Rares sont les franchises qui réussissent à passer entre les mailles de son filet. Elle hante les fans, mais au fond, ils savent que sa présence est souvent un mal pour un bien. Elle peut rendre une défaite agréable et une victoire frustrante, nous détournant de tout ce qu’on pensait perpétuel. La reconstruction, le rebuilding pour nos amis outre-Atlantique, est en effet étape nécessaire pour les franchises NBA qui ne s’appellent pas les San Antonio Spurs. Si certains arrivent à en sortir rapidement pour retrouver les joutes printanières des Playoffs, elle est pour d’autres un trap dans lequel il est facile de rester coincé.
Parmi ses franchises qui reconstruisent depuis tellement longtemps qu’on ne se rappelle plus ce qu’il y avait de construit auparavant, les Knicks font figure de tête d’affiche. Depuis 7 ans, le plus gros marché NBA n’arrive pas à faire vibrer une ville et une salle pourtant si belles lorsqu’elles ont le sourire de la victoire aux lèvres.
L’homme qui caractérisait le plus cette disette, c’est Steve Mills. Ami proche du propriétaire James Dolan, il était un membre important du front office depuis 2013, occupant diverses positions. La dernière en date aura été fatale, puisqu’il a été démis de ses fonctions de Président des opérations basket le 4 février 2020. Le timing de cette annonce, pourtant espérée depuis si longtemps, était pour le moins étonnant : elle arrivait 48 heures avant la trade deadline. La rumeur courait que les Knicks y seraient très actifs. Cherchant à se débarrasser de leurs contrats expirants pour des tours de draft, ils étaient aussi parmi les franchises plus actives pour récupérer D’Angelo Russell.
Après une énième deadline décevante et une saison qui s’annonce aussi oubliable que les précédentes, Dolan a fait appel à Leon Rose pour remplacer Mills, tandis que Scott Perry reste pour l’instant Manager General. Un choix ambitieux puisque Rose, un des agents les plus respectés de la Ligue, ne possède aucune expérience dans un front office NBA. L’avenir nous dira si, avec lui, les Knicks pourront voir la vie en Rose.
Genèse d’une bonne reconstruction
Pour mesurer l’ampleur de l’échec des Knicks, intéressons-nous à ce qui fait d’habitude une bonne reconstruction.
Dans les schémas classiques, une équipe qui reconstruit mise sur la jeunesse et sur le long-terme, les résultats immédiats passant au second plan. Les jeunes joueurs acquis à la draft ou par trade grandissent et progressent ensemble, l’équipe tutoie à nouveau les sommets. Elle gagne de plus en plus de matchs, « le groupe vit bien » et les fans sont ravis. La franchise devient ainsi plus attractive pour les agents libres qui se voient être la dernière pièce du puzzle pour rendre ce jeune effectif compétitif pour le titre.
Dans un monde idéal, chaque franchise devrait y arriver, copiant les succès de certaines franchises : les Warriors en sont l’archétype. Toutefois, comment expliquer que des franchises restent coincés, alors que la recette a l’air si simple ? Concentrons-nous sur les différents ingrédients d’une bonne reconstruction et voyons quels étapes les Knicks ont foirées.
La draft, véritable autoroute du soleil ?
Considérée comme la voie royale d’une reconstruction, elle permet de sélectionner les meilleurs jeunes joueurs de la planète, ou, selon la tendance récente, ceux avec le plus de potentiel sur le long-terme. La draft peut se révéler être une véritable aubaine, tandis qu’elle peut parfois seulement alimenter la médiocrité d’une franchise.
La lotterie : recette miracle du Rebuild ou trappe à médiocrité ?
Les exemples de reconstruction efficace par la draft sont récemment assez peu nombreux par rapport au nombre de franchises qui ont récemment suivi cette méthode de reconstruction. Les Sixers apparaissent comme un exemple marquant de réussite, tant la franchise alors gérée par le génie incompris Sam Hinkie avait poussé cette stratégie à son maximum. Leur succès est en fait lié à des circonstances assez uniques : Joel Embiid et Ben Simmons, draftés respectivement en troisième et en première positions, ont tous les deux raté l’ensemble de leur première année pour des blessures et ont permis à la franchise d’augmenter artificiellement leur médiocrité, permettant une accumulation d’assets plus aisée.
Cette situation est assez rare et rend donc le modèle Sixers difficilement réplicable. D’autres équipes à la stratégie similaire ont du mal à décoller. Les Suns et les Kings sont des preuves qu’accumuler des choix de draft dans les premières positions pendant 5 ans n’est pas synonyme de succès. Les Timberwolves aussi, eux qui doivent leur seule bonne saison récente au court passage de Jimmy Butler. (Vous pouvez consulter l’excellent article sur leur possible renaissance) Les Knicks ne font pas exception.
Analyse des dernières drafts des Knicks
Depuis 2015, les Knicks ont bénéficié de 4 choix dans le top 10 de la draft. Phil Jackson puis le duo Perry/Mills auront jeté leur dévolu sur Kristaps Porzingis (2015, 4ème), Frank Ntilikina (2017, 8ème), Kevin Knox (2018, 9ème) et R.J. Barrett (2019, 3ème). S’il est encore tôt pour juger de la qualité des trois derniers, qui ont tous en commun d’être parmi les joueurs les plus jeunes de leur classe de draft respective, une statistique est tout de même intéressante, voire alarmante.
Le dernier joueur drafté par les Knicks que la franchise a prolongé au-delà de son contrat rookie, c’est Charlie Ward. Et c’était en 1994. Depuis 25 ans, les Knicks n’ont pas offert de second contrat à un des joueurs qu’ils avaient drafté 3 ou 4 ans auparavant. Si elle est difficile à croire, cette donnée est la preuve parfaite de l’instabilité et de l’impatience qui règne dans la franchise New Yorkaise.
Autre point inquiétant, les jeunes joueurs des Knicks peinent à contribuer dans leurs premières années. Frank Ntilikina, Kevin Knox, Allonzo Trier et R.J. Barrett font tous partie du top 12 des rookies draftés depuis 2015 au Box Plus Minus, une statistique qui mesure l’impact (offensif et défensif) d’un joueur par rapport à la moyenne de la ligue. Un BPM négatif montre donc un apport moins élevé que la moyenne de la ligue. Sur 100 possessions, jouer Kevin Knox « coûte » 6 points aux Knicks. Pour comparaison, James Harden, leader dans la catégorie, apporte sur 100 possessions 11,7 points de plus que le joueur moyen en NBA.
R.J. Barrett est sûrement le plus décevant, tant il était attendu à un autre niveau après son énorme saison à Duke. Si le talent est bien présent, il a du mal à s’ajuster à la NBA. De tous les joueurs ayant pris plus de 500 tirs cette saison, il est bon dernier en efficacité. Pire, il affiche le moins bon pourcentage de réussite près du cercle, alors que sa capacité de slasher était présentée comme un de ses qualités principales.
Il faudra attendre de le voir enfin jouer dans une attaque digne du 21ème siècle en termes de spacing, Duke 2018-19 et les Knicks 2019-20 étant sur ce point deux cancres. Il est clair que pour l’instant, son potentiel ultime, son ceiling, en a pris un coup et a refroidi plus d’un fan.
Les scouts, au bûcher ?
Faut-il en déduire que les Knicks sont mauvais évaluateurs de talent ? Ntilikina et Knox sont encore jeunes et ont montré leur potentiel. L’ancien Strasbourgeois s’est établi comme l’un des meilleurs défenseurs extérieurs de la Ligue et montre des progrès en attaque, même si son rendement est encore loin de celui attendu d’un lottery pick. L’ancien Wildcat de Kentucky lui peine toujours à trouver sa place mais a prouvé l’étendue de son panel offensif lorsqu’il est confiant et adroit. A seulement 20 ans, ses qualités athlétiques restent prometteuses, mais de réelles interrogations subsistent sur sa mentalité et son effort défensif.
La seule réussite des Knicks repose dans leurs choix de seconds tours. Mitchell Robinson (2018, 36ème) est une des rares éclaircies dans le paysage des Knicks. Damyean Dotson (2017, 44ème), après quatre bonnes années en NCAA, s’est aussi imposé comme un joueur de rotation. Ignas Brazdeikis, ancien forward de Michigan, a montré de très belles capacités offensives en G-League, même si ses quelques minutes en NBA ne l’ont guère mis en avant.
La reconstruction par la Free Agency : un luxe réservé à une élite ?
Parmi les trois modes de construction d’un effectif et d’acquisition de joueurs, le recrutement d’agents libres est sûrement la méthode qui mène au succès le plus rapide. Un agent libre peut aussi bien ajouter la dernière pièce d’une dynastie ou bien en commencer une. Rendez-vous annuel durant lesquels les trente franchises sont supposément à égalité, ce sont souvent les mêmes franchises qui remportent le gros lot. Dans la plus pure tradition bourdieusienne, on assiste souvent à une reproduction des élites : les meilleures franchises, parce qu’elles sont plus attractives, sont souvent celles qui en sortent renforcées, tandis que les franchises les moins bien gérées sont destinées à se contenter de leurs restes.
L’importance d’un projet à vendre
En analysant les plus grosses signatures des dernières années, on voit bien l’importance d’un projet sportif cohérent : Gordon Hayward avant sa blessure s’engage à Boston qui compte dans ses rangs de bons jeunes, son ancien coach à Butler sur le banc et Al Horford. LeBron James et Chris Bosh s’allient en 2010 et rejoignent Dwyane Wade. Andre Iguodala rejoint les Warriors après avoir vu l’explosion de Curry et Thompson. Cet été, Jimmy Butler rejoint les jeunes du Heat mais aussi le projet promis par Pat Riley et Erik Spoelstra, de même pour Kawhi Leonard qui fait confiance à Jerry West et Doc Rivers.
Le problème structurel des Knicks
La stratégie de reconstruction des Knicks a récemment été de recruter une ou plusieurs superstars lors des dernières free agencies. C’était le cas pour LeBron James en 2010, ça l’a été pour Kevin Durant en 2017, ça le sera sûrement en 2021 pour Giannis Antetokounmpo. Le principal atout du trade de Kristaps Porzingis était justement de dégager de la masse salariale pour pouvoir offrir deux gros contrats à l’été 2019, avec Kyrie Irving et KD dans le viseur.
Comme on le sait désormais, ce n’est pas arrivé. Ce n’est pas une question d’argent, tant il a été prouvé qu’être la star du Madison Square Garden pouvait amener en notoriété et en revenus sponsors. Si certains peuvent parfois pointer du doigt des facteurs parfois tribaux (le centre d’entrainement à Westchester serait trop éloigné de Manhattan, ce qui ennuierait les joueurs ; la presse new yorkaise ne serait pas assez tendre avec ses joueurs), c’est bien dans le front office que réside la plus grande part du problème. Il est en effet difficile de voir quelconque star investir ses meilleures années dans un projet aussi douteux que celui des Knicks, coincé entre développement de jeunes sous-performants et relance de vétérans, des coachs au pedigree flou et un front office qui n’inspire ni la confiance ni l’envie de le rejoindre.
Kevin Durant, dans une discussion avec son ancien coéquipier Serge Ibaka, a brièvement expliqué son choix de rejoindre le voisin bobo de Brooklyn plutôt que les Knicks.
‘’I just like the organization as far as just the direction they were going in. It was nothing major against the Knicks. I just think Brooklyn is farther along in the process of being a contender.”
Le projet de Brooklyn porté par Sean Marks et Kenny Atkinson était donc plus crédible que le projet d’un front office inexpérimenté et d’un coach, David Fizdale, dont le palmarès en tant que coach principal se résume à être pote avec LeBron James et trois mots lâchés en interview.
Se reconstruire grâce à un trade ?
Parfois, les intérêts divergents des équipes NBA mènent parfois à des trade déséquilibrés, surtout sur le long terme. Un trade peut alors lancer un processus de reconstruction, ou bien le parachever et transformer une équipe en contender. Les Sixers avaient enclenché lors « process » en tradant Jrue Holiday contre Nerlens Noel en 2013, les Celtics doivent leur succès récent à la carotte mise aux Nets la même année. Les Rockets eux ont été transformé une bonne équipe en une excellente grâce au trade de James Harden à l’été 2012.
Les Knicks, victimes d’une injuste reproduction des élites en NBA ?
Pour faire un trade, il faut avoir quelque chose de valeur à échanger. On pourrait s’arrêter là, dire que les Knicks n’ont rien qui a assez de valeur pour être échangé, mais ce serait faux. La stratégie des Knicks à l’été 2019 après l’échec KD a été de signer des vétérans réputés solides role players en espérant faire monter leur valeur marchande et pouvoir ensuite les échanger chez des équipes en quête de performances en playoffs. Dans cette optique, Marcus Morris, Wayne Ellington, Reggie Bullock, Taj Gibson, Elfrid Payton et Bobby Portis ont posé leurs valises à Manhattan cet été, et ont eu l’occasion de briller au vu des précieuses minutes dont ils ont privé les jeunes Knicks en développement comme le montre la distribution des minutes ci-dessous (pour le mois de janvier).
De ce wagon de joueurs trop vieux pour être développés, pas assez mauvais pour vraiment tanker mais pas assez bons pour vraiment gagner, Scott Perry n’aura réussi à n’échanger que Marcus Morris (contre un choix de draft 2020 de fin de premier tour et le contrat expirant de Mo Harkless). Un trade attendu, tant il semblait logique de ne pas perdre Morris sans aucune contrepartie cet été. Mais rien que pour faire un trade qui va tellement de soi, il a fallu démettre de ses fonctions Steve Mills, qui y était opposé. C’est dire la situation dans laquelle le front office se trouvait, incapable de prendre des décisions, encore plus incapable d’en prendre des bonnes.
Tanking ou culture de la gagne : le cul coincé entre deux chaises
Un débat agite le « Knicks Twitter » français et états-unien : faut-il faire jouer les jeunes quitte à perdre des matchs, ou faut-il privilégier les vétérans qui peuvent rapporter des victoires ?
Un effectif mal pensé
Les Knicks l’avaient annoncé en début de saison : pas de tanking cette année, l’équipe veut gagner des matchs. Les recrutements de Marcus Morris, Julius Randle ou Elfrid Payton allaient en ce sens, offrant sur le papier une véritable progression par rapport aux années précédentes. Depuis que Mike Miller a remplacé David Fizdale, l’équipe est sur une dynamique plutôt positive (7ème de la conférence Est sur les deux derniers mois), et pourrait en cas de miracle inespéré accrocher un spot en playoff et avoir l’honneur de se faire laver par Giannis et ses copains en 4 matchs sur la télévision nationale en avril.
L’arbitrage à effectuer est maintenant intéressant : continuer à donner des minutes à Elfrid Payton, Wayne Ellington et Taj Gibson en espérant gagner des matchs et poursuivre la chimère que sont les playoffs, ou bien faire jouer Frank Ntilikina, Kevin Knox et Mitchell Robinson, perdre des matchs et augmenter sa chance de pouvoir sélectionner haut à la draft 2020. Une perspective encore plus alléchante quand on sait que le top 5/8 de la draft à venir regorge de meneurs, une poste que les Knicks essayent maintenant de combler depuis Stephon Marbury.
Il serait facile de tout faire péter, envoyer Bobby Portis en Chine, buy-out Taj Gibson et espérer que Wayne Ellington recommence à tourner à son 25% à trois points du début de saison. Seulement, comme on l’a vu au dessus, le développement de jeunes joueurs est rarement optimal dans ce genre d’environnement où la défaite est acceptée. En continuant à jouer la victoire chaque soir et en créant un environnement stable, les jeunes joueurs à développer (Frank, R.J Barrett, Kevin Knox et Mitch Robinson) seront sans aucun doute plus épanouis et progresseront davantage. C’est du moins tout ce que l’on peut leur souhaiter.
Culture de la gagne et développement : est-ce possible aux Knicks ?
Cette saison, les Raptors reposent sur des jeunes qui se sont développés dans l’ombre d’une équipe performante, grâce à un coaching staff qui leur fait confiance sans pour autant les surexposer : Pascal Siakam, Chris Boucher, Norman Powell, Terrence Davies ou Fred van Vleet en sont des exemples, Duncan Robinson, Kendrick Nunn et Bam Adebayo au Heat en sont d’autres.
Les Knicks semblent donc être coincés dans le spot que l’ensemble de la ligue veut éviter : pas assez bons pour jouer quoi que ce soit mais pas assez mauvais pour récupérer un super choix de draft cet été. L’effectif est assez talentueux pour que le temps de jeu des jeunes à développer soit justifié, mais pas assez talentueux pour instaurer une véritable dynamique de victoire et une émulation.
Nouveau front office : peut-on se laisser aller à l’optimisme côté Knicks ?
Cette saison risque de ne pas vraiment avancer les Knicks dans leur reconstruction. Le nouveau front office toutefois peut insuffler un nécessaire renouveau et rompre avec cette spirale d’échec qui perdure. Le recrutement de Leon Rose, un ancien agent de joueur sans aucune expérience dans son poste de Président des opérations basket, rappelle celui de Rob Pelinka aux Lakers ou de Bob Myers aux Warriors. Si Rose arrive à construire autour de ses nombreuses relations dans la ligue, son front office promet une meilleure image de l’organisation des Knicks, plus attractive et plus crédible.
Rose et son clan ont donc de lourdes responsabilités : la première sera le choix d’un Manager General, Scott Perry n’étant apparemment pas dans leurs plans, voire d’un coach, Mike Miller n’assurant officiellement que l’intérim. Le nouveau management pourra façonner son effectif, presque crée ex nihilo, Julius Randle et R.J. Barrett étant les seuls joueurs avec un contrat garanti au-delà de l’été 2020. Faire bon usage de la draft en s’entourant de scouts plus performants sera aussi primordial : les Knicks possèdent 7 choix de draft du premier tour dans les 4 prochaines années.
Reconstruction et New York Knicks : qui se ressemble ne s’assemblent pas.
Les facteurs qui entrent en compte pour la réussite d’une reconstruction sont aussi nombreux que complexes. C’est un subtil mélange de chance, de talent, de risques payants et de capacités organisationnelles. Les réalités d’une franchise ne sauront pour les 29 autres et la recherche d’un modèle unique de reconstruction est une ambition vaine.
Les Knicks, pour tout simplifier, ont décidé de ne mettre aucun ingrédient dans leur recette, espérant qu’un chef trois étoiles tomberait du ciel dans leur équipe, sur leur banc ou dans leurs bureaux et arrange le tout d’un coup de pinceau visionnaire.