Comme vous l’avez remarqué, la première moitié de saison dans le Massachusetts pourrait être qualifiée de sympathique. D’un point de vue comptable, les bons résultats s’enchaînent mais c’est surtout la manière qui séduit. Terriblement frustrants l’an passé, les Celtics semblent libérés de leurs démons et lâchent les chevaux, sans pression, se hissant au porte du top 5 de la ligue en attaque et en défense, une performance digne de l’élite. Boston a arrêté de se prendre la tête et se fait plaisir en redécouvrant la définition du mot “collectif”, comme le prouve la répartition du scoring avec pas moins de 3 joueurs à 20 pts de moyenne ou plus. Cependant, pour se donner un genre subversif et anticonformiste, nous ne parlerons pas aujourd’hui des fers de lance que vous connaissez tous, mais plutôt de trois membres de la rotation qui, s’ils brillent moins statistiquement, illustrent à merveille l’état d’esprit qui anime l’équipe en cette saison.
Semi Ojeleye, le next man up par excellence
Bénéficiant d’un temps de jeu régulier lors de sa première saison, le 37e choix de la draft 2017 a subi de plein fouet le retour aux affaires de Gordon Hayward lors de l’exercice 2018-2019, ce qui s’est traduit par des minutes en baisse voire une absence totale du parquet sur un bon quart des matchs. Une tendance négative qui ne semblait pas partie pour s’inverser cette saison, avec la prise de pouvoir attendue des deux Jays sur les ailes et la montée en régime espérée d’Hayward. Sauf qu’au bout de seulement 3 matchs, Brad Stevens était déjà obligé de bricoler avec ses rotations pour compenser une première absence de poids, celle de Jaylen Brown. Et Semi Ojeleye de fouler le parquet une quinzaine de minutes par match pour boucher les trous, dans une configuration qui n’est pas sans rappeler celle de sa saison rookie.
Le souvenir se transforme d’ailleurs rapidement en bis repetita lorsque la poisse vient de nouveau frapper à la porte de l’ami Gordon, avec une fracture du doigt improbable contractée à San Antonio. Privé de son joueur pendant 4 semaines, Stevens doit se tourner vers ses réservistes et Ojeleye répond présent, comme à son habitude. Il est indubitablement moins versatile que certains de ses coéquipiers, mais possède de nombreux arguments maison à faire valoir, et il serait bien injuste de résumer son apport à un remplacement numérique de joueurs plus talentueux.
Un simple coup d’oeil suffit d’ailleurs à dévoiler son principal atout : plutôt baraqué, le Semi. Au-delà du plaisir visuel pour les personnes intéressées, cette solidité lui permet de défendre sur des postes 4 voire 5 lorsque Brad Stevens se sent inspiré. Dans un système qui repose sur la polyvalence et le switch à gogo avec au minimum 3 ailiers en même temps sur le parquet, la dimension athlétique du joueur est évidemment un atout important, que son coach n’hésite pas à sortir de sa manche lorsqu’un surplus de puissance est nécessaire. On pense notamment à Giannis Antetokounmpo, qui voit souvent le n°37 vert s’opposer vaillamment à lui. S’il n’est pas la solution ultime au problème de matchup posé par le grec, il peut en tout cas encaisser plus facilement le choc frontal qu’un Tatum ou un Hayward. Grâce à son apport dans la dimension purement physique, Ojeleye pourra toujours espérer du temps de jeu, et ce même lors des playoffs.
Malheureusement, son manque d’impact offensif constitue à l’heure actuelle un facteur limitant pour accéder à l’échelon supérieur. On note tout de même une progression au niveau de l’adresse extérieure avec 37% de loin, un pourcentage très respectable qui oblige ses adversaires à prendre la menace au sérieux. Laisser Ojeleye ouvert dans le coin ressemble de plus en plus à une mauvaise idée (83e percentile sur les points marqués en spot up) et c’est déjà une amélioration par rapport à ses deux premières années. Cependant, nous n’avons pas vraiment d’autres aspects de son jeu à analyser tant le joueur se cantonne à un rôle de 3&D actuellement. Un rôle qu’il remplit bien, mais aussi un rôle générique où la concurrence est donc rude, et les places limitées. Si Ojeleye venait à faire les frais de son déficit d’attaque dans la suite de sa carrière, il ne faudra en tout cas pas fermer les yeux sur cette capacité à accepter son rôle de “bouche trou”, et à répondre présent dès que son coach fait appel à lui, symbole d’un état d’esprit irréprochable.
La surprise Grant Williams
On vient de le voir avec Ojeleye, le coach de Boston sait récompenser les joueurs prêts à laisser leurs tripes sur le parquet même s’ils peuvent être frustres offensivement. Et peu importe le manque d’expérience ou la jeunesse. Là où certains coachs sont très restrictifs sur le temps de jeu alloué aux rookies, Stevens n’a jamais hésité à lancer ses jeunes dans la bataille dès les premières semaines de la saison régulière, et Grant Williams en est la dernière illustration en date.
La recette du succès ne change pas pour Williams. “Nerd” auto-revendiqué, le rookie aime apprendre quel que soit le domaine, ce qui inclut donc notre bonne vieille balle orange – oui, il a aussi le physique qu’il faut, on vous l’accorde. Peu importe la manière, l’important pour Williams est d’avoir un impact quand il entre sur le parquet, et d’aider son équipe par tous les moyens. Alors qu’il lui arrivait fréquemment de peser au scoring sous les couleurs de Tennessee, l’augmentation drastique du niveau de talent autour de lui ne lui permet pas pour le moment de briller offensivement comme il le souhaiterait, son début de saison catastrophique au niveau de l’adresse n’aidant en rien. Mais au lieu de céder à la frustration, Williams fait en sorte d’apporter toutes ces petites choses invisibles qui aident à mettre une équipe sur les bons rails. Utilisé principalement au poste 4 malgré son petit mètre 98, il compense son déficit de taille par une qualité de placement et d’anticipation remarquables compte tenu de sa jeunesse, une sorte d’instinct qui le place souvent à l’endroit où il faut être pour peser sur une action. Un bon close-out par ci, un blocage au rebond par là, ça ne se voit pas sur la feuille de match mais ça rend la vie plus facile pour tout le monde. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les lineups dans lesquels le joueur est aligné encaissent 8 points de moins sur 100 possessions par rapport à ceux où il ne figure pas.
Reste bien sûr à régler la question de l’adresse. Alors qu’il n’était pas plus manchot qu’un autre dans sa dernière année chez les Volunteers (56% au tir et 32% à 3 pts), sa maladresse est devenue un véritable running gag dans le vestiaire celte, le rookie échouant dans ses 25 premières tentatives derrière l’arc. S’il a pris le parti d’en rire, on se doute que la situation n’aurait été bénéfique pour personne si elle avait été amenée à perdurer. Heureusement, la chape de plomb a fini par se lever et depuis, Williams est sur des bases tout à fait correctes avec quasiment 37% à 3 points. Une fois encore, l’ailier a su continuer de croire en lui – voir Marcus Smart shooter de manière respectable après plusieurs années d’accumulation de briques a pu aider à cet effet – et prendre son mal en patience pour surmonter l’obstacle.
Maturité, intelligence et patience sont autant de valeurs appréciées par Brad Stevens, et Williams montre qu’il possède les 3, soir après soir. Cela lui permet d’être régulièrement sur le parquet lors des moments chauds, voire de terminer les rencontres si le match-up qu’il propose peut être favorable. Déjà largement installé dans la rotation, il pourrait rapidement devenir indispensable à son coach si son retour en forme au tir se confirme.
Brad Wanamaker, faute de mieux ?
Terminons par le poste de meneur, qui était un joyeux bazar à Boston l’an passé entre un Kyrie Irving sur le départ et un Terry Rozier frustré de retrouver le banc. La situation a fini par dégénérer complètement, le duo est parti et il fallait repartir de zéro pour tenter de retrouver une stabilité à ce poste clé. Recruter Kemba Walker constituait une première étape assez plaisante, se posait alors la question de sa doublure. Une doublure qui se devait de faire le boulot mais qui devait aussi et surtout respecter la hiérarchie établie et s’en tenir à son rôle.
Pour trouver le joueur prêt à endosser ce costume, Boston a choisi de s’appuyer sur son vivier de meneurs déjà présents, à savoir les rookies Carsen Edwards et Tremont Waters, et le “vieux” Brad Wanamaker, vétéran de l’équipe avec son âge avancé de 30 ans. Etant donnée la jeunesse de ses deux coéquipiers, c’est à lui que le poste de meneur remplaçant a été confié en début de saison, avec cependant l’idée que la situation ne durerait pas forcément compte tenu de sa faiblesse supposée.
Il faut dire qu’il n’avait pas eu beaucoup d’occasions de montrer sa valeur lors de sa première année dans la grande ligue, avec 36 petites apparitions, bien souvent dans le garbage time. Après une belle carrière européenne, Wanamaker se retrouvait relégué en bout de banc dans une situation totalement nouvelle, à devoir ronger son frein en espérant des jours meilleurs. Ainsi, bien loin de se soucier de l’étiquette de doublure “par défaut” qu’il était tentant de lui accoler lorsque son temps de jeu a augmenté, l’ancien de Fenerbahçe a saisi la chance qu’il attendait pour faire preuve de sa crédibilité.
Ce qui frappe en premier lieu, c’est le changement de style radical proposé par rapport à Kemba Walker. Bien moins rapide et habile balle en main, mais conscient de ce fait, Wanamaker évolue dans un registre de meneur conventionnel, imposant un tempo lent, avec une certaine affection pour le scoring tout de même. Cela lui a notamment permis de franchir la barre des 10 points à 9 reprises entre le 11 novembre et le 11 décembre, période au cours de laquelle Wanamaker a souvent apporté un supplément d’âme lorsque les Celtics souffraient en début de match. Rarement à la rue au niveau de l’énergie et de l’intensité, et bien aidé par un gabarit imposant pour le poste (1m90 pour 95kg), il propose, comme ses deux camarades de l’ombre, une opposition défensive de qualité. Ce qu’un Carsen Edwards, par exemple, n’arrive pas à faire pour le moment En joueur aguerri, Wanamaker sait faire en sorte d’apporter le même niveau de rigueur soir après soir, une constance appréciable pour Brad Stevens et un exemple de professionnalisme pour ses jeunes coéquipiers.
Malgré ce côté “valeur sûre”, il ne faut pas non plus s’emballer et ériger Wanamaker comme meneur remplaçant modèle. On l’a dit, ce dernier affectionne le scoring, tant et si bien qu’il n’est pas rare de le voir s’embarquer dans des attaques de cercle hasardeuses, avec à la clé une perte de balle ou une belle saucisse qui touche à peine le cercle. Comme si changer d’avis en cours de route et ressortir sur un coéquipier était impossible dans son esprit. Ce manque de clairvoyance est pénalisant pour le collectif des Celtics lorsque celui-ci est à la peine et aurait surtout besoin d’un peu de calme et de gestion à la mène pour se remettre à l’endroit. Après un mois de novembre au-dessus de ses standards, Wanamaker a vu ses pourcentages chuter drastiquement (33,3%) et une remise en question s’impose donc, pour ne pas tomber dans l’arrosage automatique. Se concentrer sur les choses qui lui ont permis de gagner une place solide dans la rotation – intensité, rigueur et expérience – pourrait lui permettre de ne pas perdre cette dernière. Un avertissement lui a été donné à Philadelphie, avec son premier “DNP – Coach’s decision” de la saison, il s’agit maintenant de suivre la réaction.
Trois joueurs, trois profils, mais des constantes qui en disent long sur l’identité de ces Celtics. Pour entourer ses stars convenablement et faire table rase du passé, Brad Stevens pioche dans un réservoir de joueurs besogneux, en quête d’expérience, qui ne rechigneront jamais à fournir les efforts défensifs indispensables pour rester sur le parquet. Malgré un potentiel offensif limité en dehors d’Enes Kanter, la second unit des Celtics tient la dragée haute à beaucoup de ses homologues, grâce à sa capacité à mettre les barbelés et impacter physiquement l’adversaire. En quête de rédemption, Boston retrouve une image d’équipe soudée, avec une hiérarchie claire, à l’opposé du chantier de la saison passée. En combinant cela à la montée en puissance du trio Walker-Brown-Tatum, avec Gordon Hayward en 4e roue de luxe du carrosse, il y a de quoi envisager de bien belles choses dès aujourd’hui.