Depuis 1946 et la création de la National Basketball Association, quelque cinq mille joueurs ont foulé les parquets de la Grande Ligue. Certains d’entre eux ont laissé une empreinte indélébile qui ne sera jamais oubliée. D’autres sont restés bien plus anonymes. Entre les deux ? Des centaines de joueurs, qui ont tour à tour affiché un niveau de jeu exceptionnel, mais dont on oublie bien souvent la carrière.
Dès lors, @BenjaminForant et @Schoepfer68 ont décidé de dresser – littéralement – le portrait de certains de ces acteurs méconnus ou sous-estimés. Au total, ce sont 60 articles qui vous seront proposés : un par année, entre les saisons 1950 – 1951 et 2009 – 2010. Pour chaque saison, un joueur a été sélectionné comme étendard, parfois en raison d’une saison particulièrement réussie, d’une rencontre extraordinaire ou encore d’une action historique …
Chaque portrait s’inscrira dans une volonté, celle de traverser l’Histoire de la NBA de manière cohérente. Ainsi, ces portraits (hebdomadaires) seront publiés dans un ordre précis : un meneur, un arrière, un ailier, un ailier-fort, un pivot. Au bout de cinq semaines, c’est donc un cinq majeur qui sera constitué. Les plus matheux d’entre vous l’aurons compris : au final, ce seront douze équipes, toutes composées de joueurs ayant évolué au cours de décennies distinctes, qui auront été composées.
A vous de déterminer lequel de ces cinq majeurs sera le plus fort, le plus complémentaire, le plus dynastique.
Vous trouverez en fin d’article les liens vous permettant de (re)consulter les articles précédents.
La jaquette
Pour chaque article, @t7gfx vous proposera ses créations. Vous y retrouverez une illustration du joueur présenté (en tête d’article) ainsi une présentation de chaque cinq majeur projeté (chacun avec une identité visuelle propre).
Le synopsis
David O’Neil Thompson est né le 13 juillet 1954 en Caroline du Nord. Listé entre 1m93 et 1m97 (il dit lui-même culminer à 1m92), pour un peu moins de 90 kilos, il passa l’immense majorité de sa courte carrière au poste d’arrière, bien qu’il fut tout à fait capable d’évoluer en tant qu’ailier.
Scoreur incroyable, il fut l’idole de jeunesse d’un certain Michael Jordan. Mais au-delà de Sa Majesté, Thompson a inspiré une génération entière de basketteurs. En plus d’être l’un des meilleurs attaquants de l’Histoire, il se distingue notamment par une détente hors du commun. Certaines rumeurs racontent qu’il aurait été capable d’attraper une pièce placée au sommet du plexiglas. Selon diverses sources, sa détente sèche s’élève ainsi à 1m15, soit, peu ou prou, une verticalité similaire à celle qu’affichait Vince Carter en 2000. Cela lui valu l’octroi du surnom flatteur de “Skywalker”.
La carrière du joueur que fut David Thompson est peu commune. Il est ainsi parvenu à marquer le basketball universitaire, comme le basketball professionnel, en prenant pourtant sa retraite à 29 ans. Revenons sur le parcours exceptionnel et déroutant de l’un des tous meilleurs joueurs de l’Histoire des Denver Nuggets.
Action !
Les premiers pas de Thompson dans le microcosme de la balle orange furent réalisés très tôt. Ses performances étaient déjà remarquées au lycée, ce qui lui permis d’intégrer l’Université de North Carolina State. Il convient de s’intéresser de plus près à son parcours universitaire, commencé au sein des Wolfpack en 1972. Sa première saison sera celle d’un sans-faute, mais aussi celle des plus grands regrets.
Sur le terrain de basket, North Carolina State termine sa saison 1972 – 1973 invaincue (27 – 0), et s’avançait comme favorite pour le titre NCAA. Toutefois, l’Université fut bannie de la March Madness, en raison de la violation de certaines règles administratives lors du recrutement de … David Thompson. Il s’avère ainsi que le jeune homme a participé à un pick-up game avec le coach assistant de l’équipe universitaire, Eddie Biedenbach, en dehors des périodes autorisées. La jeune star profita également de certains privilèges, octroyés par la faculté avant même qu’il ne s’y inscrive officiellement.
Pourtant, c’est bel et bien dans le sillage de son swingman phare que North Carolina State a écrasé la concurrence cette saison-ci. Alors que la ligne à trois-points n’était alors qu’à l’état de projet, Thompson affichait déjà 24,7 points et 8,1 rebonds à 57% au tir lors de sa saison rookie. Une première réussie, donc, mais frustrante. La revanche n’allait pas tarder.
La saison suivante, les Wolfpack ne sont plus invaincus : ils présentent ainsi, à la fin de la saison, un bilan de 30 victoires pour … 1 défaite. Le début du tournoi NCAA commencera tranquillement, avant qu’un véritable tremblement de terre n’intervienne en demi-finale. North Carolina State y affronte l’Université d’UCLA, l’ogre ultime du basket universitaire américain ; les Bruins ont remporté 9 des 10 derniers titres de champion (1964, 1965, puis 1967 à 1973). En 1974, UCLA possède dans ses rangs l’ultra-dominant Bill Walton, considéré par certains comme le meilleur basketteur universitaire de l’Histoire, ainsi que Jamaal Wilkes, future légende NBA.
Et pourtant, après deux prolongations, ce sont bien les Wolfpack qui remportèrent le match (80 – 77), sur les épaules d’un Thompson galvanisé par l’enjeu : 28 points, 10 rebonds à 48 % au tir.
L’événement est retentissant Outre-Atlantique, et Sport Illustrated le figera pour l’éternité dans sa une du 1er avril 1974, pour laquelle le quotidien titrera “La fin d’une ère”. On y voit David Thompson au-dessus d’un Bill Walton qui lui prenait tout de même 18 centimètres.
North Carolina State remportera le trophée, en battant Marquette en finale (76 – 64). Thompson sera nommé Most Outstanding Player. Il quittera l’Université après une troisième saison, individuellement incroyable (plus de 29 points de moyenne). Il est encore aujourd’hui cité parmi les meilleurs joueurs de l’Histoire de l’Atlantic Coast Conference, accompagné dans ce classement par Michael Jordan, Len Bias ou Tim Duncan.
Auréolé d’une expérience universitaire riche, Skywalker se présente conjointement aux draft ABA et NBA en 1975. Il sera sélectionné en première position dans les deux ligues, et optera pour les Denver Nuggets et la ABA.
Cette première saison professionnelle sera une franche réussite, tant individuellement que collectivement. Ses qualités, connues et reconnues à la faculté, sont immédiatement transposées en ABA, où il massacre les défenses adverses. Il scorera au moins 20 points à 67 reprises au cours de cette première saison, allant jusqu’à atteindre la barre des 50 points le 27 février 1976, dans une victoire contre les San Antonio Spurs. La performance est assez rare pour être saluée, puisqu’il ne sont que 10 a avoir scoré au moins 50 points lors d’une saison rookie. L’accomplissement est d’ailleurs d’un autre temps, puisque nous y retrouvons Chamberlain (cinq fois), Barry, Monroe, Mikan ou Abdul-Jabbar dans ce classement. Au 21è siècle, seul Brandon Jennings est parvenu à marquer autant de points tout en étant rookie (55 points le 14 novembre 2009).
David Thompson sera logiquement élu rookie de l’année de cette saison 1975 – 1976. Il se sera illustré au All-star Game, en perdant en finale du premier Slam dunk contest, face à Julius Erving. Vous retrouvez ci-dessous une vidéo de ce concours, où la présentation de Thompson (3min00) fut acclamée par l’ensemble de la foule :
Détente verticale, reverse-dunk et premier 360° dunk de l’Histoire du concours (à partir de 10min30), Thompson enflamme la salle, et d’aucuns disent qu’il aurait mérité de repartir avec la victoire. Chose étonnante, il s’avère que Skywalker avait réalisé des dunks bien plus compliqués … à l’échauffement. Il n’attendra toutefois pas longtemps pour obtenir une récompense individuelle, puisqu’il sera élu MVP du ABA All-star game.
Il s’illustrera également en playoffs, puisque les Nuggets et leur bilan de 60 – 24 perdirent en finale face aux Nets de … Julius Erving (4 – 2). Chaque rencontre fut serrée (jamais plus de 9 points d’écart), et Thompson, à l’image de sa campagne intégrale, évolua à un niveau de jeu rarement atteint par un rookie … Il ne sont ainsi que quatre à présenter au moins 26 points et 6 rebonds de moyenne sur une campagne (complète) de playoffs rookie :
- Wilt Chamberlain, playoffs 1960 : 33,2 points et 25,8 rebonds de moyenne en neuf rencontres (défaite en finale de conférence),
- Kareem-Abdul-Jabbar, playoffs 1970 : 35,2 points et 16,8 rebonds de moyenne en dix rencontres (défaite en finale de conférence),
- David Thompson, playoffs 1976 : 26,3 points et 6,7 rebonds de moyenne en treize rencontres (défaite en finale),
- Chuck Person, playoffs 1987 : 27 points et 8,3 rebonds de moyenne en quatre rencontres (défaite au premier tour).
La saison suivante, les deux ligues qu’étaient NBA et ABA fusionnent. Les Nuggets de Thompson, Dan Issel et Paul Silas évoluent donc dans la Grande Ligue depuis le début de la saison 1976 – 1977. Avec un succès certain, puisque cette première saison sera conclue à la seconde place de la conférence Ouest, avec un bilan de 50 – 32. Il faut dire que le début de saison est exceptionnel (10 – 1), dans le sillage de ses deux franchises player : 49 points, 14 rebonds et 5 points de moyenne à eux-deux sur la période. Thompson affiche exactement le même niveau de jeu qu’en ABA, malgré un temps de jeu légèrement moindre. Cela lui vaut une nouvelle sélection au All-star game, motivée non seulement par l’excellent bilan de la franchise des rocheuses, mais aussi par les cartons individuels du swingman :
- 26 novembre 1976 @ Kansas City : 37 points, 7 rebonds, 1 passe décisive, 1 interception à 48 % au tir, dans une défaite (-10),
- 27 novembre 1976 (back-to-back) vs Indiana : 37 points, 2 rebonds, 1 passe décisive à 59 % au tir, dans une victoire (+9),
- 8 février 1977 @ Portland : 40 points, 4 rebonds, 3 passes décisives, 1 interception à 68 % au tir, dans une victoire (+8).
Une saison régulière qui lui vaut un affrontement de luxe face aux Blazers, 3è de la conférence Ouest avec une petite victoire de moins. L’occasion pour Thompson de retrouver Bill Walton, son vieil ennemi, devenu pivot (super)star de Portland. Et si Skywalker avait particulièrement brillé face aux Blazers en saison régulière (confer ci-dessus), c’est bien la franchise de l’Oregon qui se qualifiera pour les finales de conférence, avant de remporter l’unique titre de son Histoire (Walton sera élu MVP des finales).
Thompson, qui restera dans ses standards lors de ce premier tour, reviendra encore plus fort la saison suivante, dans ce qui sera la meilleure de sa carrière. Et c’est pour ses performances lors de l’exercice 1977 – 1978 qu’il est l’objet du présent portrait.
L’oscar de la saison 1977 – 1978
Toujours tracté par leur duo, les Nuggets entament leur saison 1977 – 1978 le 19 octobre, par une large victoire contre les Bucks (+18). Le roster est particulièrement complet, et fait de Denver l’un des contenders pour les finales NBA. La mène est répartie de manière équilibrée entre Brian Taylor, Jim Price et Mack Calvin. Thompson évolue au poste d’arrière, celui d’ailier étant occupé par Bob Wilkerson. Enfin, la raquette est composée de Bobby Jones et Dan Issel.
Alors âgé de 23 ans, Thompson entame sa troisième saison professionnelle, avec le mode turbo enclenché. Il est le véritable leader statistique de sa franchise, et son début de saison le confirme d’ailleurs :
Des prestations individuelles qui font de lui un véritable favori au titre de meilleur scoreur de la saison, et qui s’accompagnent surtout de victoires (11 – 4 après quinze rencontres). Au final, ce titre de meilleur scoreur de la saison donnera lieu à un mano à mano incroyable, au finish haletant. En effet, en cette époque, les scoreurs boulimiques étaient nombreux en NBA : Hayes, McAdoo, Abdul-Jabbar, notamment. Néanmoins, ce n’est pas avec l’un des trois intérieurs cités que Skywalker se battra pour remporter ce titre honorifique, son adversaire principal était un autre arrière : George “The Iceman” Gervin, qui évoluait aux Spurs.
Dès lors, le déroulé de cette saison se fera de manière comparative, les deux joueurs se rendant coup pour coup … jusqu’au dernier match de la saison régulière, comme nous le raconterons ci-dessous.
Ainsi, au bout de quinze rencontres, Thompson a scoré 392 points, soit 26,1 points de moyenne. En face, Gervin n’a pas non plus trainé : 397 points. Collectivement, par contre, les Spurs ne semblent pas être capables ne suivre des Nuggets bien partis pour effectuer, encore une fois, une saison de haut niveau.
Après vingt-quatre matchs, le soleil brille toujours dans le Colorado. Les hommes de Larry Brown viennent d’enchaîner 6 victoires en 7 rencontres, pour se positionner en tête de la conférence Ouest. Thompson profite de cette série pour dépasser les 40 points pour la première fois de la saison, le 26 novembre contre Indiana (42 points, dans une victoire +13). Il présente pour l’instant une régularité offensive difficilement comparable :
- [10 et 19 points scorés] : 2 reprises, dont un blowout (donc temps de jeu réduit),
- [20 et 29 points scorés] : 14 reprises,
- [30 et 39 points scorés] : 7 reprises,
- [40 et +] : 1 reprise.
Alors que Denver présente le bilan de 17 victoires pour 7 défaites, son arrière vedette pointe à 26,8 points de moyenne (54,3 % au tir), accompagnés par 4,5 rebonds et 4,2 passes décisives par rencontre. Cela lui fait un total de 642 points. George Gervin, lui, perd la tête du classement des meilleurs scoreurs : 640 points marqués après 24 matchs.
Juste avant le All-star break, Denver enclenche le mode schizophrène. La franchise du Colorado va d’abord concéder cinq défaites consécutives. Mise à part la correction reçue sur le parquet des Kings (-26), chacune de ces défaites s’est soldée avec un écart inférieur ou égal à 5 points. Après cette série peu glorieuse, les Nuggets vont enchaîner dix victoires, dont six avec un écart inférieur ou égal à 5 points. Tout d’un coup, Denver est devenu redoutable dans le clutch-time. Et si vous pensez que ces deux séries – diamétralement opposées – furent influencées par les performances de David Thompson … vous avez entièrement raison.
Ainsi, lors des cinq défaites de rang, Skywalker affiche des moyennes en forte baisse : 21 points, 4 rebonds, 4 passes décisives en 40,8 minutes, avec 46,3 % de réussite au tir. Notons tout de même que lorsqu’il présente des chiffres moyens, Thompson évolue toujours à un niveau All-star. A l’inverse, au cours des dix victoires consécutives, l’arrière retrouve ses standards habituels : 25,5 points, 5,7 rebonds, 3,8 passes décisives en 38,1 minutes, avec 52,6 % de réussite au tir. Il n’est guère nécessaire de chercher plus loin le véritable métronome de la franchise du Colorado.
Sur sa lancée, il terminera second meilleur scoreur du All-star game, disputé le 5 février 1978. Il sera d’ailleurs le meilleur marqueur de la conférence Ouest, avec 22 points. Il aurait été nommé MVP en cas de victoire des siens. Las, avec le triomphe de la conférence Ouest, c’est son ancien adversaire, Julius Erving, qui remporta le trophée. Petit à petit, Thompson se forge l’image d’un magnifique second.
Faisons un nouvel arrêt sur image sur la course du meilleur scoreur de la saison régulière. David Thompson est arrivé en pleine bourre au All-star break, en réalisant plusieurs rencontres marquantes :
- 40è rencontre @ Milwaukee : 34 points, 6 rebonds, 7 passes décisives et 4 contres, à 52 % au tir, dans une défaite (-5),
- 41è rencontre vs New-York : 37 points, 6 rebonds, 3 passes décisives, 5 interceptions, 2 contres à 50 % au tir, dans une défaite (-2),
- 43è rencontre vs Buffalo : 34 points, 3 rebonds, 6 passes décisives, 2 interceptions à 54,2 % au tir, dans une victoire (+2),
- 45è rencontre vs Philadelphie : 39 points, 1 rebond, 4 passes décisives, 1 interception à 54 % au tir, dans une défaite (-1),
- 46è rencontre @ New-York : 41 points, 5 rebonds, 7 passes décisives, 1 interception à 65 % au tir, dans une victoire (+4).
Ce qui donne une moyenne de 26,7 points depuis le lancement de la saison, et 1 283 points scorés. Gervin, lui, a mis 1 373 points. Si l’écart semble creusé, il doit être relativisé, l’arrière des Spurs ayant disputé deux rencontres de plus. Néanmoins, sa moyenne est belle est bien supérieure à celle de Thompson : 27,3 points par match.
Le 7 avril 1978, Skywalker joue son 79è et avant-dernier match de cette saison régulière 1977 – 1978. Après le All-star game, les Nuggets afficheront un visage mi-figue, mi-raisin : 16 victoires, 15 défaites. La place en playoffs est toutefois assurée, tout comme la seconde place de la conférence Ouest : 48 victoire, 33 défaites. Et si, nous l’avons vu, les résultats de Denver étaient influencés par l’état de forme de son arrière vedette, il n’en est rien cette fois-ci. Il s’avère que lors des séries de défaites, c’est surtout Dan Issel qui évoluaient à un niveau largement en-deçà de ses habitudes. En effet, ce n’est pas faute pour Thompson de continuer à scorer, encore et toujours, inlassablement. Hormis un loupé contre les Celtics (11 points, défaite de -27), le swingman martyrise les défenses adverses, avec la régularité qui le caractérisait tant en début de saison.
Ainsi, avant la dernière rencontre de la saison, le jeune David présente une moyenne de 26,6 points par rencontre. Soit très exactement 2 099 points scorés. En face, George Gervin le devance de très peu : 26,8 points de moyenne et 2 169 points marqués. Le titre de meilleur scoreur allait donc se jouer lors de la dernière journée, qui va rapidement revêtir un aspect paranormal.
“Veux-tu jouer ? Le résultat n’importe pas”. Larry Brown à David Thompson
Collectivement, il est vrai, cette dernière rencontre de saison régulière ne revêt strictement aucun enjeu pour les Nuggets. Thompson savait néanmoins qu’une performance exceptionnelle sur le parquet de Détroit lui permettrait de dépasser Gervin. C’est donc au Palace d’Auburn Hill, devant 3 482 spectateurs, que Skywalker jeta ses dernières forces dans la bataille.
Et des forces, il en avait encore. Énormément. A la fin du premier quart-temps, il a converti 13 de ses 14 tirs, pour un total de 32 points. Nouveau record NBA, devant les 31 points de Chamberlain, le soir où il avait scoré 100 points. 100 points ? Thompson est dans les temps de passage à la mi-temps : 53 points, à 20 / 23 au tir.
“Aucun joueur de Détroit ne voulait me voir leur mettre 100 points. Après tout, je ne faisais qu’1m92 et j’étais en feu comme jamais auparavant. Je me sentais comme Superman sous stéroïdes”.
Et si le record du grand Wilt ne tombera finalement pas, Thompson se fend d’une rencontre exceptionnelle. Il rajoutera encore 20 points en seconde période, pour finalement inscrire 73 points à 28 sur 38 au tir.
Afin de mettre en exergue l’aspect surnaturel que revêt cette rencontre, notons qu’en 73 ans (le clin d’œil est beau) d’existence, la NBA n’a vu “que” 74 performances à 60 points ou plus … dont 32 fois pour le seul Wilt Chamberlain. C’est dire si depuis la retraite de Wilt The Steelt, l’accomplissement est devenu extraordinaire : 21 fois au cours du 21è siècle. Par exemple, entre le 6 mars 2000 (Shaquille O’Neal inscrit 61 points contre les Clippers le jour de son anniversaire) et le 10 mars 2004 (62 points de Tracy McGrady), personne n’a scoré au moins 60 points au cours d’une seule rencontre, soit quatre années de disette.
Au final, la pointe à 73 points de Thompson n’a été dépassée qu’une fois depuis ce 9 avril 1978, par Kobe Bryant. Rendez-vous compte : David Thompson détient toujours la seconde meilleure performance au scoring des 58 dernières années ! Il faut dire que dans le club des “70 points ou plus”, nous ne retrouvons que six joueurs :
- Wilt Chamberlain : a atteint les 70 points à 6 reprises, avec un record à 100 points le 2 mars 1962,
- Kobe Bryant : a inscrit 81 points le 22 janvier 2006,
- David Thompson,
- Elgin Baylor, a inscrit 71 points le 15 novembre 1960,
- David Robinson, a inscrit 71 points le 24 avril 1994,
- Devin Booker, a inscrit 70 points le 24 mars 2017.
Au-delà d’entrer au sein d’un club très select, Thompson sait désormais que la pression repose sur les épaules de Gervin, dont le match se déroulait plus tard dans la soirée. L’équation est simple : Skywalker sera sacré meilleur scoreur si the Iceman score moins de 58 points, dans la rencontre qui oppose les Spurs au Jazz. Thompson termine sa saison avec 2 172 points scorés, soit 27,15 points par match.
A à Nouvelle-Orléans, Gervin fera honneur à son surnom. A la mi-temps, il affiche exactement le même total que son rival : 53 points, dont 33 dans le second-quart temps ! Le record NBA de Thompson n’aura tenu qu’une poignée d’heures. Jamais le record de Wilt Chamberlain, qui semble aujourd’hui inatteignable, n’aura tremblé autant que ce jour-ci. Gervin inscrira finalement 63 points, en 33 minutes de jeu.
Il sera sacré meilleur scoreur de la saison régulière, avec une différence de 0,695 point sur son dauphin, le Poulidor américain. Pour l’anecdote, à l’époque, jamais la différence de point n’a été aussi faible entre premier et second. Cet écart constitue, aujourd’hui, le second plus faible de l’Histoire, puisque 0,4418 point séparait David Robinson et Shaquille O’Neal en 1994 (où l’Amiral a scoré 71 points lors de la dernière rencontre de la saison). Pour l’anecdote, en 1994, l’assistant des Spurs n’était nul autre que … George Gervin, l’homme des fins de saisons serrées.
La saison de Thompson s’achèvera en finale de conférence, et une défaite 4 – 2 face aux Sonics. Il réalisera, encore une fois, une post-season à la hauteur de son talent, et dans ses standards statistiques. Il en profitera pour finir à la 3è place du vote du MVP, derrière ses deux plus grands adversaires : Bill Walton et George Gervin.
Et alors qu’il vient de réaliser la meilleure saison de sa carrière, en la concluant en un véritable apothéose, David Thompson va, petit à petit, dépérir. La faute à une blessure, à la drogue, à l’alcool et à un mental défaillant. Une fin de carrière qui ne reflète pas l’immense talent du bien-nommé Skywalker.
Le générique de fin
Certes, le terme “dépérir” est peu être exagéré, dans l’immédiat. Thompson n’a, en effet, que 24 ans lorsqu’il entame sa quatrième saison professionnelle, en 1978 – 1979. Globalement, cette saison est un copier – coller de la précédente, du moins individuellement. Avec un temps de jeu moindre, l’arrière inscrira 24 points de moyenne, avec une adresse au tir légèrement en baisse. Cette légère chute statistique s’explique en partie par l’arrivée dans le roster d’un troisième hall-of-famer, George McGinnis, ancien meilleur scoreur de ABA, et All-star sous le maillot de Denver en 1978 – 1979. Chose surprenante toutefois : sur les dix meilleurs performances au scoring de Skywalker au cours de cette saison, les Nuggets perdront neuf fois. Ce qui n’empêchera pas Denver d’afficher un bilan de 47 – 35 en fin de saison, synonyme de rencontre avec les Lakers au premier tour des playoffs (défaite 2 – 1).
Tout ne va pas si mal, me diriez-vous.
Le calvaire commence la saison suivante. Celle-ci débute par sept défaites consécutives, dont plusieurs blowout. S’il reste éblouissant sur certaines rencontres, Thompson n’est guère plus l’ombre de lui-même. La faute, on l’apprendra plus tard, à une blessure au pied, qui mettra fin à sa saison le 9 janvier 1980. Ironiquement, l’arrière reprenait du poil de la bête juste avant de jeter l’éponge : 30,6 points, 5,6 rebonds et 4,2 passes décisives à 57,4 % au tir sur ses 5 dernières rencontres. Cela ne permet toutefois pas (du moins pas entièrement) de compenser sa forme timide du début de saison.
Cette blessure, David Thompson va mal la vivre. Très mal. Il tombe dans l’alcool et la drogue pour compenser son isolement et sa solitude, selon ses propres dires. Et pourtant, la saison suivante (1980 – 1981) aurait pu être, sur le papier, celle de la renaissance. Thompson revient au niveau qui était le sien au début de sa carrière. Mieux, si l’on fait une comparaison sur 36 minutes, cette saison est la meilleure de sa carrière, du pur point de vue statistique.
Il contribue aux exceptionnelles performances offensives de Denver, qui compte dans ses rangs trois autres scoreurs incroyables : Alex English, Kiki Vandeweghe et Dan Issel. Les Nuggets affichent la PACE la plus haute de la Ligue (109,8), possèdent la meilleure attaque … et la plus mauvaise défense. Il en résulta sur un bilan de 37 – 45, synonyme de fin de saison dès le mois d’avril.
Sauf que Thompson n’est pas véritablement un phénix. Il ne renaîtra finalement pas entièrement après cette blessure ; ce que le tableau ci-dessus ne permet pas de comprendre, c’est que la saison 1981 – 1982 constitue le début de la fin, à 27 ans. Thompson perd sa place de titulaire et ne passe plus que 20 minutes par soir sur les parquets. Avec, certes, une efficacité redoutable lorsqu’il jouait. Ses problèmes de drogues – qu’il nie à cette époque – commencent à devenir publics. Il sera tradé à Seattle à l’intersaison 1982, contre Bill Hanzlik et un premier tour de draft. Il évoluera une saison et demi sous le maillot vert des Sonics, avant qu’une nouvelle blessure ne vienne mettre fin à sa carrière (chute dans les escaliers lors d’une bagarre).
Au final, Thompson aura disputé 592 rencontres dans sa carrière, et pu évoluer cinq saisons et demi à son meilleur niveau. Malgré une carrière anormalement courte, il eu le temps de réaliser certaines performances dignes de son talent générationnel :
- Hall-of-famer, intronisé en 1996,
- All NBA First Team, à deux reprises, en 1977 et 1978,
- All-star, à cinq reprises,
- Rookie de l’année en ABA en 1976,
- MVP du All-star game, à deux reprises,
- 73 points en une rencontre (troisième performance all-time),
- Membre des All-ABA all-time.
Sa vie post-NBA est d’abord un long chemin de croix. Il indique lui-même qu’en 1986, il dépensait 1 000 dollars par jour dans la cocaïne. Il sera arrêté à deux reprises entre 1985 et 1987, pour ivresse sur la voie publique et pour avoir été violent avec sa compagne (180 jours de prison).
Voilà donc les deux facettes de la courte carrière professionnelle de David Thompson, lui qui passa de superstar à cocaïnomane, de l’un des meilleurs joueurs de son époque à un retraité à 29 ans. N’ayons pas peur des mots : la carrière de Skywalker est un immense gâchis. Le principal concerné en a d’ailleurs conscience :
“J’avais l’opportunité de devenir un des plus grands basketteurs de l’Histoire … Et je l’ai gâchée”.
Il n’y a rien de faux dans cette déclaration, malheureusement. Cependant, et malgré tout, l’impact qu’il a eu sur la NBA est immense, comme le démontrent les hommages qu’il reçu après sa retraite.
Crédits et hommages
Nous l’avons dit, David Thompson fut l’idole de jeunesse de Michael Jordan. Pour ce dernier, l’apport de Skywalker au basket de l’époque est énorme :
“Le principe même de la verticalité dans le saut a pris sens grâce à David Thompson”.
Il faut dire que s’il ne fut pas le premier arrière star de la NBA (Jerry West ou Sam Jones étaient là bien avant), le crépuscule de la carrière de Thompson coïncide avec l’arrivée dans la Ligue des swingman dominants, qui ont tous, de près ou de loin, une filiation avec lui : Alex English, Mark Aguirre, Adrian Dantley, Dominique Wilkins, Bernard King, Michael Jordan … Vous avez dit “exemple” ?
Un exemple qui lui valu l’honneur d’introniser Michael Jordan au hall-of-fame en 2009. L’occasion pour le numéro 23 de réaffirmer son admiration pour son idole :
“Je crois que la grandeur est un processus évolutif qui change et évolue d’époque en époque. Sans Julius Erving, David Thompson, Walter Davis et Elgin Baylor, il n’y aurait jamais eu un Michael Jordan. J’ai évolué à partir d’eux”.
Le mot de la fin revient à Bill Walton, lui qui eu une carrière sensiblement similaire à celle de Thompson : énorme parcours universitaire, carrière NBA dominante stoppée par des blessures à répétition. Il faut dire qu’à force de se rencontrer, de l’Université à la NBA, les deux hommes se connaissaient parfaitement, et se respectaient. C’est ainsi que la légende des Blazers énonçait, à propos de Thompson :
“C’était Michael Jordan, Kobe Bryant, Tracy McGrady et LeBron James en un seul et même joueur”.
Et si l’on peut déceler une légère exagération, Walton a finalement tout dit. David Thompson était un joueur extraordinaire. David Thompson a changé la NBA, en six années de présence. Chapeau bas, Skywalker.
Les précédents épisodes et portraits du Magnéto :
- Cinq majeur #1 : Penny Hardaway (1994/95), Manu Ginobili (2007/08), Terry Cummings (1988/89), Jerry Lucas (1964/65), Nate Thurmond (1974/75),
- Cinq majeur #2 : Jason Kidd (1998/99), Tracy McGrady (2004/05), Rick Barry (1966/67), Elvin Hayes (1979/80), Neil Johnston (1952/53),
- Cinq majeur #3 : Isiah Thomas (1989/90),