Pour le collégien ou lycéen normal, la dernière sonnerie de l’école au début de l’été sonne comme une libération et le coup d’envoi d’une période de soleil, de loisirs et de disparition temporaire des obligations de devoirs à la maison et de réveils à l’aube pour aller en cours. Pour Payton Pritchard, comme pour tous les jeunes basketteurs talentueux, ce luxe n’existe pas, car chaque été est le point de départ de périples parfois interminables, de nuits courtes et souvent inconfortables, puis de bruits de semelles qui grincent sur les parquets des tournois de basket AAU.
Déjà relatée notamment dans le doc Netflix At All Costs, la cadence du calendrier AAU est aussi remise en cause par de nombreuses personnalités du jeu, comme LeBron James, qui a récemment pu suivre son très médiatisé fils sur ce circuit, et constater le rythme effréné de ces matchs et tournois, sans parler du jeu peu académique et très individualiste qui y est pratiqué. A peine fatigué par cet emploi du temps des plus chargés, Payton Pritchard le complète avec des rendez-vous à Colorado Springs et aux quatre coins du monde. Engagés dans les équipes de jeunes de Team USA, en cinq contre cinq mais aussi en trois contre trois, Pritchard ne se repose pas et porte la tunique de l’équipe nationale jusqu’en Hongrie ou en Egypte, mais également lors du Nike Hoop Summit en 2016 près de chez lui à Portland, où il partage un vestiaire avec d’autres arrières talentueux comme De’Aaron Fox de Houston ou Markelle Fultz du Maryland et de huit autres athlètes qui sont aujourd’hui déjà des joueurs bien installés en NBA pour la plupart.
Après une carrière au lycée couronnée de succès avec quatre titres de champion en quatre ans dans son Etat natal de l’Oregon à la West Linn High School, il rejoint les Oregon Ducks, l’équipe de la grande fac locale, après s’être initialement engagé avec Oklahoma, où son père avait joué au football américain.
Solide titulaire dès sa première saison, il transporte le virus du succès avec lui et dès sa saison freshman, il découvre le Final Four NCAA, là où ses Ducks ne s’arrêtent qu’après une dure bataille face au futur champion, les Tar Heels de Carolina. Les départs de joueurs clé comme Dillon Brooks et Jordan Bell fait redescendre le niveau de l’équipe mais celle-ci se maintient à flot grâce au travail de son meneur. Les deux saisons qui suivent sont malgré tout compliquées d’un point de vue collectif, mais la seconde, celle de l’année junior, la troisième pour Pritchard, se terminera de façon formidable.
Pas vraiment apprécié par les experts en « bracketology », cette science qui consiste à pronostiquer les choix du jury qui sélectionnera les équipes les plus méritantes qui prendront part au tournoi NCAA en mars, les Oregon Ducks vont forcer le destin en compostant leur ticket de façon beaucoup plus radicale. Si s’attirer les faveurs du comité avec un bon bilan et des victoires marquantes est le moyen le plus commun de rentrer dans le tableau à 68 de la « March Madness », il existe un moyen plus difficile mais moins incertain d’obtenir sa place : remporter le tournoi de sa conférence, synonyme de qualification automatique.
Dans une PAC-12 édition 2018-2019 au niveau jugé parfois abyssal avec des places fortes comme UCLA ou USC qui n’avancent plus, Oregon tire son épingle du jeu lors de la première semaine de mars et réussit contre toute attente à surprendre les Washington Huskies, l’équipe jugée comme la plus forte, ou la moins faible, au choix, lors de la finale du tournoi de conférence, avec une victoire large et catégorique, et un Pritchard endiablé. Après ce véritable hold-up dans le paysage universitaire, les Ducks ne s’arrêtent pas là, et surprennent Wisconsin au premier tour puis disposent du surprenant UC Irvine au second avant de s’incliner au « Sweet Sixteen » au terme d’une bataille défensive face au futur champion 2019, Virginia, point final d’une saison surprenante et d’un chapitre final épique.
Pour sa dernière saison, le meneur fait surfer son équipe sur cette vague, à l’image de la victoire du week-end dernier, à nouveau face aux Huskies de Washington, au bout d’un thriller en prolongation, qui se termine sur un tir venu d’ailleurs de… oui, vous avez deviné.
Car pour ce qui est sa dernière année sur le campus et avec ce maillot vert et jaune, Pritchard rentre encore dans une autre dimension, devenant l’un des tous meilleurs joueurs du pays, et probablement le plus décisif dans les grands moments. Son équipe fait des matchs serrés une habitude, et dans des déplacements périlleux comme celui à Ann Arbor pour y affronter Michigan, ou celui d’il y a quelques jours à Seattle, la prolongation se transforme en fait en one man show, avec la lumière braquée sur le numéro 3 des Ducks.
Contre Michigan et la défense individuelle des hommes de Juwan Howard, c’est Zavier Simpson, un meneur défensif coriace, qui suit chaque pas de danse de Pritchard, qui l’emmène encore et encore jusqu’au cercle pour à chaque fois refroidir les ardeurs d’une salle bouillante. En inscrivant 15 des 17 derniers points de son équipe entre la fin du temps réglementaire et les cinq minutes bonus, il offre une victoire importante aux siens, au terme d’un match haletant, dans l’une des salles les plus difficiles du basket universitaire.
Face à Washington, l’équation à résoudre est bien différente, puisqu’il s’agit de la zone 2-3 de Mike Hopkins importée de Syracuse, avec au milieu de celle-ci le prodigieux big man première année Isaiah Stewart. Incapable de pénétrer au sein de cette muraille, Pritchard s’en remet à son tir extérieur, une première fois pour égaliser dans la dernière minute du temps réglementaire, déjà quelques pieds derrière la ligne, puis une seconde fois dans les dernières secondes de la prolongation, pour donner un avantage décisif aux siens, avec un tir lointain, en déséquilibre, qui congèle les espoirs de tout un public.
Malgré ses exploits à répétition et un nom qui circule sur toutes les bouches dans le monde du basket universitaire, Payton Pritchard semble encore avoir du mal à s’attirer les faveurs des observateurs à l’étage supérieur. Pas vraiment populaire dans les mock drafts, on peut supposer qu’il est facile de s’arrêter aux limites athlétiques du joueur, pas spécialement grand ni doté d’une grande envergure, et avec un physique presque un peu rondelet pour un meneur de jeu.
Pourtant, nombreux sont les joueurs qui auraient du remettre en question le mode d’analyse du profil de certains athlètes. L’exemple de Trae Young est probablement le plus criant : laissant certains fans et observateurs dubitatifs avec son physique somme toute quelconque qui l’exposerait notamment défensivement face aux standards athlétiques de la NBA, ces limites n’ont pas pu être gommées et se sont confirmées, le meneur des Hawks étant tous les soirs en grande difficulté de ce côté du terrain. Mais si l’évaluation d’un prospect tendait à se pencher avant tout sur les choses que le joueur sait faire plutôt que sur ce qu’il ne peut pas faire, certaines craintes pourraient se transformer en un optimisme souvent plus conforme à la réalité du terrain. Trae Young ne savait pas défendre, ne pouvait pas vraiment le faire, et ne le pourra probablement jamais, mais il passait la balle avec une qualité exceptionnelle, pouvait tirer d’à peu près n’importe où une fois la ligne médiane franchie, avec un dribble sûr et imprévisible. Toutes ces qualités se sont sans surprises exportées avec succès dans un basket plus ouvert et plus favorable au talent offensif.
Payton Pritchard est un meneur leader dans l’âme, un véritable général sur le parquet, avec un sens du jeu profond et inné, qui en fait un passeur de grande qualité. C’est également un shooteur habile, capable de se créer son propre tir et de créer la séparation grâce à son dribble et sa compréhension des angles sur le terrain. Ces atouts doivent suffire pour exister en NBA, et même y devenir un joueur important. Des meneurs de haut calibre universitaire comme Jalen Brunson, Tyus Jones ou Shabazz Napier parviennent à être draftés et même à faire leur carrière de remplaçant derrière les stars du poste dans la grande ligue. Payton Pritchard n’est donc pas un nom bien populaire et connu dans les sphères de la NBA, mais il n’est pas trop tôt pour s’habituer à l’entendre, car le bruit risque de se propager à grande vitesse dans les prochains mois.