A l’approche de Jeux Olympiques historiques à Paris pour cet été 2024, QIBasket vous propose de revenir sur l’incroyable histoires des équipes de France féminines et masculines à travers deux séries d’articles. Pour l’épisode 1 sur l’équipe masculine, c’est par ici !
Épisodes précédents :
EPISODE 1 : LES PIONNIÈRES DU BASKET (1893-1928)
Episode 2 : Championnes avant l’heure (1929-1939)
Episode 3 : La patte Busnel (1945-1957)
Survivre dans les enfers
Dans notre série sur l’équipe de France masculine, nous avions pu identifier des matchs de l’équipe nationale pendant la guerre. En revanche, pour les femmes, nous manquons de sources et d’information. Il est cependant tout à fait possible qu’une poignée de match ait pu avoir lieu. Néanmoins, nous avons retrouvé des traces de basketball féminin pendant la guerre. En témoigne cette photo datée de 1943 à Périgueux, lors d’un match levé de rideau. Nous la devons (une fois n’est pas coutume) à l’ouvrage de Gérard Bosc et au Musée du basket. Mais le souci, c’est aussi l’authenticité. Comment reconnaître une équipe de France, quand vous avez deux Frances ? Entre la zone occupée et la zone libre, nous avons deux mondes, et c’est surtout dans la zone libre, placée au Sud du territoire, que les compétitions semblent s’être maintenu le mieux. Malgré les efforts de la FFBB, rien ne peut empêcher la guerre d’affecter les joueurs. Parmi les hommes, certains sont recrutés de force dans la Wehrmacht et disparaissent. D’autres sont victimes de massacres nazis…et un joueur est même décapité.
Rendons hommage et souvenons-nous de ces hommes et de ces femmes, qui, malgré les couvre-feux, malgré la propagation de la barbarie, malgré les bombardements,malgré les menaces de mort, malgré la perte de leurs proches, de leurs amis, de leurs coéquipiers et coéquipières, ont continué malgré tout à faire vivre le basket, à croire en sa bonté, et à imaginer jouer sous des ciels plus cléments. Parmi eux, un homme qui va jouer un rôle capital pour la sélection féminine : Robert Busnel. Busnel est l’un de ces obsédés du basket, et il est de ceux qui veulent le faire survivre à la guerre. Bosc raconte : « De la Zone Non Occupée (ZNO), parvient la nouvelle que R.Busnel monte une équipe formidable à Grenoble ». (L’Histoire du basketball français, volume 1, p70). Busnel n’est pas encore actif auprès du basketball français féminin. Mais le réseau qu’il tisse durant la guerre va l’y faire venir.
Repartir de zéro
Quand les fusils se taisent, tout à est à reconstruire. Fort heureusement, la structure de la FFBB a tenu le coup, et c’est dès 1945 que les championnats de France se remettent en route, certes, sous formes de critériums de courtes durées. Les filles sont présentes, à l’image du Stade Marseillais Fémina qui remporte le premier championnat de France post-guerre. Et durant ces épreuves, marquées par les joies des retrouvailles, un observateur se fait de plus en plus présent : Robert Busnel évidemment. Mais qui diable est ce garçon ? Nous en avions parlé lors du 3e épisode de l’équipe de France masculine : « Les vacances à peine terminées, Busnel effectue une revue de détail des basketeurs français. […] Il « enseigne, corrige, fulmine ». Le petit monde du basket est sous le charme : journalistes, dirigeants, joueurs ne jurent que par Busnel. ». D’autant que le bonhomme gère les filles et les garçons. Il rénove l’effectif qui s’était embourbé dans les querelles entre joueurs de clubs rivaux. Busnel gagne son surnom de « Magicien du basket ». Busnel apporte une véritable technique au basket français. Et alors qu’il commence à prendre la direction des hommes, il parvient à convaincre la fédération de prendre également la direction du groupe féminin.
Mais ce groupe, ou est-il ? Car la génération précédente n’est plus, et les souvenirs de Lucienne Velu sont déjà bien loin. On semble retrouver les filles en bleus à partir de 1946, à Bruxelles, lors d’un match amical largement perdu face à la Belgique. Les nouvelles patronnes du basket français s’appellent Balue, Bernard, Cantier, Colchen, De la Haille, Fourneaud, Hennape, Loquet, Pelatan, Reni. Anne-Marie Colchen se distingue, de par son investissement non seulement sur le terrain, mais aussi au sein des institutions régionales. Deux autres rencontres ont lieu l’année suivante, et Busnel en profite pour tester d’autres joueuses, comme Chevalier, Merle, Dischel, Langlois, ou Ouf. Une chose est cependant sure, la domination de certains clubs comme Saint-Maur, les fameuses Linnet’s, semble s’estomper. Busnel commence a voir des résultats, lui qui apporte beaucoup de technique et fait progresser le groupe France. Et bientôt, les bleues vont pouvoir confirmer en compétition.
La FIBA est de retour !
L’après-guerre va être un nouvel âge d’or pour les garçons. Et pour les filles ? Le succès de Busnel se ressent également. Et c’est avec une position de favorite que la
France va pouvoir aborder le tout premier Eurobasket depuis 1938. Loin de l’Italie fasciste et de son euro limité, c’est cette fois en Hongrie et avec 12 équipes réparties en trois groupes de quatre, auxquels suivra un nouveau groupe de 6 pour jouer les médailles. Les avancées de Busnel vont devoir faire leur preuves car le tirage n’est pas favorable : les belges, redoutables adversaires, les roumaines, et surtout, les soviétiques, qui s’apprêtent à dominer vastement, très vastement, immensément vastement, le basketball féminin en Europe. Busnel choisit ses joueuses pour cette mission : Langlois, Merle, Boisset, Montfils, Savelli, Henry, Neyraud, Bejaud, Patru, Sajous, Kloekner et bien sur Anne-Marie Colchen. La première étape est la Roumanie. Malgré les bons scoring de Sadeanu et Deli, Colchen répond avec 13pts et la France tient bon en seconde mi-temps pour garder son avantage : victoire 39-26. Au second match, ce sont les soviétiques et le score est sans appel : 72 à 20 pour les femmes en rouge, avec un très propre 10/13 de Maksimelianova. Il va falloir se battre pour le troisième match, et c’est encore Anne-Marie Colchen qui mène la danse avec 24pts ! Les belges colleront les françaises, mais ça passe : victoire 50-45. Malheureusement, au deuxième tour décisif, les françaises flanchent : défaite contre la Tchécoslovaquie puis la Hongrie et voilà la médaille quasiment perdue. Les deux victoires contre la Pologne et l’Italie sauvent les meubles et permettent de terminer 4e. Une belle place pour revenir en force, et surtout, Colchen termine meilleure marqueur tu tournoi !
Deux ans plus tard, nouvelle opportunité, nouvel Eurobasket, en URSS. Mais encore une fois, le tirage n’est pas au bénéfice des femmes de Busnel. On y reviendra plus tard, mais les bleues tombent dans une poule soviétique : Roumanie, Bulgarie et Tchécoslovaquie. La femme modèle soviétique n’a rien à voir avec l’épouse parfaite voulue par le modèle américain et traditionnel de l’Ouest de l’époque. Non, le sport féminin est, dans le bloc de l’Est, un domaine d’excellence et ou la domination doit être exemplaire, et elle le sera…Et les françaises ? Malgré une belle victoire contre la Roumanie, elles échouent à se défaire des Hongroises et Tchécoslovaques et terminent 3e de leur poule, puis 7e du tournoi. Busnel apporte du mieux, mais il faut encore parfaire la copie.
Le flair de Busnel frappe encore
Alors que le mondial 1953 approche, Busnel repère une jeune femmes aux qualités remarquables. Son nom, Ginette Mazel. Basket-retro nous en dit plus : “Repérée par un simple voisin, Ginette Mazel, avait tout pour réussir à l’époque ! Par sa taille, son courage et sa ténacité défensive, elle fut repérée par Robert Busnel, grand patron de l’Equipe de France. Subjuguée par ses qualités exceptionnelles, il en fit une internationale à l’âge de 17 ans contre la Belgique en 1953.”. Bingo, le sélectionneur l’intègre donc dans son groupe, qui s’apprête à décoller pour le Chili pour le tout premier mondial féminin de basket avec le tampon FIBA. Les françaises y débarquent sans palmarès officiel, puisque la FIBA ne reconnaît pas les résultats des Jeux Mondiaux Féminins qu’Alice Milliat organisait avant la guerre. Cette compétition, trois ans après le premier mondial masculin en Argentine, doit être l’occasion de confirmer…surtout que…ni l’URSS, ni la Hongrie, ni la Tchécoslovaquie ne sont présentes ! Et pourquoi d’ailleurs ? Basket-Retro l’explique simplement : “Staline vient de mourir”.
Busnel revient avec un groupe de plus en plus complet et toujours emmené par Anne-Marie Colchen. Mieux que ça, dans le Stade de Santiago du Chili, le même ou le Brésil gagnera le mondial de football en 1962, le même ou Pinochet ordonnera des massacre, la France a l’honneur d’ouvrir le bal et donc, de jouer le tout premier match d’un mondial FIBA, contre le Pérou. Le format est assez étrange pour ce premier mondial. Il s’agit d’abord de passer un tour préliminaire en battant donc le Pérou. C’est chose faite (62-22) et bien entendu, encore avec une Anne-Marie Colchen au sommet : 21pts. Basket-retro nous donne également l’information : Andrée Henry-Lucq marque le tout premier panier de l’histoire d’un mondial. La suite de la compétition se joue dans une poule de 6, bien plus relevée. Les française sont courageuse mais manquent de peu de battre les américaines (37-41). Mais ce match contre Team USA va prouver que le groupe de Busnel est capable d’aller loin. Les françaises réagissent et toujours avec Colchen (25pts), battent le Brésil (49-37), puis le Paraguay (58-37). Elles tombent ensuite sur les chiliennes, chez elles, et surmotivées. Les chiliennes vont réussir l’exploit d’aller chercher l’argent et battent donc la France (45-35). Mais il reste une rencontre pour les bleues et une médaille est jouable ! Busnel mise sur la motivation d’Anne-Marie Colchen, et il a raison : 8/14, et 30 points ! Colchen domine admirablement la partie, suivie par Tavert (11pts). Les deux femmes mettent 41 des 48pts de la France ! Hallucinant. Mais cette énorme performance permet à la France d’attraper la médaille de bronze du mondial ! Anne-Marie Colchen, sans surprise, est la meilleure marqueuse du tournoi (19.2ppg).
Baisse de tension, dans un basket qui rougit
Les bonnes dynamiques inspirées par Robert Busnel ne vont malheureusement pas beaucoup se confirmer pour les compétitions suivantes, malgré un groupe toujours aussi bien fourni. Lors de l’Eurobasket 1954, les Françaises sont techniquement la meilleure équipe européenne à la suite de leur médaille au Chili. Mais en Yougoslavie, elles font pâle figure, terminant deuxièmes du tour préliminaire, et bonne dernière du second tour, avec 5 défaites. Position finale : 6e. S’en suit l’Eurobasket 1956, et c’est à peu prêt le même scénario. Le mondial 1957 se fait sans la France…que s’est-il passé ? Lors de l’Eurobasket 1956, les françaises ont toujours Colchen mais son scoring commence à baisser de moyenne, et les bleues sont mises en difficultés face à la Hongrie dès le premier match (51-42). Les filles se battent pour se rattraper et arrivent à bout de la Roumanie et de l’Allemagne pour finir deuxième de leur poule. Mais dans la seconde phase, c’est l’horreur : Autriche, abordable, Bulgarie, difficile, et Tchécoslovaquie, imprenable. Les tchécoslovaques plantent 145 pions à l’Autriche ! L’Autriche qui est la seule équipe que les bleues peuvent battre. La France termine troisième et doit jouer la phase pour la 5-8e place. Les françaises terminent 7e, honorable. Mais ou est la patte Busnel ? Même le génie du sélectionneur ne peut rien contre le contexte continental.
En effet, ces deux derniers Eurobasket, et à moindre mesure, l’absence au dernier mondial, pourraient s’interpréter par une baisse de tension de la part du groupe France chez les filles. En réalité, et comme le dit très justement basket-retro.com : “Que valaient les victoires contre le Pérou, le Brésil, l’Argentine et le Paraguay en 1953 ? (…) Le championnat d’Europe de 1954 en Yougoslavie a renvoyé la France vers une place plus modeste, 6e, derrière l’Union Soviétique, la Tchécoslovaquie, la Bulgarie, la Hongrie et la Yougoslavie. Une copie presque conforme à celui de 1952, (en URSS), où nos bleus finissaient 7e derrière l’Union soviétique, la Tchécoslovaquie, la Hongrie, la Bulgarie, la Pologne et l’Italie. Rien ne pouvait laisser penser qu’il en serait autrement à Prague.” Les bleues ne sont pas si mauvaises que ça, elles sont toujours la meilleure équipe…mais du bloc Ouest de l’Europe. En 1954, les bleues sont la première nation non-soviétique du classement, en 1956, la 2e, juste derrière l’Italie. C’est un fait, le basket européen, mais aussi mondial, va s’enrougir, et entrer dans une domination soviétique qui, si elle fut partielle chez les hommes, va être totale chez les femmes. La France, malgré de bons éléments, s’apprête à tneter de survivre dans le basket soviétique.
Prochain épisode :
Survivre dans le basket soviétique (1957 – 1963)