Des saisons écourtées, la NBA en a connues. Habituellement, elles portent la marque du lockout, période de négociation grappillant allègrement le début de saison tant qu’un accord n’a pas été trouvé entre les différentes parties. En revanche, la crise sanitaire que connait l’ensemble de la planète fait office de cas inédit. Une saison coupée en plein vol, à quelques encablures des Playoffs, jamais les franchises NBA n’ont été confrontées à pareille situation.
Le format d’un retour sur les parquets reste encore en discussion, mais le retour de la Grande Ligue semble désormais une quasi-certitude. Par le passé, les lockouts ont pu impacter négativement la saison, voire la carrière de certains joueurs, mais l’idée de revenir pour disputer directement la post-saison rend la difficulté du retour encore plus relevée. Quel sera l’impact de ces longs mois de pause, en quoi a-t-il forcément été inégal, et quel défi joueurs et franchises vont devoir relever ?
Des passifs à éviter
Lorsqu’on évoque des pauses douloureuses, difficile de ne pas évoquer l’affaire Shawn Kemp.
Parmi les monstres de sa génération, âgé de tout juste 30 ans, l’ailier fort va pourtant très mal encaisser le lockout 1999. Incapable de gérer la période d’inactivité, il va revenir avec plus de 15 kilos supplémentaires. Passant d’un physique filiforme à un gabarit plus lourd, ses qualités athlétiques vont rapidement s’en voir impactées et son basket s’effondrer les saisons suivantes, amputant une carrière pourtant à son zénith quelques mois plus tôt.
Privé de son but, d’un objectif et d’un calendrier précis le “Reign Man” va traverser une période de relâchement qui sera fatale pour la suite de sa carrière.
Dans une période d’errance, il est plus facile de retomber dans ses travers que d’ordinaire. Alors que le rythme infernal des saisons NBA peut faire plier certains joueurs, la réalité est souvent que son rythme permet la mise en place d’habitudes et occupe une place telle dans l’esprit et la vie des joueurs qu’il faut créer des routines et des automatismes pour le traverser. Ceux-ci font office de guides, mais privés du cadre et des objectifs qu’ils servent, le vide auxquels ils laissent place sont une porte ouverte à de nombreuses dérives.
Gestion de la nourriture, perte d’une raison directe de garder la forme, tendance aux sorties de route, l’absence de but confronte aussi à ses démons.
En 2011, suite à un nouveau lockout, Raymond Felton était revenu, comme d’autres joueurs, complètement hors de forme. Absence d’entraînement, forte prise de poids, le meneur avait mis les pieds dans une tendance qui rythmerait la suite de sa carrière : une tendance à faire le yoyo entre chaque intersaison. En ’99, Vin Baker lui tombera allègrement dans ses travers et développera une addiction qui ruinera plus qu’un morceau de sa carrière. En effet, ce sont plusieurs années de sa vie qui seront ruinées par l’alcoolisme qu’il aura développé. Si à l’aube des années 2000, parler de ce genre de problèmes n’est pas coutumier, a fortiori dans le sport professionnel, les prises de paroles récentes de plusieurs joueurs permettent d’imaginer l’envers du décor. Des exemples qui font parfaitement échos à des déclarations actuelles.
Des gestions inégales
Alors que DeMar DeRozan, Kevin Love ou Steven Adams ont pris la parole depuis 2 ans sur leurs dépressions, on peut volontiers imaginer que la soudaine absence d’un but qui fait partie de leur quotidien depuis leur enfance peut être compliqué à gérer. Surtout quand, comme ce fut le cas pendant 2 mois, le bout du tunnel est indécis, flou, voire très compromis.
A ces joueurs qui peuvent particulièrement pâtir d’une telle situation, peuvent s’ajouter d’autres facteurs.
En effet, le suivi mis en place par la franchise est forcément crucial. On peut imaginer qu’entre une équipe qui garde le contact et fixe des objectifs et une autre qui laisse des joueurs livrés à eux-mêmes, voire à la dérive, un fossé peut vite se creuser. Une remarque qui peut paraître naïve de notre côté de l’Atlantique, mais pourrait ne pas l’être tant que ça dans le contexte du sport US. Si le monde du sport a fait de grand progrès dans la prise en compte de l’importance du sommeil, de l’alimentation, de la santé mentale de ses joueurs, il ne faut pas sous-estimer l’absence de cadre très fréquent en NBA.
De même, la situation est très différente pour les joueurs selon la situation de la franchise. Lorsque la saison NBA fut arrêtée, de nombreuses équipes n’avaient déjà plus rien à jouer. Aussi, on peut sans difficulté imaginer que la situation fut très différent que vous jouiez à Minnesota, Atlanta, Cleveland ou à Milwaukee, Los Angeles, Toronto. Se tenir prêt pour la reprise est forcément beaucoup plus concret quand votre objectif est le titre, que lorsque vous faites partie des potentielles lanternes rouges.
Ainsi, ces derniers jours, alors qu’un joueur comme Damian Lillard déclarait ne pas vouloir revenir s’il n’y avait pas espoir de jouer en Playoffs, d’autres comme Paul Millsap invoquaient des velléités très différentes.
Nous avions un avantage. Nous voulions rester concentré sur l’objectif : gagner un titre.
Une perspective qui peut suffire à justifier les efforts pour garder ce cap. Alors que dans le même temps, un gap a pu se créer entre joueurs décidant de garder la forme et ceux ayant plus ou moins abdiqué dans l’incertitude. Un sentiment que Tristan Thompson expliquait ainsi :
Techniquement, si j’étais dans la position de ces gars, et je l’ai été, lorsque vous chassez un titre, aucune année ne peut être balancée. Chaque année est importante et une opportunité unique […], la vraie question est donc “comment rester en forme pour jouer au basketball” ?
L’importance des routines
Si le sport professionnel a connu une révolution, particulièrement aux US au cours de la dernière décennie, c’est dans l’importance de l’hygiène de vie.
Alors que l’Europe et certaines disciplines avaient compris l’importance de l’alimentation, du sommeil et de la mise en place de routines saines pour maximiser le niveau de jeu de ses athlètes, la NBA accumulait un retard important sur le sujet. En le prenant en compte, elle entend permettre à ses joueurs de rester en meilleure santé. C’est ainsi que de plus en plus ont fait appel à des chefs pour gérer leur alimentation. Une initiative souvent initiée par les joueurs eux-mêmes. C’est ainsi que la NBA a décidé de rallonger son calendrier et offrir une pause à mi-saison pour limiter les déplacements longs et désastreux pour le sommeil des joueurs. C’est aussi ainsi que Gregg Popovich, puis de nombreux coachs NBA ont mis en place un load management de leurs stars.
Dans ce contexte, les routines mises en place par les joueurs ont pour objectif d’améliorer leur condition, que ce soit une question d’entraînement (physique et technique), d’alimentation (nombre de repas et équilibre des aliments ingérés), ou de sommeil (heures régulières de sommeil et durée optimisée). Outre la dimension physique, elles sont souvent une façon de se dédier complètement à leur objectif, mais aussi, de réduire le stress généré par la compétition de haut niveau, les sollicitations médiatiques et leurs problématiques personnelles.
Il faut que je sois un monstre de routine. Si je ne reste pas dans ma routine, j’ai l’impression que je n’en fais pas assez. Et c’est là que mon esprit comment à partir en vrille. – Kevin Love
On peut d’ailleurs rapprocher, dans le cas de Kevin Love, sa mutation physique entre ses années à Minnesota et celles à Cleveland, où, il s’est astreint à un régime alimentaire rigoureux pour limiter les risques de blessures.
Problème, lorsque l’objectif final devient incertain, chacun réagit a sa manière. Et tandis que certains vont revenir en forme, d’autres se laisseront aller. Historiquement, on peut repenser aux cas de Vin Baker, Shawn Kemp, Raymond Felton, alors que d’autres vont aller jusqu’à améliorer leur condition (ou en tout cas chercher à le faire). Récemment, nous avons assisté étonnés à la transformation physique de James Harden et son impressionnante perte de poids. Une stratégie que son coéquipier, Eric Gordon, aurait imité alors qu’il traversait une saison compliquée pourrie par les blessures. Tandis que dans le même temps, Mo Bamba annonçait, lui, avoir pris 13kgs…. de muscle.
Plus facile à reprendre, mais tout aussi crucial : le rythme de vie. Nombreux furent les joueurs NBA à occuper leur temps par des hobbies susceptibles de dérégler leur cycle du sommeil. On peut penser à ceux qui animaient des streams en ligne, jouant parfois toute la nuit. Des pratiques qui une fois installées peuvent être compliquées à réguler et sont donc à surveiller pour les joueurs alors que le retour à la compétition risque d’être… plus brutale qu’à l’accoutumée.
L’inégalité des situations
Le souci, c’est que tous les joueurs ne sont pas égaux dans cette situation.
Nous parlions précédemment de la différence entre ceux qui jouent collectivement quelque chose et ceux dont la situation est condamnée ou en mauvaise voie. Si Damian Lillard a apporté une preuve supplémentaire avec ses déclarations, il est aussi important de dire qu’au sein même d’une équipe les joueurs ne sont pas égaux.
Les stars, en première ligne, ont souvent pour objectif de marquer l’Histoire, d’obtenir le Graal. Si les objectifs collectifs sont évidemment d’une importance majeure, ils peuvent s’étioler avec l’absence de contact et donc d’émulation. En revanche, on imagine que la chose est différente pour les joueurs en première ligne en cas de succès ou d’échec. Difficile d’envisager un univers où LeBron James, Giannis Antetokoumpo ou James Harden n’ont pas continué de chasser leur objectif. A ce titre, il est évidemment nécessaire de préciser que la volonté propre à chacun joue nécessairement un rôle déterminant.
Mais ce ne sont pas les seuls éléments de différenciation.
Pour Un vétéran, implanté en NBA et qui a divers business à gérer, la pause a pu être beaucoup plus pleine que pour un rookie ou un sophomore pour qui la totalité du quotidien était tourné vers le basketball et l’établissement dans la ligue. Dans ce marasme, le vide a pu être d’autant plus grand et source de démotivation pour un de ces jeunes joueurs. Sophomore chez les Rockets, Isaiah Hartenstein raconte sa période comme…
Une expérience étrange.
Des journées occupées entre réseaux sociaux, jeux vidéos et des efforts pour rester en forme dans un appartement. Suivi par un assistant des Rockets, il réalisait des sessions d’entraînement, même s’il était difficile, sur le plan basketball, “de faire autre chose que des sessions de shooting“.
Nous avons pas pu faire autant que je le pensais. La musculation était à peu près normale, même si cela nécessitait de tout désinfecter entre chaque utilisation, mais sur le plan basketball, ce fut très limité.
A ce titre, on peut également préciser que la situation des joueurs est également inégalitaire. Vivre dans un appartement ou posséder un terrain personnel a forcément impacté la préparation des joueurs. De même, ceux étant restés proches de leur franchise ont probablement pu bénéficier d’un accompagnement différent, tandis que ceux partis loin, parfois à l’étranger, auront joui d’une liberté plus ou moins grande selon l’état ou le pays dans lesquels ils se trouvaient.
Des franchises plus ou moins inventives – le cas Clippers
L’avantage d’une crise pareil dans le monde moderne ? Les nouvelles technologies. Si la coupure fut longue, elle a pu être rendue plus ou moins problématique selon la compétence et l’imagination des franchises. Alors que certaines ont pu se sentir dépassées, d’autres ont trouvé des solutions pour profiter de cette période.
Alors qu’Austin Rivers faisait part de “sessions de yoga sur Zoom“, chaque matin, du côté des Rockets, d’autres sont allés plus loin. C’est notamment le cas des Clippers de Steve Balmers qui sont arrivés avec un leitmotiv “Win the wait“, que l’on peut traduire par “Vaincre l’attente“. Un slogan qu’on imagine au double sens, puisqu’il s’agit autant de vaincre l’attente, l’ennui et ses risques inhérents, que de prendre de l’avance sur d’autres franchises, moins aptes à réagir ou moins inventives. Fiers de leur mantra, les Clippers l’ont d’ailleurs ajouté à leurs campagnes publicitaires le 27 avril dernier.
La première étape fut de monter un espace à chaque joueur, à leur domicile, pour qu’il puisse rester en forme physiquement. Création d’un espace de musculation donc, mais aussi programme adapté à chaque joueur en fonction de ses qualités, ses faiblesses et de son poste.
Ce n’était pas une approche “une taille pour tous”. Chaque joueur est complètement différent, donc ils ont tous des équipements et des outils différents. – Frank Lawrence.
Pour s’assurer des résultats des joueurs, chaque jour, Todd Wright et Daniel Shapiro réalisaient un suivi par FaceTime ou autres applications. Un travail d’accompagnement qu’on imagine titanesque pour aider chacun à conserver le cap en vue d’une éventuelle reprise. Doc Rivers, excellent meneur d’homme a d’ailleurs redoublé d’effort pour ne pas laisser cette “éventualité” grever les efforts de qui que ce soit :
Je veux que mes gars comprennent deux choses : que notre but n’a pas changé, la seconde, que nous ne pouvons pas utiliser ce qui s’est passé lorsque nous en sortirons pour expliquer pourquoi nous n’avons pas gagné.
Une réalité que Doc Rivers a bien compris : chaque équipe affronte le même problème. Il s’agit de repartir avec une longueur d’avance sur ses adversaires. Idée qu’il exprimait dans un podcast animé par son fils, Austin, évoluant chez les Houston Rockets. Alors que le meneur semblait impressionné par les mesures prises par les Clippers, le slogan “Win the wait” paraît d’autant plus justifié.
D’autant que le joueur de Houston ne serait pas le seul à sous-entendre que sa franchise n’a pas été aussi inventive que les Los Angeles Clippers. Seth Curry, joueur des Dallas Mavericks, semblait avoir connu une expérience similaire à celle du Rocket. Une réalité semble s’imposer dans diverses franchises : du temps a été accordé, mais pas de véritables ressources matérielles ou de suivi aussi abouti. Créant des inégalités bien plus fortes au sein même de l’équipe, quand les Clippers eux, incluaient tout le monde dans l’organigramme. Une idée qu’Austin Rivers résumera ainsi :
Vous semblez clairement en tête de la courbe, de loin, en termes de comment vous restez en contact mais aussi de la manière dont vous restez actifs
Un retour au jeu déroutant
La NBA prépare un retour dans des conditions absolument inédites.
Quel que soit le choix vis-à-vis de la compétition (retour directement en Playoffs, tournoi de qualification, pré-saison, fin de la saison régulière), cela sera dans un cadre jamais-vu. En effet, toute la compétition se déroulera à huis-clos. D’une part car toutes les équipes seront enfermées dans la même zone, ce qui signifie vivre à l’hôtel, coupé des familles, de la vie quotidienne, mais aussi car il n’y aura plus de public, plus de match à domicile, plus de match à l’extérieur, plus de déplacement. Autant d’absences inhabituelles qui peuvent profiter à certains et faciliter le doute des autres.
Qu’en sera-t-il de la gestion de la pression médiatique, sportive, lorsque les joueurs seront privés de leur cellule familiale, de leurs habitudes de vie ? A l’inverse, quels joueurs seront le plus impactés par l’absence du public, qui peut autant être un moteur pour certains qu’un frein pour d’autres ? Comment seront gérés les journées, les entraînements, le rapport aux équipes adverses dans cette NBA en vase clos ? Comment le fait d’être h24 avec ses coéquipiers va-t-il impacter les équipes ?
Alors que la NBA pourrait opter pour un retour à 22 équipes, c’est-à-dire uniquement les franchises qualifiées pour les Playoffs ou encore dans la course, il sera intéressant de voir qui trouve des sources de motivation. Dans l’univers du sport professionnel, la pression, les objectifs sont souvent des fuels poussant les joueurs à se dépasser, mais qui trouvera le plus de sources de motivations dans ce contexte ? Et qui a pris de l’avance ou du retard pendant cette longue pause ? La bonne nouvelle, c’est que la NBA visant une reprise au 31 juillet, cela aura laissé plus de 2 mois aux équipes pour se préparer et aux joueurs pour se préparer mentalement et physiquement.
Et le travail physique, lui, sera nécessaire. Car quoi qu’il arrive, la Grande Ligue reprendra ses droits de manière plus intense que d’habitude. Alors que les joueurs, en temps normal, sont susceptibles d’arrivés exténués, mais en rythme pour la post-saison, ils auront un rythme très relatif quelle que soit la formule choisie. Le long marathon de la saison régulière coupé, les joutes de post-saison arriveront avec peu ou pas de transition. De quoi inquiéter des risques de blessures, mais également de maladie, le virus courant toujours. Conscients de ces risques, les équipes NBA semblent d’ailleurs faire la demande d’effectifs élargis pour palier à ces risques cumulés.
Toutefois, qui dit saison plus étendue, repos, peut aussi permettre de tirer des bonnes pratiques pour l’avenir. En effet, un excellent travail de préparation d’ici la fin juillet pourrait à l’inverse prévenir certaines blessures, tandis que cette longue pause aura reposé des corps et des organismes soumis à rude épreuve. Elle aura également, peut être, été l’occasion de soulager certaines douleurs avant le sprint final. Un sprint finale que certains relativisent d’ailleurs malgré cette situation inédite, comme Paul Millsap :
A la fin de la journée, nous sommes juste des ballers et nous avons envie de jouer. On veut retourner à l’action. On sait qu’il ne se passe pas grand chose à la télévision. donc on veut donner aux fans quelque chose à regarder et pour lequel s’entousiasmer.
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La NBA va reprendre ses droits dans des circonstances inédites et avec un potentiel clivage important. Ne nous trompons néanmoins pas : quelle que soit les circonstances, cette situation nous rappellera que comme dans toute compétition, la faculté à s’adapter et surmonter sont indispensables pour sortir vainqueur.
Alors que la volonté des joueurs, la compétence des franchises et la qualité des effectifs ont été mises à rude épreuves, dans une course qui ne fait, finalement que commencer, il est pourtant important de rappeler qu’en définitive, ces 3 éléments clés étaient déjà ceux qui faisaient la différence avant la crise du COVID-19. Si le format de reprise est incertain, que les conditions semblent complexes, la NBA devrait reprendre ses droits, en espérant un champion couronné dans une course au titre plus ouverte que jamais.