La Trade Deadline vient d’avoir lieu, et comme souvent, Daryl Morey et ses Houston Rockets ne sont pas restés hors du coup. Habitués des grandes manœuvres, cette saison encore, H-Town enchaîne les coups de massues. Après avoir échangé Chris Paul cet été contre Russell Westbrook, c’est une nouvelle pièce majeure de la franchise qui se voit transférée à mi-saison : Clint Capela. Là où le choix peut choquer, c’est que contrairement au transfuge entre CP3 et Westbrook, ce n’est pas un choix poste pour poste, et encore moins sur un poste où l’équipe possédait de la réserve. Car oui, depuis plusieurs saisons, le suisse était l’unique rotation majeure dont disposait la franchise sur le poste de pivot. Aussi, si voir les Rockets le miser contre un ailier n’a rien de franchement surprenant compte tenu de leur historique, savoir qu’il n’y aura aucun renfort, même moindre en contrepartie au poste 5 a de quoi choquer.
Tout d’abord, brièvement, que s’est-il passé ?
Les Rockets sont tout d’abord entrés en mouvement dans un deal à 4 équipes : Atlanta Hawks, Minnesota Timberwolves et Denver Nuggets. Le deal impliquant de multiples joueurs et choix de draft ont eu les effets suivants :
- Arrivées : Robert Covington (Timberwolves) , Jordan Bell (Timberwolves)
- Départs : Clint Capela (Hawks), Gerald Green (Nuggets), Néné Hilario (Hawks, puis coupé)
A la clôture de la trade deadline, nouveau mouvement plus modeste :
- Arrivée : Bruno Caboclo (Grizzlies)
- Départ : Jordan Bell (Timberwolves)
Mais qu’est-ce que cela veut dire pour l’avenir de cette équipe ?
La réaction immédiate, évidemment, c’est de se dire que l’équipe va donc devoir jouer sans pivot. A l’heure actuelle, seul Tyson Chandler est naturellement établi à ce poste, et sa production n’est plus celle d’un joueur qui peut grappiller de longues minutes. On retrouve également Isaiah Hartenstein, dans un style plus polyvalent mais moins dissuasif. On comprend donc forcément plusieurs choses.
Tout d’abord, Daryl Morey croit toujours en Mike D’antoni et décide finalement de prendre à fond, à ses côtés, le tournant du small ball poussé à l’extrême. Le GM des Rockets a trouvé un homme assez fou pour conduire ses expériences, et l’ex-coach à la moustache semble toujours calquer sa stratégie sur la mobilité à outrance. De plus, ce dernier voit toujours les Warriors et leur small ball avec Draymond Green comme une sorte de preuve irréfutable que son intuition depuis le milieu des années 2000 est la bonne. S’il existe évidemment des disparités entre le roster de Golden State et celui de Houston, il semble clair que le pilier de cette stratégie, sur les phases défensives, sera P.J Tucker, véritable emblème de la franchise depuis 2017. Mesuré à 1m96 pour 111kg, l’ex-ailier va désormais être repositionné en pivot titulaire et va devoir batailler face aux géants adverses.
Ensuite, cela signifie que l’équipe mise beaucoup sur Russell Westbrook. En effet, tenter d’ouvrir le jeu en alignant 4 joueurs capables de dégainer de loin, de couper et d’abuser de leur mobilité a pour but, en priorité, d’optimiser l’ex-star du Thunder. Beaucoup plus efficace depuis qu’il a renoncé au tir à 3 points pour harceler les défenseurs adverses, la franchise semble penser qu’elle peut encore améliorer son efficacité, tant en ouvrant la raquette pour l’aider à la finition, qu’à la distribution avec les tirs qu’il va ouvrir pour les nombreux shooteurs de l’équipe.
Enfin, cela signifie aussi que l’équipe ne croyait plus spécialement en Clint Capela. Chose qui semblait déjà palpable suite à l’élimination en Playoffs de l’année dernière. En effet, alors que les Rockets profitaient de la belle mobilité latérale de Capela en 2017-2018 pour jouer le switch défensif quasi sytématique, les affrontements face aux Warriors et la baisse de mobilité du pivot ont participé à gréver les espoirs de titre d’Houston. Conscients que ce dernier ne pourrait pas se réformer défensivement, les dirigeants semblent avoir décidé de pousser leur stratégie jusqu’au paroxysme, quitte à souffrir dans certains aspects du jeu et de se priver de sa relation avec les ball handlers de l’équipe.
Les raisons d’un choix
Comme nous l’avons maintes fois abordé, les Rockets ont basé leur jeu autour de plusieurs vérités rendues évidentes par l’utilisation des statistiques avancées. Parmi ces règles édifiées en préceptes, voici ce que respectent les troupes de Mike D’antoni :
- Les trois tirs les plus efficaces sont : ceux dans la raquette, les 3 points … et les lancers francs
- Le tir à mi-distance rapporte moins que les autres formes de tirs, il est donc à proscrire
- Mieux vaut utiliser un joueur sur ses qualités principales, plutôt que de chercher la polyvalence
La formule fut particulièrement efficace ces deux dernières saisons, et si le vestiaire se portait globalement moins bien en 2018-2019 qu’en 2017-2018, année où la franchise avait une allure indéniable de prétendant au titre, toujours est-il que le changement de formule de l’été dernier a posé quelques soucis. L’arrivée de Russell Westbrook soulevait en effet diverses questions. Tout d’abord, il fallait convenir de comment utiliser le joueur : l’obliger à s’adapter au jeu des Rockets ou incorporer son style de jeu dans l’existant ? La seconde option fut choisie, transformant une des formations les plus lentes de la NBA, en l’une des plus rapides cette saison. La franchise possède aujourd’hui le second PACE de la ligue, contre le 27eme l’an dernier. Néanmoins, si le joueur devait s’intégrer, le parti pris de l’emmener vers les fameux préceptes de la franchise en terme de sélection de tir soulevait deux problématiques nouvelles :
- Comment gérer le fait que son efficacité à 3pts en fait l’un des pires shooteurs NBA ?
- Comment gérer le fait qu’une équipe qui base son jeu sur l’isolation et le spacing évolue désormais avec 2 non shooteurs (Westbrook et Capela) dans son 5 majeur ?
En effet, avec l’incorporation de Westbrook, l’équipe souffrait des pourcentages désastreux du joueur qui ne progresse pas dans l’exercice (23,8% à 3pts cette saison), mais surtout, cela facilitait le travail des équipes adverses. Désormais associé à James Harden, RW possède à ses côtés le joueur d’isolation le plus efficace de la NBA. Sauf que le jeu offensif des Rockets se base normalement sur le fait que James Harden soit une triple menace entouré de shooteurs. Si l’équation était bonne avec Chris Paul, elle l’est beaucoup moins avec Brodie. De fait, de nombreuses équipes se sont laissées tenter à une pratique visant à choisir “tout sauf le barbu”. On a donc vu les prises à deux se multiplier, parfois très en amont de l’action pour obliger Harden à lacher le ballon et laisser des coéquipiers jouer le 4v3. Néanmoins, avec deux joueurs ne représentant pas un danger derrière l’arc, ce qui devait être un avantage certain ne le fut pas toujours. Pourtant, Westbrook s’est adapté individuellement pour maximiser ses forces. En difficulté en début de saison, le meneur s’appuyait sur sa faculté à attaquer le cercle inlassablement pour accroître son impact, lui permettant notamment de réaliser un impressionant mois de janvier.
Pas de quoi convaincre complètement les dirigeants, qui ont décidé de changer la formule. Mais de quoi donner l’intuition à Daryl Morrey que la réussite des Rockets pouvait passer par un Wesbrook optimisé… et donc privé de pivots jouant près du cercle. L’idée est simple, si le joueur est entouré de shooteurs, il possèdera plus d’options, plus d’espace et ne subira plus les aides du joueur en charge du pivot. De quoi, notamment, débarasser James Harden des multiples prises à 2 dont il est l’objet.
Evidemment, on imagine volontiers que le GM d’Houston aurait bien aimé avoir, en back-up, un pivot classique, notamment en vue des Playoffs. Si la récupération de Covington donne à la franchise un nouvel ailier polyvalent, capable de défendre et d’écarter le terrain, l’équipe subira de pleint fouet les intérieurs dominants adverses. La franchise voulait d’ailleurs récupérer Deandre Jordan, au contrat très abordable, mais n’a pas trouvé d’accord pour inclure le pivot des Nets dans l’échange.
Houston Rockets : la guerre des match-ups
En faisant ce choix stratégique, Houston assume largement son statut de laboratoire de la NBA. Imaginer s’attaquer à la post-saison avec aucun pivot de niveau titulaire, a de quoi faire s’arracher les cheveux à n’importe quel fan des 90s. Pourtant, c’est le fruit d’un empirisme presque névrotique. Si ces Rockets ne ressemblent pas aux Warriors post-2016, la réalisation par les joueurs de la baie d’un schéma qu’il avait fantasmé avec les Phoenix Suns, pousse Mike D’antoni a vouloir aller au bout de l’expérience avant de rendre les armes.
Néanmoins, il faut prendre plusieurs choses en compte, désormais. Tout d’abord, aucun joueur dans le 5 de départ des Rockets ne dépasse les 2m08, taille correspondant généralement à l’entrée de taille des pivots. Chose que les Warriors avaient grâce à Kevin Durant. Pire, peu de joueurs se situent au dessus des standards de taille à leur propre poste. Ainsi, si PJ Tucker est suffisamment lourd pour contenir des pivots, ces derniers le domineront d’environ 15cm, en moyenne.
En réalisant ces échanges, les Rockets ont réalisé un des partis pris les plus cinglants de l’histoire de la ligue, et chaque bataille avec ces derniers va devenir le théâtre de nombreux ajustements. Des combats entre coachs qui devront mettre les QI Basket des joueurs à rude épreuve. Mais que faudra-t-il regarder ? Qu’est-ce qui fera d’Houston une bonne ou mauvaise équipe ?
1 : La bataille du rebond
Tout comme les Warriors et leurs “death lineups“, les Rockets vont devoir mener des batailles très désanvantageuses au rebond. Véritable enjeu du basketball, à fortiori en Playoffs ou les défenses se resserrent et les secondes possessions valent cher, Houston va avoir fort à faire. Dominés en taille, en manque de spécialistes dans l’exercice (le rebond est aussi une question d’instinct), le travail sur le box-out va être déterminant. Oui, les Rockets perdront plusieurs batailles dans l’exercice, mais un travail collectif et la mise en place d’une mentalité collective dédiée à l’exercice peut permettre de limiter la casse. Lors de leur première sortie avec ce nouvel effectif, les Rockets ont par exemple réussi à rivaliser avec les Lakers au rebond. Une égalité presque parfaite face à un des rosters possédant le plus d’intérieurs grands et athlétiques dans ses lineups (Anthony Davis, JaVale McGee, Dwight Howard). Toutefois, il semble impossible que l’équipe ne perde pas des combats, sur des échelles d’une série. La question sera donc la suivante : peuvent-ils être assez bons en défense pour compenser le différentiel de secondes chances ?
2 : La défense en switch
Comme dans de nombreux domaines, quand les Rockets se lancent dans un schéma de jeu, ils en abusent plus que toute la concurrence. Qu’il s’agisse du nombre d’isolations jouées en attaque, de nombre de 3 pts pris, ou du nombre de switchs défensifs réalisés. Adeptes de la stratégie depuis 2017, Houston se trouve dans une position où les joueurs sont si proches en taille et facultés athlétiques, qu’il importe beaucoup moins de savoir qui défend sur qui, car… Il y aura des mismatchs permanents.
Pour l’adversaire, cela veut aussi dire que finalement la recherche du bon match-up devient un jeu plus hasardeux, qui dépendra surtout d’aller chercher les mauvais défenseurs… ou d’abuser du jeu au poste pour profiter des avantages de taille. Or dans une NBA qui a fait du jeu au poste un aspect beaucoup moins rentable, la stratégie des Rockets pourrait pousser des équipes à s’engouffrer dans une facilité qui nuierait à la circulation de balle.
En outre, si on peut avoir peur pour les hommes de D’antoni, en manque de polyvalence physiologique, il ne faut pas oublier une anomalie notée il y a quelques saisons, à propos de la taille en NBA. La voici :
Ce graphique, créé en 2017 par Todd Whitehead de Theathletic, tendait à prouver que plus les équipes possédaient des joueurs de tailles équivalentes, plus leur défense devenait harmonieuse et capable de gêner l’adversaire. Ainsi, on se rendait compte que posséder des joueurs sous-taillés était un véritable cauchemar, mais également que posséder des pivots intimidateurs n’était pas une condition sinequanone d’une défense de niveau élite. En réalité, la polyvalence des joueurs, leur faculté à échanger leurs positions et le fait de disposer des qualités interchangeables sont des socles beaucoup trop sous-estimés lors de l’évocation de bonnes défenses potentielles.
Par ailleurs, à la fin, cela revient souvent à la synergie entre les élements et l’utilisation des qualités intrinsèques de chacun. On peut néanmoins convenir que les Rockets possèdent une palanquée d’athlètes et de défenseurs aux solides instincts. L’arrivée de Robert Covington colle parfaitement en ce sens.
3 : Destabiliser les intérieurs adverses
Si on parlait du risque de voir les intérieurs adverses abuser des “petits” Rockets, il faut aussi prendre en compte que le plan de jeu de Houston est de leur rendre la pareille. Naturellement, les intérieurs cherchent à éviter de défendre au large. Pourtant, c’est là qu’ils seront amenés à suivre les ailiers des Rockets. Forcément, les objectifs sont multiples pour la troupe de Mike D’antoni. En voici une liste :
- Déserter les raquettes adverses pour faciliter les drives.
- Accroître le nombre de 3 pts ouverts pour l’équipe
- Rendre hommage à leur système de jeu (alternance tir dans la raquette et longue distance)
- Pousser les intérieurs adverses à commettre erreurs et fautes
Les défenses qui aiment s’appuyer sur des pivots intimidateurs pour couvrir les débordements adverses vont en effet devoir s’ajuster face aux texans. Poussés au large, ces derniers ne seront plus sytématiquement sur le chemin de l’adversaire, le seul non shooteur étant un des principaux porteur de ballon, mais aussi vont devoir gérer les fins de possessions. Peu habitués à défendre ces positions, naturellement en retrait en raison de leur manque de mobilité, les premières rencontres ont déjà prouvé que nous allions voir souvent ce genre d’erreurs :
- Trop s’éloigner du vis-à-vis
- Commettre des fautes en essayant de contester une feinte
- Mal gérer le chrono et ouvrir une opportunité à l’attaquant
De même, il faut s’attendre à voir des possessions compliquées pour les défenses adverses sur les séquences en transition. Ce thread mettait d’ailleurs en avant la problématique au lendemain du susmentionné match face aux Lakers.
Un avantage des 5 out lineups que les @RocketsnationFr vont utiliser :
La difficulté pour assigner les marquages en transition, surtout pour les bigs, pour qui cela va à l’encontre de l’instinct naturel consistant à se replier pour protéger le cercle.(1/3)@RocketsFr pic.twitter.com/LJHGu5PWtJ
— Lost in Transition 🏀 (@TransitionNba) February 7, 2020
4 : Le coaching
Toutes les équipes utilisent la saison régulière pour tester. Quand vous êtes un prétendant au titre, l’idée est d’arriver avec des certitudes, des automatismes et des options éventuelles. L’exemple de Nick Nurse qui teste une grande quantité de schémas défensifs et de lineups, atteste de la volonté de mettre un groupe à l’épreuve. Néanmoins, aucun coach n’est en position de tester ses joueurs et ses schémas contre des équipes composées uniquement d’arrières et d’ailiers.
Si Mike D’antoni va avoir environ 30 rencontres pour éprouver ses joueurs et ses schémas tactiques, les adversaires n’auront que des échantillons minimes au moment de les affronter en Playoffs. Aussi, ils pourraient être amenés à faire des choix basés non pas sur l’expérience (“comment mes joueurs ont réagi à une situation ?”), mais sur l’instinct (“qui je pense le mieux à même de s’adapter.”). Dès lors, que convient-il de faire en fonction de son effectif ? Tenter de battre les Rockets à leur propre jeu ? Faire confiance à ses intérieurs comme si de rien n’était ? Adapter les mouvements en défense quitte à rompre les automatismes ?
Houston va imposer beaucoup de questions, mais va aussi devoir trouver des alternatives lorsque leur expérience verra des points morts se profiler. Si on n’est pas à l’abris de voir quelques mouvements sur le marché des buy-out, toujours est-il qu’en l’état, ce remodelage de l’effectif va entraîner de nombreuses équations.
L’ultime expérience ?
L’été dernier, après une occasion en or d’éliminer les Warriors ratée, le vestiaire des Rockets avait connu de nombreux tumultes. D’un part, nous avions ressenti la frustration d’un groupe qui avait connu une année compiquée entre blessures et mésententes de fond. Surtout, nous avions vu la relation entre James Harden et Chris Paul se dégrader et la situation de Mike D’antoni remise en cause à la tête de la franchise. Si le tandem Harden-D’antoni est finalement resté maître à bord, le meneur a été échangé et l’ensemble du staff du head coach fut remercié. Alors que l’arrivée de Russell Westbrook n’a pas renvoyé les Rockets sur le toit de l’Ouest cette saison, il semblerait que les dirigeants se soient offerts un nouveau chapitre, allant au bout de leurs excès.
Néanmoins, si échec il y a, reconduiront-ils l’expérience l’an prochain ? Car si cette nouvelle expérience ne convainc pas, on pourrait légitimement se demander si repartir avec le même groupe fera figure d’une éventualité acceptable. De même, imaginer la franchise faire machine arrière dans leur jusqu’auboutisme, avec le même capitaine à la barre sera-t-il encore possible ?
Avec ces échanges, les Rockets ont peut être jeté leurs dernières cartes de ce cycle. Autant dire que le défi tactique imposé aux franchises adverses durant les joutes de Playoffs a tout d’un enjeu majeur – et ce – à tous les niveaux de la franchise.