de scoring. Rien ne lui semble inaccessible, du tir à 3 points au drive vers le cercle. Les bases sont là et sont bien solides, ce qui pourra lui permettre de se concentrer sur certains secteurs qui doivent être améliorés, notamment sa vision du jeu et son sens de la passe.
En défense, il y a encore du travail mais la mentalité est là, et Wood n’est jamais le dernier à se frotter aux intérieurs adverses pour gratter un rebond malgré ses grands compas un peu chétifs. Son contrat arrive à échéance et sa fin d’exercice en boulet de canon risque de faire monter les enchères, mais les Pistons auraient tout intérêt à conserver celui qui a fait de leur saison autre chose qu’un naufrage total.
Dans une mesure moins spectaculaire, Luke Kennard a également marqué des points. L’arrière a maintenu sa redoutable adresse (58% aux tirs réels) tout en augmentant sa quantité de tirs. Résultat, 15.8 pts par soir, un apport très précieux dans l’optique d’épauler le duo Griffin-Rose la saison prochaine.
De plus, Kennard semble s’épanouir dans un rôle de playmaker, comme en témoignent ses 4 passes décisives de moyenne. En caricaturant un peu, le plan de jeu des Pistons se résume souvent à donner le ballon à Blake Griffin en tête de raquette et à attendre de voir ce qu’il se passe. Si Kennard devient une alternative crédible en tant que porteur de balle, cela ouvrira de nouveaux horizons à Dwane Casey, si tant est qu’il veuille les explorer. Il faudra néanmoins surveiller l’état de forme de Kennard suite à la blessure au genou l’ayant tenu éloigné des parquets sur la fin de saison.
Ajoutons à cela les contributions intéressantes de Sekou Doumbouya ou Svi Mykhailiuk, et les Pistons disposent effectivement d’un noyau intéressant à développer. Le rôle de ces jeunes dépendra cependant beaucoup des décisions prises par la franchise concernant la ligne directrice pour la saison prochaine.
Un été pour y voir plus clair
Depuis presque deux ans, Detroit ne possédait pas de General Manager attitré, le poste étant co-géré par le coach Dwane Casey et le conseiller de la direction, Ed Stefanski. Un système particulier qui ne faisait visiblement plus l’affaire. La franchise s’est mise à la recherche d’un GM et a fini par le trouver, une belle pioche sur le papier puisqu’il s’agit de Troy Weaver, bras droit de Sam Presti au Thunder et acteur de l’ombre important dans l’élévation d’OKC au sein de la conférence Ouest.
Réputé pour sa capacité à dénicher des talents – Westbrook, Ibaka, Harden – Weaver arrive dans une franchise qui semble vouloir développer ses jeunes dans une optique de reconstruction, tout en essayant de rester compétitive sur le court terme.
Cette position inconfortable vient en premier lieu de la présence de Derrick Rose et Blake Griffin. Un duo sympathique, sauf que nous ne sommes plus en 2011. Une équipe utilisant cet axe comme fer de lance a toutes les chances de servir de paillasson au premier tour. Et encore, sous réserve que les deux larrons gardent la santé. Vous savez aussi bien que nous qu’il faut se montrer très prudent à ce sujet.
Quoi qu’il en soit, si l’on en croit sa première conférence de presse, Weaver compte sur ses deux leaders pour la saison prochaine, et espère rester à un niveau correct tout en permettant à ses jeunes de se développer. « Les deux choses qui me semblent importantes, c’est qu’on a deux grands joueurs d’expérience dans l’équipe qui veulent continuer leur belle carrière. La seconde, ce sont nos jeunes joueurs : Sekou, Kennard, Bruce Brown, Svi, Wood. On aura besoin de gros compétiteurs, et c’est le type de caractère qu’on va rechercher à recruter ici. ».
Effectivement, des équipes comme le Thunder (tiens donc) ou les Celtics ont prouvé qu’il était possible de rebâtir une équipe plus que correcte sans écumer les bas-fonds de la ligue pendant des années. Le fait de ne pas vouloir tanker ne condamne pas, a priori, les Pistons à s’engluer dans la médiocrité pendant des années. Cependant, des questions viendront nécessairement à se poser, et la cohabitation entre Blake Griffin et Christian Wood fait partie de celles-ci.
L’explosion du second a coïncidé avec l’absence du premier, et ce n’est pas un hasard puisque les deux joueurs évoluent sur le même poste. Si Griffin revient à 100%, il paraît impossible de le voir hors du cinq, ce qui offre deux possibilités :
- aligner Griffin et Wood dans la raquette, en espérant qu’ils ne se marchent pas sur les pieds offensivement. Cela sous-entendrait tout de même un rôle à contre-emploi pour l’un des deux, et une inquiétude sur la capacité des Pistons à protéger le cercle.
- faire jouer Wood en tant que sixième homme, au risque de ne pas lui donner les minutes qu’il mérite et de ralentir sa progression. Ou pire, de lui ouvrir les portes d’autres équipes décidées à le faire jouer titulaire.
Le rôle que la direction souhaite donner à Wood conditionnera les décisions prises au niveau du recrutement sur le frontcourt. Il faut aussi garder en tête que rien n’empêchera Troy Weaver d’essayer de refourguer Griffin en cours de saison (quant à y arriver, c’est autre chose) si l’équipe ne trouve pas son rythme, ce qui pourrait débloquer la situation “par la force”. Mais nous n’en sommes qu’à des suppositions à ce stade. Il est trop tôt pour parler de transfert ou pour tirer de vrai plan sur l’organisation de l’équipe la saison prochaine.
A court terme, il va falloir gérer la draft, exercice favori de Weaver. Les Pistons bénéficieront d’un choix assez haut, l’occasion de recruter ce meneur créateur qui fait défaut. Derrick Rose est le seul joueur de métier à ce poste, et même si Bruce Brown a beaucoup été utilisé, il ne présente pas encore suffisamment de garanties.
Mettre la main sur Lamelo Ball serait idéal mais il faudrait pour cela disposer de l’un des trois premiers choix, selon toute vraisemblance. Dans le cas contraire, Kyllian Hayes serait une option à considérer à coup sûr. Le français à la main gauche de velours fait partie des top prospects de cette cuvée, avec un jeu déjà éprouvé au haut niveau, à Cholet puis Ulm. Sa polyvalence offensive pourrait faire merveille à Detroit, avec un gros temps de jeu accessible dès son arrivée dans la ligue. L’option Tyrese Haliburton n’est pas non plus à négliger.
La franchise de Detroit est en chantier, et n’en a pas fini avec ses travaux. Donner une identité à l’équipe ne se fera pas du jour au lendemain, que ce soit en gardant les forces en présence, ou en faisant table rase des derniers vestiges du projet précédent. Une seule chose est sûre, il y aura du talent dans le Michigan la saison prochaine. Reste au duo Weaver/Casey à définir clairement la manière de mettre ce talent à profit, dans une conférence toujours très ouverte.