L’an dernier, alors que les Hornets de Kemba Walker tentaient une dernière charge pour la gloire et une dernière place en post-saison, ce n’était pas les vétérans de Charlotte qui brillaient en sortie de banc, mais bien sa jeunesse. Parmi les joueurs qui montaient d’un ton pour finir l’exercice, un rookie plus âgé que la moyenne : Devonte’ Graham. Meneur de poche, non sans rappeler la star de l’équipe, il allait se faire une petite place dans la rotation grâce à sa défense et un sens du jeu plus qu’évident. Mais la version 2018 de l’ex meneur des Kansas Jayhawks n’était qu’une pâle antériorité, comparée à celle qui allait éclore à l’aube de la nouvelle décennie. Car si la présence dans la course aux Playoffs 2020 de Charlotte est déjà une belle surprise en soit, tout cela ne serait pas possible sans la véritable explosion du meneur de 24 ans.
Sélectionné à la draft 2018 par les Atlanta Hawks, Charlotte met immédiatement le grappin sur le joueur en échange de 2 second tour draft. A l’époque, l’objectif est clair, trouver un meneur à bas prix, mais déjà expérimenté derrière Kemba Walker, sur qui la saison des Hornets reposait. Pourtant, peu après cet échange, c’est un invité surprise qui débarque en Caroline du Nord : Tony Parker. Face à deux poids lourds à la mène, le joueur fait petite figure mais va avoir l’occasion d’apprendre de deux figures de proue de la NBA à son poste. D’un côté, un des scoreurs les plus prolifiques chez les meneurs, de l’autre, un ex-MVP des finales aux récompenses collectives presque innombrables. Pour garder le rythme, la franchise lui proposera d’intégrer la G-League, pendant qu’elle-même tente de trouver ses marques avec un nouveau coach et un effectif toujours bancal. Chez les Swarm de Greensboro, Devonte’ va montrer l’étendue de son talent en surnageant littéralement dans la ligue mineure. Avec plus de 23 points de moyenne en 13 rencontres, le constat est clair : sa place est en NBA. Et pour cause, malgré son long cursus universitaire, ce n’est pas n’importe qui que Charlotte vient de récupérer.
Quelques mois plus tôt, Graham est devenu le fer de lance d’une des plus grosses écuries NCAA. Pourtant, depuis le lycée, rien ne le prédestinait à un jour faire une entrée fracassante dans un des programmes majeurs de l’univers universitaire. Souvent sous-estimé, le meneur construit son esprit de compétition dans l’ombre et accepte à cet égard de laisser le temps faire son œuvre. Pourtant, contre toute attente, Graham va rapidement mettre la main sur le poste de meneur titulaire des JayHawks.
Nous sommes en 2015, et Wichita State vient de terrasser Kansas. La March Madness est terminée pour les hommes de Bill Self. Pourtant, dans le brouhaha assourdissant des salles universitaires, mêlé au sinistre bourdonnement de la défaite, la vie de basketteur de Devonte’ vient de radicalement changer. Alors que celui-ci a vainement brillé dans la rencontre, le coach lui fait une promesse : plus jamais il ne sortira du banc. Dès lors, celui qui a toujours été regardé de haut doit devenir le cœur de l’équipe, tâche dont il va s’acquitter malgré la présence de prospects bien plus en vue que lui-même dans son programme. Saison après saison, il prend une place croissante au cœur de l’équipe, jusqu’à devenir l’Iron Man des Kansas Jayhawks en 2017-2018. L’ancien remplaçant ne voit, parfois, plus le banc durant l’ensemble de la rencontre. Son coach en fait un général des parquets au point que l’équipe devienne incapable de jouer sans son leader sur le terrain. Pourtant, nous ne sommes pas dans une équipe de seconde zone.
Intense des deux côtés du terrain, d’une adresse létale à 3 points, capable de s’adapter à toutes les défenses envisagées par les coachs adverses, Devonte’ Graham s’épanouit. Entre performances dominantes au scoring, à la passe et tirs clutchs à foison, le meneur devient une des plus belles histoires du programme. Au point d’emballer les scouts NBA ? Pas vraiment : le joueur est resté longtemps dans le circuit NCAA et reste un joueur d’1m85. Mais il a tapé dans l’œil des Charlotte Hornets. Suffisant pour avoir sa chance, dans une Grande Ligue ou de plus en plus de seconds tours de draft arrivent à se faire une place de choix.
Et la saison 2019-2020 arriva…
Si aux côtés d’autres jeunes prospects des Hornets Devonte’ Graham réussit à se faire une place dans l’équipe, il reste largement méconnu aux yeux du grand public. En joueur de devoir, le meneur sait qu’il faut faire le dos rond et attendre son heure. Comme à Kansas 4 ans plus tôt, il sort du banc et essaie d’aider son équipe à l’emporter. D’ailleurs, s’il fait bonne impression, la production statistique reste trop légère pour espérer obtenir les odes des fans : 4,7 pts à 34% au tir et 2,6 asts en 15 minutes de jeu.
Néanmoins, quelques remarques s’étaient déjà imposées : malgré sa petite taille, le joueur reste un défenseur dur, même au niveau supérieur et il sait indubitablement faire tourner la gonfle, garder son calme.
La saison terminée, le joueur reste donc déterminé et travaille ce qu’il a appris et compris de la NBA. Pas de changement drastique dans sa préparation estivale alors que dans le même temps, Kemba Walker s’envole vers Boston et Jeremy Lamb vers l’Indiana. Les cartes sont redistribuées dans la franchise et la jeunesse s’apprête à recevoir les pleins pouvoirs. Même les vétérans restants sont sommés de faire place : Nicolas Batum ou encore Marvin Williams vont donc voir leurs rôles réduits au profit de leurs anciens remplaçants et nouveaux arrivants. Alors que Tony Parker a annoncé sa retraite sportive, Graham se serait presque retrouvé sans concurrence si ce n’était pour l’arrivée de Terry Rozier, désireux d’obtenir un statut de titulaire en NBA.
James Borrego va pourtant vite saisir qu’en dépit de l’arrivée de Rozier, Graham se doit d’intégrer le 5 de départ. Seul joueur de l’équipe à avoir un ratio positif sur le terrain en début de saison (10 premiers matchs), le choix s’impose. Avec son excellent début de saison, Charlotte s’avère plus difficile à manier qu’il n’y paraissait et le joueur gagne en confiance. Alors qu’il avait toujours évolué autour des 40% derrière l’arc en NCAA, sa première saison était une véritable bévue dans cet exercice. En trouvant ses marques, il redevient létal de loin et ouvre le jeu pour son équipe. En outre, on retrouve des gestes qu’il semble avoir observés de ses anciens coéquipiers jusqu’à les intégrer. Des tirs à 3 points en sortie d’écran, qui sont sans rappeler ceux de Kemba, ou un floater qu’il utilise parfois, marque de fabrique de Tony Parker, Graham s’est comporté en véritable éponge. Car s’il n’a pas modifié sa routine d’entraînement, il s’est forcé à ajouter plusieurs marques de fabrique de ses illustres coéquipiers pour gonfler son jeu.
Maintenant que place lui est faite, le joueur semble à même de faire le même chantier qu’en NCAA – et les chiffres parlent d’eux-même. 19,3pts à 38,5% au tir dont 40,6 à 3 points et 7,5 passes décisives de moyenne. Côté records en carrière, le joueur commence à se faire une place de choix. Entre ses 10 tirs marqués à 3 points contre les Warriors, ses 40 points une semaine plus tard pour dominer les Nets ou ses 15 passes décisives face aux Pistons, le joueur fait parler de lui. Au point d’être mentionné pour un titre de MIP, trophée rarement accordé aux joueurs de seconde année.
Les observateurs ne s’y méprennent pourtant pas : la performance réalisée par le joueur est aussi impressionnante que le joueur était inattendu. Certes, sa capacité à finir près du cercle ou à mi-distance (25% au tir seulement !) reste encore famélique, mais la capacité du meneur à s’adapter à l’adversaire reste intacte, même face à des joueurs beaucoup plus athlétiques qu’à l’échelle universitaire. En outre, sa rapide éclosion permet à James Borrego de compenser une réelle faiblesse annoncée de l’équipe. Alors que les Hornets semblaient en déficit de créateurs balle en main, le head coach peut finalement débuter les rencontres avec deux ball-handler, alignant Rozier et Graham sur les lignes arrières. Une paire, certes, de petite taille, mais qui pousse les équipes adverses à s’adapter. D’autant que le sang froid du jeune joueur semble déjà respecté par les défenses adverses. En effet, même dans des soirées difficiles, Devonte’ est toujours capable de prendre les tirs importants pour aider son équipe. Comment ? Comme face au Jazz, pas plus tard que le week-end dernier, où le meneur, malgré une maladresse générale, redonne l’espoir à son équipe d’un énorme 3 points en dépit de l’immense main de Rudy Gobert devant son visage.
Et si la victoire ne fut pas au bout cette fois, on ne pourra pas lui reprocher de ne pas avoir déjà fait la décision en la faveur des siens. Comme face à Indiana. Ou aux Knicks.