Le 31 août 2019, nous vous proposions, sur QIBasket, nos pronostics collectifs sur la saison 2019 – 2020. Globalement, toute l’équipe voyait le Heat de Miami accrocher les playoffs au printemps prochain (7ème, en moyenne). Alors qu’un tiers de la saison régulière est d’ores et déjà derrière nous, force est de constater que les hommes d’Erik Spoelstra déjouent, pour l’instant, nos pronostics. Ainsi, au soir de Noël, le Heat trône sur le podium de la conférence Est, devant les Sixers, les Pacers ou les Raptors. Une performance liée, bien entendu, à un collectif très huilé, ainsi qu’à un Jimmy Butler qui est parvenu, une fois n’est pas coutume, à s’intégrer de manière optimale dans un collectif. En analysant de plus près les prestations des hommes de South beach, on s’aperçoit qu’un autre joueur tire son épingle du jeu. Et si nous aurions pu consacrer cet article à Kendrick Nunn, Goran Dragic ou Tyler Herro, nous braquerons nos projecteurs sur Bam Adebayo, le pivot titulaire de l’équipe.
La saison dernière, nous avons quitté Bam Adebayo au mois d’avril, le Heat n’étant pas parvenu à décrocher l’une des huit tickets pour la post-season. Le jeune homme, issu de la faculté de Kentucky, terminait alors sa saison sophomore dans un rôle de doublure. En effet, Miami possédait encore dans ses rangs un pivot (sur)payé à prix d’or, Hassan Whiteside, parti depuis du côté de Portland. Néanmoins, la fin de la saison régulière annonçait la donne : c’est bel et bien le jeune Adebayo qui était aligné d’entrée sur le terrain, reléguant Whiteside sur le banc pour les vingts dernières rencontres.
Il faut dire que le potentiel du numéro 13 du Heat, s’il ne crevait pas encore l’écran, se sentait tout de même de loin. Devenu titulaire indiscutable dans la raquette de Miami pour la saison en cours, il n’a de cesse de démontrer qu’il a – très largement – le niveau requis pour effectuer une solide carrière en NBA. Mieux encore, il semble, déjà, venir toquer à la porte du All-Star Game, alors qu’il n’a que 22 ans et qu’il effectue sa première saison en tant que titulaire. C’est dire si, depuis le mois d’avril, les progrès d’Adebayo furent fulgurants. Il s’avère qu’en plus de posséder l’entière palette du joueur moderne (ce que nous aurons l’occasion de détailler ci-dessous), le pivot commence, petit à petit, à dominer des deux côtés du terrain. De quoi offrir de la suite dans les idées à tous les supporters de la franchise floridienne.
Avant d’entrer plus en détail sur ses performances et son impact sur le jeu du Heat, faisons un rapide focus sur les statistiques du bonhomme.
On s’aperçoit, en comparant l’actuelle saison avec la précédente, que l’ensemble de ses statistiques brutes ont augmenté. Logique, vous me direz, puisque son temps de jeu moyen a explosé (+10,8 minutes de moyenne), en raison du départ de Whiteside pour l’Oregon. Adebayo partage désormais le poste de pivot avec Kelly Olynyk, joueur qui n’a jamais réellement su s’imposer en première option dans sa carrière NBA.
Nous le voyons, le bond statistique est impressionnant, mais doit être relativisé en raison de l’augmentation du temps de jeu. Il est dès lors nécessaire de prendre ce critère en compte, en faisant la moyenne statistique des deux saisons sur un temps de jeu équivalent : 36 minutes.
A ce petit jeu, la progression du pivot n’est plus contestable. L’intégralité de ses statistiques brutes sont en progression, exception faite du rebond, pour lequel il fait jeu égal avec la saison précédente. Toutefois, n’oublions pas de préciser qu’en cette cuvée 2019 – 2020, Adebayo se frotte avec les meilleurs intérieurs du monde, tandis qu’il avait l’habitude de batailler avec les “seconds couteaux” la saison dernière. Dès lors, indéniablement, il convient de souligner que son niveau de jeu a connu une ascension formidable en l’espace de six mois.
On se rend compte que désormais, Bam est devenu un pivot hyper complet. Parmi l’ensemble des intérieurs contemporains (en excluant DeAndre Ayton, qui n’a joué que deux rencontres cette saison), il présente ainsi :
- la 6ème moyenne au scoring,
- la 8ème moyenne au rebond (16ème au rebond offensif, 8ème au rebond défensif),
- la 2ème moyenne à la passe,
- la 2ème moyenne à l’interception,
- la 15ème moyenne au contre,
- la 20ème moyenne au TS%,
- la 16ème moyenne au PER.
D’ailleurs, pour l’anecdote, sachez que seuls deux joueurs sont parvenus à terminer une saison avec les statistiques que propose aujourd’hui Bam Adebayo, et pas n’importe lesquels : David Robinson (saison 1993 – 1994) et DeMarcus Cousins (saison 2017 – 2018 écourtée par une blessure, 48 rencontres disputées). Certes, ce genre d’information veut à la fois tout et rien dire. En l’occurrence, cela permet tout de même de mettre en exergue l’extrême polyvalence que possède le jeune pivot dans tous les secteurs du jeu, et notamment à la passe, domaine habituellement réservé aux extérieurs.
Au-delà de cette évolution statistique, on s’aperçoit surtout qu’Adebayo a gagné en régularité au fur et à mesure que la saison 2019 – 2020 avance. Il avait ainsi la fâcheuse tendance à disparaitre face aux pivots dominants de la Ligue en début de saison, en réalisant de toutes petites performances face à Karl-Anthony Towns lors de la troisième rencontre (défaite du Heat de 13 points), face à Nikola Jokic (septième match, 6 points scorés à 2/9 au tir et défaite de 20 points) et face à Joël Embiid (quinzième match, 12 points scorés et défaite de 27 points). On se rend compte que lorsque son pivot titulaire ne parvient pas à peser sur la rencontre, le Heat ne parvient pas à remporter celle-ci.
Exit ces prestations timides. Depuis le début du mois de décembre, mis à part une sortie de route contre Boston (8 points et une défaite du Heat de 19 points), Adebayo est devenu un modèle de régularité. Mieux encore, il a réalisé certains performances de très haute volée.
Sur les douze rencontres disputées par le Heat depuis le 1 décembre (à l’heure de la rédaction de ces lignes), qui ont d’ailleurs accouché de neuf victoires, le pivot floridien affiche des statistiques en tout point supérieur à sa moyenne actuelle, signe qu’il monte petit à petit en puissance. Mieux encore, il s’est fendu de certains matchs prestigieux, au point de se voir nommer joueur de la semaine au milieu du mois de décembre, pour la première fois de sa carrière.
Il a ainsi réalisé le premier triple-double de sa carrière contre les Hawks (certes orphelins de John Collins) : 30 points, 11 rebonds, 11 passes décisives à 13 / 18 au tir. Une ligne statistique que ne renierait pas Oscar Robertson en son temps. Adebayo doublait la mise deux rencontres plus tard, avec un 18 points, 11 rebonds et 10 passes décisives collés sur la tête des Mavericks, pour une victoire à l’arrachée des siens. Et lorsque Joël Embiid et les Sixers ont repointé le bout du museau, le grand Bam a sorti le grand jeu, face à celui qui peut être considéré comme un top 3 pivot de la Ligue (en voyant très large) : victoire du Heat (+4) avec 23 points et 9 rebonds de son pivot, à 9 / 16 au tir.
Terminons cet étalage statistique par une dernière anecdote à trois francs six sous : sur les sept dernière rencontres, Bam Adebayo est encore parvenu à hausser son niveau de jeu, et présente un bilan individuel qui n’a plus été aperçu depuis … Wilt Chamberlain. En effet, seul le grand Wilt s’est élevé (à deux reprises) au niveau affiché dernièrement par l’ancien de Kentucky : 20,3 points, 11,9 rebonds, 6,6 passes décisives, 1,7 interceptions et 1,6 contres. Vous avez dit “complet” ?
Il est parfois des cas où les statistiques affichées par un joueur ne reflètent pas son réel impact sur le terrain. Certains sont ainsi accusés de “gonfler” volontairement leur performance. Avec Adebayo, il n’en est absolument rien. Au-delà de son potentiel offensif, encore brut et qui mériterait de voir se développer un tir à longue distance, c’est défensivement que le joueur se montre effrayant. Posons les bases : s’il mesure 2m06 et pèse 115 kilos, le pivot est capable de défendre sur les cinq postes. Il s’avère qu’en high school, il était déjà envoyé en mission défensive sur certains extérieurs, tels que le supersonique De’Aaron Fox, le polyvalent Lonzo Ball ou le scoreur Jayson Tatum. Avec succès.
Les aptitudes démontrées en high school, Adebayo les a parfaitement transposées dans la Grande Ligue. Pour affirmer cela, nous disposons encore une fois de certaines statistiques (que nous dévoilerons ci-dessous). Mais plus encore, il y a la réalité du terrain, que nous allons présenter dès à présent.
Le 27 novembre 2019, le Heat se déplaçait à Houston. Erik Spoelstra, qui n’est tout de même pas le perdreaux de l’année, devait faire face à un problème que connaissent tous les coachs cette saison : comment défendre efficacement sur James Harden et Russell Westbrook ? C’est donc Jimmy Butler qui s’est coltiné le barbu toute la soirée, avec une réussite mitigée (34 / 6 / 5 à 39 % au tir pour Harden). Quid de Westbrook ? Il s’avère que c’est Adebayo qui a été envoyé défendre sur l’autoproclamé joueur le plus rapide de la Ligue. Un sacré challenge pour celui qui mesure 15 centimètres de plus que l’ancien meneur du Thunder, tout en lui prenant 25 kilos !
Au final, Houston remportera la rencontre, et Westbrook effectuera une rencontre pleine : 27 points, 9 rebonds et 7 passes décisives. On pourrait ici se dire que le plan confectionné par Spoelstra ne fut qu’un immense échec, et qu’Adebayo s’est fait manger par son vis-à-vis. Ce serait aller bien trop vite en besogne. Si l’on se penche plus en avant sur la prestation défensive de celui-ci, on s’aperçoit qu’il a réalisé une rencontre XXL de son côté du terrain.
On le sait, Westbrook est un véritable bulldozer lorsqu’il attaque le cercle, tandis qu’il a tendance à déjouer lorsqu’il doit dégainer derrière l’arc (25,2 % de réussite à trois-points cette saison). Ainsi, la mission du jeune pivot était majeure : tenter de limiter l’accès au cercle au meneur des Rockets, pour le forcer à le sortir de sa zone de confort. Une tâche sur laquelle nombre de défenseurs se sont cassés les dents. Cette saison, Westbrook drive vers le cercle à 17 reprises en moyenne. Lorsqu’il était défendu par Adebayo, son nombre de pénétration s’est réduite de presque de moitié : 10 attaques de cercles sur 36 possessions. C’est la preuve que Bam possède les capacités physique pour rester au contact du monstre qu’est Westbrook, tout en ayant la mobilité latérale pour ne pas se faire déborder.
Mieux encore, sur les 21 tirs tentés ce soir-là par le Brodie, 16 ont été pris à plus de 10 pieds du cercle (soit 3 mètres). Le schéma de jeu demandé par Spoelstra, coach réputé pour sa défense, a donc été respecté au millimètre par son jeune pivot. Néanmoins, il est des soirs où même lorsqu’on défend impeccablement sur elles, les superstars scorent tout de même. Ce fut le cas en ce 27 novembre 2019, où Westbrook convertira 52 % de ses tentatives. Ce n’est pourtant pas faute pour Adebayo de s’être dépouillé pour lui rendre la vie difficile.
S’il parvient donc à défendre les meneurs, Bam n’est pas en reste contre les intérieurs dominants. Pour illustrer ceci, prenons deux exemples. Le premier d’entre-eux concerne son face à face avec Pascal Siakam, actuel onzième meilleur scoreur de la saison. Le 3 décembre, à l’issu du temps réglementaire, le Heat et les Raptors sont dos à dos. Sur l’ensemble de la prolongation, Adebayo s’est occupé défensivement du grand Pascal. Voici le résultat :
Sur les cinq minutes de la prolongation, Siakam n’a même pas pu prendre un seul tir. La défense étouffante proposée par son vis-à-vis floridien a complètement étouffé le franchise player canadien, qui en a pourtant vu d’autre. Sa principale option offensive muselée, les Raptors ne scoreront que deux points au cours de cette prolongation, et le Heat s’envolera vers la victoire.
On reconnait la valeur d’un homme à l’adversité qui lui est proposée, parait-il. Actuellement, en terme d’adversité, quoi de mieux que de défendre sur Giannis Antetokounmpo ? Pour la seconde rencontre de la saison, le Heat est allé défier les Bucks dans le Wisconsin. Avec, comme résultat, une victoire après prolongation. Miami s’est donc payé le luxe de défaire les Bucks, les Raptors et les Sixers à l’extérieur, performance que la franchise floridienne est la seule à avoir réalisée cette saison.
Encore une fois, si l’on se contente de regarder les statistiques brutes d’Antetokounmpo sur le match, on peut imaginer qu’il n’a fait qu’une bouchée de la défense adverse : 29 points, 17 rebonds, 9 passes décisives en 37 minutes. Toutefois, la limonade n’est pas la même lorsque le génial Grec était défendu par Bam l’impressionnant. A partir du troisième quart-temps, c’est ainsi Adebayo qui s’est sacrifié pour tenter de freiner, si tant est que ce soit possible, le rouleau-compresseur des Bucks. Et possible, ce l’était, la preuve en chiffre.
Sur l’ensemble de la rencontre, Antetokounmpo affiche 57 % de précision au tir. Un pourcentage qui a légèrement diminué à partir de la seconde période (50 % sur les troisième et quatrième quart-temps ainsi que sur la prolongation). Giannis a donc plus été gêné par Adebayo que par les autres défenseurs du Heat. Le boxscore du MVP en titre sur la rencontre nous en apprend encore plus sur le travail de titan réalisé par le grand Bam :
Alors qu’Antetokounmpo s’est globalement baladé en première période, les Bucks ont encaissé plus de points qu’ils n’en ont scorés à compter du moment où leur ailier-fort était défendu par le pivot adverse (qui, lui, présente une boxscore de +15 à partir du troisième quart-temps).
Enfin, précisons qu’à la mi-temps de cette rencontre, Milwaukee menait de 17 points, avant de s’effondrer sur la demi-heure suivante (-6 sur le troisième, -11 sur le quatrième, -5 sur la prolongation). De là à faire un lien avec la défense de haute volée d’Adebayo ? Il y a un pas qu’il convient de franchir sans hésiter.
Pour couronner le tout, le bonhomme se permet d’être clutch ! A 20 secondes de la fin de la rencontre, le Heat mène : 129 – 126. Dragic est envoyé sur la ligne des lancers-francs. S’il en convertit un, Miami s’envolerait vers une victoire de prestige. Le poignet du Slovène tremble : 0 / 2. Bledsoe part en contre-attaque et monte au dunk. Il est contré par Adebayo, qui claque un chase down block qui rendrait fier LeBron James. Pour clôturer le festin, le pivot ira inscrire ses deux lancers-francs, pour sceller la victoire des siens, qui porte pleinement son empreinte.
Au final, à l’heure de célébrer Noël, Bam Adebayo est lancé, à titre individuel, dans une double course : celle du défenseur de l’année et celle de la progression de l’année. Et s’il parait peu probable qu’il rafle les deux trophées, il possède de réels arguments dans les deux classements. Et si Antetokounmpo semble – encore une fois – être un concurrent sérieux au titre de DPOY, qu’Embiid et Gobert ont toujours des arguments à revendre, nombreux sont les observateurs qui, aujourd’hui, donneraient leur vote à l’intérieur de Miami.
On se rend compte ici, grâce au graphique du génial @NBA_Math, qu’en ce début de saison, Adebayo est deuxième au classement des points sauvés (chiffres arrêtés à la fin du mois de novembre). En guise de complément, notons que Bam est aujourd’hui troisième au defensive win shares et second au defensive plus minus, deux statistiques avancées qui permettent de rendre compte de l’impact défensif d’un joueur lorsqu’il est sur le parquet.
En attendant la fin de la saison régulière, qui promet d’être encore longue et mouvementée, il est donc un joueur qui affiche d’énormes progrès offensifs, qui est capable de défendre sur l’ensemble des cinq postes indifféremment et qui pèse sur le jeu d’une excellente franchise de sa conférence. Qui sait, si le Heat parvient, d’ici la clôture des votes pour le All-Star Game, à conforter sa place sur le podium de l’Est, si Adebayo ne gagnera pas son ticket pour le match des étoiles aux côtés de Butler ?
Et si ce n’est pas le cas, gageons que personne ne sera ravi d’affronter ce Heat-ci au printemps prochain. Surtout si son pivot phare poursuit son chantier dans toutes les raquettes du pays. Tremble, Wilt Chameberlain !