Les semaines passent, et la pression médiatique autour des Detroit Pistons se fait de plus en plus oppressante. Pour cause, c’est le joueur valide le plus fort de l’équipe qui devrait, dans les semaines à venir, quitter la franchise. En effet, la rumeur d’un transfert d’André Drummond est tombée sans être démentie par les dirigeants. Preuve nécessaire à valider le ticket de sortie du pivot. Pièce majeure de la franchise, avec Blake Griffin, le joueur a fait toute sa carrière professionnelle sous les couleurs de la ville, et s’il s’est toujours montré impliqué vis-à-vis des fans et de la communauté, il a parfois reçu un accueil plus que mitigé de la part des fans.
Principale arme offensive de l’équipe, surtout en l’absence de Blake Griffin, il faut reconnaître que le joueur n’a pas toujours été ce leader que la franchise se cherchait désespérément. Tantôt pas assez capable offensivement, tantôt pas assez physique et dissuasif en défense, il a souvent déçu par son incapacité à être plus que ce qu’il fut. Par période considéré comme le monstre physique qu’il était, fans comme dirigeants ont semblé se heurter à un mental pas assez rugueux pour passer un cap supplémentaire. Pourtant, le joueur ne fut-il pas victime de cette déception, plus que le principal responsable ? En regardant le verre à moitié plein, ne peut-on pas voir en André Drummond, un joueur à qui on a demandé d’être plus que ce qu’il aurait dû être ? Retour sur le parcours d’André Drummond chez les Detroit Pistons.
Faire partie des plus grands
“Je pense que je suis le meilleur de l’histoire lorsque l’on parle de rebonds. Je pense que personne ne se rapproche, même un tout petit peu des choses que j’ai faites lorsqu’on en vient au rebond.”
Si je commence par cette phrase qui met peu en avant le sens de l’histoire du joueur, c’est pour mettre en exergue sa volonté de faire valoir ses qualités et son jeu. La citation provient évidemment des media days et de ses exagérations habituelles, mais il faut y voir deux choses.
Tout d’abord, le caractère exceptionnel des performances d’André Drummond en tant que pivot boulimique du rebond et adepte du jeu près du cercle. Car s’il n’est évidemment pas le tout meilleur de l’histoire dans le domaine, peu dans l’histoire pouvaient se vanter de telles statistiques en la matière et ce, aussi tôt dans leur carrière. Il faut aussi, en revanche, y voir selon moi le désir du joueur d’être vu par ses pairs et par les fans comme un joueur de premier plan, ce que la franchise attend de lui depuis dé maintes années déjà.
Cette quête de reconnaissance et du public est inhérente à beaucoup de joueurs NBA. Surtout ceux à mi-chemin entre le statut de joueur très solide et de star quasiment implantée. A 26 ans, André Drummond est resté implacablement bloqué entre les deux. Pourtant, comme un symbole de cette idée, et malgré la place que la conférence Est offre en la matière, le pivot n’a obtenu que deux sélections pour le All-Star Game, sésame poursuivi par de nombreux joueurs pour s’imposer comme l’élite. Dans ces deux sélections, l’une d’entre elle s’est faite comme remplaçant, au relais de John Wall… un meneur de jeu.
Probablement entre ses croyances personnelles et sa volonté d’être accepté, André Drummond s’est également montré très engagé auprès de la communauté. Devenu une part indéniable de la vie des joueurs NBA, certains joueurs rechignent plus ou moins à s’engager auprès des plus vulnérables. Depuis plusieurs saisons, on sait désormais que le pivot ne fait pas parti de ceux qui éprouvent la moindre réticence. Prenant part à un maximum d’évènement, le joueur a maintes fois clamé son attachement à ce devoir de rendre. Personnalité attachante, il était déjà récompensé en 2016 par le NBA Cares Community Assist Award. Outre son nom beaucoup trop long pour le rythme de l’article, cette distinction atteste forcément d’un joueur désireux de s’intégrer.
Pourtant, dans les faits, s’intégrer à Detroit n’a semble-t-il pas été une réelle évidence pour lui. Malgré son potentiel et son abatage indéniables, André Drummond n’est pas entré avec le statut de star en puissance. Sélectionné à une solide 9ème place, d’une draft considérée à raison comme à fort potentiel, il arrive dans l’ombre de stars comme Anthony Davis. Ce n’est pourtant pas la seule difficulté que le joueur va rencontrer. Associé à Greg Monroe, intérieur à l’ancienne, plus tard rejoint par Josh Smith, ailier fort dont les statistiques avancées prouveront bientôt l’inefficacité, le jeune pivot n’est pas mis dans les conditions idéales pour s’exprimer. La chose est d’autant plus dommageable, qu’en réalité, Drummond possède un certain boulevard pour se faire une réputation. La NBA a connu une véritable pénurie sur le poste de pivot depuis le milieu des années 2000. Avec son style de pivot besogneux, physique, athlétique, le joueur pourrait dominer rapidement si le roster était mieux construit.
La délivrance viendra finalement des départs successifs de Smith puis Monroe, lui donnant enfin les pleins pouvoirs (et l’espace dans la raquette pour s’exprimer). Le joueur verra ses ballons au poste de plus nombreux, tandis qu’il commence à enchaîner les rencontres qui deviendront sa marque de fabrique : les 20-20. 2 fois sélectionné au ASG, les choses sont plus compliquées sur le plan collectif. Certes les Pistons voient de temps en temps, à l’arrachée (et ce malgré la médiocrité des équipes à l’Est) les Playoffs. Mais jamais deux saisons consécutives, et même quand Detroit force les favoris à jouer, les séries sont toujours expéditives.
Pas de quoi convaincre l’ensemble de la NBA du statut de star de Drummond, ni le public de Detroit, connu pour être parmi les plus durs de la ligue. Alors que le salary cap des Pistons est souvent mal géré, les équipes manquent souvent de talent et on en demande de plus en plus au pivot, qui ne s’aide pas en donnant à ces derniers des espoirs à coup de déclarations tapageuses. Fort rebondeur, athlète indéniable, lourd et capable de mettre ses points dans la raquette, le joueur accumule les statistiques. Souvent entouré de rosters maladroits et manquant de talent, ses qualités sont d’autant plus mises en valeur qu’il doit compenser le faible talent offensif de ses coéquipiers. Et au fond, c’est peut être ça le drame d’André Drummond, et ce qui expliquera la dureté de certaines critiques à son égard. La faiblesse des équipes autour de lui ont donné de l’espoir quant à ce qu’il pouvait être, trop d’espoir pour ce qu’il pouvait réellement supporter dans un rôle de premier plan.
Pour moi Dre était destiné à être le meilleur pivot NBA. Donc tu peux comprendre ma déception
— PistonsFR 🇫🇷 (@PistonsFR) January 15, 2020
Petit exemple parmi tant d’autres, mais voici le genre d’attentes que cristallisait le pivot. Et les fans français sont rarement les plus extrêmes dans leurs considérations des joueurs.
Une costume trop grand pour l’homme
Dans une des sagas d’hommes en collants les plus populaires, une phrase est restée : “un grand pouvoir implique de grandes responsabilités“. Et tout le problème est peut être là. Un grand pouvoir, finalement, comment cela se mesure-t-il ? A sa faculté à l’exploiter et à ceux des autres protagonistes, on pourrait dire.
Quand on regarde l’environnement du joueur, on ne peut pas dire que Detroit fut un modèle durant la dernière décennie. Combien de bons joueurs les Pistons ont développé via la draft ? La liste est extrêmement restreinte. Drummond est probablement la plus grande réussite de la franchise. Mais une réussite bientôt évacuée et surtout, regardée avec une certaine déception. Pour le reste, ce sont beaucoup d’échecs ou de développement très partiels. Mais les difficultés ne s’arrêtent pas là pour la machine à rebond.
Car si l’on regarde dans le rétroviseur, combien d’excellents pivots comptait la NBA lors de sa draft ? Marc Gasol semble le nom le plus éminent de la période, sans être le genre de joueurs que l’on considère comme une star très visible. Dwight Howard entamait sous nos yeux le début de son grand déclin, le colosse vaincu par ses blessures. Andrew Bynum faisait sa dernière saison de haut niveau avant de disparaître. Finalement, les plus grands noms sur ce poste étaient : Marc Gasol, Joakim Noah, Deandre Jordan, Dwight Howard, Al Jefferson ou Tim Duncan (en route vers ses 40 ans) repositionné au poste 5. Seul Deux joueurs survolent à ce moment. Marc Gasol, mais tout en discrétion. Tandis que DeMarcus Cousins, véritable monstre sur le poste est englué dans une situation désastreuse sur le plan collectif et cristallise les critiques quant à son comportement.
Bien que comme susmentionné, André Drummond ait dû lutter avec un effectif pas idéal pour s’exprimer, une fois l’ordre remis dans la raquette, ce sont donc à des joueurs déclinants et un poste de pivot historiquement faible et frustre qu’il fut mis en concurrence. De quoi booster sa côte avec des statistiques élogieuse, mais aussi créer des attentes démesurées par rapport à ce qui allait suivre. Car oui, alors que la NBA était devenue une affaire de meneur et d’ailiers, une génération de pivot bien différente s’apprêtait à débarquer.
3 ans après sa draft, plusieurs noms qui allaient reléguer André Drummond dans la seconde catégorie de pivot débarquèrent : André Drummond fait désormais parti des très bons, mais plus dans l’élite. Qu’elles fussent fulgurantes (Joël Embiid, Karl Anthony Towns), ou plus discrètes (Nikola Jokic), 3 stars au poste de pivot viennent redorer le blason du poste 5. Dans le même temps, des joueurs tout aussi besogneux que Drummond, mais mieux spécialisé font également leurs armes (Rudy Gobert). Joël Embiid s’impose comme une véritable machine au poste, doublé d’une force de dissuasion en faisant un des défenseurs les plus impactants de toute la ligue. Karl Anthony Towns est un rebondeur tout aussi effrayant que Drummond, mais un attaquant bien plus talentueux, doté d’un shoot absolument exceptionnel. Jokic quant à lui, est un profil unique, playmaker, capable d’agir en triple menace permanente. Alors que Gobert devient petit à petit un DPOY en puissance, la lumière quitte Drummond qui s’embourbe parfois dans des batailles qu’il n’arrive pas à gérer.
Ses échanges à distance avec Embiid, souvent suivis de cuisantes défaites dans la raquette amusent les fans et ancrent cette image de pivot de seconde classe. Une seconde classe qui aurait pu, en 2012, faire de lui l’élite son poste. Et voilà tout le drame de la carrière de Drummond. Il hérite d’espoirs anachroniques dans une NBA qui s’apprêtait à basculer.
D’autant que l’évolution du jeu joue en sa défaveur. Alors que des pivots moins techniques mais très mobiles latéralement ou très intelligents en défense arrivent à se faire une place (Clint Capela par exemple), ou pendant que Brook Lopez ou Marc Gasol développent leur jeu (défensif et offensif) pour perdurer – le talent de Drummond est moins malléable.
Doté de qualités athlétiques indéniables mais pas forcément complètes, d’un talent offensif certain mais incomparable à la nouvelle génération de star à son poste, efficace au poste bas sans être létal, affichant un niveau de jeu parfois instable, André Drummond aura peut être été vu trop beau. Pourtant, ne nous y trompons pas, le joueur est une solide présence dans la raquette, un joueur impliqué, qui souhaite s’améliorer et qui a fait de son mieux pour porter sa franchise. Mais de toute évidence, il n’avait pas les épaules pour la mettre sur les siennes et vraiment créer une spirale positive. En dépit de cet échec, il y a cru et a essayé d’être ce joueur dur qui plaît tant au public de Detroit. En 2015-2016, avec ses jeunes coéquipiers, auréolé d’une sélection au ASG et d’un premier billet pour les Playoffs, ils ont joué vaillamment les Cleveland Cavaliers. Accrocheurs, ils ont fait la totale : déclarations tapageuses, actions rugueuses et promesses d’un avenir meilleur. Une opération séduction qui aurait pu être totale.
Et puis finalement, entre gestion calamiteuse, talents décevants, aléas des blessures, le joueur finit par devenir une semi-déception, alors qu’il était, au final, le joueur le plus régulier de la décennie pour les Pistons. Pas vraiment à même de faire évoluer son jeu pour répondre aux nouveaux standards du poste 5, il doit continuer de lutter dans un registre de jeu un peu daté. Aujourd’hui, prêt à sortir du wagon, le public gardera probablement un goût amer d’inachevé, ou de déception. Mais peut être que la lecture et les attentes étaient mauvaises. Peut être que le contexte a fait de Drummond la cible des critiques, parce qu’il n’y avait que vers lui que les espoirs pouvaient être tournés. Et peut-être, qu’un jour, on se demandera ce que la franchise aurait pu en faire avec de meilleurs choix à la draft, des paris plus réussis et une gestion du salary cap plus maîtrisée.
Alors que la pendule tourne, que le joueur semble peu à peu sortir des plans du coach, il peut commencer à ranger sa cape de héros mal-aimé au placard et songer à l’avenir. Un avenir qui nous dira sûrement si le recul réhabilitera le joueur, ou s’il restera comme la cible et le symbole d’une décennie médiocre pour l’ensemble de la franchise. Désormais, ce qu’on peut lui souhaiter, c’est un chapitre plus faste. Et surtout, un rôle qui soit à la hauteur de son jeu et puisse lui permettre de s’exprimer plus sereinement.