Comme dans un rêve. La saison 2018-2019 de Toronto restera dans l’histoire comme l’une des plus belles preuves qu’il existe, parfois, une justice dans le sport. Après des années à subir les railleries de la planète pour leurs échecs répétés en playoffs, les Raptors ont vaincu leurs démons au terme d’une épopée venant récompenser des années de travail. Au centre de cet exploit, Masai Ujiri, qui n’a pas hésité à mettre Demar DeRozan sur la table pour s’attacher les services de celui qui ferait enfin passer ce dernier cap à l’équipe, en la personne de Kawhi Leonard. Il n’a pas non plus tremblé au moment de remercier Dwane Casey pour le remplacer par Nick Nurse, afin d’insuffler un vent de nouveauté dans une équipe qui stagnait. Des sacrifices douloureux, mais nécessaires pour accéder au graal ultime.
Durant toute la saison, les Raptors ont dégagé une impression de sérénité jamais connue jusqu’alors, tout en achevant l’exercice avec un bilan moins bon qu’en 2017-2018, paradoxalement (58-24). Pour ce qui est des playoffs, en revanche… Jamais débordés, jamais paniqués, les joueurs de Nick Nurse ont surmonté tous les obstacles, à l’image de cette victoire au buzzer dans le match 7 contre Philadelphie, ou du triomphe face aux Bucks après avoir été menés 2-0 dans la série. Un navire insubmersible, qui bénéficiera, pour une fois, d’un petit coup de pouce du destin en finale, en étant opposé au champion en titre amoindri et en bout de course. Cependant, cela ne saurait amoindrir la performance réalisée par Leonard et consorts, exceptionnelle en tous points. Et même s’il faut déjà repartir au combat, les fans de Toronto ont sans doute l’esprit un peu plus léger à l’aube de cette saison 2019-2020.
Résumé de l’été
Veni, vedi, vici, parti. A l’issue d’une campagne de playoffs hallucinante, Kawhi Leonard a accompli ce qu’il était venu faire à Toronto : offrir à la franchise le premier titre de son histoire. Une réussite totale qui a pu laisser croire à une prolongation de l’idylle entre Toronto et sa star. Hélas, les envies de Californie de The Klaw étaient bien réelles, et malgré l’ivresse de la victoire, ce dernier n’a pas hésité à quitter le Canada, sans regret de part et d’autre, ou si peu.
Cette rupture en bons termes sonne en tout cas la fin de la fenêtre de titre des Raptors. L’intersaison a donc naturellement été axée sur un rajeunissement de l’effectif, avec les signatures intéressantes de Stanley Johnson et Rondae Hollis-Jefferson sur les ailes, compensant le départ de Danny Green qui quittait lui aussi Toronto pour les Lakers. Jeremy Lin était quant à lui remplacé par Cameron Payne, mais celui-ci ne devrait pas beaucoup voir le parquet, sauf en cas de blessure de Kyle Lowry ou Fred VanVleet. Patrick McCaw, triple champion NBA à 23 ans (allez hop, prenez ça dans vos vies pourries), était lui re-signé par la franchise.
La Draft fut également calme, Toronto ayant échangé son choix de premier tour pour faire venir Leonard et Green l’été dernier. Avec le seul 59e choix à leur disposition (c’est le phalempin), les Raptors ont misé sur Dewan Hernandez, intérieur surtout connu pour son implication dans le scandale de corruption qui a touché la NCAA lors de la saison 2017-2018. Souhaitons-lui d’avoir l’opportunité de prouver sa valeur.
Pour le reste, Masai Ujiri a vraisemblablement cherché à nous faire une VanVleet 2, en signant le rookie non drafté Terence Davis, ainsi que Matt Thomas, exilé en Espagne après avoir échoué à la Draft 2017. Quant à Devin Robinson, Sagaba Konate et Oshae Brissett, ils se battront pour obtenir un two-way contract et poursuivre le rêve d’une vie. Si l’on ajoute à cela le départ d’Eric Moreland, on obtient l’effectif suivant pour les Raptors 2019-2020 :
Meneurs : Kyle Lowry, Fred VanVleet, Cameron Payne
Arrières : Patrick McCaw, Norman Powell, Terence Davis, Matt Thomas
Ailiers : OG Anunoby, Stanley Johnson, Rondae Hollis-Jefferson, Malcolm Miller, Devin Robinson (Exhibit 10 contract), Oshae Brissett (Exhibit 10 contract), Sagaba Konate (Exhibit 10 contract)
Ailiers forts : Pascal Siakam, Chris Boucher, Dewan Hernandez
Pivots : Marc Gasol, Serge Ibaka
Un effectif moins ronflant que par le passé mais équilibré, entre expérience, valeurs montantes et jeunes affamés, et qui possède un vrai vécu collectif. De quoi jouer les trouble-fêtes à l’Est ?
Jeu et coaching
La perte de Kawhi Leonard induit évidemment du changement par rapport au plan de jeu mis en place par Nick Nurse lors de la quête du titre – plan de jeu qui se résumait parfois à transmettre le ballon à l’ailier et dégager du chemin pour le laisser faire son oeuvre. Sans lui, les Raptors devront se montrer plus créatifs car ils n’auront plus cette assurance tous risques en isolation, bien que Kyle Lowry, Marc Gasol et Pascal Siakam soient tout à fait capables de marquer en 1 vs 1 à l’occasion. Déjà plutôt huilé, le collectif Canadien devra passer la vitesse supérieure en termes de circulation de balle et de passes décisives pour compenser la perte de talent connue cet été.
Pour organiser le jeu, Nurse pourra bien évidemment s’appuyer sur son duo Lowry-Gasol, certes vieillissant mais aussi sacrément outillé niveau intelligence de jeu. Les séquences en pick and roll/pop entre les deux peuvent déboucher sur une multitude d’options, soit directement (tir à 3 points de l’un ou de l’autre, pénétration de Lowry ou attaque de panier de Gasol sur le roll) soit indirectement en attirant l’aide. Plus généralement, la tâche des vieux briscards sera de fluidifier au maximum les échanges entre les joueurs présents sur le parquet, et ils ont toute l’expérience et la vision de jeu pour accomplir cela. Lowry n’est pas réputé pour refuser une extra-passe quand celle-ci peut offrir un tir confortable à un coéquipier, et on ne présente plus la capacité de Gasol à diriger le jeu et créer pour ses coéquipiers depuis la tête de la raquette. Nick Nurse dispose donc d’une base quasi-idéale pour faire briller le troisième élément majeur de l’attaque des Raptors.
Auréolé du titre de Most Improved Player et en constante progression sur le plan offensif, Pascal Siakam, aura probablement encore plus de responsabilités cette saison, après s’être imposé comme le deuxième meilleur scoreur de l’équipe l’an passé (16.9 pts/match). Nick Nurse devrait naturellement chercher à jouer sur ses forces, notamment en dessinant des systèmes pour lui offrir un tir dans le corner, zone où le camerounais est plutôt efficace (42%), mais également en lui donnant la balle au poste bas, comme ce fut le cas en finale face à Draymond Green. Sa dimension physique et son intensité seront une nouvelle fois de sacrés atouts pour les Raptors.
Cependant, si Siakam et ses compères des ailes veulent pouvoir lâcher les chevaux, il faudra avoir un jeu en transition efficace, qui ne peut exister sans une bonne défense. Ce serait de toute façon une bonne idée pour Toronto de mettre l’accent sur ce point, afin de compenser la baisse certaine du niveau offensif. L’impact de Kawhi Leonard est énorme des deux côtés du terrain mais son départ semble moins préjudiciable de ce point de vue, pour la simple raison que les Raptors avaient déjà une très bonne défense avant son arrivée, et qu’avec l’effectif en place, il y a encore largement de quoi cadenasser l’adversaire, entre le duo Gasol-Ibaka dans la raquette et la foule d’ailiers athlétiques pour cavaler sur le périmètre. Une bonne solidité défensive contribuerait à donner des opportunités de contre-attaque, où le danger peut venir de partout, entre les capacités athlétiques des uns (Siakam, Anunoby, Johnson…) et la précision extérieure des autres (Lowry, VanVleet, Powell). On peut donc légitimement s’attendre à voir les Raptors très appliqués dans ce domaine, car leur salut passera par là.
Quel 5 majeur ?
Le débat se situe principalement sur les postes 2 et 3. Toronto a recruté Stanley Johnson et Rondae Hollis-Jefferson, mais bénéficie également du retour en forme d’OG Anunoby, sans oublier Norman Powell et Patrick McCaw. Cela fait donc pas mal de monde et il faut faire des choix, dictés par le sacro-saint spacing. A l’arrière, on fait ainsi confiance à Norman Powell, qui a eu de bonnes séquences en sortie de banc l’an dernier et qui pourrait profiter des chamboulements dans l’effectif pour se refaire une place durable dans le 5 grâce à son adresse longue distance notamment. Sur l’aile, on joue la carte de la continuité avec un joueur qui a déjà occupé ce poste chez les Raptors, à savoir OG Anunoby. La hiérarchie est loin d’être fixée et il est probable de voir Nurse jongler entre les 5 majeurs en début de saison mais puisqu’il faut faire un choix, voici le notre, avec le deuxième 5 qui en découlerait :
Kyle Lowry – Norman Powell – OG Anunoby – Pascal Siakam – Marc Gasol
Fred VanVleet – Patrick McCaw – Rondae Hollis-Jefferson – Stanley Johnson – Serge Ibaka
Forces du roster
Comme vous venez de le remarquer, la profondeur de l’effectif est des plus respectables. Tous les postes sont doublés, parfois par des joueurs qui pourraient largement être titulaires ailleurs (VanVleet, Ibaka). Sur les ailes, Nick Nurse dispose d’une armada de jeunes joueurs athlétiques, qui en ont suffisamment sous le capot pour imposer un pressing de tous les instants. Si la compétition entre ceux-ci reste saine et ne vient pas gangrener le vestiaire, on pourrait assister à une voire plusieurs belles progressions dans ce groupe. Le poste de meneur est blindé par le duo Lowry/VanVleet, tout simplement fabuleux en finale, et on ne parle même pas de la raquette avec ses deux tours espagnoles. En cas de blessure, il faudra évidemment bricoler un peu mais les Miller, Davis, Thomas et Boucher ne demandent qu’à saisir les opportunités qui se présentent. Du beau monde, on vous dit.
L’effectif est profond mais il est également très équilibré. Physique, adresse, QI, défense, potentiel… n’importe quel joueur (en dehors des chauffeurs de banc) des Raptors coche au moins l’une de ces cases, donnant autant de grain à moudre au coaching staff pour imaginer des combinaisons intéressantes. Les personnalités de l’effectif ont l’air plutôt gérables, il y a donc la place pour créer une vraie alchimie dans le groupe autour des valeurs insufflées par le trio Nurse-Lowry-Gasol, d’autant plus que le contexte sera favorable à la création de liens forts entre les joueurs.
Après l’exploit de juin et la perte de Leonard, on n’attend pour ainsi dire plus rien de ces Raptors. Tout le monde pense qu’il ne seront pas prétendants à leur succession, sauf énorme surprise. Et ça, ça a le don d’énerver – voir “Bulls 1993-1994” pour plus de précisions. Les équipes NBA ne rentrent pas sur le terrain pour faire de la figuration (non non, même pas les Knicks, et c’est probablement ça le pire), encore moins quand elles ont un titre à défendre, aussi diminuées soient-elles. Gasol et cie n’ont certainement pas envie de gagner cette image d’équipe perdue sans son leader, et l’idée de monter un commando capable d’embêter au maximum les favoris de la conférence avant de tomber les armes à la main doit certainement être présente dans un coin de leur tête. L’effet de surprise peut largement jouer en leur faveur face à un favori un peu trop sûr de sa force.
Faiblesses du roster
Bon, c’est bien joli tout ça, mais il est temps de se reposer le cerveau et d’enfoncer joyeusement des portes ouvertes : les Raptors sont sacrément affaiblis par la perte de Kawhi Leonard. Ce n’est probablement pas avec ce genre de déclaration tonitruante que l’on décrochera un stage chez ESPN, mais on ne pouvait pas vraiment passer à côté. Lowry et Gasol sont de grands joueurs mais plus assez jeunes pour faire trembler les places fortes de la Ligue, et Pascal Siakam doit encore prouver qu’il peut performer sans la faculté de Leonard à attirer 80% de l’attention des défenseurs pour lui faire de la place. Il y a beaucoup de bons, voire très bons joueurs, mais aucune superstar en puissance sans laquelle il est impossible d’espérer accomplir quelque chose de grand. Voilà pour l’analyse poussée, qui pousse votre serviteur à se demander pourquoi ce site ne daigne pas encore lui verser un salaire.
Il est difficile cependant de mettre le doigt sur d’autres manques criants. Ce n’est pas comme si les Raptors manquaient de menaces extérieures, de défenseurs aguerris ou de créateurs de qualité. Simplement, quel que soit l’aspect du jeu pris en compte, le même constat revient en boucle, à savoir que les Raptors peuvent faire les choses bien, mais n’ont pas le talent nécessaire pour passer les obstacles quand bien faire ne suffira pas. Tout bête, et pourtant fatidique.
A défaut de faiblesses au sens propre, nous avons tout de même quelques incertitudes en stock. On pense notamment aux rotations de Nick Nurse, à qui l’on souhaite bien du courage pour créer du spacing s’il aligne Stanley Johnson et Rondae Hollis-Jefferson ensemble sur de longues séquences, tant les deux ailiers sont de piètres tireurs. On peut également se poser des questions au sujet des articulations vieillissantes des deux leaders cités au-dessus, qu’il serait bon de préserver en vue du printemps. Attention également à l’effet “décompression” après le titre de juin, qui pourrait inciter certains des héros de cette épopée à lever le pied cette saison, alors que de grandes attentes quant à leur futur sont nées de leurs exploits.
Le joueur clé : Pascal Siakam
L’exercice passé fut chargé d’émotions, pourtant celui qui arrive s’annonce encore plus important pour le camerounais sur le plan individuel. Son éclosion, combinée au départ de Kawhi, vont lui donner un rôle plus important que jamais au sein des Raptors. Il est toujours difficile de confirmer derrière un titre de Most Improved Player mais le contexte qui entoure Toronto rend cette tâche probablement encore plus ardue, car il y a un titre à défendre, qu’on le veuille ou non.
La manière dont Siakam appréhendera son nouveau statut sera très intéressante à analyser, notamment sur l’aspect offensif. Souvent à la finition l’an passé, il devra en faire plus pour se démarquer compte tenu de l’attention particulière que lui portera la défense adverse. On l’a également vu jouer de ses qualités au poste bas pour scorer en 1 vs 1, mais est-il viable de miser plus conséquemment sur cet axe dans la NBA de 2019 ? La réussite extérieure sera-t-elle au rendez-vous avec des tirs plus contestés qu’à l’accoutumée ? Et bien d’autres interrogations encore.
La bonne nouvelle, c’est qu’il sera entouré de vétérans à même de le conseiller et de le remettre dans le droit chemin s’il se met à jouer contre-nature. La probable augmentation de tickets shoots et de responsabilités offensives ne devra pas faire oublier à Siakam ce qu’il est avant tout, un défenseur féroce doublé d’un athlète remarquable. Jusqu’où pourra aller son dépassement de fonction, là est la question. Cette saison apportera les premiers éléments de réponse, aussi bien pour le futur du joueur que celui de sa franchise.
La problématique de l’équipe : préparer la fin de cycle
On peut compter sur les Raptors pour se battre jusqu’au bout cette saison, mais on ne peut s’empêcher de penser, déjà, à l’été 2020 puisque Kyle Lowry, Marc Gasol, Serge Ibaka, Pascal Siakam et Fred VanVleet arriveront au terme de leur contrat. En matière de chamboulement potentiel et de fin de cycle, ça se pose là.
Toronto peut savourer le baroud d’honneur des héros d’aujourd’hui mais Masai Ujiri doit déjà commencer à échafauder des plans pour demain, et cette saison doit lui servir à acquérir des certitudes quant aux pièces à re-signer, et surtout à quel prix. La masse salariale qui sera libérée a forcément de quoi donner de l’appétit au GM, même si la free agency 2020 s’annonce moins fournie que cette année, et il faudra placer ses dollars de manière judicieuse.
C’est pourquoi il ne faudra pas s’étonner, dans le cas où la saison des Raptors peine à décoller niveau résultats, d’entendre les noms de Lowry, Gasol ou Ibaka revenir avec insistance dans les rumeurs de transfert. Ujiri voudra certainement offrir un dernier run à ses vétérans mais si les playoffs venaient malheureusement à s’éloigner, le GM pourrait trancher dans le vif pour acquérir des monnaies d’échange intéressantes en vue de la reconstruction, moins d’un an après avoir connu la gloire. C’est aussi ça, la NBA.
Pronostic
4e à l’Est (entre 45 et 49 victoires)
Difficile d’imaginer les Raptors s’écrouler totalement, car il y a encore bien trop d’expérience et de qualité pour cela. La défense canadienne s’annonce une nouvelle fois redoutable et l’équilibre entre vécu et jeunesse peut accoucher de choses très intéressantes si l’alchimie se crée. L’équipe gardera la solidité qu’on lui connaît, mais sans cette étincelle de talent qui lui a permis de toucher les étoiles. S’il est impossible de jouer les premiers rôles après le départ de Leonard, on mise tout de même sur une grosse saison de Toronto, qui pourra s’appuyer sur des fondations solides pour faire bien plus que de la figuration. L’avantage du terrain au premier tour est un objectif atteignable.