A l’approche de Jeux Olympiques historiques à Paris pour cet été 2024, QIBasket vous propose de revenir sur l’incroyable histoires des équipes de France féminines et masculines à travers deux séries d’articles. Pour l’épisode 1 sur l’équipe masculine, c’est par ici !
Episode 1 : Les pionnières du basket (1893-1927)
Senda Berenson, l’autre créatrice du Basket
Lorsque la Coupe du Monde de football féminine eut lieu en France en juin 2019, le succès fut inévitablement au rendez-vous, à la fois pour de bonnes et de mauvaises raisons. Le foot féminin brisait le plafond de verre, mais il fallu attendre la décennie 2010 pour enfin voir ce phénomène. Au basket, il n’en est rien, le basket n’a pas de sexe, il appartient à tous et à toutes, et depuis sa naissance, les femmes y sont présentes, et nous pouvons nous en vanter, car oui, les admirateurs de basket n’ont pas attendu les temps modernes pour porter en effigie les joueuses qui ont dominé le jeu, et celles qui le dominent aujourd’hui. Le créateur du basket, James Naismith, était-il visionnaire sur l’universalité de ce sport ? Quoi qu’il en soit, l’une des premières photos de lui et de son invention sportive, fut bien prise en compagnie de sa femme, Maude Evelyn Shermank, qu’il épousa un an après avoir créé le basket. Qu’est-ce qu’une simple photo ? Celle-ci était lourde de sens : on montrait, dès les anciens temps, que les femmes pouvaient pratiquer ce sport.
Et le ballon orange arriva très vite dans les mains des femmes. A vrai dire, se sont même les femmes qui vont s’en emparer. Qibasket vous avait déjà décrit comment le basket-ball se développa par le biais des activités organisées par la YMCA, à Springfield, dans le Massachussets, et comment il s’exporta en Europe et dans la Rue de Trévise à Paris, où il demeure encore. Le réseau de la YMCA sera toujours la clé de la diffusion du basket-ball. Alors que le Springfield College fait entrer le basket dans le monde, l’enseignante Senda Berenson, va devenir, par un fruit du hasard et des circonstances, l’alter ego de James Naismith en faisant le vase communiquant entre les hommes et les femmes.
Berenson, était, comme Naismith, une adhérente de la YMCA, et comme Naismith, elle était en recherche d’idées novatrices en termes d’activités sportives pour ses étudiantes du Smith College de Northampton dans le Massachussets. Après quelques tentatives d’introduction à la gymnastique, Berenson est mise au fait de l’arrivée du Basket dans les activités sportives à Springfield par le biais de la revue de la YMCA et de sa section “activités physiques”. Le virus est attrapé par l’enseignante, qui propose à ses étudiantes de se lancer, d’autant qu’aucune activité collective n’avait été encore mise au test. Et le basket devint alors un succès au delà des barrières du sexe. La pudeur étant de mise dans la société d’époque, le basket était le sport parfait, car joué en intérieur, en portes closes, loin des jugements masculins et misogynes. Basket-retro.com confirme cette idée :
“Le basket-ball a connu un immense succès chez les femmes dès ses débuts. Etant le seul sport collectif majeur américain à ne pas se reposer principalement sur la force, cela permet aux femmes d’y jouer sans jugement social dès 1893 et jusqu’au milieu des années 1920”.
L’accès aux femmes à ce sport était une avancée qui distinguait le basket. Cela étant, on verra très rapidement que la question de la pudeur disparaîtra très rapidement dans les années à venir, un autre signe de l’ouverture d’esprit de ce sport ?
Au delà des sexes et des frontières
Bien que Berenson, pionnière du basket, ait implanté le sport dans son école, elle en changea drastiquement la formule. Jugeant les contacts trop fréquents, l’enseignante proposa des évolutions en phase avec ses élèves : d’abord, on joue à 6 vs 6 (voir même 7 !), ajoutant, dans certains cas, un 3e panier ! Ensuite, les joueuses sont réparties sur des zones identifiées du terrains, sans pouvoir les quitter. Elle propose également de limiter le dribble à trois, et avec trois secondes pour enchaîner la passe. Sauf que ces règles arriveront plus tard chez les garçons ! Dans un incroyable témoignage de 1901, retrouvé par basket-retro.com, un français en déplacement au Canada se retrouve spectateur improvisé d’un match : “Sur la pelouse d’une terrasse bien nivelée, à mi-chemin des hauteurs boisées (…), les joueuses de basket-ball, sept contre sept, se disputent la balle au bond”. Berenson parvenait ainsi à moderniser le basket de son propre chef. En 1905, elle sera à la tête du USA Basket-ball comitee pour parfaire ses règles. Au final, on rebaptisera le Basket-ball féminin en “Netball”, un terme qui restera présent en Amérique pendant des décennies !
Mais entre-temps, le basket-ball féminin avait déjà traversé l’Atlantique, sous quelle formule ? Dès 1892, le premier match de basket-ball féminin avait eu lieu à Springfield, et dès 1893, en France, mais aussi en Angleterre, les membres de la YMCA vinrent présenter le sport comme “le jeu favoris des jeunes filles” : “David Rideout, qui est passé plusieurs fois en Angleterre pour présenter le basket, introduit dans ce pays, par un certain Hart, comme une activité féminine”. (Gérard Bosc, L’histoire du Basket français – Tome I). Vous avez bien entendu, le basket-ball était en réalité présenté comme une activité féminine. Une photo des écolières de Dartford jouant au basket, parue en 1899, en témoignait. Et en quelques mois, les femmes pouvaient pratiquer le basket, ou du moins la “Balle au panier” d’ores-et-déjà dans plusieurs pays du monde. Il restait alors à structurer.
Alice Milliat, l’Apôtre du sport féminin.
Comme pour les garçons, et comme durant la série précédente sur l’équipe de France masculine, nous avions parlé de cette longue mise en connexion du basket avec la société, civile et sportive, avant que des instances officielles ne voient le jour pour enfin aboutir à l’idée d’un basket-ball français. Chez les hommes, il faudra passer les étapes les unes après les autres, pour aboutir à un match plus ou moins officiel en 1919 au stade Pershing (Parc de Vincennes) avec une équipe au nom de “France”, mais c’est bien plus tard qu’une équipe internationale sera mise en place.
Or, pour les femmes, en dépit du bon départ dans le monde du basket, il faudra se battre. Et c’est là qu’intervint Alice Milliat. Alice, aujourd’hui, repose dans un cimetière du sud de Nantes, dans une tombe ne portant pas son nom, mais qu’importe ce semi-anonymat, son héritage vit encore. La résidence universitaire de mon ancien Campus porte son nom, mais surtout, Milliat va permettre au travail de Senda Berenson de se prolonger en France, avec une détermination qui lui vaudra le surnom “d’Apôtre du basket féminin”. Alors que le basket-ball féminin se limite encore aux activités décidées par la YMCA, l’association commence à sortir du dogme protestant et à s’ouvrir à la société, de son côté, Milliat va donner au sport féminin, le cadre dont il avait besoin.
L’arrivée de la Fédération Sportive Féminine
Cela commence quelques années après l’arrivée du basket en France, à partir de 1912. Les clubs “Fémina”, et “En Avant” n’hésitent pas à se lancer dans la promotion du sport pour les femmes : “Le mouvement féministe, à l’aube de son existence n’est pas en reste: l’éphémère revue “Fémina” (à distinguer du club) publie des photos de jeunes filles s’exerçant au basket et l’association féminine d’éducation physique d’obédience laïque suggère par l’intermédiaire de Mademoiselle Chauveau la pratique du basket pour les femmes” (Gérard Bosc, Histoire du Basket français – Tome I, p18).
Alors que les matchs de basket féminins se multiplient autour de Paris et du côté de Saint-Maur notamment, il faut réussir, comme le montre la dernière citation, à laïciser le basket pour le faire sortir de sa zone religieuse dans lequel il a longtemps baigné. C’est là qu’Alice Milliat joua un rôle déterminant en participant à la création de la Fédération Sportive Féminine. Les clubs Femina et En Avant avaient subi l’omniprésence du contexte de guerre à partir de 1914. Milliat profita donc de la fin de la guerre pour relancer le projet de Fédération Sportive Féminine, dont elle va prendre la Présidence dès 1917 !
Un championnat de France dès 1920 !
Et l’équipe de France dans tout ça ? Sans vivier de joueuses, elle ne peut se créer tout de suite. Sauf que contrairement aux garçons où la Fédération va prendre une grande patience à tout mettre en place, c’est dès l’année 1920 que les travaux de Milliat et de la fédération portent leurs fruits, avec un premier championnat de France de Basket-ball féminin ! Evidemment, le nombre d’équipes y fut limité et ce furent les filles d’HEC qui prirent l’avantage devant Fémina. Le score ? ““Le Miroir des Sports” qui publie le reportage sur l’événement le 21 octobre 1920 ne le signale pas“.(Gérard Bosc, Histoire du Basket français – Tome I, p22).
Les matchs ultimes se jouent à Vincennes, dans le fameux stade Pershing où les soldats français et américains s’étaient affrontés en 1919. L’année suivante, en 1921, ce sont les filles du FC Haguenau qui l’emportent, et puis le championnat commence déjà à susciter un certain intérêt, par ses rivalités naissantes (entre Paris et l’Alsace notamment), et auprès de la presse, notamment lorsque celle-ci nous rapporte l’histoire d’une certaine “Mademoiselle Leveque (Les Sportives) qui établit (ou bat?) le record du monde de “lancer de balle au panier de basket-ball” en expédiant l’engin à 18.25m. Il fallait le signaler.” (Gérard Bosc, Histoire du Basket français – Tome I, p22). Une descendante de Stephen Curry peut-être ?
Quoi qu’il en soit, le travail d’Alice Milliat est remarquable d’efficacité, et à Paris, en 1922, ils sont 20 000 personnes dans le stade Pershing pour les Jeux Mondiaux d’Athlétisme organisés par les Fédérations Sportives françaises. L’objectif de Milliat ? : “Forcer le CIO à admettre les épreuves féminines aux Jeux Olympiques (…) le CIO va admettre progressivement et avec une certaine réticence, les femmes aux Jeux Olympiques.” (La Grande Histoire du Basket Français, l’Equipe, p77). Car le travail de Milliat ne se réserve pas qu’au seul basket, mais à tous les sports praticables et pratiqués par les femmes.
L’équipe de France Féminine voit le jour dès 1923 !
Alors que les hommes peinent à trouver la bonne structuration, et surtout le bon vivier (car on en est encore aux luttes pour savoir si un sport est bourgeois ou prolétaire) les filles elles, jouent jusqu’à des matchs de gala. Et c’est bien à Monte Carlo, lors d’Olympiades Féminine érigées par la festive cité, que notre équipe de France féminine va enfin pouvoir fouler les parquets (même si le basket ne se joue pas sur des parquets à l’époque, mais bref !).
Gérard Bosc nous donne le nom de nos pionnières : Walter, Jousselin, Spiess et les soeurs Puisais, faisant partie de ce que Bosc nomme “L’élite parisienne”. (Gérard Bosc, Histoire du Basket français – Tome I, p21). Cette équipe de France montre les muscles très rapidement, car elle vaincra l’Italie 47 à 3 puis l’Angleterre 19 à 1. L’histoire s’était élancée, et un an plus tard, ce sont les basketteuses (ou Netballeuse ?) canadiennes d’Edmonton qui viendront se mesurer aux françaises.
En tout juste 8 ans, Alice Milliat a réussi son pari, le championnat de France féminin est déjà devenu une belle compétition qui s’est exportée rapidement au delà de Paris, créant des rivalités, et fournissant d’ores-et-déjà un vivier de joueuses prêtes pour affronter des formations internationales dans des tournois. Mais cela ne suffira pas, et très rapidement, l’équipe de France féminine de basket va montrer qu’elle est aussi et surtout là pour gagner, bien avant que les garçons ne se livrent à leurs premières batailles, qui n’aboutiront à une médaille d’Or que près d’un siècle plus tard, les filles, elles, seront les championnes avant l’heure.
Prochain épisode :
Championnes avant l’heure (1928-1939)