Lorsque l’on s’amuse à rechercher les œuvres littéraires les plus réputées dans le milieu du basketball et de la NBA (tout lien avec l’absence totale d’actualité est fortuit), il n’est pas rare de voir The Breaks of the Game, de David Halberstam, figurer sur le podium. Malgré l’avalanche de récits de qualité retraçant les plus belles pages de l’histoire de la ligue, c’est une immersion dans la saison des Portland Trail Blazers 1979-1980, dont à peu près tout le monde se fout, qui remporte les faveurs chez les têtes pensantes de ce sport. Un phénomène intrigant, qui le devient encore plus lorsque l’on se demande ce qui a pu pousser un lauréat du prix Pulitzer, plutôt habitué des conflits internationaux et du mouvement afro-américain des droits civiques, à se pencher subitement sur le basketball, et plus encore sur cette équipe.
L’explication saute aux yeux dès les premières pages. Très vite, on se rend compte que la saison des Blazers n’est qu’un fil rouge pour structurer le récit, un point de départ pour dresser un tableau sans concession de l’amérique des années 60-70. Pour Halberstam, la NBA n’est qu’un reflet supplémentaire d’une société en pleine mutation, souffrant des mêmes maux et des mêmes blessures du passé, à l’image d’un racisme peut-être moins brutal qu’auparavant mais toujours lancinant, comme une ombre planant au dessus d’une ligue dont la majorité des acteurs sont pourtant d’origine afro-américaine. Les racines de l’auteur n’ont pas disparu du jour au lendemain et si le livre reste centré sur le sport, il n’en demeure pas moins teinté d’une large réflexion sociétale sur l’époque de son écriture.
À ces considérations globales s’ajoutent les problématiques rencontrées par la NBA elle-même, dans une période sombre marquée par des audiences en baisse et un désamour certain du public. La relation entre la ligue et la télévision est largement analysée et constitue l’une des digressions les plus captivantes du livre, témoignant de l’incapacité de la NBA à vendre son produit et nous faisant encore plus comprendre à quel point la rivalité entre Magic Johnson et Larry Bird a contribué à renverser la situation. La sur-exposition médiatique soudaine de la ligue ayant ouvert la porte à des contrats de plus en plus juteux, la question de l’argent est centrale dans le récit d’Halberstam, révélatrice de la fracture entre vétérans besogneux qui estiment avoir droit à leur part du gâteau et jeunes feu-follets à qui l’avalanche de dollars fait tourner la tête.
Les hommes ne sont pas pour autant relégués au statut de pions dans cette partie d’échecs sociétale. La rupture brutale entre Bill Walton, pièce maîtresse du titre de 1977, et la franchise prend une place centrale dans l’histoire, au même titre que la personnalité aussi rigide que sensible du coach de Portland, Jack Ramsay, que l’on pourrait presque qualifier de héros de ce récit. Nous n’en dévoilerons pas plus pour ne pas gâcher la surprise des éventuels lecteurs, mais sachez que les 460 pages regorgent d’anecdotes en tout genre sur chaque protagoniste et qu’il fait bon se plonger dans les vies de ces joueurs pour la plupart relégués au second plan de l’histoire de la balle orange. Si les noms de Kermit Washington, Maurice Lucas ou Billy Ray Bates n’évoquent rien chez vous, on vous recommande chaudement la lecture de ce livre.
Certes, l’ensemble peut paraître massif. L’auteur ne s’embarasse pas à découper la chose en chapitres mais préfère livrer la quasi-totalité du récit au sein d’un seul et même bloc, où les anecdotes s’enchaînent au rythme des matchs. Cette forme particulière peut rebuter et forcer à relire les deux ou trois derniers paragraphes lorsque l’on reprend le lendemain pour se remémorer le contexte. Il faut se forcer un peu au début, mais si vous accordez à ce livre l’effort et l’attention qu’il mérite, il vous le rendra, tant il est idéal pour comprendre au mieux les enjeux et les maux de cette période qu’un bon nombre d’entre nous n’avons pas connue. Un instantané de la NBA de la fin des années 70, avec ce qu’elle avait de pire et de meilleur, sans jugement et sans moralisation. L’authenticité avant tout, et c’est exactement ce pourquoi vous êtes plus qu’invités à lire The Breaks of the Game.