La création récemment annoncée par la NBA d’une “Select Team” pour sa G-League, sur la base d’invitations pour des top prospects visant dans la foulée la draft et la “vraie” grande ligue vient certainement redistribuer les cartes pour certains de ces jeunes joueurs au moment de choisir par quelle voie ils termineront leur formation, avant d’aller se frotter aux joutes de la NBA. Mais alors que certains y voient une forme d’attaque de la NBA vers le modèle NCAA, la réalité parait toute autre, et on semble en fait se diriger vers une forme de protectionnisme du basket américain dans son ensemble.
NBA-NCAA : mariage de raison
Il y a maintenant quelques années, l’ex-commish de la NBA David Stern – paix à son âme – assurait à Jim Boeheim, head coach de Syracuse, une sorte de pacte de non-agression, lui garantissant que la règle du nouveau CBA de la NBA, obligeant chaque candidat à avoir 19 ans l’année de la draft et à avoir terminé le lycée depuis au moins un an, servirait les intérêts à la fois du basket universitaire et de la NBA. Les premiers pouvaient profiter durant au moins un an des jeunes joueurs les plus côtés de leur promo au lycée, tandis que les seconds récupéraient des joueurs plus murs, mieux préparés physiquement, tactiquement et techniquement pour être opérationnels dans un plus court délai et ainsi hausser le niveau global des joueurs de la ligue.
En opérant ainsi, la NBA se protège notamment de certains “busts” : si certains d’entre eux passaient encore la case universitaire sans se faire repérer, avant d’échouer face aux exigences du monde professionnel, d’autres se crashent d’ores-et-déjà à la fac, alors même qu’ils étaient parmi les lycéens les plus prisés des Etats-Unis. Difficile de ne pas penser à des flops mémorables comme Cliff Alexander ou Skal Labissière, qui sans ce changement de règle auraient probablement participé à agrandir le triste héritage de Kwame Brown.
Il est donc difficile d’imaginer que la NBA voudrait s’en prendre à cette NCAA, qui sert à la fois de formateur qualifié avec ses coachs reconnus, mais aussi de premier filtre avant de sélectionner les joueurs qui feront partie d’un des 30 rosters, des places qui coûtent toutes très cher.
L’Australie : la nouvelle terre d’exil ?
L’opération G-League nouvelle version de la NBA semble en réalité s’attaquer à un ennemi extérieur, de l’autre côté du monde surtout : la NBL, pour National Basketball League, en Australie. Cette ligue a pris de l’avance en la matière, en créant son propre programme d’accueil pour les jeunes américains souhaitant y développer leur jeu, en faisant au passage une publicité notable pour la ligue australienne.
Les premiers à suivre cette voie furent Terrance Ferguson et Brian Bowen (bien que celui-ci l’ait fait par défaut, après avoir perdu son éligibilité en NCAA), et ont été suivis cette saison par les bien plus médiatisés RJ Hampton et surtout LaMelo Ball. D’autres joueurs avaient déjà opté pour la solution internationale bien avant, évidemment, avec notamment Emmanuel Mudiay qui a évolué en Chine avant de se présenter à la draft, et plus tôt encore Brandon Jennings, qui avait traversé l’Atlantique pour rejoindre Rome et l’Italie.
La NBA ne voit pas ce mouvement d’un bon œil, pour la simple et bonne raison que la logistique liée au scouting de ces joueurs est compliquée par le décalage horaire et les longs voyages, et que le confort d’observer un joueur sur ses propres terres semble valoir un prix plutôt élevé.
Le choix de la voie professionnelle – en Chine, Australie ou maintenant en G-League – s’entend, essentiellement pour l’aspect économique à court terme, car qu’on se le dise, la NCAA n’est pas exempte de tout reproche. Si son système confère une opportunité formidable pour 99% de ses athlètes, le club des 1% – ceux qui peuvent prétendre à devenir des athlètes millionnaires après avoir quitté les bancs de la fac – se retrouve lésé par un manque à gagner évident lorsque leur image permet d’accorder un certain boost aux audiences, et permet à la NCAA et ses conférences de s’enrichir encore un peu, sans que cet argent ne soit rétribué directement aux joueurs.
Une blessure et tout peut s’écrouler, évidemment. Prendre un demi-million de dollars – voire plus dans certains cas avec notamment les contrats équipementiers – avant même d’avoir atteint la NBA représente un matelas et un confort financier qui rassure.
Pourtant, la destination australienne prisée par les jeunes joueurs américains a tout pour sembler ironique, dans la mesure où les meilleurs jeunes joueurs australiens n’y évoluent même pas, vu qu’ils préfèrent… Faire le chemin inverse, et s’endurcir et se développer dans le basket NCAA, aux Etats-Unis.
L’université de St Mary’s, dans le nord de la Californie, est devenu un véritable repère pour les jeunes “Boomers” depuis une vingtaine d’année, écrivant son histoire avec certains des joueurs les plus importants du basket australien actuel, les Patty Mills, Matthew Dellavedova ou encore plus récemment Jock Landale. On citera aussi d’autres de leurs compatriotes comme Aron Baynes, qui avait lui choisi de jouer à Washington State, non loin de là.
Pépites européennes et les “99%” : la NCAA a de beaux jours devant elle
En réalité, le meilleur moyen de prouver que le basket NCAA n’est pas mort – et n’est pas prêt de l’être car il attirera toujours -, ce sont ces joueurs internationaux.
Avec parfois des contrats lucratifs sur la table, voire des minutes en Euroleague, certains jeunes préfèrent tenter l’expérience universitaire pour ce qu’elle apporte sur le plan humain, mais aussi l’exposition qu’elle offre en vue de le draft, avec beaucoup de minutes de jeu, devant une audience plus importante, et également plus proche des scouts NBA.
On peut citer les exemples des turcs Enes Kanter et Omer Yurtseven, des frères Moe et Franz Wagner ou encore d’autres cracks comme Lauri Markkanen et Svitatoslav Mykhayliuk, qui ont refusé des contrats professionnels dans leurs clubs formateurs en Euroleague ou qui ont repoussé les avances des meilleures équipes européennes pour tenter l’aventure universitaire à l’autre bout du monde.
La filière internationale ne cesse de se développer, comme à Gonzaga avec le serbe Filip Petrusev, le japonais Rui Hachimura, ou bien sûr les français Killian Tillie et Joel Ayayi qui ont repris l’héritage qu’avait construit Ronny Turiaf.
Il y a quelques jours, la diaspora française en NCAA s’est encore élargie avec l’engagement à Arizona d’un des joueurs les plus talentueux de l’INSEP, considéré aux USA comme le big man le plus talentueux de sa classe d’âge à l’international, Daniel Batcho. Ce commitment à Arizona n’arrive que quelques jours après celui de Kerr Kriisa, le talentueux meneur letton qui évoluait au Zalgiris Kaunas.
Le College Basketball attire toujours beaucoup, et finalement, il semble être fui par les jeunes joueurs américains qui le prennent pour acquis et préfèrent prendre les voiles, parfois vers des continents sur lesquels, ironiquement, des basketteurs aussi talentueux rêvent de faire le chemin inverse pour prendre la place qu’ils avaient refusé.
Le modèle NCAA doit bien entendu trouver des solutions pour remédier à certaines de ses grosses faiblesses. L’instauration d’un système pur et simple de salaire est inenvisageable car il créerait une inégalité ingérable entre les facs, du fait des disparités économiques et financières qui existent entre elles. Mais le droit pour chaque étudiant de faire fructifier économiquement son image et d’avoir accès à un agent semble être un droit fondamental que l’organisme du sport universitaire qu’est la NCAA ne doit pouvoir ôter à ses étudiants-athlètes.
Malgré cela, il ne faut jamais oublier d’évoquer les 99%.
Les médias de masse ont évidemment cette tendance à se focaliser sur les noms qui résonnent le plus, les 1% qui deviendront professionnels, qui ont et auront des revendications financières importantes. Mais les 99% sont des athlètes qui construisent leur nom au cours de leur carrière universitaire. Quand la NBA ou les grandes ligues européennes, ou la NFL pour citer l’autre grand sport universitaire, ne leurs sont pas promises, ils vont les chercher avec leur travail, avec leurs coachs et avec l’exposition dont ils bénéficient dans la ligue la plus folle du monde.
D’autres n’auront même pas la chance de devenir professionnels dans leur discipline, mais repartiront avec l’expérience d’une vie, et tout aussi important : un diplôme universitaire tous frais payés, une véritable aubaine comparé à la réalité du commun des mortels en Amérique.
Le passage à la fac permet également à ces jeunes de se construire un réseau inimaginable ailleurs. Nombreux sont les anciens joueurs, parfois même pas boursiers, qui par leurs connaissances finissent par trouver leur voie professionnelle dans le basket autrement qu’en étant sur le terrain, et qui, en grimpant les échelons, peuvent arriver tout en haut.
On citera en exemple Will Wade, l’actuel coach de LSU, qui en seulement quelques années est passé de student manager à Clemson (pour faire simple, il s’agit d’un rôle d’homme à tout faire au service de l’équipe, remplir les gourdes de Gatorade, plier les serviettes, prendre des rebonds, en fait, il n’est même pas joueur) à head coach d’un des plus gros programmes d’Amérique.
De manière plus générale, et plus simple, le basket universitaire vit et respire autour de ces 99%. Une idée bien résumée dans un tweet de Chris Mack, le head coach de Louisville, qui nous rappelle s’il le fallait que pour chaque Jalen Green, il y a un Obi Toppin. Pour chaque « none and done » il y a un Luka Garza ou un Markus Howard.
For every Jalen Green there’s an Obi Toppin. For every none & done there’s a Luke Garza, a Markus Howard. College Basketball will be fine. Nice articles though guys. Next…
— Chris Mack (@CoachChrisMack) April 17, 2020
L’idée résume bien ce qu’est le basket universitaire : une ligue qui vit autour des joueurs qu’elle fabrique elle-même, ces mêmes joueurs qui lui rendent, par leur brillance sur le terrain et par la beauté des équipes qu’ils contribuent à construire.
Les Stephen Curry, Buddy Hield, Ja Morant, Draymond Green, Malcolm Brogdon et autres Victor Oladipo font partie d’une liste sans fin de joueurs que l’université a construit et qui font aujourd’hui partie des meilleurs. Ceux-là, la NCAA ne les perdra jamais. Elle ne perdra aussi jamais son âme et son esprit unique et inimitable, avec ses foules en délire à chaque sortie de leur équipe et son histoire centenaire.
Le club des 1%, qui semble mené à disparaître du panorama universitaire, n’a en réalité jamais vraiment compté.
Quelques coachs ont tenté de construire leurs équipes autour de ces joueurs, mais au bout, cela n’a jamais vraiment fonctionné. Si John Calipari a été champion avec Kentucky en 2012 grâce à son groupe construit autour d’Anthony Davis, il n’a jamais été en mesure de reproduire cette performance malgré une série de classes tout aussi talentueuses chaque année.
Mike Krzyzewski a depuis quelques années décidé de suivre la même voie, mais son titre de 2015 est là aussi une réussite isolée, et son trio Okafor – Jones – Winslow était également porté par ses joueurs d’expérience, Quinn Cook, Amile Jefferson.
L’an dernier, avec un quatuor de one-and-done jamais vu auparavant formé par RJ Barrett, Zion Williamson, Cam Reddish et Tre Jones, Duke a avancé vers l’Elite 8 par une série de miracles face à Central Florida et Virginia Tech, avant d’échouer devant Michigan State, une équipe toujours formée par des joueurs des 99%, comme son meneur star Cassius Winston, et symboliquement, celui qui mettra le tir de la gagne, Kenny Goins, qui n’était même pas sûr d’obtenir une bourse universitaire, et qui termine dans l’histoire de « State », avant de devenir professionnel en Italie.
L’ère du one-and-done a été marquée, comme chaque époque, par les équipes construites par un groupe sur plusieurs années, plutôt que par une tentative de one shot. De l’historique Florida de la génération Noah – Horford – Brewer au Villanova de Jay Wright, ces équipes ont sans cesse rappelé que le paradigme du basket universitaire ne changerait jamais.
Conclusion
La vingtaine de joueurs que la NCAA semble être, à terme, destinée à perdre est tout de même importante. Leurs noms résonnent déjà, et appellent un public plus large et moins spécialisé à se poser devant son écran. Mais sportivement, seuls quelques joueurs d’exception parviennent à réellement faire changer le visage d’un programme.
Lonzo Ball à UCLA est probablement l’exemple le plus positif des dernières années, tenant les Bruins à bout de bras toute une saison. Pourtant, à chaque Lonzo Ball il y a plusieurs échecs, des prospects 5 étoiles qui noircissent leur ligne de stats dans le vide avec une équipe qui n’avance pas, ou pire encore, qui n’arrivent même pas à trouver leurs minutes dans une rotation.
La NCAA va raisonnablement perdre 10 à 20 joueurs réellement importants, qui font un passage court de seulement six mois, quand la ligue est construite sur un modèle de collectif formé sur des joueurs restant trois ou quatre ans. La G-League va de son côté récupérer des joueurs qui étaient parfois prêts à échouer sous les ordres des meilleurs techniciens du monde, et qui vont tenter une voie alternative avec des matchs d’exhibitions et un coaching de moindre qualité (Sam Mitchell, choisi pour orienter la première select team, était il y a quelques mois l’assistant de Penny Hardaway, head coach rookie des Memphis Tigers). A terme, quand le nouveau CBA sera ratifié, c’est directement en NBA que certains joueurs iront échouer par précipitation.
Il y aura bien évidemment des cas de réussite, mais les Ben Simmons et Zion Williamson sont générationnels, et par définition donc, il n’en nait pas tous les mois.
Avec son nouveau système, la NBA n’attaque donc pas le modèle NCAA, car cette dernière est non seulement presque invincible mais elle est également le meilleur allié de la NBA lorsqu’il s’agit de former les jeunes joueurs et même de faire le tri.
L’Australie, en revanche, attire les joueurs loin du continent américain sans leur donner réellement l’opportunité de se mettre en avant. Le joueur, faute de minutes, voit son draft stock baisser, perd des millions sur son contrat rookie, et les franchises NBA s’engagent malgré tout à risquer le bust. Ce modèle ne fait gagner personne, si ce n’est le joueur à très court-terme, et c’est donc cela que la grande ligue d’Adam Silver veut combattre, contrairement à ce que pourraient laisser croire certains commentaires ou articles dont la compréhension s’éloigne encore trop des dynamiques de la NCAA et des autres sphères du basket international.