Le changement c’est maintenant ? La NBA semble prendre des directions nouvelles depuis plusieurs années, et cette dynamique semble s’accélérer depuis quelques mois, sous la houlette du NBA Comissionner, Adam Silver, qui a pris les reines de la ligue en 2014, en remplacement de notre bien aimé David Stern. Oui mais voilà, depuis son entrée en fonction, Silver a marqué une rupture nette avec l’impérieux Stern qui avait solidifié la place de la NBA, construit et confirmé sa manière d’exister, d’être, et son organisation, ses enjeux. Silver, lui, a finalement tout remis sur la table, au point même où l’on se demande si le Commissaire n’abuse pas un peu de la “changonîte“. Attention, tout n’est pas à jeter. Mais quand on souhaite changer les choses, on doit savoir ce que l’on change, pourquoi, et dans quelle optique. Or, les raisons actuelles semblent avant tout très court-termistes et quand on découvre jusqu’où il est prêt à aller, on a un peu de quoi s’inquiéter.
Changer la NBA, pourquoi faire ?
Car quand on parle de changement, il y a trois catégories : le changement nécessaire, reconnu et admis comme devant arrivé, le changement naturel, par comportement, qui se fait de lui-même, et le changement décidé qui, parfois, est sujet à l’inutilité, en somme, changer pour changer, ou changer pour un intérêt autre que celui d’une cause. Des exemples ? Oui m’sieur, j’en ai :
1-Le jeu qui fait petit à petit disparaître les big men au profit du small ball, c’est un changement naturel, c’est une dynamique. C’est un peu venu de soi-même on va dire.
2-Le retour au format 2-2-1-1-1 en lieu et place du 2-3-2 en finales NBA, c’est un changement nécessaire, du fait d’un besoin de rééquilibrer les confrontations. C’était un choix justifié, justifiable.
3-La création d’un nouveau format de ballon pour la saison 2005-06, c’est un changement décidé, pour changer. Et six mois plus tard, face aux critiques, il fallu revenir au modèle classique du ballon de basket.
Qu’est-ce qui a déjà changé ?
Sponsoring : La plus grosse, la plus visible des évolutions d’Adam Silver, c’est évidemment les sponsors sur les maillots. Avancée sans intérêt pour certains, véritable blasphème pour d’autres, l’arrivée des marques publicitaires sur les uniformes de la ligue n’a pas manqué de drastiquement changé le perçu visuel des matchs, des actions et de l’habillage des joueurs et de la ligue, et bien entendu leur image. Si l’apport du logo Nike sur l’ensemble des maillots était à la limite tolérable, car sobre et déjà présent sur les produits marketing comme le furent Adidas ou Champions, en leurs temps, Adam Silver n’a pas hésité à brader le trône du logo de la NBA, fièrement placé sur l’épaule gauche des maillots, pour le replacer discrètement dans le dos. L’impact visuel est clair et net et Silver envoie un message qui l’est tout autant : le logo de la NBA ? On le met derrière. Les logos alternatifs des franchises placé au dos ? Dehors. Difficile de ne pas grincer des dents, surtout quand General Electric vient faire un bon gros plan social juste après avoir signé son contrat de sponsoring avec les Celtics… et surtout, la ligue devient la seule ligue américaine masculine professionnelle à instaurer ces sponsors… Avouez qu’on n’imagine pas particulièrement Adam Silver justifier ce changement historique par un manque de trésorerie… Par ailleurs, nous parlons des maillots, mais les parquets aussi commencent à se faire envahir.
All-Star Game : Autre changement majeur : le All-Star Game. Après avoir tenté de trouver des formules à tout va pour les concours de dunks et à trois points, la NBA version Silver va finalement réussir à stabiliser ces modes de compétitions, merci au Slam Dunk Contest de 2016 au passage qui a su faire comprendre à la Direction qu’il fallait rester sur une compétition classique. Je rappelle que les tentatives d’oppositions Est vs Ouest avec des trio de dunkeurs font encore les cauchemars des fans NBA dans le monde entier. Mais c’est aussi et bien sûr, surtout, la fin de l’opposition Est vs Ouest, pour des Team A vs Team B avec une draft. Sauf que ce changement, au final, ne semble pas améliorer, ou alors trop peu, le manque d’intérêt que le All-Star Game a fini par provoquer du fait de son absence totale de défense et d’investissement. On n’est pas la Direction de la ligue, mais resserrer la visse aux joueurs n’aurait-il pas suffit plutôt que de tout chambouler ? Regardez n’importe-quel All-Star Game avant 2005, vous verrez des joueurs qui font leur 82 matchs et qui défendent quand même pendant le Match des étoiles.
Pratique du basket : La tolérance envers les marchés. On en est à un point où la ligue a du modifier son règlement pour excuser le fait que certains joueurs peuvent faire, plus ou moins, un pas de plus. Mais, par contraste avec une ligue où la défense de zone était interdite sous Stern, pendant plusieurs années, la NBA d’Adam Silver ne manque plus de susciter l’étonnement des commentateurs, des fans, notamment européens, tant la tolérance aux marchés est de plus en plus visible, mais surtout incompréhensible, et particulièrement lorsqu’il s’agit de certaines tête de gondoles de la NBA. Si Silver n’est pas responsable du manque de vision des arbitres, on pourrait se demander à quel moment le patron va taper du poing sur la table pour dire que le basket a certaines règles, et que même quand on veut être flexible, faire jusqu’à huit ou neuf pas sans dribble, c’est une aberration, quoi qu’on en pense.
Logos : Enfin, le fan NBA ne peut pas ignorer la mise à mort de certains symboles : les logos des playoffs, des finals sur les parquets, la multiplication des maillots (jusqu’à 20 pour certaines franchises !), l’arrivée des maillots à manches, heureusement interrompues par la fin du contrat entre la ligue et Adidas, la fin de la pratique du “blanc domicile, couleur extérieur” pour les tenues… Ces choses étaient une part de l’identité de la ligue. Grâce à ces petits détails, le fan pouvait identifier le match, le lieu, l’époque, il pouvait parfaire sa connaissance de la compétition et ainsi mieux la comprendre, mieux la suivre. Pour les jeunes générations, cela est possiblement anodin, mais pour ceux qui ont connu les années 80, 90 et 2000, la fin de ces symboles a clairement enlevé une certaine authenticité au plaisir de suivre la NBA.
Emploi : Impossible enfin de ne pas mentionner la toute puissance du joueur désormais dans les plans de carrière. Nous avons aujourd’hui une ligue ou les franchises n’ont aucune garantie de pérennité de leurs projet. Vous pouvez être champion NBA et perdre votre meilleur joueur, MVP des finals, qui n’est resté qu’un an. Vous pouvez concentrer toutes les stars sur deux ou trois saisons, et voir tout le monde partir rapidement juste après. Vous pouvez créer un big-three, une superteam ici, épuiser le potentiel de victoire, puis aller ailleurs dans une autre franchise et refaire le même schéma. Le joueur a, aujourd’hui, tous les pouvoirs en NBA. Nul n’est à l’abris et même les franchises qui peuvent offrir des cadres durables peuvent tout à fait disparaître de la carte des top seed de la NBA le lendemain. Rarement aura-t-on vu autant de top players vadrouiller dans tous les sens. On peut citer comme point de départ la mobilité de Dwight Howard, mais l’exemple le plus fort est Kawhi Leonard bien sûr, mais aussi Paul George, Kyrie Irving etc. Autre exemple de la toute puissance du joueur : l’impact dans la durée qu’aura eu le transfert d’Anthony Davis des Pelicans aux Lakers… Là encore, si Silver n’est pas responsable (le dernier CBA date de l’époque de Stern), on se demande si un certain “rappel à l’ordre” n’était pas nécessaire face à cette pagaille.
Qu’est-ce qui peut changer ?
Réduire la saison régulière : C’est là où les choses deviennent plus inquiétante. On évoque désormais des changements sur la structure même de la saison. Le rallongement de celle-ci de 15 jours n’est pas particulièrement choquant. Il faut se rappeler que, depuis 2012, et notamment entre 2012 et 2017, la NBA a subi une hécatombe de blessures, au point de rendre des finals totalement biaisées. Mais désormais on annonce de réduire le nombre de match de 82 à 78. On pourrait essayer de comprendre, de justifier, mais de prime abord, quelle différence formulerait un tel choix ? Pourquoi 78 ? Pourquoi seulement quatre matchs ? Quand on sait que les joueurs sont loin de jouer 100% des parties de toute manière, surtout avec l’apparition du load management. Cela ne résoudra pas les questions de présence en salle, et risquerait même d’augmenter les prix.
Tournois : L’autre innovation forte voulue par Silver, c’est l’arrivée d’une sorte de tournoi en milieu de saison. Là encore, on a un grand mal à comprendre la raison, puisque l’idée est, à la base, de réduire le nombre de matchs joués. La formule proposée était difficile à imaginer dans le quotidien de la NBA, avec des fenêtres de matchs, une finale à Vegas, une prime pour les joueurs… Au final, on craint surtout que cela ne soit une raison de sponsoring avant tout, puisqu’Adam Silver lui-même a indiqué s’inspirer du football européen pour cette proposition. Or, rappelez-vous que les sponsors et maillots diffèrent dans le football durant les coupes. Quant à donner plus de primes aux joueurs, quel intérêt pour le fan ? En somme, si l’on ne dit pas forcément non à l’idée d’une forme de compétition innovante en NBA, on a du mal à croire au bien fondé et à la justification réelle d’une telle proposition. Et puis, attention aussi à l’effet “Coupe de la ligue” dirons-nous. Certaines franchises n’hésiteront probablement pas à sacrifier une compétition qui n’apporte rien, pour ne pas fatiguer leurs joueurs.
Playoffs : La question des playoffs a également été évoquée. La première idée fut que les tops 6 de chaque conférence seraient garantis de jouer les playoffs, tandis que les places 7 et 8 seraient désormais sujettes à un pré-tournois. Cette idée ne choque pas particulièrement, car les formats de playoffs ont toujours été modulés avec le temps, et dans une ligue à trente équipes, dont beaucoup cultivent les choux dans les bas-fonds des classements depuis longtemps (*tousse tousse* Knicks *tousse tousse* *clin d’oeil*). Il fut même une époque où le format actuel de la WNBA était celui de la NBA. Mais là encore, si l’idée est de réduire le nombre de matchs, pourquoi ajouter un tour supplémentaire de playoffs afin de permettre à des équipes épuisée par une première série d’affronter les tête de séries toutes fraîches et prête à écrabouiller leurs adversaires ? Si l’idée est de rendre le premier tour des playoffs plus intéressant, au contraire, le tour préliminaire ou le premier tour vont justement être victimes d’un manque d’attrait.
Final four : Autre réforme choc d’Adam Silver, la fin des finales de conférences et l’arrivée d’un modèle de Final Four, comme en NCAA ou en Euroleague. La formule du Final Four est clairement très attirante et excitante… en NCAA et en Euroleague. Mais la NBA n’a jamais grandi dans ce modèle-ci. Alors oui, on se la joue grincheux, mais là encore, ce changement ne serait pas prolifique : il vexera les fans de ne pas pouvoir supporter chez eux leurs franchises au cours des manches à 7, il apportera une augmentation des tarifs de diffusions, et des places, il entrera en conflit avec la tradition des 7 manches qui permet souvent de faire émerger un véritable vainqueur. Certains joueurs alternent le bon et le mauvais d’un match à l’autre, mais les belles histoires de la NBA sont justement celles de ces hommes qui relèvent la tête aux matchs suivants. En soi, le Final Four n’est pas une mauvaise idée, il n’est juste pas l’identité de la NBA. Enfin, jouer une finale NBA en un match serait totalement catastrophique pour les fans, sur le plan des statistiques et de l’image de la ligue elle-même. On bannirait le fan local pour une seule et unique rencontre jouée sur terrain neutre avec que des privilégiés ? Imaginez la polémique du prix des places du NBA Paris à l’échelle américaine… Là, on crie danger, et les franchises aussi.
Alors réformer, c’est bien, mais dans le cas de la NBA, il ne faut pas sous-estimer le traditionalisme qui reste un courant fort et un vecteur de stabilité, mais aussi de valorisation des acquis et des exploits de la NBA. Si l’on réduit le nombre de matchs, change les formules, alors certaines comparaisons, certains impacts ne seront plus mesurables. Comment jugerons nous les meilleurs joueurs du monde et la qualité de leurs performances à l’avenir si ils jouent moins de match que Russel, Magic, Jordan, Kobe, LeBron ? Comment pourront nous admettre leurs dominations dans leurs conférences et dans l’histoire des conférences si celles-ci sont altérées ou même disparaissent.
Faire évoluer la NBA, pourquoi pas ? Mais une simple baisse d’audience, comme il y en eu autrefois, ne doit pas non-plus justifier à changer jusqu’à la formule de la ligue la plus populaire du monde, car aucun changement de formule n’a plus de garantie qu’une continuité, au final. Si l’audience baisse, n’est-ce pas aussi qu’à force de vouloir tout changer, on finit par faire décrocher ceux qui vous suivent. Adam Silver, par son sur-réformisme, sous-estime grandement la force et le charisme de la NBA dans le coeur des fans et son impact mondial.
L’Euroleague, la Pro A ont changé leurs formules une bonne dizaine de fois, ça n’a jamais fait décoller les audiences d’une traite. En revanche, des équipes performantes, du beau jeu et… de la défense ? Voilà ce que les fans retiennent d’abord, en lieu et place du load management et des crises de tampering de certaines individualités.