Ça gagne du nouveau au pays d’Elvis, et le moins que l’on puisse dire, c’est que ça surprend beaucoup de monde ! Autant dire que quand tu trades Mike Conley à l’été, Marc Gasol à la trade-deadline de la saison dernière et que tu changes entièrement de management et de coaching staff, personne ne s’attendait à ce que les oursons retrouvent le goût de la victoire aussi tôt. Une page historique est tournée, une autre, plutôt enthousiasmante, s’ouvre.
Loin du Grint And Grind qui a marqué toute une époque, la nouvelle décennie semble apporter un air de révolution basketballistique du côté de Memphis. Fini, la technique au post de Z-Bo, ou la protection de cercle et le passing poste bas et haut de Marc Gasol, fini le « glue defense » et le hustle de Tony Allen ou encore la gestion millimétrée du tempo par Mike Conley. Place à une des paces les plus élévées de la ligue (la 4è, à 103,2) et aux actions spectaculaires d’une jeune équipe, très prometteuse, portée par un rookie stratosphérique en la personne de Ja Morant.
Plusieurs facteurs rentrent en compte lorsqu’on essaye d’aborder le cas très intriguant des Memphis Grizzlies, mais sans le choix de Ja Morant lors de la draft 2019 en 2è position juste derrière l’autre phénomène, Zion Williamson, rien ne serait pareil.
Just Amazing, Morant : un petit portrait vite-fait
18 points, 3.5 rebonds, 6.9 passes décisives comme moyenne sur la première partie de saison et un leadership qui transpire de sa présence sur le terrain : non on ne parle ni de Chris Paul, ni de Kyle Lowry ou de Jrue Holiday mais bien de Ja “Just Amazing” Morant, le nouveau meneur de 20 ans des Memphis Grizzlies.
Pourtant très bien placé sur la majorité des mocks drafts après ses performances XXL en NCAA, personne ne prévoyait un impact aussi immédiat de l’ex-alumni de Murray State, surtout quand ce dernier arrive dans une franchise qui vient tout juste de commencer une reconstruction, à tous les niveaux. L’impact de Ja Morant transcende, et de loin, l’effet de hype souvent attendu autour d’un jeune joueur spectaculaire.
D’entrée, il s’est vu donner les clés d’une franchise, et malgré son manque d’expérience, Morant arrive à gérer la boutique avec une maîtrise digne des grands meneurs. Pour un usage rate de 27.8% (le plus haut parmi les rookies), Ja Morant est la plaque tournante d’une équipe qui carbure de mieux en mieux sur le plan offensif.
Tantôt employé en isolation, tantôt sur pick and roll, le meneur présente une facilité déconcertante à déstabiliser son adversaire direct avec un premier pas très rapide et un « handle » déjà dans le top 5 de la ligue selon plusieurs observateurs. Il enclenche de ce fait, systématiquement des rotations défensives, et avec sa vision du jeu déjà excellente pour son âge, il arrive à souvent prendre la bonne décision. Soit à la finition au cercle en dunk ou layups même avec contact (il n’hésite d’ailleurs pas à nous gâter de sa panoplie de dunks/layups à chaque occasion), soit à la passe : qu’il s’agisse de trouver son intérieur avec des « pocket pass » très courtes derrière l’écran – comprenez dans l’infime espace qui se créé après que l’intérieur ait roulé -, de passes sous le cercle après pénétration, ou encore des lobs millimétrés pour Valanciunas, Jaren Jackson, Clarke et co…
Cependant, là où le rookie impressionne le plus c’est dans sa gestion du tempo. Avec des lineups très opposées entre des jeunes qui adorent courir et des vétérans qui préfèrent un jeu plus posé, il arrive très vite à s’adapter et changer de rythme. Avoir un jeune meneur athlétique, au jeu spectaculaire, c’est une qualité certes, mais quand ce dernier est aussi capable de jouer avec son cerveau et de faire preuve d’une vraie maturité aussi tôt, c’est un réel atout.
De plus, le jeune homme a le gêne du clutch et n’a pas peur – alors là, pas du tout – d’affirmer sa présence dans les rencontres très disputées. S’il laisse souvent le jeu venir à lui, avec une sérénité et une assurance digne des plus grands joueurs, Jamel – de son vrai prénom – n’hésite pas à prendre le match à son compte lors du 4è quart-temps. Et si en face, c’est une superstar, ce n’est que du bonus. Ses fins de matchs victorieuses face à Kyrie Irving (Brooklyn) en début de saison et face à James Harden (Houston) plus récemment peuvent facilement en témoigner.
La mayonnaise Jeunes-Vétérans prend forme
Si les Grizzlies sont aussi surprenants, non seulement au niveau des résultats acquis jusque-là, mais surtout en termes d’identité et de fond de jeu, ce serait vite partir en besogne d’affirmer qu’il y’a seulement le facteur Ja Morant qui y contribue, malgré sa prépondérance.
En effet, la recette cuisinée par le nouveau front office de Memphis, en donnant la clé de la franchise à un meneur talentueux tout en l’entourant d’un mélange entre autres pièces jeunes prometteuses et des vétérans « role players » efficaces, en est pour beaucoup. Des garçons comme Jaren Jackson Jr, Dillon Brooks, Brandon Clarke ou encore DeAnthony Melton progressent de match en match et prouvent leur mérite d’être des pièces importantes dans une rotation NBA.
Jackson Jr, après avoir montré des flashs de son potentiel lors de sa première année, est de plus en plus régulier des deux côtés du terrain. Il endosse parfaitement la casquette du lieutenant idéal de Morant. Offensivement, sans être exceptionnellement fort, il est très complet. Sa taille et sa mobilité lui permettent de marquer près du panier sur des pick and roll et des post-ups, alors que son toucher de shoot lui ouvre beaucoup plus le terrain sur des midrange et des tirs à 3 pt après des pick and pop, ou même en transition. Si on sait que l’ailier-fort sophomore rentre 40% de ses tirs de loin et qu’il est capable, certains soirs, de complètement prendre feu, on devine très facilement son importance dans le système de jeu proposé par Taylor Jenkins autour de Ja Morant.
Dillon Brooks, Brandon Clarke et DeAnthony Melton répondent quant à eux présents à chaque fois que l’occasion leur en est donnée. Brooks, avec sa défense suffocante sur les extérieurs adverses et sa capacité à rentrer les tirs à 3 points (38,5% de loin) et à jouer des pick and roll en deuxième voire troisième option ; Clarke, la définition de l’« energy guy » qui apporte de la vivacité dans le mouvement et de la verticalité offensivement et défensivement ; Melton lui, excelle dans son rôle de deuxième meneur capable de tenir la balle, rentrer quelques tirs et harceler les lignes de passes adverses.
Du côté des vétérans, deux noms sortent du lot. Jonas Valanciunas nous montre cette saison pourquoi les dirigeants de Memphis l’ont resigné sans une once d’hésitation. Le géant lituanien tourne double-double de moyenne (15 points et 10,1 rebonds à l’heure de la rédaction de ces lignes) et fait faire des cauchemars aux pivots adverses lorsqu’il est régulièrement sollicité sur ses points forts (taille, force et technique près du cercle), comme en témoignent ses plusieurs soirées à plus de 30 points et 15 rebonds.
Jae Crowder, utilisé par Jenkins en tant que 3&D, réalise lui aussi sa meilleure saison en carrière. Sur le plan défensif, sa physicalité et sa mobilité lui permettent de défendre à un niveau élite les grands ailiers, tout en faisant un travail assez correct sur des extérieurs plutôt rapides et techniques, si switch il y a. Offensivement, l’ancien de Boston et de Cleveland n’hésite pas à prendre ses responsabilités au shoot à distance et même en création où il tourne à presque 3 passes décisives par match, chose invraisemblable il y a encore quelques mois. Performant à ce niveau-là, on comprend alors mieux pourquoi les dirigeants ne forcent pas à faire jouer Iguadola, en plus des histoires de vestiaires qui s’y opposent.
De plus, à l’image des jeunes cités plus haut, plusieurs vétérans excellent dans leur rôle respectif et permettent à Memphis d’avoir une équipe solide et performante : Kyle Anderson est dans ses standards, très intelligent et propre dans le jeu, là où Solomon Hill fait parler son expérience et son hustle des deux côtés du terrain.
Pour résumer, on peut dire que Taylor Jenkins peut compter soir après soir sur une rotation de 7-8 joueurs réguliers, solidaires et qui font tout pour que le collectif carbure au mieux et joue « night in and night out » comme disent les américains, un basketball plaisant et victorieux. Les contributions de garçons comme Grayson Allen, Tyus Jones, Watanabe ou Caboclo ne sont alors que des cerises sur un gâteau, déjà délicieux.
Taylor Jenkins a bien appris aux côtés de Bud !
Quand les Memphis Grizzlies ont annoncé qu’ils donneraient les commandes de leur équipe au jeune coach Taylor Jenkins, plusieurs analystes n’étaient pas tellement emballés par la nomination, tant l’homme (de tout juste 35 ans) n’a aucune expérience à la tête d’une franchise NBA. Pourtant, le pari est bel et bien réussi au contraire d’autres équipes comme les Bulls ou les Cavs qui ont engagé des novices en tant qu’head coach NBA.
D’ailleurs si les coachs des Cavs et des Bulls ont plutôt eu de bons passages en NCAA, Taylor Jenkins a lui toujours été bercé par la NBA. Il est le 3è coach à prendre en charge une équipe NBA parmi les assistants de Mike Budenlhozer, lors de son passage à Atlanta (2013-2018), en plus de deux ex-assistants, désormais coachs principaux que sont respectivement Quin Snyder (au Jazz) et Kenny Atkinson (aux Nets). Il faut dire qu’ils font plutôt bonne impression dans leurs missions, chacun dans son style, et Taylor Jenkins ne vient que confirmer la règle du « jamais 2 sans 3 ».
Il faut tout de même relativiser : il ne s’agit que d’une demi-saison dans une conférence Ouest clairement sous-performante (on y reviendra dans la section d’après), mais l’empreinte de Jenkins est déjà bien visible quand son équipe est sur le terrain.
Le style de jeu choisi s’appuie sur une PACE de jeu très élevée (3è de la NBA juste derrière Milwaukee et Houston) qui s’articule autour d’un meneur de jeu parfaitement adapté à ce genre de philosophie. Pour faire court, Jenkins promeut un basketball basé sur un spacing large et l’attaque rapide du panier après pick and roll ou isolation, alors que les défenses adverses ne sont pas encore bien en place, ce qui enclenche souvent des situations de supériorité numérique offensive nécessitant des rotations défensives, et avec les bonnes lectures de jeu de ses joueurs, son équipe arrive à trouver des tirs ouverts de loin ou sur des « cut ». Une philosophie offensive à l’image de ce que nous propose Mike Budenlhozer avec Milwaukee.
Quid des playoffs ?
Surprenants 8è au moment où nous écrivons cet article, les Grizzlies peuvent être fiers d’être dans la bataille pour les playoffs alors qu’on les pensait encore loin de cet objectif en début de saison. Toutefois, la saison régulière de la NBA est un long marathon, fait de hauts et de bas. Et malgré l’enthousiasme ambiant autour de la franchise du Tennessee, des éléments objectifs permettent d’expliquer le pourquoi du comment ils en sont arrivés à cette surprenante place.
Si les Grizzlies sont virtuellement en playoffs, ils sont les seuls à avoir un bilan négatif (19V- 22D) parmi les 8 qualifiés à ce jour. Leur « spot » est de plus en plus menacé, puisqu’ils sont 4 matchs derrière le Thunder, aujourd’hui 7è, mais seulement deux matchs devant les Suns 11è. Entre les deux, on retrouve deux équipes habituées aux campagnes de playoffs et qui ont sous-performé jusqu’ici. Nous parlons des Blazers, finalistes de conférence la saison dernière avec une campagne de playoffs all-time, et des Spurs qui n’ont jamais raté les joutes d’avril et mai depuis 1998.
Cependant, le destin des Grizzlies restent entre leurs mains. L’équipe joue son meilleur basket depuis un bon mois de match, et s’ils arrivent à maintenir à flot leur colonne de victoires tandis que derrière, le déclic attendu n’a pas lieu, les voir disputer une série de playoffs ne serait point démérité, bien au contraire.
Dans tous les cas, une chose est sûre. : les ours grandissent et commencent à montrer leurs crocs dans la jungle de la côte ouest de la NBA.