Il y a trois mois, nous vous proposions un focus sur le début de saison surprenant des Suns. Habituée des tréfonds de la NBA, l’équipe de l’Arizona avait réussi à prendre tout le monde de court en surfant sur la dynamique créée par la prise de fonctions de Monty Williams et un recrutement tourné vers l’expérience, après plusieurs années à essayer de reconstruire sans succès. Quasiment tous les signaux étaient au vert et l’optimisme était de mise, restait à voir si celui-ci pouvait survivre à l’enchaînement des rencontres, et aux inévitables épreuves qui attendaient les Suns. Quarante matchs plus tard, une prise de température s’impose.
Commençons par le commencement, avec un coup d’oeil au bilan des Suns à l’heure actuelle. Avec 22 victoires pour 32 défaites, ils occupent la 12e place de la conférence Ouest, dans une sorte de ventre mou où figurent aussi les Spurs, les Pelicans et les Kings. Cela constitue une amélioration significative par rapport à la saison précédente, puisque les Suns affichent d’ores et déjà un nombre de victoires supérieur, mais il est évident que la mécanique s’est grippée après le 7-4 initial. Les Suns sont d’ailleurs dans le dur actuellement, avec 6 défaites sur les 8 derniers matchs, de quoi laisser craindre une nouvelle série noire après celle de 8 revers subie au mois de décembre.
Un retour dans le rang s’est opéré des deux côtés du parquet (17e offensive rating, 18e defensive rating), l’accumulation des matchs permettant de lisser certaines anomalies statistiques et de nous donner une vision plus précise du niveau réel de l’équipe. Du côté des joueurs, Devin Booker est plus que jamais dans la meilleure saison de sa vie avec 26.4 pts (49.6%), 4.2 rbds et 6.3 ast, et sa sélection au match des étoiles, bien que favorisée par la blessure de Damian Lillard, est des plus méritées. Ses deux lieutenants se nomment Kelly Oubre Jr et DeAndre Ayton – on est sur 18 points par soir de part et d’autre – avec Ricky Rubio en chef d’orchestre. Toujours aussi désespérant de maladresse (42% à deux points, vous avez bien lu), l’espagnol n’en demeure pas moins essentiel dans l’organisation du jeu et s’il faut vous convaincre, regardez l’animation offensive des Suns lorsque il est sur le flanc, effet garanti.
Devant ces difficultés, il serait tentant de dire que l’effet “début de saison” a fonctionné à plein régime dans l’Arizona et qu’un retour à la normale est en train de s’opérer, ce qui n’est pas forcément éloigné de la réalité. Il est cependant important d’entrer dans les détails pour discerner ce qui est inquiétant de ce qui ne l’est pas.
Blessures et faiblesse du banc
Ce qui frappe immédiatement lorsque l’on regarde les feuilles de match récentes des Suns, ce sont bien entendu les absences simultanées de Dario Saric, Aron Baynes et Frank Kaminsky, éléments majeurs de la rotation en début de saison. Les trois tauliers de la raquette lors des premières rencontres sont sur le flanc, laissant Williams démuni dans ses rotations avec le seul Ayton comme intérieur de métier. Ce dernier a d’ailleurs connu lui aussi son lot de malchance avec des petites blessures récurrentes à la cheville. Le trou est comblé tant bien que mal par le valeureux Cheick Diallo, qui donne souvent de bonnes minutes mais ne peut pas non plus faire de miracles. Plus généralement, on pourrait croire qu’une malédiction s’est abattue sur le banc des Suns au cours des dernières semaines. En plus des intérieurs cités plus haut, Cam Johnson, Ty Jerome et Tyler Johnson ont également traversé des périodes de convalescence et Rubio a lui aussi tendance à rater un match de temps à autre.
Obligé de faire avec les moyens du bord, Monty Williams réduit sa rotation mais ne peut fuir l’inévitable : sans faire injure à Diallo, Elie Okobo et Jevon Carter, un banc NBA ayant pour colonne vertébrale ces trois joueurs ne peut pas lutter durablement dans cette ligue. Il n’est ainsi pas rare de voir Phoenix prendre de gros éclats dès que plusieurs titulaires sont au repos, ce qui met en exergue le talon d’Achille de cette équipe, à savoir le manque de régularité.
Que ce soit d’un match à l’autre mais également au cours d’une même partie, Phoenix a le don de montrer plusieurs visages, allant du très encourageant au très laid. C’est cette dualité qui permet à la franchise de s’imposer à Boston ou d’en coller 30 aux Mavs puis aux Rockets, tout en enregistrant des défaites inacceptables contre des équipes n’ayant plus rien à jouer cette saison comme les Warriors ou les Pistons. Pour une personne qui ne serait pas spécialement supportrice des Suns, c’est plutôt agréable : tous les scénarios de match sont possibles, et les surprises ne sont donc jamais très loin. En tant que fan, en revanche, ces performances en dent de scie ne peuvent qu’agacer, tant les Suns semblent s’appliquer à briser les bonnes dynamiques qu’ils parviennent à construire. Cela se traduit par des séquences parfois durables où les joueurs de Monty Williams sont incapables de se remettre dans le sens de la marche, enchaînant les mauvais choix et ne sachant pas à quel saint se vouer pour retrouver de leur éclat – Devin Booker finit généralement par endosser le costume du sauveur, mais il est parfois trop tard.
Comme évoqué plus haut, la faiblesse du banc est un facteur important dans cette accumulation de trous d’air. La situation à la mène derrière Rubio est pour le moins floue puisque ni Okobo, ni Carter, ni Jerome, n’ont prouvé qu’ils méritaient le rôle de doublure officielle. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Phoenix a perdu 6 des 8 rencontres ratées par l’espagnol. Les trois joueurs ont chacun leur style de prédilection mais aucun n’a cette capacité à gérer le rythme d’un match, indispensable pour conserver les avances acquises lorsque Rubio était sur le parquet. On ne sait pas si le coach a prévu de se la jouer Whiplash et d’alterner entre les trois jusqu’à ce que l’un d’entre eux soit capable de jouer dans le bon tempo mais à l’heure actuelle, la faiblesse de cette partie de la rotation pose un problème évident. Pour continuer dans les bonnes nouvelles, Ricky Rubio semble accuser le coup physiquement après son été intensif et sa blessure à la cheville, contractée début février, a l’air d’être plus gênante que prévu, ce qui pourrait entraîner de nouvelles indisponibilités ou, a minima, un temps de jeu réduit. L’impact sur le jeu de Phoenix serait assez désastreux.
Enfin un 5 de départ stable ?
Parlons un peu coaching, avec un retour sur les expérimentations pas toujours heureuses de Williams dans ses starting lineups. Le retour de suspension de DeAndre Ayton a donné lieu à une situation assez particulière, Williams ne semblant pas très chaud à l’idée de remettre Aron Baynes sur le banc. Entendons-nous bien, l’Australien a réalisé un début d’exercice au-delà de toutes les espérances et il est l’une des raisons principales du départ spectaculaire des Suns. Cependant, des blessures chroniques sont venues pourrir le déroulement de sa saison et son apport actuel est plus anecdotique, notamment en défense où sa lenteur l’handicape de plus en plus. Cela ne l’a pas empêché d’être maintenu dans le 5, aux côtés d’Ayton dans un premier temps puis carrément à ses dépens par la suite. Même si l’envie de mettre un coup de pied aux fesses du n°1 de la draft 2018 pour le réveiller est tout à fait légitime, le mettre sur la touche au profit d’un role player loin d’être à son meilleur niveau est un pari risqué connaissant le manque de confiance souvent affiché par l’intéressé. La blessure de l’intégralité des intérieurs de l’effectif a au moins eu le mérite de mettre fin à ces tergiversations, en installant définitivement Ayton au poste de pivot titulaire.
Ce n’est d’ailleurs pas le seul point positif à tirer de la désertion momentanée dans la raquette. En effet, devant les absences de Saric et Baynes, Williams a été contraint de se servir de son cerveau se soumettre à la doctrine du small ball en titularisant Mikal Bridges aux côtés de Kelly Oubre, ne jouant ainsi qu’avec un seul vrai intérieur. Défenseur racé, Bridges devient de plus en plus fiable derrière l’arc (35% sur le dernier mois) et nombreux étaient ceux qui souhaitaient voir sa montée en puissance récompensée par une place dans le 5. La malchance a forcé la main de son coach mais celui-ci pourrait bien avoir trouvé son cinq de départ type, tant le quintet Rubio-Booker-Oubre-Bridges-Ayton brille pour le moment, avec un net rating de 15 points sur 100 possessions. Clairement, de belles perspectives s’ouvrent pour la fin de saison si l’on prend en compte l’amélioration potentielle du banc, avec les différents retours de blessure, qui devrait permettre aux titulaires de se reposer sans craindre de voir leur travail réduit à néant en l’espace de quelques minutes.
Ces petits riens qui changent beaucoup de choses
Malgré la progression évidente des Suns dans le jeu, à laquelle il n’est pas étranger, Williams est confronté à plusieurs problèmes qui tardent à se résoudre. En premier lieu, l’utilisation de DeAndre Ayton. Suspendu durant 25 matchs en tout début de saison, le pivot a annoncé qu’il avait profité de ce repos forcé pour activer le mode Netflix et étudier le jeu des principales forces de frappe de la ligue à l’heure actuelle, dans le but de s’inspirer de ce qui se fait de mieux pour devenir le mutant annoncé. Malheureusement, entre sa suspension et des pépins récurrents à la cheville, il a mis beaucoup de temps à lancer sa saison mais on note une réelle montée en puissance depuis 7 matchs (avant de se blesser à nouveau…) avec 22.6 pts et 11.9 rbds. Il a même réalisé l’une de ses meilleures performances face à Nikola Jokic lors de la dernière confrontation entre Suns et Nuggets, preuve de sa capacité à produire même lorsque l’adversaire fait partie de l’élite de la NBA à son poste. Mais ça, on le savait déjà. Pour qu’une réelle progression se fasse sentir et pour que ce genre de performances devienne routinier, Ayton doit absolument prendre conscience de ses qualités, se faire violence et ne plus tergiverser au moment d’appuyer là où ça fait mal.
Un exemple de ce manque d’affirmation criant ? Cette séquence au poste où, alors qu’il a littéralement la possibilité d’éteindre la lignée de James Harden, il se contente d’un tir en crochet à la limite du ridicule, comme s’il cherchait à ne pas se faire remarquer :
Inutile de préciser le niveau de rage que cette décision peut provoquer, à croire que cela tient plus d’un manque de volonté que d’un manque de talent. Ce blocage mental vient entacher les progrès réalisés par Ayton – notamment en défense – et pose des questions quant à la suite de sa carrière. Sa jeunesse plaide encore en sa faveur et cette sombre histoire de suspension n’a certainement pas aidé sur le plan mental. Cependant, les Suns n’ont plus d’espoir de faire les playoffs tout en ayant remporté trop de rencontres pour tanker, ce qui constitue un contexte idéal pour prendre du plaisir et s’attacher à jouer de la bonne manière, sans trop de pression. Peut-être le bon moment pour arrêter de prendre des tirs à mi-distance médiocres et oser dribbler jusqu’au cercle, quitte à perdre un ballon de temps à autre…
Le cas Ayton est particulier mais il est loin d’être le seul Sun à présenter une fragilité mentale. A vrai dire, l’ensemble de l’équipe rencontre des problèmes pour garder la tête froide, notamment dans les moments charnières où une rencontre se joue. A 30 reprises, Phoenix a réussi à tenir son adversaire en respect jusque dans le money time, mais la victoire n’a été au rendez-vous que sur 11 de ces rencontres. On avait évoqué ce manque de qualité dans l’exécution dès notre analyse du début de saison, et Phoenix n’a rien fait pour nous faire mentir par la suite. Entre les ballons cafouillés quand il y a une possession d’écart, les rebonds mal assurés ou les errements défensifs au plus mauvais moment possible, le panel d’erreurs est aussi diversifié qu’affolant. Les statistiques de la franchise dans le quatrième quart-temps sont assez instructives à ce propos. 12e attaque, 4e Pace, 29e défense… autant d’éléments qui donnent une bonne idée de la physionomie des fins de matchs de Phoenix. De la course, du scoring à foison, pas de défense, des possessions rapides, tous les ingrédients pour une bonne fin de match sans aucune maîtrise. La majorité des joueurs présents sur le parquet dans ces moments n’ayant pas l’expérience des fins de rencontre à couteaux tirés, les erreurs pleuvent.
Le chantier est important et même si l’on ne doute pas du travail quotidien de Williams pour solutionner ce problème, il faudra veiller à ce que l’accumulation de défaites de justesse ne crée pas un cercle vicieux, où les coups durs en appellent de nouveaux. Selon tankathon.com, Phoenix a le 8e calendrier le plus difficile à jouer d’ici la fin de saison. Les confrontations avec le gotha de la ligue ne vont pas manquer et ce n’est absolument pas le moment de se laisser abattre par quelques défaites “injustes” et de démissionner, comme les Suns ont pu le faire récemment lors de certaines performances indignes. Les espoirs de playoffs sont envolés et l’enchaînement des rencontres, entre malchance et réelles faiblesses, a montré qu’il y avait encore beaucoup de travail. Avec le retard accumulé durant toutes ces années de galère, rien d’étonnant. Il reste 27 matchs, 27 occasions pour les Suns de parfaire leur alchimie et de gommer une partie de leurs défauts dans un contexte très compétitif mais aussi propice à toutes les expérimentations. Le leitmotiv n’a pas changé depuis des mois : si vous prenez du plaisir, messieurs, le notre ne sera pas loin. Bonne fin de saison.