Il y a une dizaine de jours, les Clippers faisaient grand bruit en relançant le débat autour de la question « load management », ce repos accordé par les franchises à leurs meilleurs joueurs. En choisissant de laisser Kawhi sur le banc pour le choc contre les Bucks, la franchise de Los Angeles a de nouveau questionné observateurs et instances de la ligue autour de la multiplication de ce matchs de repos, prenant même une amende pour l’occasion. Perte d’intérêt du match qui entraine déception des fans et baisse d’audience, voilà ce qui inquiète la NBA.
Le calendrier en débat
La question n’est cependant pas nouvelle. D’ailleurs, la ligue a, ces dernières années, essayé de limiter ces cas de figure, à travers par exemple un allongement d’une à deux semaines du calendrier pour espacer les matchs et ainsi réduire le nombre de back-to-back, ou encore par l’introduction d’une pause d’une semaine autour du All Star Game, donnant aux joueurs une vraie période de repos.
Mais malgré ces avancées, les franchises continuent de protéger leurs joueurs. Et l’exemple des Toronto Raptors l’année dernière ne peut que donner raison aux staffs médicaux. En ne faisant jouer sa star d’alors seulement 60 matchs en saison régulière malgré l’absence de blessure majeure, la franchise canadienne a gagné son pari, puis ce que Kawhi Leonard est apparu au top de sa forme au printemps, offrant le titre à sa franchise. Une solution évidente et régulièrement débattue à ce problème est une réduction du nombre de matchs en saison régulière. Si les joueurs jouent moins de matchs, les franchises n’auraient alors plus de raisons de les protéger.
Le débat autour d’un allègement du calendrier a été officiellement ouvert en avril dernier, par Adam Silver. Avant le début des playoffs, le boss de la NBA a donné une conférence de presse dans laquelle il a abordé différents sujets, incluant celui du calendrier. Celui ci a alors déclaré qu’il n’y avait “rien de magique” et que “la ligue et les joueurs ont un intérêt commun à maximiser les audiences et l’intérêt des matchs”. Quelques mois plus tard, les médias américains ont rapporté que la question d’une réduction du nombre de matchs avait même été discutée en coulisses, avec les propriétaires.
82, d’où ça vient ?
Avant de revenir sur les arguments de chaque camp, un peu d’histoire, en notant que ce chiffre de 82 n’est pas immuable. Il a d’ailleurs évolué quelque peu depuis les débuts de la NBA.
En effet lors de sa création, la ligue de basket professionnel comptait 11 équipes, jouant 60 matchs chacune. Puis dès la deuxième saison, en 1947, on tombe à 7 équipes jouant 48 matchs. Finalement, face à l’évidence qu’un plus grand nombre de matchs augmenterait ses revenus, la ligue décide, au début des années 1960, qu’une quatre-vingtaine de matchs en six mois permettrait d’assurer des revenus suffisants (à travers la vente des billets et des droits télé) aux franchises pour pouvoir exister.
Ce chiffre est alors défendu comme un compromis entre la quantité (de matchs et de revenus, donc) et la qualité (c’est à dire du corps des joueurs, qui seraient capables de tenir ce rythme). Le chiffre précis de 82 arrive un peu plus tard, en 1967, alors que la ligue s’étend à 12 équipes, pour permettre un nombre de confrontations équivalent entre équipes (8 par adversaires de conférence, 7 pour les autres). Il n’évoluera plus jusqu’à aujourd’hui.
Revenus, équité, records… : des arguments dépassés ?
L’argument des revenus est donc ce qui explique un nombre aussi important. Celui ci était sans aucun doute recevable à l’époque, mais est-ce toujours le cas aujourd’hui ? La question se pose.
Si moins de matchs signifierait nécessairement moins de billets vendus, la plus grosse source de revenus concerne bien la vente de droits télé. Sur ce point, on peut légitimement douter d’une baisse de leur valeur malgré une baisse de celle du nombre de matchs. En effet, l’enjeu des matchs serait bien plus important, mobiliserait donc plus les fans, et, a fortiori, rassemblerait potentiellement plus d’audience, compensant ainsi la baisse en quantité.
Si comparaison n’est pas raison, notons que la NFL, par exemple, génère plus de revenus que la NBA, malgré seulement 16 matchs de saison régulière. Le fan de NBA moyen ne regarde pas l’intégralité des 82 matchs de son équipe préférée, ainsi, même si son équipe n’en joue que, par exemple, 58, le nombre de matchs qu’il regardera pourrait rester le même, et ainsi garantir des audiences supérieures à chaque match. Tout cela n’est que supposition, mais le “nombre juste” de 82 datant des années 1960 mérite au moins d’être discuté.
Un autre argument pour justifier ce nombre de matchs serait l’équité sportive. 82 matchs permettraient d’avoir un échantillon très important, et ainsi être certain que les meilleures équipes se retrouvent en playoffs. Cet article démonte cet argument en calculant, de manière scientifique, le nombre de matchs nécessaire pour se faire une idée précise du niveau de chaque équipe. Il ressort de cette enquête un nombre de… 15 matchs.
Si une saison si courte n’est évidemment pas envisageable, ces calculs nous montre bien l’absurdité de l’argument sportif. 15 matchs semblent trop peu, mais prenons l’exemple, d’une saison de 58 matchs. L’année dernière, les onze meilleures équipes de la ligue après 58 matchs, étaient toujours les onze meilleures à la fin de la saison, seul l’ordre avait changé, à la marge.
L’argument financier est donc discutable et celui de l’équité sportive tout simplement faux. Le dernier argument qui revient régulièrement pour défendre cette longue saison, est celui des records, des statistiques, servant de comparaisons entre époques, qui seraient rendues très difficiles. Quelle que soit l’époque, les joueurs ont joué 82 matchs par saison, donnant ainsi un invariable aux comparaisons statistiques.
J’avoue avoir personnellement du mal à être sensible à cet argument, tant les comparaisons entre époques me semblent déjà très difficiles. Le rythme et le style de jeu évoluent trop rapidement pour donner du sens à celles-ci. Comment comparer l’époque que l’on vit avec les précédentes, tant le basket a changé, tant le shoot à trois points a pris de l’importance ? La plupart des records “all time” ne seront sans doute jamais battus dans ce cas de figure, soit. Mais la NBA est trop profonde pour que nous ne trouvions pas d’autres raisons de s’extasier devant les performances de nos joueurs préférés.
De plus, même ce dernier argument est discutable. En effet, une saison plus courte signifie des joueurs plus en forme, donc meilleurs, mais aussi et surtout des carrières plus longues. Sur l’entièreté d’une carrière, ce nombre de matchs en moins par saison pourrait être compensés par un nombre de saisons plus important jouées sur une carrière. Le “prime” des joueurs deviendrait plus long, et les performances se multiplieraient sur la durée.
Enfin, des saisons plus courtes signifierait très probablement moins de blessures. La peur des blessures est l’argument principal qui justifie le repos des stars par les franchises. Et nous allons voir qu’elles ont raison. En effet, la densité du calendrier a des conséquences sur le corps des athlètes, et plus surprenant, l’aspect le plus important dans cette perspective n’est pas le nombre de match en tant que tel. Il s’agit en fait du repos, du sommeil.
Le manque de repos, la clé du débat
Tobias Harris, le joueur des Sixers, a récemment déclaré que “dans quelques années, le manque de sommeil sera quelque chose dont on parle, comme les traumatismes crâniens en NFL”.
En effet, 82 matchs en 6 mois, cela représente un match tous les deux jours. À cela s’ajoute les voyages. Et les entraînements. Sans compter les trois heures de décalage entre les deux côtes du pays. Un rythme démentiel, qui ne laisse pas le temps aux joueurs de se reposer correctement. Et ce manque de repos a des conséquences sur les performances et le corps des joueurs. Cet article, du journaliste d’ESPN Baxter Holmes, nous explique pourquoi.
Celui-ci nous explique que le Magic a, depuis près d’une dizaine d’années, engagé les services d’un neuro-psychologue, dans le but que ce dernier aide les joueurs à maximiser leurs performances, grâce à un sommeil optimisé. Au delà du manque de sommeil, ce que note le scientifique, ce sont les problèmes liés au rythme circadien. Le rythme circadien, c’est la manière dont notre corps régule les phases de sommeil et les phases d’éveil, en fonction du soleil. Autrement dit, notre corps produit, pendant les heures dites de sommeil de ce cycle, une hormone – appelée mélatonine – qui nous permet d’avoir une nuit réparatrice. Dans le cas des athlètes, la production de cette hormone est rendue difficile par des heures de sommeil très irrégulières, à cause notamment des déplacements après les matchs, et des décalages horaires réguliers.
Les conclusions de son enquête sont assez alarmantes. Après avoir posé la question aux concernés, Timothy Royer nous apprend que les joueurs dorment en moyenne 5 heures par nuit. Dans la plupart des cas, les joueurs rattrapent ce déficit par une sieste les jours de matchs. Mais ces siestes ne seraient pas vraiment bénéfiques, à cause, donc, de ce rythme circadien perturbé. De plus, les efforts demandés aux athlètes nécessiteraient des nuits plus longues que le commun des mortels (le docteur recommandant 8 à 10 heures par nuit).
Les conséquences du rythme NBA
Ces courtes nuits ont deux conséquences majeures sur le corps des athlètes. D’abord, la production de cortisol, – hormone liée à la gestion du stress – devient très irrégulière (nous y reviendrons). Plus importante, la production de testostérone chute drastiquement, pour atteindre des niveaux très inquiétants.
S’il était déjà connu que le manque de sommeil impactait cette hormone peu importe son activité, dans le cas des joueurs cela prend des proportions impressionnantes. En janvier 2013, soit seulement trois mois après le début de saison, le scientifique a relevé le niveau de testostérone d’un joueur d’une vingtaine d’année. Celui ci affichait un taux équivalent à celui d’un homme de cinquante ans.
Une enquête plus poussée est effectuée durant la saison 2014-2015. Royer va alors suivre 18 joueurs, répartis dans les deux conférences. Alors qu’au début de saison, le taux de testostérone moyen des joueurs était supérieur à 88% des hommes de leur tranche d’âge, après seulement deux mois, il était déjà tombé à 70%, pour finalement, en mars, arriver à n’être supérieur qu’à 32% des hommes du même âge ! Une chute de 56 points, en quelques mois.
La testostérone est vitale pour les athlètes, cela impact notamment leur vitesse, leur force ou leur masse musculaire. En conséquence, si les joueurs en manquent, cela accroît le risque de blessure.
Au delà de l’évidence apparente, le scientifique a cherché à prouver statistiquement cette corrélation entre le manque de sommeil et le risque de blessure. Armé des données relatives aux taux de testostérone et aux blessures de plus d’une centaine de joueurs, réparties sur 6 années, il va alors pouvoir affirmer que le risque de blessure est accru “de manière signifiante” lorsque le taux de testostérone est inférieur à 80% des hommes de leur classe d’âge. Un cas relativement commun en fin de saison, donc.
Nous pouvons donc dire que le problème du calendrier ne semble finalement pas résider dans le nombre de minutes jouées, mais bien dans le rythme de vie infernal qu’il impose aux joueurs.
D’abord, la fatigue en elle même impacte le niveau de jeu des joueurs. CJ McCollum évoquait récemment la question en expliquant que “le manque de sommeil impacte la récupération, la façon de jouer, l’état d’esprit, la façon de bouger sur le terrain, tout”. S’ajoute à cela la baisse du taux de testostérone qui réduit les qualités athlétiques des joueurs, qui vont alors courir moins vite ou sauter moins haut, par exemple. Mais cette baisse ne se limite pas à cela puis ce qu’elle va en conséquence accroître le risque de blessures des joueurs. Voilà pourquoi reposer un joueur lors d’un back-to-back (particulièrement dévastateur sur le sommeil) comme l’ont fait les Clippers, prend tout son sens. Surtout, l’on comprend mieux les conséquences positives que pourrait avoir une réduction du nombre de matchs, autant sur le niveau de jeu que sur la santé des joueurs.
Santé physique, santé mentale
Pour conclure sur cette question, revenons sur une autre conséquence du manque de sommeil. Nous l’avons dit, celui-ci réduit la production de cortisol, l’hormone régulant le stress. Le stress, les joueurs y sont soumis en permanence, sur et en dehors du terrain, et si la gestion de ce paramètre est rendu difficile, cela peut avoir des conséquences, moins évidentes à première vue que le manque de testostérone, moins visibles sur le terrain, mais pourtant bien réelles.
Depuis les prises de parole de Kevin Love ou DeMar DeRozan sur le sujet, la santé mentale des joueurs est devenu un enjeu en NBA, au point qu’Adam Silver s’est exprimé sur la question. Différents acteurs de la NBA font état d’un nombre de plus en plus importants de joueurs souffrant d’anxiété, voire de dépression. Et si le commissionnaire NBA, tout en prenant au sérieux la question, préfère blâmer les réseaux sociaux et “l’époque” pour expliquer le mal être de certains joueurs, le manque de sommeil et la fatigue accumulée paraissent être des explications beaucoup plus concrètes.
Quel que soit le domaine d’activité, le manque de sommeil est un facteur aggravant de ces pathologies, et dans le cas d’un joueur NBA, le stress auquel il est soumis en est un autre. La forme physique n’est pas la seule raison pour laquelle les joueurs ont besoin de repos, et puisque que leur santé mentale est devenue un sujet de discussion au sein de la ligue, mettre ces facteurs en perspective semble réellement parlant.
Si la NBA a besoin d’un argument supplémentaire pour plaider la cause d’une réduction du calendrier, celui de la santé mentale des joueurs semble bel et bien en être un. Et si Adam Silver prend au sérieux la santé, autant physique que mentale, de ses “employés” indirects, leur offrir plus de repos semble une décision évidente et plus que sage.
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Les arguments justifiant le calendrier tel qu’il existe aujourd’hui semblent se réduire années après années, et à l’inverse, ceux plaidant pour une réduction du nombre de matchs prennent de plus en plus de poids et, plus important encore, sont étudiés par les instances de la ligue.
La NBA explore différentes pistes, qui pourrait chambouler son apparence, à l’horizon de son 75è anniversaire, soit la saison 2021-22. Certaines sources parlent d’une expérimentation, d’un test d’une saison avant d’adopter ou non un nouveau calendrier sur le long terme. Dans une perspective réaliste, on semble pencher de plus en plus vers un calendrier permettant de supprimer tous les back-to-back, si destructeurs pour les organismes. Une saison à 75 matchs devrait permettre ceci, et nous pouvons raisonnablement imaginer voir cela à l’oeuvre dans les prochaines années.
Cependant, restons prudents quant à une refonte complète du calendrier (une hypothèse parle de 58 matchs, soit une confrontation aller/retour entre toutes les équipes). Il faudrait pour cela (comme pour toute autre reforme d’ailleurs) l’accord des joueurs et des propriétaires, qui risquent d’être frileux quant aux risques financiers. Affaire à suivre.