“Fyhfchcd Xhjfebjjydgdg Zfevjgrcvfdf”. Voilà, en gros, le contenu du message envoyé par votre serviteur à un ami suite au visionnage du match opposant les Suns aux 76ers lundi. Cette suite de lettres sans aucune cohérence vous évoque peut-être une forte incapacité de son auteur à utiliser un clavier de téléphone, voire même, pour les plus soucieux d’entre vous, le décès de celui-ci au moment de débriefer ce match de saison régulière. La réalité est pourtant assez éloignée de toutes ces considérations médicales. On parlera plutôt d’une exultation incontrôlée, incontrôlable, celle provoquée par l’apparition d’un concept oublié depuis des années dans le terreau de honte et d’humiliation qu’est devenu Phoenix : l’espoir. Car, non contents d’afficher un niveau de jeu enfin digne des standards NBA, les Suns étaient cinquièmes ex-aequo au classement de la conférence Ouest au lendemain de leur défaite face au Heat. Un tel départ ne peut être mis sur le compte du hasard, et nous allons vous en expliquer les raisons – dès que l’auteur aura repris connaissance, l’idée de pouvoir dire objectivement du bien des Suns ayant provoqué en lui un moment de faiblesse.
Commençons par quelques chiffres pour bien mettre en évidence le changement d’ambiance radical qui s’est opéré à Phoenix. On l’a dit, le début de saison dépasse les espérances avec 5 victoires contre 3 défaites, et le calendrier inaugural n’avait rien d’une promenade de santé : Clippers, Sixers et Warriors – les Suns menaient très largement avant la blessure de Curry – sont ainsi tombés, alors que les Nuggets et le Jazz se sont imposés sur la plus petite des marges face à la troupe de Monty Williams (avec un ou deux coups de chance, on pourrait même en être à 7-1). Premier choix habituel en matière de paillasson pour les cadors de la ligue, la franchise mène la vie dure à la tradition et transforme ces balades pour gros en matchs piège par excellence.
Forcément, une telle réussite a un impact sur les stats. Pour éviter de vous répéter 10 fois qu’il y a une forte amélioration dans chaque catégorie (ce qui serait pourtant hautement délectable), résumons tout cela dans un tableau (stats prises le 09/11) :
2018-2019 | 2019-2020 | |
Points par match | 107.5 (23e) | 114.1 (7e) |
Offensive rating | 105.9 (28e) | 108.9 (10e) |
% au tir | 45.9 (16e) | 46.8 (3e) |
% à 3 points | 32.9 (30e) | 37.3 (7e) |
Passes déc. par match | 23.9 (20e) | 27 (6e) |
Points encaissés par match | 116.8 (28e) | 108.6 (12e) |
Defensive rating | 115.1 (29e) | 103.6 (11e) |
% au tir adverse | 48.2 (28e) | 44.7 (13e) |
% à 3 pts adverse | 37.2 (28e) | 35.8 (16e) |
Voilà, le jour et la nuit. Évidemment, certaines de ces moyennes sont bonifiées par l’effet “début de saison” et pourraient redescendre d’ici quelques semaines, notamment au niveau de l’adresse. Mais d’autres sont révélatrices, particulièrement dans le secteur défensif, et c’est par là que nous allons commencer. Vous ne rêvez pas, Phoenix défend, et le fait bien.
Une nouvelle identité défensive
Parmi toutes les raisons qui empêchaient les Suns d’être compétitifs jusqu’alors, le manque de rigueur défensive faisait assurément partie des plus préoccupantes. Depuis plusieurs années, scorer face à Phoenix était aussi complexe que le scénario de la dernière saison de Game of Thrones, principalement grâce à l’absence totale d’organisation collective de ce côté du terrain. Il fallait insuffler une mentalité nouvelle, et c’est exactement ce qui est en train de se passer.
Pour sûr, avec les acquisitions de cet été, il y avait de quoi y croire. Il est en effet difficile d’imaginer des guerriers comme Ricky Rubio et Aron Baynes se soumettre à la doctrine des portes ouvertes, quand on sait d’où ils viennent et ce qui a fait leur renommée. Les deux “petits derniers” donnent ainsi le ton avec leur intensité et les qualités qu’on leur connaît, mais pour que cela fonctionne, il faut que le reste de l’équipe suive. C’est peu dire que c’est le cas pour le moment.
Le meilleur exemple de cette mini-révolution est Devin Booker. Le franchise player, décrit comme médiocre (voire pire) dans le domaine, est en train de faire taire beaucoup de détracteurs grâce à ses performances défensives, soir après soir. Avec ce genre de séquence, par exemple :
Quiconque ayant subi regardé régulièrement les Suns ces dernières années sait que cette action est le symbole d’un changement certain. La star empruntée s’attache désormais à montrer l’exemple, avec de l’envie et de la ténacité, comme s’il voulait faire comprendre à tout le monde que la rigolade était définitivement terminée. A 23 ans, l’arrière entame sa cinquième saison dans la ligue mais il n’a jamais gagné plus de 24 matchs sur une année. Un bilan lourd de conséquences au moment de juger de la réelle valeur d’une star. Malgré les arguments avancés pour redorer son blason (des broutilles comme l’absence de coach ou de meneur), l’étiquette de loser commençait à s’attacher fortement à son maillot. Son voeu d’avoir une équipe compétitive exaucé, il allait être scruté d’encore plus près, et sa réponse est idéale pour le moment. On ne devient pas un défenseur d’élite du jour au lendemain, il faut donc veiller à ne pas s’enflammer mais Booker prouve qu’il sait mettre les ingrédients pour offrir un duel plus que respectable à son vis-à-vis, ce qui ouvre des perspectives extrêmement intéressantes pour la suite de sa carrière.
Dans le sillage de sa star, Phoenix est en train d’obtenir une image d’équipe besogneuse, qui ne rechigne jamais à l’effort et qui joue dur, soit l’un des virages à 180° les plus spectaculaires de ce début de saison. Le savoir-faire des acquisitions de l’été déteint sur le reste du groupe et cela se traduit par une bien meilleure lucidité défensive, qui permet notamment aux Suns de passer de la 22e à la 7e place au nombre de passages en force provoqués.
Terrain de jeu privilégié des pivots de tout le pays, la raquette se révèle bien moins accueillante cette saison. Les tirs sont contestés (4e meilleur % adverse à moins de 1,5m), l’adversaire est forcé d’aller chercher ses points sur la ligne des lancers francs et le rebond est verrouillé. Sur les extérieurs, Mikal Bridges s’épanouit dans ce nouveau système et n’en finit plus de montrer l’étendue de ses aptitudes défensives, pendant que Jevon Carter a gagné la place de meneur remplaçant grâce à sa grinta. Enfin, Dario Saric se montre précieux grâce à son intelligence de jeu, alternant intérieur et extérieur selon la configuration adverse. De manière générale, chacun sait ce qui est attendu de lui et s’adapte en conséquence. Monty Williams a mis en place un système où les efforts de chacun sont récompensés et où nul ne peut espérer obtenir des minutes s’il n’effectue pas le minimum syndical en matière de combat. L’investissement montré par l’ensemble des joueurs témoigne de l’adhésion totale aux valeurs prônées par le coach, qui semble en passe de réussir là où ses prédécesseurs ont échoué, en donnant enfin une identité à cette équipe errante.
Réflexion, concentration, abnégation
Ce nouvel état d’esprit se reflète également sur la dimension mentale du jeu. Malgré tous les efforts déployés, il arrive forcément des moments où les vents se font plus violents et où le navire tangue. Impossible de jouer les yeux dans les yeux avec des équipes calibrées pour les playoffs sans prendre un run de temps à autre, il faut alors faire le dos rond en attendant que l’orage passe, ce que les dernières éditions des Suns ont toujours échoué à faire. Combien de matchs perdus en l’espace de 5 minutes ? Combien de craquages mentaux après trois mauvaises actions consécutives ou un coup de sifflet défavorable ? La réponse se situe quelque part entre “un wagon” et “une palanquée”. Quand votre mental se met au diapason de votre niveau de jeu déplorable, il est difficile d’espérer quoi que ce soit de positif. Quand votre mentalité change et que vous apprenez à garder votre calme pour trouver des solutions, en revanche, ce n’est plus la même limonade.
Il n’est ainsi pas rare de voir les Suns 2019-2020 traverser des périodes difficiles avant de trouver les ressources pour se remettre la tête à l’endroit. Ce fut le cas face au Heat où, même dans la défaite, les pensionnaires de la Talking Stick Resorts Arena ont remonté à trois reprises un écart supérieur à 10 points, preuve d’une combativité qu’on ne leur connaissait pas. Dans le même registre, on peut citer la deuxième mi-temps face aux Grizzlies, qui a vu les Suns prendre le match à leur compte après un deuxième quart-temps très délicat (14 points inscrits seulement). Cette faculté à ne rien lâcher fait clairement partie des améliorations les plus appréciables à l’heure actuelle. Au lieu de se remémorer leurs erreurs ou de partir à l’abordage chacun de son côté, les joueurs cherchent à avancer ensemble pour débloquer la situation, sans paniquer, en jouant de la même manière que s’ils étaient devant au score. Là encore, l’arrivée de joueurs expérimentés et leur greffe rapide dans l’effectif a sans doute permis de diffuser quelques idées saines dans le vestiaire, un luxe quand on repense aux derniers vétérans venus poser leurs bagages dans l’Arizona, qui tenaient plus de la fraude que de réels joueurs NBA.
Quoi qu’il en soit, avec Rubio et consorts en tête de gondole et la patte Monty Williams qui commence à se faire sentir, les bases sont là pour éviter les craquages mentaux du passé, même si l’effectif reste jeune et qu’il faudra voir comment il réagira à 3-4 défaites consécutives. Quelques axes de progression sont déjà visibles, notamment vis-à-vis de la gestion du money time, où certains mauvais choix sont encore à déplorer, comme à Denver. Garder la tête froide avec 2 points d’avance dans les deux dernières minutes est tout aussi difficile que de le faire après avoir encaissé un 10-0, et ce genre de situation pourrait se présenter à de nombreuses reprises étant donnée l’homogénéité affichée dans la conférence Ouest sur ce début de saison. Il faudra également garder un oeil sur le nombre de fautes, Phoenix étant l’équipe la plus pénalisée de la ligue pour le moment. Cela s’explique en partie par le regain d’intensité défensive mais d’autres fautes plus évitables (notamment les techniques) viennent parfois casser la dynamique, donnant rapidement des lancers gratuits à l’adversaire. L’ensemble va incontestablement dans la bonne direction, mais il y a toujours du travail.
L’attaque carbure, pour le moment
Défense, mental, tous les signaux sont au vert et il en va de même sur le plan offensif. On vous voit venir, il était effectivement difficile de faire pire que la bouillie sans fond de jeu proposée l’an dernier. Cependant, la 10e place affichée à l’offensive rating indique que l’on est sur quelque chose de plus intéressant qu’un léger coup de mieux.
Commençons par enfoncer joyeusement une porte ouverte, il ne vous aura pas échappé que les Suns se sont enfin dotés d’un meneur calibre NBA au cours de l’été. Comme on le pressentait, l’apport de Ricky Rubio colle parfaitement avec les besoins de l’équipe, qui avait besoin plus que tout d’un gestionnaire. L’espagnol a toujours tendance à arroser (37% au tir, avec tout de même 35% à 3 points), mais si c’est le prix à payer pour avoir un fond de jeu qui ressemble à quelque chose, qu’il en soit ainsi. En faisant de lui le porteur de balle attitré en début de possession, Williams a libéré Booker d’une partie de ses responsabilités à la création pour lui permettre de se concentrer sur le scoring. Enfin servi dans de bonnes conditions, l’arrière peut affiner sa sélection de tirs et le résultat est pour l’instant spectaculaire d’efficacité : 25.6 pts à 52.9% et 50% à 3 points (si ce n’est pas déjà fait, stoppez immédiatement toute activité et allez regarder son récital contre les 76ers). Une réussite qui sera probablement amenée à baisser mais comme on ne sait pas du tout ce dont Booker est capable lorsqu’on lui colle un vrai meneur pour le soutenir sur le backcourt, il n’est pas non plus impossible de le voir maintenir des standards élevés en termes d’efficacité.
L’autre bonne nouvelle, c’est que Booker parvient à inscrire ses points sans paralyser l’attaque pour autant. Dès le training camp, Monty Williams a insisté sur la nécessité de prendre des décisions rapides et de faire vivre le ballon en attaque, le 0,5 second or less. Un principe censé permettre à tout le monde de s’exprimer offensivement, la circulation de balle couplée à des actions tranchantes créant des déséquilibres dans la défense adverse. Avec 5 joueurs à 10 pts de moyenne ou plus (et Ayton, mais celui-ci n’a joué qu’un match), on aurait tendance à dire que l’expérience est concluante pour l’instant. Cette envie de jouer ensemble et de mettre ses coéquipiers dans les meilleures conditions propulse les Suns à la sixième place au nombre de passes décisives par match. L’équipe n’est clairement pas la plus outillée en terme de talent individuel, cette stat est donc d’autant plus intéressante qu’elle montre l’effort consenti par tout le groupe pour se sublimer à travers le collectif.
Voilà pourquoi Booker n’hésite pas à s’effacer offensivement si la machine tourne bien ou si la réussite le fuit. Grâce aux opérations réalisées par James Jones cet été, il n’est plus obligé de tout faire et cela change bien des choses. On ne peut toujours pas statuer des progrès de DeAndre Ayton, en revanche, Kelly Oubre occupe actuellement le rôle de premier lieutenant avec talent (17.1 pts), dans la lignée de sa fin de saison précédente très convaincante. L’ailier doit encore gagner en lucidité pour améliorer sa sélection de tirs et éviter de foncer tête baissée dans une raquette occupée par 68 défenseurs adverses, mais son attitude et son intensité sont des éléments très positifs sur lesquels Monty Williams peut s’appuyer pour faire progresser son joueur. Celui-ci est très orienté scoring et a du mal à lâcher la balle lorsqu’il flaire l’odeur du panier, mais la présence à ses côtés de plusieurs créateurs (Rubio, Booker, Saric) permet de pondérer ce défaut.
Au rayon des bonnes surprises, l’apport offensif de la doublette Aron Baynes / Frank Kaminsky est aussi délectable qu’inattendue, les deux gaillards combinant pour 26 pts et 11 rebonds de moyenne. L’annonce de la suspension d’Ayton pour 25 matchs avait été perçue comme un coup de massue terrible mais les nouveaux résidents de la raquette arizonienne font mieux que tenir la baraque. On pense notamment à Baynes qui, à 33 ans, décide de montrer à tout le monde qu’il peut être bien plus qu’un remplaçant rugueux, en enquillant derrière l’arc à 47% dans le plus grand des calmes. Déjà loué pour sa mentalité défensive, l’australien joue aussi un vrai rôle en attaque, ce que peu d’entre nous avaient imaginé lors de son arrivée en provenance de Boston. Kaminsky a quant à lui bien démarré la saison mais il ne met plus un pied devant l’autre au niveau de l’adresse depuis quelques matchs, ce qu’il compense tant bien que mal par sa technique près du cercle.
En extrapolant, la panne de Kaminsky pose la question de la régularité à moyen et long terme. Certains sont au-dessus de leurs standards à longue distance (Baynes, Rubio) alors que d’autres montrent de belles intentions mais se livrent à des concours de maçonnerie soir après soir (Saric, Kaminsky, Bridges…). Cependant, les joueurs qui manquent de réussite parviennent tout de même à se rendre utiles, que ce soit dans la création pour Saric ou la défense pour Bridges. Tout cela s’équilibre pour le moment mais il ne serait pas surprenant de voir la hiérarchie des scoreurs changer au cours des prochaines semaines si l’effet “début de saison” venait à s’estomper. Phoenix peine à attraper des rebonds offensifs (en ce sens, l’absence d’Ayton est problématique), l’adresse est donc une variable primordiale pour maintenir un apport offensif intéressant, a fortiori à 3 points. Malgré un fond de jeu bien plus séduisant, ces fluctuations d’adresse laissent pour l’instant planer quelques incertitudes pour la suite. Rendez-vous dans une quinzaine de matchs.
Qui aurait été assez audacieux pour prédire que les Suns auraient un bilan positif après 3 semaines de compétition, à la vue du calendrier et du passif de l’équipe ? L’effectif bâti par James Jones au cours de l’été réalise un tour de force et donne pour l’instant énormément de motifs de satisfaction à des fans qui n’en demandaient pas tant. Attaque, défense, lucidité, mental, la progression est visible dans tous les secteurs du jeu et cela permet à Phoenix de faire bien mieux que s’incliner avec les honneurs comme on pouvait s’y attendre. Monty Williams est en train de faire naître quelque chose et s’il est encore trop tôt pour distinguer les états passagers des véritables tendances, le collectif, la défense et l’état d’esprit global sont autant de raisons de croire en une potentielle surprise dans l’Arizona. C’est donc ça, l’espoir ?