Depuis 1946 et la création de la National Basketball Association, quelque cinq mille joueurs ont foulé les parquets de la Grande Ligue. Certains d’entre eux ont laissé une empreinte indélébile qui ne sera jamais oubliée. D’autres sont restés bien plus anonymes. Entre les deux ? Des centaines de joueurs, qui ont tour à tour affiché un niveau de jeu exceptionnel, mais dont on oublie bien souvent la carrière.
Dès lors, @BenjaminForant et @Schoepfer68 ont décidé de dresser – littéralement – le portrait de certains de ces acteurs méconnus ou sous-estimés. Au total, ce sont 60 articles qui vous seront proposés : un par année, entre les saisons 1950 – 1951 et 2009 – 2010. Pour chaque saison, un joueur a été sélectionné comme étendard, parfois en raison d’une saison particulièrement réussie, d’une rencontre extraordinaire ou encore d’une action historique …
Chaque portrait s’inscrira dans une volonté, celle de traverser l’Histoire de la NBA de manière cohérente. Ainsi, ces portraits (hebdomadaires) seront publiés dans un ordre précis : un meneur, un arrière, un ailier, un ailier-fort, un pivot. Au bout de cinq semaines, c’est donc un cinq majeur qui sera constitué. Les plus matheux d’entre vous l’aurons compris : au final, ce seront douze équipes, toutes composées de joueurs ayant évolué au cours de décennies distinctes, qui auront été composées.
A vous de déterminer lequel de ces cinq majeurs sera le plus fort, le plus complémentaire, le plus dynastique.
Vous trouverez en fin d’article les liens vous permettant de (re)consulter les articles précédents.
La jaquette
Pour chaque article, @t7gfx vous proposera ses créations. Vous y retrouverez une illustration du joueur présenté (en tête d’article) ainsi une présentation de chaque cinq majeur projeté (chacun avec une identité visuelle propre).
Le synopsis
Isiah Lord Thomas III, connu sous le nom d’Isiah Thomas, est l’une, si ce n’est la légende des Detroit Pistons. Né le 30 avril 1961 à Chicago, il est le plus jeune d’une fratrie de neuf enfants. S’il eu une adolescence compliquée dans l’Illinois, en grandissant entre gang et basketball, il confia finalement sa vie à la balle orange, avec le plus grand des succès. Une balle qu’il tripotait depuis sa plus tendre enfance, puisqu’il avait à peine l’âge d’entrer en maternelle lorsqu’il réalisa ses premiers dribbles.
Très petit (1m85), celui que l’on surnomme “Zeke” évoluait tout naturellement au poste de meneur. Rapide et scoreur, il est un exceptionnel meneur d’homme(s) et possède surtout une vision du jeu très au-dessus de la moyenne. Ce qui fit de lui l’un des meilleurs passeurs que la NBA ait eu l’occasion d’accueillir en son sein. Et si nous avons déjà eu l’occasion de dresser le portrait de certaines superstars, telles que Jason Kidd ou Elvin Hayes, il semblerait bien qu’Isiah Thomas, lui, appartienne à une caste encore supérieure ; celle des vingt-cinq meilleurs joueurs de l’Histoire, à la louche.
Pour des raisons évidentes, tant la carrière du bonhomme est fournie et riche en anecdotes, nous occulterons (ou presque) les années lycéennes et universitaires du futur numéro 11 des Pistons, afin de nous consacrer à sa carrière NBA, qui, vous le verrez, mériterait bien plus qu’un seul article.
Action !
Disons simplement qu’à sa sortie du lycée, Isiah Thomas est un top prospect. Il intègre l’Université de l’Indiana en 1979 ; au sein des Hoosiers, sous les ordres du caractériel Bob Knight, il aura d’abord des problèmes comportementaux, avant de finir par emmener son équipe à la victoire du titre NCAA en 1981, en remportant au passage le trophée de Most Oustanding Player. Il zappe ses dernières années à la fac pour se présenter à la draft 1981.
Une draft pour laquelle, comme c’était la règle à cette époque, le first pick était joué à pile ou face entre les équipes qui ont terminé dernières de leur conférence respective la saison d’avant. En 1981, le hasard départage les Mavericks de Dallas (à l’Ouest, qui ont terminé la première saison de leur Histoire avec un bilan de 15-67) et les Pistons de Detroit (bilan de 21-61). Et si la pièce sourit aux hommes de Dallas, a posteriori, ce sont les Pistons qui furent les grands gagnants de cette draft.
Avec le premier pick, les Mavericks sélectionnèrent Mark Aguirre, ailier dominant, qui fit les beaux jours de Dallas, mais aussi … de Detroit. Les Pistons, justement, choisirent Isiah Thomas en deuxième position, devant, notamment, Buck Williams, Rolando Blackman ou Kelly Tripucka. Ce dernier rejoignit d’ailleurs également la franchise du Michigan.
Directement propulsé au poste de meneur titulaire, Thomas est intégré dans un roster qui ne manquait pas réellement de qualités. Le backcourt est complété par John Long, un arrière scoreur méconnu, mais dont le début de carrière était particulièrement prometteur (18,7 points de moyenne sur ses quatre premières saisons NBA). Le poste d’ailier était – déjà – tenu par Kelly Tripucka, avec un succès certain (rookie et All-star), là où le poste de pivot était partagé entre Kent Benson et Bill Laimbeer.
Isiah Thomas n’attendra pas longtemps pour éclabousser la Grande Ligue de son énorme talent. Un match, à vrai dire. Pour sa première, Zeke va – déjà – mener les Pistons à la victoire, contre les Bucks : 31 points, 3 rebonds et 11 passes décisives. Il fait donc parti de ce club hyper restreint de ceux qui ont scoré 30 points pour leur première rencontre NBA :
- Wilt Chamberlain, le 24 octobre 1959 @ New-York : 43 points, 28 rebonds, 1 passe décisive, dans une victoire (+9),
- John Drew, le 18 octobre 1974 @ Chicago : 32 points, 12 rebonds, 3 passes décisives et 4 interceptions, dans une défaite (-5),
- Isiah Thomas, le 30 octobre 1981 vs Milwaukee.
Une superbe entrée en matière, qui en appellera d’autres. Au cours de cette première saison, le meneur de poche est le véritable métronome de sa franchise, qui présente un bilan de 8 victoires pour 1 défaite lorsqu’il score au moins 27 points. Une appétence au scoring qui est déjà doublée d’un jeu de passe élite. Il réalisera ainsi 22 doubles-doubles points / passes décisives au cours de cette première saison, avec certaines prestations de choix, comme ce quarantième match à Atlanta : 34 points, 10 passes décisives et une victoire au finish (+1).
Néanmoins, si son meneur de rookie brille individuellement (comme son ailier de rookie, d’ailleurs) les Pistons n’y arrivent pas collectivement. La mayonnaise ne prendra pas réellement, et la franchise terminera à la septième place de la conférence Est, aux portes des playoffs, avec un bilan de 39 victoires pour 43 défaites. Thomas terminera cette première saison avec les statistiques suivantes : 17 points, 2,9 rebonds, 7,8 passes décisives, 2,1 interceptions, en 33,8 minutes de jeu. Notons que seuls quatre rookies, dans l’Histoire, présentent de telles statistiques aux points et à la passe :
- Oscar Robertson, 1960 – 1961 : 30,5 points et 9,7 passes décisives,
- Isiah Thomas, 1981 – 1982,
- Damon Stoudamire, 1995 – 1996 : 19 points, 9,3 passes décisives,
- Trae Young, 2018 – 2019 : 19,1 points, 8,1 passes décisives.
Il ne sera toutefois pas dans le top 3 des votes du rookie de l’année, bien qu’il honorera sa première sélection au All-star game (titulaire à l’Est).
La saison 1982 – 1983 n’apportera pas grand chose de neuf. Les Pistons rateront à nouveau les joutes printanières (37 – 45) alors que leur meneur (à nouveau All-star) flambe. Thomas réalisera d’ailleurs une fin de saison régulière en boulet de canon en tournant en 25 points, 4,5 rebonds et 8,9 passes décisives sur les trente-cinq dernières rencontres. Il sera néanmoins bien trop seul, puisque sur cette série de matchs, Detroit n’en remportera que quatorze. Mais même dans la défaite, le lutin réussira à sortir deux de ses plus belles masterclass, dont son premier triple-double en carrière : 46 points, 10 rebonds, 11 passes décisives et 4 interceptions dans une défaite contre San Antonio. A noter que seuls cinq joueurs eurent le malheur de réaliser un tel triple-double dans la défaite.
La saison suivante est celle de l’arrivée de l’illustre Chuck Daly sur le banc des Pistons, en lieu et place de Scotty Robertson. La révolution est en marche dans le Michigan, qui retrouvera les playoffs, pour ne plus les quitter avant 1993. Avant de mentionner ce premier tour de post-season, faisons un crochet par le 13 décembre 1983.
Pour ce 23è match de la saison, les Pistons se déplacent chez les Nuggets, dans une rencontre tout à fait spéciale. Elle se soldera ainsi sur le score de 186-184 en faveur de Detroit. Pour les plus curieux d’entre-vous, cette rencontre exceptionnelle a fait l’objet d’une analyse plus poussée, juste ici.
Le reste de la saison régulière s’effectuera sur les mêmes bases que les deux précédentes. A noter toutefois qu’Isiah dépasse, pour la première fois, la barre des 10 passes décisives de moyenne (11,1). Il sera à nouveau All-star (MVP), et découvrira, donc, les playoffs. Si les Pistons seront éliminés en cinq matchs par les Knicks, opérons un rapide focus sur le game 5, perdu 127 – 123 après prolongation.
Si Bernard King massacre la défense bleue (44 points, 12 rebonds à 65 % au tir), Isiah Thomas su également se mettre en valeur de la meilleure des manières. Alors que les Knicks volaient vers la victoire, Zeke arrachera, seul ou presque, la prolongation, en scorant 16 points dans les 94 dernières secondes du temps réglementaire. Il terminera la rencontre avec 35 points et 12 passes décisives, et l’étiquette d’un joueur ultra-clutch. Mais également avec l’élimination…
Arrive la saison 1984 – 1985, sur laquelle il convient de revenir brièvement, en s’axant autour de la principale qualité basketballistique d’Isiah Thomas : la passe. Vous souvenez-vous, lorsque nous disions que lors de sa première saison, Thomas réalisa 22 doubles-doubles avec les points et les passes ? De l’Histoire ancienne désormais. Dressons rapidement le tableau : sur les 81 rencontres disputées, Zeke distribuera toujours au moins 6 passes décisives, pour 65 doubles-doubles points / passes.
Le 13 février 1985, les Pistons reçoivent les Mavericks. Ils repartiront d’ailleurs avec la victoire (+5), dans un match où leur meneur entra en les livres des records, en devenant le septième joueur à distribuer 25 passes décisives en une rencontre. Aujourd’hui, ils sont 16 à avoir réalisé la performance, le dernier en date étant Rajon Rondo (25, le 27 décembre 2017). Au sein de ce “club des 25 passes décisives”, nous retrouvons deux rookies : Ernie DiGrégorio (25, le 1e janvier 1974) et Nate McMillan (25, le 23 février 1987). Sachez que le record en la matière est détenu depuis le 30 décembre 1990 par Scott Skiles, qui envoya 30 offrandes aux copains ce soir-là.
Au final, à l’issue de la saison, Isiah Thomas affichait une moyenne de 13,86 passes décisives par match. Ce qui constitue la troisième meilleure moyenne de tous les temps, derrière l’intouchable John Stockton (14,20 en 1990-91 et 14,54 en 1989-90). Il terminera 9è au classement du MVP, après sa 5è place de la saison précédente.
Opérons un saut dans le temps, pour atterrir en 1987. Entre-temps, le lutin réalisa deux nouvelles saisons avec plus de 20 points et 10 passes décisives de moyenne (quatre consécutives). Une performance qui, dans l’Histoire, n’a été réalisée que 28 fois, par douze joueurs différents, parmi lesquels nous retrouvons :
- Oscar Robertson : 5 saisons avec au moins 30 points et 10 passes décisives,
- Russell Westbrook : 4 saisons,
- Magic Johnson : 3 saisons,
- Kevin Johnson : 3 saisons,
- Chris Paul : 2 saisons,
- et notre cher Isiah Thomas.
C’est en 1987 qu’Isiah Thomas découvrit le stade des finales de conférences. C’est d’ailleurs également une première fois pour la franchise des Detroit Pistons – sous ce nom. En effet, la dernière fois que les Pistons avaient disputé de telles finales, en 1956, la franchise s’appelait encore Fort-Wayne Pistons.
Dans cette finale de 1987, Isiah et les siens font face à l’armada des Celtics, emmenée par le triple MVP Larry Bird. Les verts possèdent l’avantage du terrain, et capitalisent dessus en remportant les deux premières rencontres (malgré un 36 points, 5 rebonds et 10 passes décisives de Thomas dans le game 2). Les Pistons répondent à domicile. 2-2, balle au centre. Le tournant intervient dans les dernières secondes du game 5.
Les Pistons mènent d’un point. Bird pénètre dans la raquette, mais se fait contrer. Remise en jeu pour les Pistons, et cinq secondes à jouer. La suite appartient à l’Histoire :
https://www.youtube.com/watch?v=H_RJ5XN8TK8
Isiah Thomas rate sa remise en jeu, et Larry Bird intercepte le ballon, décale Dennis Johnson qui part au lay-up. +1 Celtics au buzzer. Les Pistons ne s’en remettront pas, et s’inclineront au game 7 au TD Garden.
Les playoffs suivants seront marqués par les affrontements entre les Pistons et les Bulls de Michael Jordan. Si le terme “affrontement” est souvent réservé à des circonstances guerrières, il est particulièrement bien choisit ici. Ainsi, Chuck Daly et ses hommes mirent en place les fameuses “Jordan Rules” pour stopper la star de Chicago. Ça y est, les “Bad Boys” sont nés.
C’est d’ailleurs le coach de Detroit qui en parle le mieux : prise à deux, contact physique permanent, intimidation. Tout était mis en oeuvre, à la limite de la légalité, pour empêcher Jordan de scorer.
Un jeu rude, avec un Isiah Thomas en général en chef, qui menait avec une main de maître (et de velours) les soldats talentueux qu’étaient alors Joe Dumars, Dennis Rodman, Rick Mahorn et Bill Laimbeer. Ainsi, en 1988, les Pistons rejoignent les Finales NBA, en éliminant successivement les Bulls (4-1) et les Celtics (4-2). Une Finale NBA perdue contre les Lakers, au game 7, dans une fin de match… étrange, le public Angelinos ayant envahi le terrain avant le buzzer final. Mais revenons au match précédent, marqué à tout jamais du sceau d’Isiah Thomas. Jamais un match n’aura mieux défini la mentalité hors-norme d’un joueur.
Recontextualisons.
Lorsque les acteurs posent le pied sur le parquet pour ce sixième match, les Pistons mènent 3-2 dans la série. A la mi-temps, ils sont menés de 7 points. Peu après, sur une pénétration dans la raquette pourpre et or, Thomas se tord violemment la cheville. Et si la douleur peut se lire sur son visage, et qu’il boite bas, il continuera à jouer. A jouer ? Sur une jambe, il fut animée par une véritable maestria, au point de scorer 25 points dans un seul et même quart-temps, record en Finale NBA. Las, les Lakers remporteront la rencontre (103 – 102), avant de gagner le game 7.
https://www.youtube.com/watch?v=KzgNoqHib78
La réponse n’allait pas tarder. La saison suivante, avec Mark Aguirre acquis à la trade deadline, les Pistons retournent en Finale NBA, après avoir, encore, éliminés les Celtics et les Bulls. A cette époque, il n’y a plus de débat pour désigner la meilleure équipe de l’Est. En Finales, c’est encore les Lakers qui se dressent devant eux. Un sweep plus tard et les Pistons remportèrent le premier titre de leur Histoire, et mirent fin à l’immense carrière de Kareem Abdul-Jabbar. Joe Dumars sera élu MVP des finales.
L’heure est désormais venue de s’intéresser de plus près de la saison 1989-1990, pour laquelle Isiah Thomas est aujourd’hui le porte-étendard.
L’oscar de la saison 1989-90
Le 3 novembre 1989, lorsque le départ de la saison 1989-90 est donné, les Pistons restent l’un des favoris au titre NBA.
Il faut dire que l’effectif du champion en titre n’a que très peu évolué au cours de l’été. Seul John Long, gloire vieillissante de la franchise, en quitta les rangs pour rejoindre les Mavericks. Le cinq majeur des Pistons n’a pas évolué d’un poil : Isiah Thomas, Joe Dumars, Mark Aguirre, John Salley et Bill Laimbeer en début de saison, avant que James Edwards ne vienne remplacer Salley. Dennis Rodman, lui, joue le rôle du sixième homme, rôle qui l’emmènera au All-Star Game.
Les ingrédients du titre de 1989 sont toujours réunis, ce qui laisse présager des jours heureux et des succès dans le Michigan. Il faut dire que, du succès, la saison 1988-89 en a été pleine, entre le premier trophée de champion NBA et la meilleure saison régulière de l’Histoire de la franchise (63-19). C’est donc dans l’optique de faire au moins aussi bien que Chuck Daly et ses hommes plongent dans ce nouvel exercice, avec une victoire inaugurale face aux Knicks de Patrick Ewing (+3), au cours de laquelle Thomas fit ce qu’il savait faire le mieux : du point et de la passe décisive.
Au cours du mois de novembre 1989, Isiah Thomas démontre qu’il est, encore et toujours, l’un des deux meilleurs meneurs de la Ligue. Après 12 rencontres, il reste dans les hauts standards qu’on lui connait : 20,1 points, 4,1 rebonds, 9,2 passes décisives et 2 interceptions en 47/40/87 au tir.
Pourtant, la machine des Pistons toussote. Ainsi, Detroit présente un bilan (très) mitigé de 7 victoires et 5 défaites pour entamer la saison. Deux de celles-ci sont d’ailleurs concédées face à des prétendants au titre final : Chicago (-3) et Portland (-20). Il faut dire que, dans la victoire ou dans la défaite, les matchs des Pistons sont rarement serrés, puisque la majorité d’entre-eux, toujours sur ce mois de novembre, se terminent avec au moins 19 points d’écart au tableau final.
Cette défaite contre Portland ne sera pas la dernière de la saison, vous l’imaginez bien. Une semaine plus tard, en déplacement à la Key Arena de Seattle, les Pistons en prendront 25 dans la musette. Avec toujours ce sentiment que Thomas et ses hommes ne sont plus aussi aériens que la saison précédente : qu’ils sont prenables. La bête serait blessée…
Dans le monde du sport, nous entendons souvent qu’il ne faut jamais sous-estimer le cœur d’un champion. Le cœur des champions, en l’occurrence. Après deux nouvelles défaites consécutives, chez les Clippers et le Jazz, les Pistons entament la deuxième partie de leur saison : nous sommes le 15 décembre 1989, et le bilan est de 13 victoires pour 9 défaites.
Le 20 mars 1990, soit 43 rencontres plus tard, ils afficheront un bilan de 51 victoires pour 14 défaites. La bête n’est plus blessée : elle est enragée d’avoir été mise à mal.
Pourtant, de manière surprenante, cette incroyable série de victoires des Pistons ne coïncide pas avec une forme éblouissante de son meneur vedette. Globalement, toutes ses statistiques sont en baisse, et le lutin connait des difficultés avec son tir :
- 19 décembre 1989 vs Seattle : 0/10 au tir, dans une victoire (+17),
- 29 décembre 1989 vs Milwaukee : 1/8 au tir, dans une défaite (-14),
- 23 février 1990 @ Atlanta : 8/22 au tir, dans une défaite (-9).
Cette défaite face à Atlanta a tout pour être rageuse. Elle met fin à une série de 13 victoires consécutives, et est suivie par une nouvelle série de 12 victoires. C’est dire si, au milieu de cette saison, les Pistons avaient la capacité de venir faire trembler le record de 33 victoires consécutives, détenu (encore aujourd’hui) par les Lakers de 1971-72.
Et pourtant, lorsqu’on s’intéresse de plus près à cette équipe de Détroit, on s’aperçoit qu’elle brille principalement par son homogénéité. Elle ne possède pas dans ses rangs une véritable star offensive, comme pouvait l’être Michael Jordan, Clyde Drexler ou le rookie qu’était David Robinson à cette époque. Thomas impose un jeu extrêmement lent (PACE de 94,4, soit l’avant-dernière de la Ligue), ce qui limite bien évidemment les exploits offensifs.
Mais si ce n’est pas de ce côté du terrain que Detroit construit ses victoires, c’est de l’autre. Les Pistons sont infernaux en défense. Ils possèdent dans leur rang deux joueurs qui furent élus dans la All-NBA Defensive First Team la saison précédente, Joe Dumars et Dennis Rodman. Les deux rééditeront d’ailleurs la performance à l’issue de cette saison 1989-90. Sous les cercles, Bill Laimbeer, ancien meilleur rebondeur de la Ligue, est toujours à l’aise dans la cueillette sous les cercles. Isiah Thomas, lui, défend bien mieux qu’au début de sa carrière.
Cela nous donne le second defensive rating de la Ligue. Mieux, Detroit est l’équipe qui limite le plus l’équipe adverse en attaque, en encaissant, en moyenne, 98,3 points par soir. On le sait, l’attaque fait lever les foules, et la défense fait gagner des titres. Si la phrase sonne comme un énième poncif usé jusqu’à la corde, il reste néanmoins d’une pertinence rare.
La fin de saison sera moins belle, avec huit défaites sur les seize dernières rencontres. Au final, Détroit terminera premier de sa conférence, avec un bilan de 59-23. C’est dire, sans ce retard à l’allumage, s’il était possible pour les hommes de Chuck Daly d’améliorer leur bilan de la saison précédente.
Isiah Thomas, lui, clôture sa neuvième saison régulière, avec les statistiques suivantes : 18,4 points (meilleur scoreur de la franchise), 3,8 rebonds, 9,4 passes décisives (meilleur passeur de la franchise), 1,7 interception (idem) à 43,8 % au tir.
Notons, avant de passer aux playoffs, que lorsqu’il eu du mal à régler la mire en fin de saison, Thomas su devenir encore plus altruiste. C’est ainsi qu’il distribua plus que 16 passes décisives à plusieurs reprises lors des 15 dernières rencontres de la saison régulière.
Le premier tour de post-season voit Detroit affronter Indiana. Il ne sera pas le théâtre d’anecdotes croustillantes, tant les Pistons seront au-dessus : 3-0 avec de larges victoires (12,5 points d’avance en moyenne). En demi-finale, ce sont les Knicks qui se dressent sur le chemin des Bad Boys. Le game 1 est l’exemple parfait de ce que les Pistons étaient capables de réaliser défensivement ; alors que New-York possède dans ses rangs deux joyaux offensifs (Patrick Ewing et Kiki Vandeweghe), la Grosse Pomme ne scorera que 77 points dans cette rencontre (victoire +35 de Détroit). En face, le scoring est toujours impeccablement réparti, avec sept joueurs qui ont marqué au moins 10 points.
Globalement, Isiah Thomas augmente, petit à petit, son niveau de jeu. L’ensemble de ses statistiques est en hausse sur de début de playoffs : 20 points, 5,2 rebonds, 9 passes décisives et 2 interceptions, à 52% au tir, dont 69% (!) à trois-points. Il sera l’artisan majeur des deux premiers tours. En effet, les Pistons élimineront les Knicks sans trembler outre-mesure (4-1).
En finale de conférence, pour la troisième année consécutive, Détroit affronte Chicago. Les Pistons profiteront de la première rencontre pour imposer aux Bulls le fameux régime à 77 points. Si Michael Jordan est insaisissable (34 points), ses coéquipiers n’y arrivent pas, hormis Scottie Pippen (16 points). Ainsi, après deux rencontres au Palace d’Auburn Hill, les Pistons virent en tête (2-0). Pourtant, alors qu’il réalisait jusqu’ici des joutes printanières de haut niveau, Isiah Thomas est transparent sur ces deux premières rencontres : 9 points, 6 rebonds et 6,5 passes décisives à 23 % au tir. Il faut dire que Pippen et Jordan ressemblent à deux des meilleurs défenseurs de la Ligue, tout à fait aptes de limiter Zeke.
Le limiter, oui. Mais pas tout le temps. Alors que la série se déplace dans son Illinois natal, Thomas va resplendir :
- Game 3 : 36 points, 5 rebonds, 8 passes décisives, 4 interceptions à 62 % au tir,
- Game 4 : 26 points, 8 rebonds, 8 passes décisives, 3 interceptions, à 47 % au tir.
C’est la preuve qu’on ne peut pas infiniment museler un champion. Et pourtant, loin de s’inscrire dans le sillage de son meneur, Detroit va perdre ces deux rencontres, et attendra la suivante, où Thomas retombera dans ses travers, pour reprendre l’avantage. Au final, l’avantage du terrain sera déterminant dans cette finale de conférence, puisque tous les matchs ont été remportés à domicile. Les Pistons s’en sortiront donc en 7 matchs, et éliminent par conséquent Michael Jordan pour la 3è fois consécutive.
La Finale NBA est disputée face à de surprenants Blazers, qui possèdent dans leur rang Clyde Drexler, Buck Williams, Terry Porter et Drazen Petrovic. Les affrontements entre les deux franchises furent équilibrés en saison régulière, avec une victoire partout, et la finale aurait pu se payer le luxe d’être indécise. Il n’en sera rien. La faute à un Isiah Thomas hors norme sur l’ensemble des cinq rencontres :
Alors qu’il eu plus souvent la balle en main que lors de la saison régulière (29,7 d’USG % contre 26 %), Isiah en profita pour punir la défense de Portland, où Terry Porter ne parvenait pas à le contenir. Et s’il se fait un peu moins altruiste au fur et à mesure que la série avance (11 passes lors du game 2, perdu 106 – 105, “seulement” 5 lors des games 4 et 5), c’est parce que son adresse au tir est revenue au meilleur des moments. Il terme ainsi la série avec 54 % de réussite au tir, dont 69 % à trois-points (dont un 4/5 dans le game 4, remporté à l’arraché 112-109), et avec un TS% de 62,9. Alors que Detroit brillait jusqu’ici par l’homogénéité de son effectif, son franchise player a pris les clés du camion durant cinq rencontres. Pour le plus grand plaisir de tout le Michigan, qui réalise le back-to-back (4-1).
Fort logiquement, Isiah Thomas sera nommé MVP des Finales 1990. Signe que même à l’issue d’une saison parfois plus compliquée individuellement, la superstar est présente au moment idoine. Qu’est-ce que nous disions, à propos du cœur du champion ?
Le générique de fin
A l’issue de la saison 1989-90, Isiah Thomas a donc tout gagné, ou presque. Collectivement, il ne lui manque que le titre de champion Olympique. Si nous reparlerons ci-dessous des JO de 1992, il faut savoir que l’Histoire entre Thomas et son équipe nationale est placée sous le sceau de la malchance. Sélectionné pour disputer les JO de 1980, il ne pourra pas défendre les couleurs de son pays, les USA ayant boycotté les olympiades moscovites. Après avoir subi l’affront de 1992, il était sélectionné pour disputer les mondiaux de 1994, qu’il regardera à la télévision, fauché par une blessure.
Individuellement, il ne lui manque que le titre de MVP, qu’il ne gagnera jamais. Il faut dire que sa carrière arrive tout doucement vers son crépuscule, bien que le lutin n’ait que 29 ans. Il se blessera pour la première fois de sa carrière au milieu de la saison 1990-91, et ne jouera que 48 matchs de saison régulière. Il reviendra pour les playoffs, où les Pistons iront – encore – en finale de conférence. Ils tomberont cette-fois ci contre des Bulls inarrêtables, et seront sweepés.
Dignes de leur surnom de “Bad Boys”, les Pistons ne serreront pas la main des joueurs des Bulls à l’issue du game 4, à l’exception de Joe Dumars et de John Salley. Il quittèrent ainsi le terrain à 8 secondes du terme. Un geste, dont l’idée vint de l’esprit fertile de Bill Laimbeer, qu’Isiah Thomas semble regretter aujourd’hui :
“Si je le regrette ? Absolument. En regardant en arrière, nous aurions dû être plus sobres“.
La saison suivante pourrait se résumer à deux rencontres. Celle du 15 novembre 1991 contre le Jazz, tout d’abord. Isiah Thomas mange littéralement John Stockton, en lui claquant 44 points sur le museau, à 15/22 au tir. Les Pistons l’emporteront (+8). Thomas avait un contentieux personnel avec Stockton, celui-ci ayant été retenu pour participer aux Jeux Olympiques de Barcelone (Dream Team 1992), aux dépens de Zeke (confer ci-dessous). Et ça, le lutin des Pistons eu du mal à le digérer.
La seconde rencontre à retenir s’est déroulée un mois plus tard, sur le parquet du Jazz. Karl Malone, qui n’était jamais le dernier pour distribuer des coups, s’est mis en tête de “venger” son meneur. Dès lors, lorsqu’Isiah Thomas pénétra dans la raquette, Malone l’attendait, coude en avant.
40 points de sutures pour le meneur des Pistons, qui ratera une quinzaine de jours de compétition.
Il terminera sa carrière en 1994, après 13 saisons passées sous les couleurs bleu et rouge des Pistons. Une retraite précipitée par une blessure au tendon d’achille en avril 1994. Il aura été All-star lors de ses douze premières saisons. Aujourd’hui encore, il est le meilleur Pistons de l’Histoire, en points, passes décisives, interceptions et matchs disputés. Disons-le : il est le meilleur Pistons de l’Histoire, tout simplement.
La liste de ses accomplissements est bien plus longue que ses bras :
- Hall-of-Famer, intronisé en 2000,
- Membre des 50 greatest,
- Double champion NBA,
- All-Star, à douze reprises pour ses douze premières saisons,
- All-NBA Team, à cinq reprises, dont trois fois dans la première équipe,
- MVP des finales, en 1990,
- Double MVP du All-star Game, en 1984 et 1986,
- Meilleur passeur de la saison 1984 – 1985,
- Neuvième passeur le plus productif de l’Histoire (9 061 passes),
- Cinquième meilleure moyenne de passe de l’Histoire (9,26 par rencontre),
- Meilleur joueur de l’Histoire des Pistons,
- Maillot retiré : numéro 11,
- Top 5 des meilleurs meneurs de l’Histoire (en prenant très large).
Il est un aspect du joueur que fut Isiah Thomas dont nous n’avons pas réellement parlé : sa qualité de meneur d’hommes, de général en chef. Celle-ci va de paire avec la mauvaise réputation qui lui collait à la peau, et qui eue, pour lui, des conséquences fâcheuses.
Crédits et hommages
Nous avons mis en lumière l’exceptionnel joueur que fut Isiah Thomas. Néanmoins, sa carrière fut émaillée par des paroles, des actions, qui lui ont porté préjudice. Son premier “coup d’éclat” se déroule au All-Star Game 1985, où il fut accusé d’avoir organisé le “freeze” de Michael Jordan. Au cours de la rencontre, Jordan ne tenta que 9 tirs … puisqu’il semblerait bien que ses coéquipiers du soir ne lui passaient jamais la balle. S’il n’y eu jamais de confirmation officielle, cette rencontre porta un premier coup à la réputation de Zeke.
Il fit à nouveau reparler de lui en 1987, quand il estima, après l’élimination en finale de conférence, que “s’il avait été noir, Larry Bird n’aurait été qu’un bon joueur parmi tant d’autres”. Une déclaration pas forcément maline, et dont le retour le bâton allait forcément arriver.
S’en suivi le fameux game 4 des Finales de conférence 1991, où les Pistons quittèrent le terrain sans serrer la main des joueurs des Bulls. Une série d’ailleurs marquée par plusieurs incidents, verbaux ou physiques. Plus tard, lorsque Magic Johnson fit part de sa séroposivité, Thomas s’illustra à nouveau par des propos aussi dispensables que maladroits.
Ajoutez à ceci le fait qu’Isiah fut le leader des “Bad Boys“, cette équipe rugueuse (au mieux) à la réputation détestable, et vous comprendrez pourquoi plusieurs joueurs (Michael Jordan, Scottie Pippen, Karl Malone, Larry Bird) ne voulaient pas de lui au sein de la Dream Team 1992, pourtant coachée par Chuck Daly.
Mais plus que cet aspect de sa personnalité, terminons ici en mettant en avant les hommages et les accomplissements “hors terrain” que Zeke reçus et réalisa dans son immense carrière.
Nous mentionnions, en début d’article, les conditions difficiles dans lesquelles Thomas grandit. Elles sont expliquées, en partie, par Rick Majerus, qui tenta de le recruter au sein de la faculté de Marquette :
“Nous voyions la pauvreté, la déchéance, la souffrance, dans le voisinage d’Isiah. Vous alliez là-bas, et vous voyiez ce jeune homme avec son immense sourire. Il était incroyablement optimiste pour quelqu’un qui avait vécu dans la misère”.
Optimiste, certes, mais également compétiteur hors pair, au point d’acquérir un second surnom, donné par un coach adverse :
“Je l’appelle “the baby-faced assassin”, parce qu’il te sourit avant de te planter”.
Enfant de la rue, Thomas s’engagea pour la scolarisation des plus démunis, en leur payant les frais d’inscription, dès 1987. Il créa, la même année, le “No Crime Day” à Detroit, après les incidents qui frappèrent la ville à l’été 1986. Pour ses actions en dehors du terrain, il reçu d’ailleurs le J. Walter Kennedy Citizenship Award, trophée qui récompense un joueur pour les services rendus à la communauté.
Ainsi, Isiah Thomas était bien plus qu’un joueur de basketball. Et plutôt que sa réputation tumultueuse, qu’il ne faut bien entendu pas occulter, nous préférons garder en tête l’image d’un combattant au grand cœur. Celle d’un homme qui aurait tout fait – et qui a tout fait – pour atteindre son objectif :
“Nous n’abandonnions jamais. Nous sentions que nous allions gagner. Ce n’est qu’une bataille de volonté. Tu dois continuellement te demander : qu’est-ce que je suis prêt à sacrifier pour y arriver ?”.
Les précédents épisodes et portraits du Magnéto :