Il y a certaines légendes du basketball dont nous ne parlons jamais, ou presque. La faute à une carrière écourtée, à un rôle plus discret, ou encore à un maigre palmarès. Pourtant, nombreux sont les joueurs qui ont foulé et marqué de leur empreinte les parquets NBA sans pour autant obtenir la reconnaissance qu’ils méritent. Adrian Dantley fait certainement partie de ceux-là. Joueur emblématique du Jazz, il a connu une carrière riche en paniers marqués et au parcours parfois sinueux. Portrait d’un joueur sur qui peu ont misé, mais qui a toujours su faire taire les critiques.
Baby Huey
Originaire de la capitale Wahsington D.C., Adrian Dantley n’a jamais été un garçon expressif. Confronté au divorce de ses parents alors qu’il n’avait que 3 ans, il a dès lors vécu avec sa mère. En l’absence de figure paternelle, Adrian apprend à cacher ses émotions. Sa mère raconte même qu’il était impossible de savoir si l’enfant allait bien ou pas, et qu’il ne souriait jamais ou presque. Renfermé sur lui-même, il communique peu et suscite les doutes permanents sur sa capacité à réussir. Alors qu’il s’est découvert une passion pour la balle orange, il fait face aux moqueries sur son surpoids (111 kilos pour 1m93), lui valant le surnom de Baby Huey – personnage d’animation au derrière proéminent. Personne ne lui prête un quelconque avenir dans le basket.
Au lycée DeMatha d’Hyattswille, le compétiteur en lui fait pourtant surface. Travailleur acharné, Adrian Dantley s’entraîne sans cesse, bien décidé à réaliser ses rêves de gloire. Son coach, Morgan Wootten, lui a même confié les clés de la salle le jour de Noël. Une autre anecdote revient souvent lorsque l’on évoque Dantley : ce même coach était également son professeur d’histoire. A l’occasion d’un examen, Adrian obtient un 99 sur 100, ce qui éveille les soupçons de Wootten, qui pense alors que Dantley a triché.. Interrogé spontanément devant la classe, il répond à toutes les questions posées sans sourciller, levant tout soupçon sur une supposée triche. Dantley, habitué aux doutes, avait anticipé l’interrogatoire et perfectionné sa connaissance. Wootten avouait même au Washington Post avoir confessé à son jeune étudiant :
“Je ne vais pas te mentir. Aujourd’hui, tu m’as appris quelque chose en tant que professeur. Je n’aurais jamais du faire cela. J’aurais du deviner que tu pourrais appliquer la même discipline à un livre qu’à un ballon de basket. Je n’aurais jamais du te sous-estimer.”
Cet épisode lui vaudra d’ailleurs un nouveau surnom, plus glorieux cette fois : The Teacher. Une fois encore déconsidéré, c’est dans ce regard qu’il se construira un avenir brillant.
Avec le sophomore Dantley, la DeMatha High School établit une saison record, avec 57 victoires pour seulement 2 défaites. Le jeune joueur est récompensé par une place dans la All-America Team, et fait taire les moqueries. Le talent est indéniable, et Dantley fait preuve d’un mental de gagneur épatant.
A la conquête de Notre Dame
Au sortir de ses belles années à DeMatha, le coach de l’université Notre Dame Digger Phelps veut absolument le recruter. Il raconte, dans sa biographie, être allé rendre visite à Dantley chez lui, à Washington. Preuve de sa volonté de signer Adrian, il demande à Austin Carr, légende de l’université et alors joueur NBA chez les Cavs, de l’accompagner. Les Fighting Irish viennent également de signer le prometteur John Shumate, que Phelps considère comme celui qui a permis la venue d’autres jeunes tels qu’Adrian Dantley. Ce dernier ne devait passer qu’une journée à Notre Dame, mais la présence de Shumate le pousse à rester un jour de plus. Le temps de convaincre Dantley de rejoindre l’université.
Avec seulement quelques kilos en moins et deux centimètres gagnés, les doutes persistent néanmoins. Encore et toujours, Dantley est sous-estimé et subit les critiques à cause de son physique. Discret, il est pourtant touché par ces attaques, et décide de se plier à un régime draconien. Conséquence, il s’évanouit après un match face à DePaul, déshydraté. Les entraîneurs ne parviennent pas à le ranimer, et il faudra de longues minutes pour que Dantley revienne à lui. Il ne reviendra sur les parquets que deux matchs plus tard, après une belle frayeur. Fini les régimes forcés, et Adrian termine une belle année de freshman avec plus de 18 points de moyenne.
Une sacrée revanche pour le jeune homme, qui ne s’est jamais démonté face aux moqueries, et connait sa valeur. En trois saisons chez les Fighting Irish, Dantley affiche une moyenne de 25.8 points, et sa confiance en lui est inébranlable. Dans le Washington Post, il raconte :
Je plaisante toujours avec les gars qui doutent de moi. Après leur avoir scoré dessus, je me place derrière eux de l’autre côté du terrain, change ma voix et dit “je n’aurais jamais laissé un gros garçon d’1m93 venir à l’intérieur et m’enfoncer comme ça.” Alors ils se retournent et voient que c’est moi.
Pas avare en trashtalking donc, Dantley fait déjà étalage d’un atout qu’il déploiera plus tard sur les parquets NBA : sa capacité à attaquer au poste. Les moqueries ne vont pas durer pour lui ; il est trop talentueux. Son année sophomore est celle de l’explosion, avec plus de 28 pts à 55% au tir. Les prémices de ce qui seront ses statistiques dans la grande ligue, des années plus tard. Déjà, Dantley montre ses principales qualités : scorer, provoquer des fautes – offensives comme défensives – et sanctionner depuis la ligne des lancers francs.
L’exploit du 19 janvier 1974
Ses trois brillantes années chez les Fighting Irish furent marquées par un événement particulier. Le 19 janvier 1974, Notre Dame doit affronter l’ogre UCLA. L’équipe alors coachée par le légendaire John Wooden est sur une impressionnante série de 88 victoires, et rien ne semble pouvoir l’arrêter. Bien sûr, Notre Dame est également invaincue sur la saison, et a des chances de l’emporter. Mais les Bruins comptent dans leurs rangs de superbes joueurs, notamment le pivot Bill Walton dans sa dernière année et future légende NBA. Au terme d’un match accroché, les Fighting Irish décrochent la victoire, grâce à une lutte de tous les instants. A 3 minutes de la fin, Notre Dame était pourtant menée de 11 points, mais les joueurs de Digger Phelps n’ont rien lâché et provoqué de nombreuses pertes de balles. La bande à Dantley l’emporte, et maque de son empreinte l’histoire du championnat universitaire en brisant la plus grande série de victoires jamais vue – et jamais égalée dans le basket masculin. Seule l’équipe féminine de Connecticut a surpassé cet exploit, avec une série de 90 victoires jusqu’en 2010 !
Dantley s’épanouit donc à Notre Dame et après trois années réussies, il décide de s’inscrire à la Draft NBA. A l’époque, la règle du “hardship case” a déjà été mise en place pour autoriser les joueurs de moins de 21 ans à devenir professionnels. Pour que la règle s’active, il faut que le joueur démontre qu’il est en situation précaire, justifiant le besoin de gagner sa vie rapidement. Deux ans après sa Draft, en août 1978, il obtiendra son diplôme d’économie, devenant ainsi le premier “hardship case” à décrocher son précieux sésame. Une fois encore, The Teacher justifie son surnom.
Rookie de l’année ? Transféré !
Un été olympique
L’été 1976 est très particulier pour la NBA, marquant la fusion avec la ABA. La Ligue connait donc deux Draft en cette intersaison, mais l’édition classique est finalement assez fournie, avec quatre Hall of Famers : Robert Parish, Alex English, Dennis Johnson et bien sûr Adrian Dantley. Pour une fois, les performances affichées par le joueur de Notre Dame ont été respectées : alors que Parish est sélectionné en 8ème place, et que Johnson et English doivent attendre le second tour pour être choisis – bravo les scouts -, Dantley atterrit aux Buffalo Braves en 6ème position. Habitué de la méfiance des recruteurs, notamment à propos de son physique, Adrian déclare : “Je sais que j’aurais été choisi en premier si j’étais un 6’7” (2m)”. Jerry West, alors coach des Lakers, s’étonnera quelques mois plus tard que Dantley n’ai pas été sélectionné en premier choix.
Avant de débuter sa carrière professionnelle sous le jersey des Braves, Dantley est sélectionné par Team USA pour participer aux Jeux Olympiques de 1976, à Montréal. Il évolue notamment aux côtés de Walter Davis et Mitch Kupchak, et réalise un tournoi probant. Meilleur scoreur du tournoi, il promet alors un avenir intéressant en NBA. Nouvelle anecdote au cours du tournoi olympique : Dantley passait son temps dans les dortoirs des joueurs européens pour leur demander conseil sur les exercices de musculation. Les moqueries sur son poids lors de ses jeunes années sont toujours ancrées en lui.
Les autres joueurs reposent leur corps pendant l’intersaison. Je construis le mien. Je travaille plus dur pendant l’été que pendant la saison. Les autres gars arrivent au camp en surpoids. Je suis arrivé en dessous de… 92kg cette année.
Pour mémoire, Adrian pesait plus de 106 kg au lycée.
Arrivée à Buffalo
Dès son arrivée chez les Buffalo Braves, il doit à nouveau faire face aux doutes. Pour l’accueillir, les Braves ont du se séparer du populaire Jim McMillian, ce qui n’est pas du goût des fans. Dantley se chargera vite de les faire changer d’avis : “Dès que j’ai mis 15 points et 19 rebonds pour mon premier match, je n’ai plus entendu parler de McMillian.“
Le joueur est immédiatement mis sur le devant de la scène à Bufffalo, et saisit sa chance. En 77 matchs joués chez les Braves, Dantley score une moyenne de 20.3 pts par match, accompagnés de 7.6 rebonds. Une activité incessante et une régularité qui resteront sa marque de fabrique. Déjà, l’arrière ailier utilise ses propres armes : une propreté au tir redoutable (52%) et de nombreux passages réussis sur la ligne des lancers francs (7.6 tentatives en moyenne pour 81.8% de réussite). Cette première saison pleine de succès lui vaut d’ailleurs un article dans Sports Illustrated, en mars 1977. Dantley est sans conteste le rookie le plus efficace, et ses performances écartent clairement celles de ses concurrents. Ses qualités offensives sont déjà impressionnantes, avec un premier pas explosif et un dribble dévastateur. Un de ses adversaires déclare même “Ce Dantley a battu mon corps à mort l’autre soir. Et il l’a fait lorsqu’il avait la balle“.
La saison des Braves n’est pourtant pas couronnée de succès. La franchise avait pourtant commencé la saison avec Bob McAdoo et Moses Malone dans ses rangs, rien que ça. Mais ce dernier fut envoyé à Houston après deux rencontres, tandis que McAdoo rejoindra les Knicks après 25 matchs. Conséquence immédiate pour Dantley, qui devient la cible prioritaire des défenses. Malgré cela, il termine la saison à plus de 20 pts de moyenne, et remporte logiquement le titre de rookie de l’année alors que l’équipe affiche un bilan de 30 victoires pour 56 défaites.
On imagine alors que les Braves vont décider de construire autour de ce joueur talentueux, qui vient tout juste de fêter ses 21 ans. Il s’en sera rien. John Brown, le propriétaire de la franchise, veut à tout prix récupérer Billy Knight en provenance d’Indiana. Il détenait auparavant les Kentucky Colonels en ABA et souhaite récupérer des anciens de la ligue alors disparue. L’ailier vient de terminer ses deuxième et troisième saisons avec des moyennes de 25.5 et 24 pts. Pour lui, Brown consent à se séparer d’Adrian Dantley et Mike Bantom. Le résultat ? Les Braves termineront la saison 77-78 sur un bilan inférieur avec seulement 27 victoires, et un déménagement pour Los Angeles où ils deviendront les Clippers. Billy Knight partira à la même occasion, rejoignant Boston pour quelques semaines, avant de regagner Indiana. Well done, John Brown.
Welcome to Ind… Los Ange… Utah !
23 matchs et puis s’en va
Adrian Dantley rejoint donc les Pacers, devenant ainsi le premier Rookie de l’année transféré ! A Indiana, l’arrière continue de martyriser les défenses adverses, avec une progression conséquente au scoring. En seulement 23 rencontres, il affiche une moyenne de 26.5 points, avec à nouveau 50% au tir (49.9% pour être exact). Seulement, les Pacers patinent en ce début de saison, et dès le 13 décembre, Indiana décide d’utiliser Dantley comme monnaie d’échange. Une fois encore, une franchise ne croit pas en lui, et l’envoie cette fois à Los Angeles rejoindre les Lakers. Les Pacers récupèrent deux joueurs à près de 15 pts de moyenne, Earl Tatum et James Edwards.
Ils termineront la saison avec un bilan avec 31 victoires, moins bien que l’année précédente. Peut-être auraient-ils du laisser plus de temps à Dantley pour emmener l’équipe avec lui ? L’arrière est encore jeune, mais force est de constater qu’il ne parvient pas à faire gagner ses équipes malgré ses grandes performances. Frileux, les dirigeants d’Indiana décident donc de ne pas construire autour de lui, et devront attendre encore trois ans avant de retrouver les Playoffs – pour une petite pige, avant de retomber dans plusieurs années de galère.
Court passage à L.A.
A Los Angeles, Dantley évolue aux côtés de la légende Kareem Abdul-Jabaar. Le pivot est dans son prime, mais vient de manquer près de deux mois de compétition. Il n’a joué que le premier match, et revient quelques jours avant l’arrivée de Dantley. Les Lakers sont en difficulté, avec un bilan de 11-16 seulement. Mais le retour de KAJ et la venue de Dantley remettent les californiens sur les rails, d’autant que le jeune Jamaal Wilkes commence à prendre sa place. Adrian continue de montrer ses qualités ; il score, inlassablement, toujours aussi difficile à défendre. Il est le joueur qui va le plus souvent sur la ligne des lancers, avec un pourcentage de réussite élevé (80%).
Avec les Lakers, Dantley découvre les Playoffs. Los Angeles y affronte Seattle au premier tour. Les deux équipes ont un bilan similaire, mais les deux victoires supplémentaires des Sonics leur donnent l’avantage du terrain. A l’époque, les premiers tours de Playoffs se jouent en 3 matchs, et ce sont les Sonics qui continueront l’aventure (2-1). Pour son premier match de postseason, Dantley marque 17 pts, mais les Lakers craquent dans le 4ème quart-temps face à des Sonics qui voient 6 de leurs 8 joueurs marquer au moins 10 pts. Surtout, Dantley affiche un incroyable 43% sur la ligne, pour 7 tentatives.
Los Angeles remportera le Game 2 avec une performance solide et un Dantley à 19 pts, avant de chuter à nouveau à Seattle. Dans ce dernier match, l’ailier se fera plus discret, avec 15 pts et seulement un passage sur la ligne. Néanmoins, le joueur a encore montré son adresse, avec près de 57% de réussite au tir sur la série.
Adrian Dantley passera une seconde saison dans la Cité des Anges. Malgré une mauvaise fin de saison régulière, les Lakers améliorent leur bilan de deux victoires, dans une division Pacifique infernale. L’ancien de la DeMata High School est le joueur le plus utilisé lorsqu’il est sur le parquet, mais voit ses minutes diminuer au profit de Jamaal Wilkes. Sa moyenne de points tombe à 17.3, mais il retourne en Playoffs. Face aux Nuggets de Dan Issel, Los Angeles devra s’employer pendant 3 rencontres, et l’emportera dans un final haletant. 112-111 dans le Game 3 décisif, et les Lakers iront à nouveau défier les Sonics au tour suivant.
En demi-finales, la qualification se joue en 7 matchs. Bis repetita pour les Lakers qui tombent face à Seattle (4-1). Une série disputée, qui voit 4 rencontres se décider en 6 points ou moins. Mais à la fin, c’est le collectif des Sonics qui l’emporte, et qui ira remporter un titre de champion dans une superbe revanche face aux Washington Bullets. Dantley ne marque que 15 pts de moyenne sur la série, mais joue moins que certains coéquipiers, comme Wilkes.
Pourtant, quelques semaines avant le coup d’envoi de la saison 79-80, les Lakers font le choix de miser sur Wilkes. Les deux joueurs occupent des postes similaires, et c’est Dantley qui en fait les frais. Le jeune Michael Cooper vient de débarquer, et son profil plait aux dirigeants qui voient en lui le complément idéal de Wilkes. Après une grosse saison et demie passée sous le maillot pourpre et or, il rejoint le Jazz en échange de Spencer Haywood.
Enfin une maison, chez les mormons
Un nouveau cap
Il l’espère sans doute, mais Adrian Dantley vient de trouver une terre d’accueil à Salt Lake City. Le Jazz vient tout juste de s’y établir, alors qu’ils évoluaient auparavant à la Nouvelle-Orléans. La franchise sort d’une saison catastrophique sous les ordres d’Elgin Baylor (26-56), et voit ce déménagement comme un nouveau départ. Le roster était pourtant composé de grands noms tels que Spencer Haywood, échangé pour Dantley, et Pete Maravich. Ce dernier reste à Utah, mais a désormais 32 ans.
La franchise a cependant perdu Haywood, mais aussi son meilleur marqueur, Truck Robinson. Jetez un oeil à l’effectif 79-80 du Jazz, et venez nous dire que vous connaissez d’autres noms ? Si, un certain Bernard King traîne dans les parages, mais ses aventures en terres mormones mériteraient un article à elles seules. Il ne joue que 19 matchs sur la saison, pendant que Maravich n’en dispute que 17. Affaibli par les blessures, la légende Pete ne s’entraîne presque pas, et le nouveau coach Tom Nissalke a une règle stricte : pas de practice, pas de match. C’est donc depuis le banc que Maravich vit la saison de son Jazz, au grand dam des fans et du joueur. Cette situation aboutit à un triste buyout du joueur, qui quitte la franchise en janvier.
Dans ce marasme, Dantley explose pourtant à la face de la NBA. A 24 ans, il dispute 68 matchs, et fait parler la poudre. L’ailier est tout simplement létal, et affiche une superbe moyenne de 28 pts par match sur la saison 79-80, accompagnés de 7.6 rebonds. Surtout, il affiche un pourcentage de réussite à 57.6%, Démentiel pour un extérieur. Offensivement, il se pose clairement comme l’une des meilleures armes de la NBA. Dans une ligue où le jeu n’est jamais allé aussi vite, Dantley s’éclate. Dans son style de slasheur/tireur à mi-distance, il affiche une régularité rare. Quels que soient les adversaires ou les schémas défensifs qui lui sont opposés, Dantley score inlassablement.
Pour la première fois de sa carrière, Adrian est logiquement sélectionné pour le All-Star Game. Il sera même titulaire, et marquera 23 points à 53% au tir. Anecdotique direz-vous, mais encore une fois Dantley vient sur le parquet, met ses tirs, et rentre à la maison. Quel que soit le contexte. Une histoire magnifique pour un joueur dont nombre ont douté, à tous les niveaux de compétition. Au lycée, à l’université, à la Draft, dans ses premières années NBA. A force de travail et de détermination, Baby Huey arbore fièrement sa première étoile. Et pas la dernière.
Malgré tout, le Jazz reste une équipe trop limitée pour espérer décrocher une place en Playoffs. Pire, le bilan de fin de saison est plus mauvais encore, avec seulement 24 victoires. Une première ratée à Utah pour le nouveau coach Tom Nissalke et un Dantley qui ne parvient pas à emmener son équipe malgré ses performances offensives. A noter que dans le même temps, à Los Angeles, les Lakers réalisent une grande saison qui aboutira sur un titre.
Meilleur scoreur de la ligue, sans gagner
Le Jazz continue de miser sur Dantley, mais l’effectif reste bien trop faible pour espérer quoi que ce soit en NBA. L’arrière entre dans une nouvelle sphère lors de la saison 80-81. Joueur le plus utilisé (42,7 minutes), il devient le meilleur scoreur de la ligue pour la première fois de sa carrière. Il dépasse la barre des 30 pts de moyenne (30,7) et joue la saison dans sa totalité (80 matchs). Surtout, il est le premier joueur à dépasser cette barre symbolique en prenant aussi peu de tirs (20,3). La propreté, encore et toujours.
C’est bien simple, sur ses 4 premières saisons régulières à Utah, Adrian Dantley affiche une moyenne supérieure à 57% au tir, avec plus de 30pts de moyenne à partir de la deuxième année. Démentiel pour un joueur qui est sans conteste la première option offensive de son équipe, un extérieur qui plus est. Adrian est dans son prime, mais son côté unidimensionnel empêche le Jazz de passer un cap. Peu impliqué en défense, il ne parvient pas non plus à mettre en valeur ses coéquipiers. Une franchise qui compte le meilleur marqueur NBA dans ses rangs mais qui affiche un bilan aussi désastreux, c’est rare. Finalement, la plus grande force de Dantley est aussi ce qui l’empêche de gagner : il se pointe, marque, et repart, et c’est tout. Certes, le supporting cast autour de lui n’est pas brillant, mais les doutes reviennent au galop. Dantley est-il capable de faire gagner une franchise ?
Les Playoffs, enfin
Président depuis plusieurs saisons, Frank Layden décide alors de remercier Tom Nissalke au cours de la saison 81-82, après seulement 20 matchs, et de prendre la place de Head Coach. Nous sommes dans la troisième année Dantley au Jazz, qui ratera la majorité de la saison suivante (60 matchs à cause d’une blessure au poignet). Sans sa star offensive, c’est un nouvel échec pour le Jazz, et il faudra attendre la saison 83-84 pour voir Utah devenir une place forte de la ligue. Sans opérer de changements majeurs dans l’effectif, Layden parvient pourtant à redresser les résultats de l’équipe.
Utah termine à la troisième place de l’Ouest, et Dantley est de nouveau le meilleur scoreur de la ligue (30,6). Après sa saison presque vierge, il obtient le trophée du “Comeback Player of the Year”. Adrian est au sommet de son art, dans tous ses registres favoris. L’équipe est transformée, et les rôles bien définis. Layden sait exploiter les meilleures facettes de ses joueurs, et les victoires suivent. Une certaine solidité défensive s’est établie autour de Mark Eaton et Rickey Green, permettant aux performances offensives de Dantley de faire gagner des matchs.
Pour la première fois dans l’histoire de la franchise, le Jazz accroche les Playoffs. Opposés aux Nuggets, également très portés vers l’attaque, les joueurs de Frank Layden l’emporteront au terme d’une série difficile. Déjà au Game 1, Utah s’est fait très peur en arrachant la victoire pour deux points après avoir encaissé un 38-25 dans le dernier quart.
Après un Game 2 perdu à domicile en concédant 132 pts, il faudra un immense Dantley à Denver pour récupérer l’avantage du terrain et plier la série au Game 5 décisif. Dans ce match, deux hommes permettent au Jazz de l’emporter : Dantley bien sûr, avec 30 pts accompagnés de 12 rebonds, mais également Rickey Green (29 pts et 16 passes !). Enfin, Adrian fait gagner son équipe, pour de bon, dans le match qui compte peut-être le plus dans l’histoire de la franchise jusqu’alors.
Au second tour, le Jazz doit affronter des Suns qui viennent de réaliser un magnifique upset face aux Blazers de Clyde Drexler. Phoenix n’affiche qu’un bilan équilibré sur la régulière, pourtant ce n’est pas Utah qui les arrêtera. Dantley aura beau être le meilleur marqueur de la série avec 33,2 pts de moyenne, le Jazz aura eu le tort de lâcher encore une fois le Game 2 à la maison. Une erreur que ne commettent pas les Suns, qui finiront le travail lors du Game 6 à Phoenix. Un match terrible pour les joueurs d’Utah, limités à 82 pts seulement, et avec un Dantley à seulement 23 pts. Les Suns ont assommé le Jazz dans le 1er quart, et les hommes de Layden ne s’en sont jamais remis.
Lors de la Draft 1984, Utah sélectionne John Stockton. Ils ne le savent pas encore, mais les dirigeants viennent de changer le visage de leur franchise pour presque 20 ans.
Il manque un petit quelque chose
Les deux saisons suivantes se ressemblent pour le Jazz et Dantley. Ce dernier ne jouera que 55 matchs lors de la régulière 84-85, et affiche sa moins bonne moyenne au scoring sous le maillot des mormons, avec 26,6 pts. Oui, ça reste correct, on est d’accord. Malgré ces absences, Utah décroche une nouvelle place en Playoffs, mais doit affronter les Rockets sans l’avantage du terrain. Heureusement, Dantley décide une fois encore de prouver qu’il peut faire gagner son équipe : 34 pts dans le Game 1 remporté d’entrée de jeu par le Jazz, à Houston. Une victoire précieuse, car les Rockets reprendront leur avantage en allant gagner le Game 4 à Utah. On se dit alors que tout est fini pour les hommes de Layden.
Impossible d’aller glaner une nouvelle victoire sur le parquet des Rockets et leurs twin towers Olajuwon et Sampson ? Impossible de ravir un match pourtant dominé par un immense Hakeem en 32 pts – 14 rbds ? Eh bien non. Malgré un Dantley aux pourcentages inhabituellement faibles, Utah arrache la victoire, et la qualification pour le second tour. La franchise atteint une deuxième fois les demi-finales de conférence en autant de participations aux Playoffs.
Une nouvelle fois, ce sont les Nuggets qui se présentent face à eux, avec le deuxième bilan à l’Ouest. L’upset de la saison précédente ne se répétera pas, et Denver ne fait qu’une bouchée du Jazz (4-1). Alors que Dantley ne parvient pas à faire augmenter sa moyenne de points, Alex English règne en maître sur la série. Mené 3-0 après une défaite à domicile, Utah n’arrachera que le Game 4 avant de céder. Une déception ? Plutôt une frustration, car le Jazz n’était pas donné favori. Mais le cap est visiblement difficile à passer.
La fin de l’aventure mormone et “l’affaire des 30 dimes”
Dantley entame sa septième saison sous le maillot du Jazz, toujours sous les ordres de Frank Layden. A 29 ans, il joue de nouveau une saison complète, et tout se passe bien sur le parquet. Il approche encore les 30 pts de moyenne, joue comme il sait si bien le faire, et Utah gagne. Lors de la précédente Draft, le management a encore frappé fort en récupérant Karl Malone. Oui, en deux éditions, sans détenir des choix élevés, Utah a sélectionné les deux meilleurs joueurs de leur histoire. Désolé, Adrian.
Si les choses vont bien sur le terrain, ce n’est pas la même histoire en coulisses. Les relations entre Layden et sa star se tendent. Questions d’égo, de pouvoir au sein de la franchise ? Toujours est-il que le courant ne passe plus, et c’est Dantley qui en fera les frais. Les relations s’étaient déjà détériorées à l’été 84, lors des négociations de contrat au cours desquelles Layden accusait le joueur de vouloir “prendre en otage la franchise”. En effet, Dantley avait obtenu son nouveau contrat directement du propriétaire, contrairement à la volonté du GM Layden qui souhaitait patienter.
Lors de la saison 85-86, Dantley défendra le jeune Malone dans une altercation avec le coach, ce qui lui vaudra une suspension d’un match pour raison disciplinaire. Frank Layden sous-entend que d’autres éléments l’ont poussé à prendre cette mesure, sans en dire plus. Lors du retour de Dantley à l’entraînement, Layden lui inflige, en présence d’autres membres de la franchise, une amende de 30 dimes. Soit 3 dollars en 30 pièces de 10 centimes. Une humiliation pour les journalistes locaux, qui y voient une allusion aux 30 pièces d’argent reçues par Judas pour avoir trahi.
Étrangement, ce qui met Dantley hors de lui, c’est la raison officielle de la sanction. Son agent et lui-même estiment que le terme “disciplinaire” évoque une consommation de drogues qui ternit sa réputation dans la ligue, alors que le joueur n’y a jamais touché.
Le départ de Dantley est donc devenue une affaire personnelle pour Layden. Le joueur vient de manquer les Playoffs et le premier tour perdu face aux Mavericks. Plusieurs échanges sont envisagés, l’objectif est clair : écarter Dantley, et faire de la place à Malone et Stockton. Fin août, le trade est acté, et Dantley envoyé aux Pistons. Detroit envoie du second tour de Draft, ainsi que Kelly Tripucka et Kent Benson. Une bien maigre compensation pour un grand joueur, c’est dire la situation entre Layden et Dantley, mais aussi le manque d’attractivité pour le scoreur qui a désormais 31 ans.
Le joueur garde un goût amer de ce transfert :
Toutes les autres fois, ce n’était pas à cause de ma production, c’était plus un problème de personnalité… C’était strictement personnel. Je le verrais si j’étais un mauvais gars, mais ce n’est pas le cas.
On the road again
Une ultime chance à Detroit
A Detroit, Dantley atterrit dans une équipe de très haut niveau. Les Bad Boys sont déjà là, et si sa moyenne chute (21,5) il reste le meilleur scoreur de sa franchise, aux côtés des Thomas, Rodman, Dumars et Laimbeer, entre autres. Avec une telle armada, les Pistons enchaînent les victoires, et Dantley apporte une dose de talent bienvenue. Detroit affiche un bilan de 50 victoires, et roule sur les deux premiers tours de Playoffs face à Washington puis Atlanta. C’est bien Thomas qui sera le héros de cet upset face aux Hawks (4-1), avec une performance monstre pour arracher le Game 1 en Géorgie, mais Adrian répond présent dans la série.
Les finales de conférence seront le théâtre d’un affrontement magistral entre les Celtics, premiers à l’Ouest, et les Pistons. Aucune équipe ne lâchera un match à domicile, même si les Celtics se font une grosse frayeur lors du Game 5 à Boston, après un énorme blow-out concédé à Detroit (145 pts encaissés). Tout le monde a déjà vu cette action mythique, au cours de laquelle Larry Bird intercepte la remise en jeu en défense d’Isiah Thomas, pour permettre à Dennis Johnson de marquer le panier de la gagne. Les Pistons viennent alors de gâcher leur chance, car malgré leur victoire à la maison lors du Game 6, ils se feront sortir lors du match décisif à Boston. Une défaite de trois petits points, qui envoient les Celtics en finale NBA. Ce n’est que partie remise pour ces Pistons.
La saison 87-88 ressemble à la précédente, et malgré une grosse dizaine de matchs manqués, Dantley reste encore et toujours le meilleur scoreur de son équipe (20,0). Les Pistons déroulent, et leur armada fait peur aux plus grands. Le bilan s’améliore encore, mais le premier tour de Playoffs face aux Bullets n’est pas de tout repos. Il faudra cinq matchs aux Pistons pour écarter Washington, après une frayeur lors du Game 2 à Detroit. Au second tour, c’est la première série d’une rivalité légendaire entre Bulls et Pistons qui s’offre aux observateurs. Un duel âpre, marqué par le début des Jordan Rules, et une victoire de Detroit après deux matchs remportés à Chicago notamment. Dantley est d’ailleurs le meilleur marqueur du Game 4.
Detroit retrouve Boston en finale de conférence, mais cette fois les leaders de l’Est ne passeront pas face à Isiah Thomas. Les Pistons plient l’affaire en six matchs. Dantley est à nouveau régulier, mais son ultime moment de gloire n’est pas encore arrivé.
NBA Finals
Ce sont les Lakers qui se dressent devant Chuck Daly et ses hommes en NBA Finals. Le Game 1 sera le théâtre d’une performance exceptionnelle de Dantley, l’une de ses dernières. Avec 34 pts plantés au Forum d’Inglewood, sur un magnifique 14/16 aux tirs, il fut le bourreau des Lakers, et emmena les siens vers une précieuse victoire dès le Game 1. Il continue sur sa lancée, avec une superbe série dans ces Finals.
Les Lakers reprendront l’avantage du terrain dans le troisième match, et même si Dantley sera encore énorme pour permettre à Detroit de gagner le Game 4 (27 pts) et le Game 5 (25 pts), les Pistons ne décrocheront pas le Graal cette saison. Adrian a tout donné sur cette série, marquée par un Game 6 controversé (la Phantom Foul de Laimbeer sur Jabaar, et surtout le match extraordinaire de Thomas alors blessé à la cheville). Jamais il ne s’approchera autant d’un titre NBA.
Loser forever
Souvenez-vous, alors qu’il venait d’être transféré par les Lakers au début de la saison 79-80, Los Angeles avait remporté le titre cette même année. Cette fois, Dantley est transféré en cours de saison par Detroit. Le scoreur atterrit à Dallas, en échange de Mark Aguirre. Quelques mois plus tard, les Pistons remporteront leur premier titre NBA, alors que les Mavericks et Dantley sont déjà en vacances depuis la fin de la régulière. Une fois encore, Dantley termine la saison proche des 20 pts de moyenne, mais son déclin est inexorable.
Au milieu de sa deuxième saison chez les Mavs, il se blesse lourdement, et voit sa campagne écourtée. Agent libre à l’été 1990, il rejoint les Milwaukee Bucks, et mettra un terme à sa carrière après une saison.
Une légende pas comme les autres
Intronisé au Hall of Fame en 2008, Adrian Dantley reste une des légendes les plus bizarres de la NBA. Immense scoreur, bête de travail, son palmarès est malheureusement resté vierge. Sa carrière reste marquée par de nombreux transferts, et une magnifique aventure au Jazz, pourtant terminée en eau de boudin. Les différentes anecdotes énoncées dans ce papier ne sont pas anodines, Dantley n’est pas un homme ordinaire. Il a certainement une réelle part de responsabilité dans son absence de titre, et dans les transferts qu’il a vécus. Utah a d’ailleurs attendu 2007 pour retirer le numéro 4 de la légende, bien après certains de ses coéquipiers de l’époque. Le jour de la cérémonie, Layden fera amende honorable :
Il a tout commencé. Les autres gars sont arrivés après.
Depuis sa retraite sportive, Dantley fait encore preuve d’une originalité débordante pour un ancien joueur de très haut niveau. Assistant à Denver, mais remercié après l’affaire des assistants de George Karl, il a ensuite fait la circulation dans sa ville natale de Silver Springs… Pour financer son assurance maladie. Non pas qu’il ait des problèmes d’argent, mais il ne voulait simplement pas rester à rien faire et payer cette assurance de sa poche.
Finalement, à 60 ans, Dantley ne s’est pas tourné vers le management, le coaching ou la télé comme d’autres anciens joueurs, mais à l’arbitrage. On l’a ainsi vu officier dans des matchs de High School depuis 2016. Et attention, avec Adrian Dantley au sifflet, les lancers se méritent :
“Quelqu’un se heurte à toi et tu tombes ? Je ne siffle pas. Ce n’est pas mon genre.”
Une personnalité unique, voilà ce que nous pouvons retenir d’Adrian Dantley. Et l’histoire d’un immense joueur NBA, dont la volonté n’avait d’égale que sa capacité à obtenir des lancers francs. En témoignent les mots de Morgan Wootten, son coach à la DeMatha High School, décédé en janvier :
J’ai toujours pensé qu’Adrian serait le meilleur joueur que Washington ait jamais produit. Je l’ai su le matin de Noël où un gros élève de troisième est venu à ma porte et m’a demandé les clés du gymnase. Il n’avait pas le plus de talent. Il avait le plus d’envie.