Les tribunes du Mercedes-Benz Stadium sont vides et dans l’immense enceinte aux allures de château fort futuriste, aucun ballon orange ne roule ou ne rebondit. Le basket s’est arrêté avec toutes les activités qui faisaient notre quotidien il y a quelques jours encore, et si nul ne sait réellement si des compétitions phares comme la NBA ou l’Euroligue pourront reprendre rapidement et clore leur exercice 2019-2020 en cours, la NCAA n’a pas pu se permettre un tel sursis et a du tout bonnement prendre la décision d’annuler l’essentiel de ses compétitions de fin de saison, à commencer par sa figure de proue, le tournoi national de basketball masculin, la plus couramment nommée “March Madness” » (même si en réalité, la March Madness démarre avec les tournois de conférence au début du mois, certains ayant encore eu le temps de se réaliser).
Pour la première fois depuis son apparition en 1939, cet événement sans pareil ne verra pas le jour, lui qui avait pourtant résisté aux crises de plusieurs époques, dont une guerre mondiale.
Ce 6 avril, à Atlanta, un champion aurait du être couronné pour succéder aux Virginia Cavaliers, vainqueurs à Minneapolis l’an dernier. Mais les Dayton Flyers ne pourront pas accomplir leur destin et rentrer dans l’Ohio avec le titre de champion national, édition 2020, qui ne sera pas attribué.
L’enfer de l’été 2019
Certaines choses doivent toujours prendre le dessus sur le jeu, mais à Dayton, dans l’Ohio, le basket est l’exutoire parfait pour une population qui vit autour de ses Flyers, et qui a du faire face hors de l’arène et loin des paniers à son lot de mésaventures, faisant de l’équipe de basket de la fac locale de toujours l’épicentre d’une passion mais aussi désormais une consolation bienvenue pour une ville qui a survécu à un été 2019 des plus tragiques et qui avait terriblement besoin de se changer les idées.
Ville industrielle au coeur de la “Rust Belt” Dayton connait le même déclin économique que certains de ses voisins du nord-est du pays. Déjà trop souvent rythmé par la violence et les trafics en tout genre, l’an dernier, le quotidien de la ville est encore bouleversé, d’abord par la nature, qui va frapper la ville avec une série de tornades le 27 mai 2019, dévastant des quartiers et laissant 200 blessés, et un mort. Et le pire restait pourtant à venir…
Quelques semaines plus tard, le 4 août, Dayton se retrouve propulsée sur les colonnes et titres des principaux médias du monde entier, quand la ville est la cible d’une énième tuerie de masse sur le sol américain.
Aux alentours d’une heure du matin, 27 secondes d’enfer laissent 9 morts et 32 blessés dans le très fréquenté Oregon District de Dayton, où des joueurs de l’équipe de basket étaient aussi présents. Un tireur masqué de 24 ans commet un véritable massacre avant d’être abattu par la police.
Une balle orange en forme d’espoir
Il est bien sûr naïf de croire que gagner des matchs de basket peut fermer des cicatrices aussi profondes, mais les victoires des Flyers peuvent au moins un peu apaiser un tant soit peu cette population, et mettre un coup de projecteur plus bienveillant sur la ville.
C’est précisément ce qui s’est produit lors de la troisième saison du coach Anthony Grant à la tête d’une équipe qu’il a rendue à la fois conquérante et divertissante, le mix rêvé par les fans.
Après avoir passé dix ans avec Billy Donovan comme assistant à Florida, Grant vole de ses propres ailes comme head coach au niveau universitaire, à VCU puis à Alabama. Au terme d’une expérience mitigée avec le Crimson Tide, il retrouve son mentor Donovan en 2015, cette fois en NBA, à Oklahoma City.
Deux ans plus tard, il gravite de nouveau autour du monde universitaire. Pas forcément très enthousiaste à l’idée de retourner à la fac, il reçoit pourtant une proposition qu’il ne peut refuser : le poste d’entraineur en chef dans l’équipe de son alma mater, les Dayton Flyers.
L’idée de rentrer à la maison est forcément spéciale, et pour cause : Grant consulte son mentor et ancien coach, le légendaire coach des Flyers, Don Donoher, avant d’accepter le poste. Enthousiaste à l’idée de voir son ancien disciple finalement reprendre ce flambeau, Donoher, 88 ans maintenant, assiste aux premiers entraînements menés par Grant à l’été 2017. Jamais le coach de 53 ans n’avait ressenti une telle pression au moment de mener une séance, sous les yeux de celui qui était devenu comme un père pour lui.
Donoher est évidemment une influence des plus importantes pour Anthony Grant, mais le style de celui qui depuis quelques jours commence à accumuler les titres d’Entraineur de l’Année auprès des différents médias et autres jurys, a aussi été impacté par toutes les expériences qu’il a vécu dans sa carrière, sur les différents bancs qu’il a fréquenté.
Tirant des éléments des jeux universitaires et professionnels, Grant instille à ses joueurs l’idée d’un basket moderne, rapide et plaisant, et surtout efficace, en témoigne le bilan de 29 victoires pour seulement deux défaites cette saison, et un immaculé 18-0 dans la conférence Atlantic-10.
En seulement trois ans, le head coach a permis à son équipe d’atteindre des niveaux de performances bluffants voire même inimaginables pour un programme qui ne bénéficie pas de l’exposition médiatique des grandes conférences et des possibilités de recrutement que cela engendre.
Mais par des choix précis, et un peu de flair, Anthony Grant et son staff ont construit un effectif à la fois équilibré et riche en solutions, avec des joueurs qui correspondent à l’idée de pace&space qu’on observe dans le jeu des Flyers.
Si la NBA est une ligue de tendances, le basket universitaire se veut lui plutôt précurseur, parfois aussi parce que ses coachs doivent se montrer créatifs quand leurs effectif sont limités. Différentes variantes du small ball et du tout switch à tout va se sont créées au fil des générations de tacticiens en NCAA, parfois parce qu’il était en réalité difficile d’avoir un “seven footer” – entendez un pivot dominant et imposant – autour duquel construire.
Plus récemment, les Houston Rockets de Daryl Morey ont pris une direction presque extrémiste en abandonnant presque complètement l’idée de jeu intérieur pour privilégier les séquences en “five out“, avec l’ensemble des troupes qui s’exile derrière la ligne à trois points pour étirer la défense adverse. Les Golden State Warriors ont construit leur succès avec des compositions de cinq joueurs polyvalents, tous triple-menace, capables de tirer, dribbler, passer.
Ces mêmes concepts se retrouvent dans le jeu des Dayton Flyers, avec une attaque qui cherche la vitesse et les espaces de la transition rapide, en accélérant sans cesse le tempo avec cinq joueurs capables de prendre le rebond et lancer la contre-attaque par le dribble ou la passe, à commencer par les intérieurs Ryan Mikesell et Obi Toppin.
Sur jeu placé, les séquences de five out se multiplient, et la menace extérieure est réelle, avec notamment le meneur général Jalen Crutcher ou le sixième homme transféré depuis Michigan, Ibi Watson, auxquels on peut également ajouter les deux intérieurs précédemment cités.
Expliquées précisément dans cette vidéo du blog Hoop Vision, les idées et la qualité de l’exécution des Flyers portent leurs fruits en ramenant victoire sur victoire, et en les faisant sans cesse passer avec brio l’examen visuel qui nous permet de déterminer quelles équipes pourront prétendre à un long run au mois de mars.
Obi Toppin, l’homme providentiel
Et puis, il y a Obi Toppin.
Comment ne pas parler de celui qui rend réellement cette équipe innarêtable, celui qui vient de remporter le titre de Naismith Player of the Year et qui prétend depuis plusieurs mois déjà à une place dans le Top 5 de la prochaine Draft NBA ?
Monstre par son physique, sa vitesse et sa polyvalence, Toppin est le joueur qui fait passer l’équipe de Dayton dans une autre dimension et qui représente tout ce que cette équipe peut faire pour frapper son adversaire. Capable de mener la transition, il préfère en être le dynamiteur final, avec ses courses ingérables pour les intérieurs adverses qui lui permettent de distancer son vis à vis et d’aller heurter le cercle avec ses dunks ravageurs.
Habile également avec son shoot, il tire à 39% derrière l’arc, quand il ne prend pas l’initiative d’aller enfoncer son adverse à l’intérieur avec sa supériorité physique. Egalement bon passeur, il peut servir ses coéquipiers depuis l’extérieur, le poste haut ou le poste bas, multipliant les possibilités pour ses partenaires et pour son coach.
En somme, Toppin est l’archétype de l’intérieur moderne, capable de tout bien faire, avec en bonus le facteur spectacle de ses dunks terribles qui ont déjà tant de fois envahi les Top 10 et les différentes émissions de la télévision nationale américaine.
Obi Toppin, Anthony Grant et les autre Flyers étaient destinés à remporter ce titre ce lundi à Atlanta.
Si malgré cela, cette saison 2019-2020 ne sera jamais oubliée, le what if restera pour toujours dans une fac qui n’a jamais connu la joie d’un titre suprême, et sait qu’elle ne pourra pas forcément y prétendre tous les ans comme les grands mastodontes du basket universitaire. Mais ces Flyers nous ont offert le plus beau des spectacles, et ont saisi le coeur de tous ceux qui aiment ce jeu comme nous l’aimons.
Mais avant tout, ils l’ont fait pour Dayton.