A l’approche de Jeux Olympiques historiques à Paris pour cet été 2024, QIBasket vous propose de revenir sur l’incroyable histoires des équipes de France féminines et masculines à travers deux séries d’articles. Pour l’épisode 1 sur l’équipe masculine, c’est par ici !
Épisodes précédents :
EPISODE 1 : LES PIONNIÈRES DU BASKET (1893-1928)
Episode 2 : Championnes avant l’heure (1929-1939)
Championnes d’Europe, pour commencer
Vous imaginez que les garçons ne gagneront leur première médaille d’or pour un championnat d’Europe que 83 ans après les filles ? Et pourtant, c’est bien ce qui se passe en cette année 1930, et alors qu’un championnat d’Europe est organisé à Strasbourg et Niederbraun, en Alsace, les bleues vont offrir au basket-ball français sa toute première ligne de palmarès. Gérard Bosc raconte : “Moreau, Lunet, Velu, Marinat, Radideau, après avoir au mois de mars, à Nice, gagné (27 à 3) contre l’Italie, elles participent au mois de juillet au championnat d’Europe (…) où elles pulvérisent la Tchécoslovaquie (heureux temps) 92 à 18, après avoir écarté la Pologne.” (Gérard Bosc, L’histoire du basket français – Tome I)
Ces championnat d’Europe de l’époque, n’étaient certes pas réellement homologués, mais ils étaient les seuls proposés, avec les seules équipes capables de jouer. C’est donc avec une certaines injustice que cette victoire
semblait être marquée d’un astérisque. Et pourtant, en 1930, ce sont bien les françaises qui dominent le basket européen, parce que ce sont bien DES françaises qui se trouvent au cœur de la propagation du basket-ball. La preuve ? Si l’on observe cette photo bon-esprit des joueuses françaises et polonaises fraternisant après le tournois, on reconnait un visage, et une dame en belle tenue, sereine, et heureuse, au milieu de ce groupe, celui de Milliat, Alice Milliat.
Alice Milliat, toujours elle ? Et oui, et c’est bien la nantaise qui est au centre de l’organisation des jeux mondiaux féminins qui a lieu la même année, en 1930. Cette compétition, prenant forme d’un genre de “Coupe du monde de tout” était une sorte d’Olympiades pour les femmes. Milliat amène ses joueuses et athlètes à Prague pour y participer. Nous n’avons pas beaucoup d’informations sur toutes les compétitions concernant ces jeux mondiaux, sinon que les françaises font bonne figure avant de chuter face aux canadiennes en finale du tournoi de basket. Mais les héroïnes de l’époque étaient donc connues : les Velu, Lunet, Marinat etc, et ne se contentaient pas de dominer en bleu, mais aussi dans les championnats, avec les “Linnet’s” et au défis des événements. Même quand le krach de 1929 arrive, “Le Basket se porte à merveille : près de 10 000 licenciés et seulement 8 ligues sur 30 métropolitaines qui n’ont pas participé au championnat de France” explique Gérard Bosc (Gérard Bosc, L’histoire du basket français – Tome I).
Championne du monde, pour confirmer
Avec la mise en place progressive de règles internationales, les compétitions européennes et mondiales vont pouvoir se structurer, dans la continuité des structurations nationales. Et après une série de grande performances sur la scène mondiale, les championnes d’Europe sont prêtes pour retenter leur chance pour une nouvelle compétition mondiale. Alice Milliat, qui ne parvient pas encore à faire percer le sport féminin au sein du Comité International Olympique, relance donc ses Jeux Mondiaux avec la Fédération sportive féminine internationale. Après Paris, Prague, Göteborg, Alice Milliat parvient à convaincre Londres d’être la nouvelle destination des jeux mondiaux. Elle ne le sait pas encore, mais ce seront les derniers jeux féminins. Une mauvaise nouvelle ? Oh que non, car Milliat est en passe de réaliser son pari : intégrer les femmes dans les compétitions olympiques, qui rendront les jeux mondiaux inutiles.
Pour les bleues, on remise sur les superstars de Saint-Maur, d’Alfortville, d’Alsace-Moselle et autres, qui se préparent dans un bon esprit avec une victoire sur la route, à Lens, contre la Belgique, avant de rejoindre le stade du White Hall City de Londres, détruit en 1985. Elles s’appellent Lucienne Velu, Garnier qui évolue à Strasbourg, Flouret, Santais, qui jouait aussi aux Linnet’s et Richelot qui jouait à Reims. Gérard Bosc dans son “Histoire du Basket Français – Tome I” résume la compétition de basket en un mot : “Gloire!”. Car oui, la petite épopée londonienne va ajouter un second trophée sur l’étagère des françaises. Nous en savons en réalité peu, tout comme pour les précédentes éditions des Jeux Mondiaux, sur le détail du tournoi, qui affronta qui. A l’époque, les équipes étaient si rarement en confrontation, que Gérard Bosc demanda lui-même si le match contre la Belgique avant les Jeux n’était pas, en soi, un match pour être championnes d’Europe. Mais il y a une chose que l’on sait, et certainement pas des moindres : la France est arrivée en finale, contre les USA, comme ce sera le cas en 2012, soit 78 ans plus tard.
Sauf que le scénario sera bien différent de la finale à sens unique de 2012 (on y reviendra) et l’incroyable se produit : Flouret, Santais, Richelot, Garnier, emmenées par Velu, battent les américaines. Vous avez bien lu, la France, en basketball, bat les USA dans une finale de championnat du monde. Le score final 34 à 23, laisse peu de doute sur la domination des françaises. En 1934, les Jeux Mondiaux féminins étaient les seules compétitions internationale et internationalement reconnues du sport féminin. Si le titre de 1934 n’est pas officiellement entré dans les annales de la FIBA qui va intégrer les femmes quelques années après, son authenticité ne saurait être remise en cause, car à l’époque, elle ne le fut pas. C’est une certitude, depuis 1934, sur le maillot des bleues, se trouve une petite étoile dorée, que personne ne voit, mais que personne ne peut enlever.
Le leadership de Lucienne Velu
Lucienne Velu, c’est bien entendu l’une des joueuses actives du groupe France pour l’équipe de basketball, mais c’est aussi l’athlète accomplie et totale, l’égérie du sport féminin en générale, et la marque de fabrique des travaux d’Alice Milliat. Velu ne se distingue pas que par le basketball, mais bien dans toutes les catégories. Aussi, si en 1930, elle n’avait pas encore percé au niveau international, en France, Lucienne était une référence sans égal, dans toutes les disciplines. L’ouvrage “Géants” de Philippe Cazaban et Daniel Champsaur nous en dit plus sur Lucienne : “joueuse emblématique de son club, remarquable athlète qui, en compagnie des deux autres “Linottes” (Yvonnes Santais-Houel et Gilberte Flouret) fit les beaux jours de l’équipe de France féminine.” (Chroniques éditions, p60).
Ainsi, et alors que les jeux mondiaux féminins de 1934 approchent, Lucienne est déjà championne de France d’athlétisme au 60m, double championne au 80m, quadruple championne au 200m, sextuple championne au lancer de poids, octuple championne au lancers de disque. A cela s’ajoute des médailles d’argent, une au 80m, au 100m, au lancer de poids et de disque, et des médailles de bronze au 100m et lancers de poids. Lucienne Velu est aussi détentrice de plusieurs records de France et mondiaux. Avec son équipe locale mais centrale des championnats de France, les Linnet’s, elle domine tout autant le basketball français. Les Linnet’s, se sont les basketteuses de Saint Maur, dans le Val-de-Marne, qui se retrouve sur la ligne du RER A de Paris aujourd’hui. Pendant plusieurs années, les Linnet’s seront une équipe à battre parmi les autres écuries, elles gagneront sept titres de championnes de France ! Et avant de s’atteler à créer l’exploit balle en main aux jeux mondiaux de 1934, Lucienne va se distinguer dans toutes les disciplines, hélas dominée par les britanniques, et les allemandes qui défilent déjà sous le drapeau nazi. Mais c’est bien Velu qui sera le porte drapeau de la France lors de ces jeux.
L’arrivée des compétitions officielles
Si l’entreprise d’Alice Milliat a atteint son objectif, les épreuves féminines olympiques et FIBA sont acquises, mais ne sont pas tout de suite mises en place. Ainsi, l’Eurobasket 1935 de Genève, dont nous vous avions parlé dans la série sur les garçons, ne concerne que les hommes, et les Jeux Olympiques de Berlin de 1936, plutôt axés sur l’idéologie nazie, qui reléguerait presque la femme en “pondeuses de futurs soldats”, en font de même. Alors les filles vont plutôt continuer d’animer le territoire national. La domination de Velu et des Linnet’s touche à sa fin. Leur succèdent les “Miguettes de Courchelette”…et puis…c’est la faillite qui guette. Mais c’est l’opportunité de se rendre plus officiel : “la Fédération féminine est appelée à voter la dissolution et à intégrer la FFBB. Celle-ci accepte la charge du bout des lèvres. Faute de moyens (que fait le gouvernement) il n’y aura pas de championnes de France féminine” (Gérard Bosc, L’Histoire du Basketball Français – Tome I, p49). Alors certes, sous l’action du Conseil National des Sports, le basketball féminin est assuré d’avoir un certain label et de pouvoir voir loin, mais cela se fait au détriment d’une année blanche, malgré un taux de femmes de près de 10% du total des licenciés. Mais dès 1937, tout repart dans l’ordre, et c’est Mulhouse qui devient le premier champion de France chez les filles.
Après deux années de transitions donc, nous pouvons enfin retrouver le basketball féminin sous de véritables statut : la FFBB mais aussi la FIBA qui lance son premier Eurobasket en 1938. La compétition aura lieu à Rome, et la France est parmi les favorites, même si seulement cinq nations sont représentées : l’Italie, la Lituanie, la Pologne, la Suisse et donc la France. Exit les groupes restreints, cette fois-ci on emmène dix joueuses : Marie-Antoinette Chabrel, Lily Colin, Jacqueline Dusoulier, Jeanine Garnier, Marie-Louise Gravier, Margueritte Lafiteau, Christiane Moreau, Lisette Pariente, Annette Roy-Bouligeaud et, pour l’époque il faut le constater, une joueuse noire, Sokela Mangoubel, alors que l’arrivée en football, de la légende et du pionnier Larbi Benbarek en équipe de France est un événement en soi. Ce détail qui n’en est pas un dans notre époque, était puissant en symbolique, car ne l’oubliez pas, on va jouer cet Eurobasket dans une Italie fasciste.
Mais en ce mois d’octobre 1938, la déception sera présente sur les visages des françaises, elles qui prennent un bouillon d’entrée face aux italiennes (34-18). Il faut rectifier face aux Suisses. C’est chose faite, et avec la manière : 43-18. La compétition étant sous simple format d’une phase de poule et d’un classement final, une victoire supplémentaire apporterait la garantie d’une médaille, une de plus ! Mais les bleues s’effondrent : défaites contre la Lituanie (20-14) puis la Pologne (24-19). La quatrième place est honorable, mais les françaises n’étaient pas au rendez-vous en attaque. L’Italie, chez elle, remporte le premier Eurobasket féminin de l’histoire.
Evidemment, quelques mois plus tard, plus personne n’aura la tête au sport. On ne passera plus la balle, mais les vivres, on ne courra plus pour le sport, mais pour se cacher, le travail d’équipe, ce sera pour déblayer les rues des gravas. La guerre arrive, et c’est tout le sport qui part dans l’ombre. Plusieurs années après, les bleues reviendront, mais elles ne seront plus les championnes d’avant, certes. Lucienne Velu et les autres, les Linnet’s, les filles de Mulhouse, de Reims, les élèves d’Alice Milliat, étaient des championnes avant l’heure, avant la FIBA, avant la FFBB. Est-ce que dans le nouveau monde, elles auraient autant leur place qu’à l’époque ? Rien n’est moins sur. Mais dans l’après-guerre, il est un homme qui va apporter le second âge d’or au basketball français. Cet homme va emmener la FFBB, mais aussi les bleus vers de nouveaux sommets pour plusieurs années. Cet homme, non content de poser sa marque sur la balle orange masculine, va prendre en main également la sélection féminine. Ainsi, l’équipe de France de basket féminine va elle aussi, profiter de la patte, celle de Robert Busnel.
Prochain épisode : La patte Busnel (1945-1957)