Il est un peu moins de 17h lorsque j’arrive sur le parvis de l’Accor Hotel Arena. Nous sommes le 24 janvier 2020, et la France s’apprête à vivre un moment clé de son histoire pour les fans de tout le pays : pour la première fois, le pays est honoré d’une rencontre de saison régulière. Lorsque je mets les pieds dans la zone sacrée pour les heures à venir, le match ne débute que dans 4h, il n’y a pas encore de foule massée devant la salle, mais on sent une excitation palpable. Les premiers arrivants sont déjà affairés. Certains ont établi leur fief devant les barrières, espérant entrer les premiers lorsque les portes ouvriront, mais qui sait, peut-être aussi appercevoir l’arrivée des joueurs et arracher un moment de rêve, d’exclusivité, pour récompenser la longue attente qui les attend dans le froid parisien. Ils ne sont pourtant pas seuls, à attendre, d’autres ont été attirés par un stand d’une sobriété étudiée. Complètement noir, il arbore seulement 2 mots en lettres blanches “NBA Store” pour mieux faire ressortir les précieux sésames qu’il contient. A l’intérieur, une orgie de couleurs dont ressortent en tête le bleu turquoise et le vert des deux équipes en représentation ce soir : les Charlotte Hornets et les Milwaukee Bucks. Toute la panoplie de maillot des deux franchises est savamment mis en avant, tandis qu’en marge, la NBA a décidé de mettre un seul autre jersey. Il est d’une jaune solaire et porte le numéro 23, comme pour nous rappeler que la NBA a encore un roi, qui n’a pas besoin de se déplacer pour obtenir les faveurs du public.
La NBA est belle et bien à Paris, et alors que j’arpente la zone pour comprendre par où entrer, j’assiste à d’autres scènes. A quelques mètres en marge de l’évènement, un adolescent exulte. Venu pour observer le manège en route à la fenêtre, il a été rejoint par ses parents. Eux arborent un sourire plein de fierté, car ils viennent de lui offrir 3 places pour l’évènement, pour le partager en famille, un cadeau récompensé par un sourire et une excitation qui ne trompent pas. Dans le même temps, d’autres moins chanceux, déterminés à se battre jusqu’au bout cadrillent la zone à la recherche d’une place pour la grande première parisienne. On aimerait les voir récompenser, mais il est 17h30, l’heure pour les médias d’entrer dans l’arène en leur souhaitant bonne chance.
Après avoir passé les multiples systèmes de sécurité imposés par la grande ligue, il est l’heure de se positionner. C’est toute l’europe qui s’est déplacée pour l’évènement et je prête une attention particulière aux langues que j’entends : allemand, grec, polonais, italien, espagnol, anglais, français. Alors que certains parlent de la couverture qu’ils vont devoir réaliser, des médias spécialisés se lancent dans de grands débats, en tête de liste, la grande fête de février et les votes pour le All Star Game, sempiternel sujet de discorde.
Pas habitué à cette routine, je m’éclipse néanmoins rapidement pour entrer dans l’église : l’arène est déjà accessible et nous sommes accueillis par les répétitions de l’hymne nationale américaine. Alors que la performance me visse à une chaise au premier rang, la fin de la préparation me rappelle à la réalité, il est temps de profiter de l’arène vide pour en faire le tour. Montant, descendant et remontant, c’est aussi l’exigence de la NBA en terme d’équipement qui devient une réalité. Mais les minutes défilent et l’impatience gagne, quand verrons-nous enfin les hommes que nous sommes tous venus voir ? C’est finalement autour de 19h que nos prières sont exaucées et que les premiers joueurs viennent à l’échauffement. Le premier arrivé est Caleb Martin qui vient se chauffer le poignet en enchaînant les 3 points. Scotché pendant de longues minutes aux abords du terrain, je décide de retourner vers la zone média lorsque quelque chose m’arrête, un changement d’atmosphère soudain. En me retournant, c’est avec surprise que je vois qui est le premier joueur des Bucks : Giannis Antetokoumpo. Soudainement, les joueurs des Hornets qui catalisaient l’attention depuis 20 minutes deviennent transparents et c’est le monde qui semble s’être arrêté autour du grec arrivé à l’échauffement, seul être en mouvement dans le silence ambiant.
Du haut de ses 2m11 et de sa musculature désormais dessinée, on comprend pourquoi le joueur domine. L’impression de puissance et son corps d’une longueur interminable attestent d’une réalité qui prend un sens différent, lorsqu’il est de chair et d’os. Derrière une image retransmise, le Greek Freak est au dessus du lot, mieux dôté. Mais là, devant nos yeux écarquillés il est un superhumain au milieu des mortels. Sous nos yeux ébahis, c’est l’autre star de l’équipe qui débarque : Khris Middleton. Et puis tout s’enchaîne. Alors que les fans sont autorisés à entrer et se massent pour photographier nos héros, c’est quasiment toute l’équipe des Hornets qui débarque. Bismack biyombo, Cody Zeller, Malik Monk et puis, le représentant français : Nicolas Batum, qui réussit même à éclipser Giannis le temps d’un instant. Le match commence dans 1h15, c’est le signal qu’il faut retourner en coulisse.
Car si le MVP 2019 est à Paris ce soir, il y a un personnage qui retient indubitablement l’attention. Je rejoins la conférence de presse à 19h45, pour un début à 20h, mais elle est déjà pleine à craquer. Toutes les chaises sont pleines, alors je me faufile sur les côtés pour profiter de l’instant. Et à l’heure dite, His Airness, aux côtés d’Adam Silver et Marc Lasry débarquent. Si le basket était une réligion, Dieu serait à Paris à ce moment-là, et après une prise de parole d’Adam Silver, Michael Jordan va devenir le centre de l’attention pour les 30 minutes à venir. Je n’étais pas né lorsque la star des Bulls gagnait son premier titre, et je viendrai à la NBA bien après sa retraite. Mais il est des ces auras, rares, qui ne peuvent pas mourir et celui qu’on aime bien appeler le GOAT illumine la salle de son charisme. Réponses ciselées, voix grave, humour, le plus grand représentant de l’histoire du jeu ne déçoit pas. Toujours un grand amoureux de la balle orange, il parle avec entrain de l’évolution du basketball, de ses successeurs, de l’impact des joueurs européens sur la polyvalence actuelle des joueurs. Il évoque aussi la partenariat avec le PSG et rend un hommage, avec Adam Silver, à l’homme qui fit la NBA ce qu’elle est : David Stern. Les minutes filent et avant de pourvoir s’en rendre compte, la conférence est clôturée, il est 20h30, l’heure de regagner l’arène pour le début du moment tant attendu : le match.
L’émotion est au rendez-vous en y retournant, cette fois, elle est pleine à craquer et les fans continuent de s’agglutiner pour arracher une photo ou un autographe aux joueurs. Desormais, toute l’équipe des Bucks est à l’échauffement et les Devonte Graham, Terry Rozier ou autres joueurs manquants 45 min plus tôt multiplient tous les shoots et les drives pour se mettre en jambe. Et puis le folklore tant attendu se met en route. On commence par quelques animations, une minute de silence pour David Stern, puis on enchaîne sur une hymne américaine retentissante sous la voix de Nicole Taylor. C’est au tour de l’hymne française d’être scandée, avec le choix d’une performance de Waxx Gyver qui laissera sûrement beaucoup de monde perplexe, malgré un public qui tente de reprendre l’air en choeur. Et enfin, c’est l’heure. L’heure de l’entrée officielle des joueurs. Le public explose pour le premier annoncé : Giannis Antetokoumpo – et s’il va descrescendo jusqu’à l’entrée de Wes Matthews, il va retrouver tout son souffle pour le dernier : Nicolas Batum. C’est dans cette excitation que le match démarre. Et osons-le dire, nous nous en sommes bien sortis.
Opposer les Bucks, tête de proue de la ligue aux Hornets, dont on savait lors de l’annonce qu’ils risquaient de perdre Kemba Walker et seraient en reconstruction était un risque certain. Les matchs de Londres ont souvent accouché de souris et on pouvait craindre un scénario identique ici. Mais cette équipe de Charlotte se bat chaque soir et aborde la rencontre en sautant à la gorge de Bucks amorphes en défense. Devonte Graham, Terry Rozier prennent les choses en main et bousculent Milwaukee. Un gros dunk de Giannis fait se lever la foule, mais pas les coéquipiers du grec toujours en retard sur les aides défensives. Contrairement à ce qu’on peut lire, le public est au rendez-vous, réagit, et tente de reproduire l’ambiance des arènes NBA. La salle qui semblait acquise aux challengers (supposés être dans un match à domicile) et à Nicolas Batum, perd du terrain en tribune. Ce sont les “DEFENSE” qui s’élèvent lorsqu’ils attaquent, et le public scande des “MVP” à chaque fois que Giannis se retrouve aux lancers francs. Un groupe de fan des Bucks se fait particulièrement entendre derrière le panier de l’équipe. Evidemment, impossible de reproduire la ferveur d’une équipe qui joue à domicile face à un adversaire. Il y a beaucoup de fans NBA dans la salle, mais combien tiennent vraiment pour Milwaukee ou Charlotte ?
Le 2eme QT arrive, et Charlotte continue sa course en tête : Nous avons un match. Le public est au rendez-vous, néanmoins, parachuté avec pas mal de médias généralistes dans les hauteurs de l’arène, je dois bien admettre que je me sens un peu seul. Pas de réactions, alors que la plupart de mes voisins ont le nez sur leur ordinateur, déjà en train de préparer l’article qui devra être publié à la fin du match. Alors ce n’est pas que chez QiBasket, nous sommes des tires-au-flanc (un peu quand même), mais on ne peut pas dire que je me sente idéalement entouré ici. Il est donc l’heure d’improviser. Je repère 3 places vides courtside, et commence à formenter un plan d’attaque pour remplir cette intolérable désertion. A la mi-temps, nous avons toujours un match, ce serait bête de continuer à être le seul à réagir au tout dernier rang. Je fonds donc sur les buvettes, l’occasion de me rendre compte que des fans sont venus de toute l’europe pour voir le match. Une fois la file d’attente passée, vient la deuxième étape : redescendre vers le terrain.
J’accélère le pas car je pressens que le match va reprendre, bien que les buvettes soient encore prises d’assaut. Mauvaise nouvelle, le trou tant convoité en courtside a été rempli. Ce rebondissement me brise le coeur, mais l’heure n’est pas à l’appitoiement, il faut réagir, le match a repris. Il reste des places vides, je décide de tenter ma chance, je m’assois sur une chaise en bordure (oui, parce qu’au milieu, si la personne revient, c’est quand même la honte). Y a pas à dire, de là, le match est encore bien différent. Giannis appelle un ballon au poste bas, commence à travailler son vis-à-vis, pump-fake, et obtention de la faute. L’impact physique du MVP est impressionant. Quelques minutes plus tard, on est gratifiés d’un gros dunk en transition de Pat Connaughton – on se demande comment il n’attérit pas en tribune lancé de la sorte – mais qui va aussi marquer la fin de ma bonne étoile. J’entends parler derrière moi, deux personnes se dirigent vers ma position d’un pas déterminé, je sens qu’il est temps de prendre la fuite. C’est Michael Youn et sa compagne qui reviennent : je ris seul, mais en attendant, je suis en plein milieu de l’arène et plus une seule place de disponible autour.
Lorsqu’on ne trouve pas sa place en société, on se sent souvent inadapté. Cela marche aussi de manière plus terre-à-terre quand on n’a plus de siège dans une salle bondée. Les vigiles me déplacent de tous les côtés, l’un plus tolérant me laisse rester à côté de lui, sauf que c’est aussi le moment que choisit “Air Bango” pour venir s’installer devant moi (et se payer un peu ma tête, disons-le). Le 4eme quart temps arrive, et c’est le moment où les choses vont basculer. Les Bucks sont rerentrés dans leur match et ont grignotté l’avance de leurs adversaires, qui débutent la période avec plusieurs pertes de balles. Milwaukee s’offre des points faciles, et ce qui devait arriver se produit (plus tard que prévu). Bien que Charlotte joue mieux sur l’ensemble de la rencontre, elle paie son déficit de talent face à un prétendant au titre. Malgré un Malik Monk très en verve (et à l’instar de Devonte Graham et Terry Rozier, très esthétique à voir jouer), les Hornets prennent l’eau. Giannis, qui n’a pas semblé dominer outre mesure, passe à la vitesse supérieure et enchaîne les paniers et voyages sur la ligne des lancers. C’est en levant les yeux au tableau de score que je réalise le chantier du Grec, bientôt 30 points et une quinzaine de rebonds. Et il n’a pas paru complètement déchaîner sur l’ensemble de la rencontre.
Pendant ce temps, le dernier vigile qui tolérait ma présence debout me fait comprendre qu’il est temps d’arrêter d’être en plein milieu (j’avais pourtant offert des M&Ms à ce dernier et une membre du staff des Hornets pour les remercie d’être si sympas), je retourne donc dans les hauteurs pour la fin de match. Malgré un ultime push de Monk, qui ramène son équipe à -8, les Bucks filent vers la victoire sans avoir donné l’impression de forcer. Impressionant.
Le match est terminé, les joueurs filent vers les vestiaires. Kyle Korver est interviewé et rend hommage au public. Si je n’étais pas aux matchs de Londres, il faut quand même le dire, l’ambiance semblait bien supérieure à celle de nos voisins. Les fans se massent en bas des tribunes pour prendre des dernières photos et interpeller les joueurs en train de sortir, tandis que les conférences de presse s’apprête à débuter. Se succèderont Mike Buldehozer, désireux de rendre hommage à la bonne performance de ses adversaires, James Borrego qui martèlera que son équipe se bat dans chaque rencontre, une fierté dans le processus de développement des jeunes, Nicolas Batum, toujours emprunté face aux questions sur sa faible aggressivité au scoring et qui concèdera “[…] j’ai toujours été comme ça, et je crois que je mourrai avec ça.”. Enfin, c’est Giannis Antetokoumpo et Eric Bledsoe qui viennent représenter les Bucks. Le MVP prend le temps pour répondre, et soutient son coéquipier lorsqu’il est interrogé sur un éventuelle pression suite à ses Playoffs décevants l’an passé. C’est finalement la presque-fin de cette expérience magique, clôturée par un Giannis obligé de se baisser pour éviter de se cogner en sortant de la conférence de presse.
Tout le monde se dirige vers la sortie, et je repique vers le parquet en espérant glaner quelques ultimes minutes. Deux joueurs des Bucks sont encore présents. George Hill, très volubile qui discute avec un groupe nombreux. C’est en acceptant de les prendre en photo que je me rends compte que ce ne sont pas des fans, mais certainement famille et amis, accompagnant le joueur. En revanche, plus en marge, Brook Lopez se montre très disponible. Multipliant les photos avec des fans, il prend la peine de remercier chaque personne une à une, de leur serrer la main, tout continuant une longue discussion avec deux fans, sûrement père et fils, qui ont obtenu un moment hors du temps. M’entretenant avec des membres du staff des Hornets, ils me font part de leur réel enthousiasme pour les 3 jours passés ici : la beauté de la ville, leur envie de revenir mais aussi, l’ambiance générale de la soirée, même s’ils admettent “que pour un match à domicile, ils se sont sentis à l’extérieur face aux Bucks“.
Et ce fut la fin, l’heure de repartir, presque la mort dans l’âme. Il est minuit passé, et ces 7 heures, plus proches de la NBA que je ne l’avais jamais été sont passées comment quelques minutes. Mais quel émerveillement ! De l’accessibilité des joueurs, à la découverte de la réalité athlétique de ces derniers, à la présence de Michael Jordan, icône de notre sport. Après des années à l’attendre, la communauté de fan en France a réussi à arracher la NBA à Londres. Parce que comme le disait Adam Silver hier, “Le marché français est un marché majeur pour la NBA, son engouement est disproportionné par rapport à sa population“. Oui, la France vibre pour la grande ligue bien plus que ses voisins européens. Et elle sera de retour l’an prochain. Certes cette soirée n’était pas sans défaut : pré-ventes peu fournies, beaucoup de places distribuées à des partenaires et influenceurs. Ce n’est pas que c’était inédit, c’est malheureusement le process habituel que nous aurions aimé éviter. Mais ce n’était qu’une première, qu’un début. Et la NBA sera de retour les années suivantes, dès 2021, et alors que la France accueillera les Jeux Olympiques en 2024, nous sommes désormais assurés d’avoir des infrastructures au standard NBA pour un bon bout de temps. De quoi rêver plus grand ? Évidemment !