Dans la nuit de samedi à dimanche, un nouvel éclat survenait dans l’actualité des Cleveland Cavaliers. Quelques semaines après les déclarations anonymes en provenance du vestiaire de Cleveland sur le coaching de l’équipe, cette fois, c’est une scène en plein jour qui écorchait la franchise. En plein match, visiblement exaspéré, Kevin Love sortait de ses gonds réclamait un ballon avant de lancer une passe rageuse vers Cedi Osman. En cause, l’ailier fort réclamait un ballon pour profiter d’un mismatch sur Chris Paul qui le gardait.
Après la rencontre, John Beilen prenait la responsabilité, arguant ne pas avoir vu la situation. Une fois de plus, le coach de Cleveland proposait une sortie dans le but de protéger à la fois Colin Sexton, porteur du ballon à ce moment, mais aussi l’ensemble du groupe afin que la situation ne s’envenime pas. Quant à Kevin Love, il se fendait d’un poste sur les réseaux sociaux pour clamer son amour envers son coach et ses coéquipiers, rappelant sa bonne entente avec l’ensemble du groupe. Pourtant, la rencontre a bien démontré que la dernière star restante de l’ère LeBron James en avait gros durant cette rencontre.
Et pour cause, entre cette action qui a déjà bien fait parler, d’autres en défense où le joueur semblait peu concerné, on sentait bien que le tonnerre grondait en Ohio. Avant le match, des insiders auraient en effet rapporté une discussion houleuse entre Kevin Love et Koby Altman, GM des Cavaliers. Le joueur aurait fait part de son “dégoût” envers la gestion de la franchise, se sentant floué, englué dans une reconstruction long terme alors que, semble-t-il, ce n’était pas les termes discutés lors de sa resignature à l’été 2018. A l’époque, alors que la franchise voyait son franchise player s’en aller, elle avait “assuré” son avenir en prolongeant Kevin Love pour 4 ans et 120M de dollars a compté de l’été 2019. Une augmentation de son salaire avoisinant les 20% et assurant la franchise de garder un vétéran de haut niveau dans le roster.
En prolongeant avec les Cavaliers, Kevin Love acceptait donc de s’engager jusqu’à ses 34 ans, dans une équipe où tout était à refaire. Une situation que le joueur avait déjà connu dans sa carrière, lui qui a quitté les Minnesota Timberwolves en 2014, après avoir demandé son transfert vers une situation sportivement plus intéressante. Echangé contre le rookie Andrew Wiggins, il a pu prendre part aux finales NBA de 2015 (passée à l’infirmerie), à 2018. Durant cette période, le joueur a connu une situation très différente et a pu gagner le titre NBA en 2016. Si je prends la peine de rappeler ces aspects, c’est pour introduire une réflexion autour des choix de l’ailier fort.
Le cas Kevin Love
Quasiment absent sur l’ensemble de la saison l’an dernier, Kevin Love, désormais âgé de 31 ans, est revenu aux affaires. Après avoir assisté LeBron James (et Kyrie Irving) durant 4 saisons, le joueur était appelé à devenir le vétéran et leader de l’équipe. Problème, le joueur doit désormais composer avec un roster en reconstruction et semble, après 3 mois de compétition, commencer à s’impatienter. S’il affirme être en phase avec ses coéquipiers, il semble aussi laisser sous-entendre qu’il a été lésé quant à la qualité de l’effectif mis en place autour de lui.
Néanmoins, s’il ne faut pas perdre de vu que les joueurs sont des humains, et peuvent avoir, comme tout un chacun des états d’âme, il paraît nécessaire de remettre en perspective la situation et la carrière du joueur. En effet, si l’on regarde l’historique de Kevin Love, on sait que le joueur a été un leader offensif prisé à Minnesota. Véritable machine à jeu chez les Timberwolves, le joueur enchaînait les double-double et pointes au scoring. Malheureusement, entre blessures, entourage un peu léger et compétition chargée à l’Ouest, les Wolves n’ont jamais pu défendre leurs couleurs en post-saison. Lassé de cette situation, il avait alors accepté son transfuge à Cleveland, devenant le numéro 3 d’une équipe armée pour jouer le titre tous les ans. Dans ce rôle, si Kevin Love fut solide et a remporté une bague, il n’a jamais réellement été cette 3eme force de frappe capable de prendre très souvent les matchs à son compte. Ainsi, si le succès fut au rendez-vous, ce fut notamment aux dépends de la perception du joueur comme une force individuelle majeure.
Pourtant, comme Chris Bosh au Heat, Kevin Love a désiré saisir l’opportunité de reprendre le flambeau dans une équipe déserté par King James. Après plusieurs saisons à accepter un aura moindre, le joueur a pu y voir plusieurs opportunités :
- Obtenir un dernier gros contrat (120M/4 ans)
- Remonter sa côte en reprenant les rênes d’une équipe
Souvent sujet aux blessures tout au long de sa carrière, 2018 fut donc une année sans pour l’ailier fort. Ainsi, il est difficile de ne pas considérer la saison en cours comme sa première dans ce rôle à Cleveland. Et c’est là qu’il est intéressant de s’interroger. Après des années à tirer sur la corde pour jouer le titre, les Cavs avaient-ils réellement les ressources pour monter une équipe compétitive après le départ de James ? De toute évidence, la réponse apparaît être un non catégorique. D’autant que la salary cap de la franchise était encore bien malmené par plusieurs contrats assez lourds donnés à des vétérans. Ainsi, voir Cleveland squatter les bas fonds de la ligue dans l’espoir d’obtenir des tours de draft élevés apparaissait comme naturel. Entourées, présentes dans le système NBA depuis longtemps, les stars NBA sont à priori capables d’analyser la situation avant de s’engager dans une équipe. En outre, difficile de percevoir l’idée d’entourer Love comme un projet satisfaisant pour Koby Altman et son staff. L’exemple de Carmelo Anthony avec les Knicks pouvait, par exemple, servir de jurisprudence pour Kevin Love s’il souhaitait réellement jouer les Playoffs dès son retour aux affaires.
Au lieu de cela, l’ailier fort a accepté un salaire de 30M annuel l’engageant sur le long terme avec la franchise.
S’il espérait donc obtenir une équipe compétitive, cela veut dire :
- Qu’il a fait fi de la situation de la franchise
- Qu’il a accepté un contrat très élevé pensant que cela ne nuierait pas à la compétitivé de l’équipe
S’il espérait obtenir le contrat et se faire trader, cela veut dire :
- Qu’il était sûr de sa valeur auprès des autres GMs (travail que son agent est supposé gérer)
- Qu’il pensait que le montant du contrat ne serait pas un frein à son transfert
Pourtant, après 30 rencontres cette saison (déjà 8 de plus que l’année dernière), Love perd patience. En dépit d’un niveau défensif très moyen et d’une volume offensif tout juste égal à celui qu’il affichait lors de ses 2 premières saisons à cohabiter avec LeBron James, Kyrie Irving ou autre JR Smith. Si le joueur a épuré son jeu au fil des saisons, il est aussi très loin du volume de jeu qu’il pouvait avoir lors de ses saisons dans le Minnesota. Un double problème alors que le joueur peste contre sa situation. Car désormais, soit la franchise veut le conserver pour qu’il assume le contrat qu’il a accepté, ce qui signifie qu’il devrait s’en tenir à la situation qui est la même qu’au moment où il a paraphé son contrat, soit qu’elle n’arrive pas à lui trouver un point de chute. Dans le second cas, on pourrait alors remettre en avant la difficulté d’échanger un joueur en baisse de régime, avec un contrat équivalent à 27,5% du salary cap d’une équipe, et qui a multiplié les blessures en carrière. De là à penser que l’ailier fort a pris un contrat supérieur à sa valeur intrinsèque ? Très probablement.
Enfin, dernier rappel qui semble nécessaire, au moment où Love se réengageait avec les Cavaliers, il était déjà clair qu’il serait très dur d’obtenir des renforts. Toujours dans le rouge financièrement, Cleveland pouvait au mieux espérer revenir dans la course à compter de l’été prochain, sans balancer tours de draft à la pelle pour se délester des nombreux contrats pesants sur son cap. Un simple coup d’oeil sur les contrats de la franchise pouvait gréver l’optimisme de n’importe quel joueur espérant une compétitivité immédiate, comme le tableau ci-dessous l’atteste.
De l’hypocrisie des joueurs NBA ?
On dit souvent que les joueurs NBA auraient tort de se priver de prendre le maximum d’argent, peu importe la situation. Cette philosophie, celle adoptée par l’essentiel des joueurs NBA est tout à fait compréhensible. Membre et acteurs majeurs d’un spectacle générant des milliards de dollars, ils ne font finalement qu’accepter des contrats qui leur ont été proposés, ou ont tout du moins été accepté par les dirigeants de franchise des suites d’une négociation. En ce point, il est difficile de contredire que leur choix peut se comprendre.
Cet été, Carmelo Anthony, expliquant son décalage contractuel permanent avec les autres membres de la draft 2003 disait :
Ma mentalité a toujours été de prendre le maximum d’argent au moment où ça m’a été proposé. C’est pour ça que je me suis engagé sur 5 ans avec Denver (ndlr : il aurait pu prendre 4 ans (ou 4+1) pour sortir de ses obligations en même temps que sa classe de draft). C’est pour ça que je n’ai pas eu les mêmes équipes que mes compagnons de draft.
Entre les lignes, Carmelo explique que l’argent a toujours été au centre de ses décisions, mais aussi que c’est en raison de ce choix qu’il n’a pu, comme LeBron, Wade ou Bosh, avoir plusieurs stars à ses côtés. Cette erreur, l’ailier l’a reproduite une seconde fois, en 2014, décidant de se réengager avec des Knicks en pleine reconstruction, acceptant ainsi de laisser plusieurs saisons dans une équipe de bas de tableau. Dans un autre registre, le contrat de 160M sur 4 ans, pris par Chris Paul à l’été 2018, a largement pu contribuer à la décision des Rockets de l’évincer l’été dernier. Vieillissant, de petite taille même pour un meneur, il était légitime de s’inquiéter de sa faculté à ne pas être un poids pour l’équipe d’ici la fin de ce contrat. Envoyé dans une équipe solide mais pas assez pour le titre, le joueur semble accepter sa situation, même si ce transfuge ampute sérieusement ses chances de concourir pour le titre dans les années à venir.
Pour des joueurs comme CP3 qui acceptent leur situation, il existe des pendants comme Kevin Love ou Carmelo en son temps, qui vivent mal des positions dans lesquels ils se sont pourtant mis de leur propre chef. Accepter un contrat élevé (/supérieur à sa valeur réelle), en étant sur la pente descendante, est un risque que les joueurs et leurs entourages sont capables d’appréhender. Pourtant, là où Anthony a longtemps patienté, Kevin Love semble déjà prêt à faire feu de tout bois pour se sortir de cette situation. De là à taxer l’ailier fort d’un brin d’hypocrisie ? Il n’y a aussi, potentiellement, qu’un pas. Car si les joueurs NBA peuvent se sentir pris en otage pour des longues périodes de leur vie (on ne sort pas d’un contrat NBA comme on veut), des comportements outrageux ou tendancieux peuvent aussi saboter un vestiaire ou la valeur d’un joueur. Pourtant, au risque de la marteler jusqu’au bout, il était difficile d’imaginer une autre trajectoire pour cette équipe au moment où Love s’engageait pour 4 années supplémentaires avec la franchise…