Fidèle à sa réputation, le cirque de l’Arizona a une nouvelle fois ébloui les yeux de la planète tout au long de la saison NBA 2018-2019, avec des démonstrations d’incompétence à n’en plus finir. Sur les parquets ou en coulisses, la constance dans l’horreur force l’admiration et pousse à se demander si l’on n’est pas, à ce niveau, dans le domaine du génie. Comme chaque année, on nourrissait quelques espoirs, nés de la sélection de DeAndre Ayton en numéro 1 de la Draft 2018 ou de l’arrivée aux commandes d’Igor Kokoskov, coach rookie à qui l’on prêtait les plus belles intentions. Hélas, il n’a pas fallu longtemps pour réaliser que les Suns s’étaient une nouvelle fois engagés dans une galère incommensurable, repoussant les limites de la nullité et obtenant un bilan encore plus mauvais que le précédent, déjà extrêmement préoccupant.
On vous dirait bien que tout n’est pas à jeter. La saison rookie de DeAndre Ayton est loin d’être mauvaise, et l’arrivée de Kelly Oubre Jr a donné un joli coup de fouet à l’équipe. Cependant, le constat global est glaçant : effectif sans queue ni tête, moves catastrophiques (Anderson – Ariza, doux Jésus), fond de jeu inexistant, défense aux abonnés absents… bref, cette équipe n’a pas progressé d’un iota depuis 4 ans. Un constat partagé par James Jones, le nouveau GM, qui n’a pas hésité à trancher dans le vif pour mettre fin à cette spirale sinistre. L’été a été très mouvementé à Phoenix, à tel point que l’équipe qui se présente face à nous aujourd’hui n’a plus rien à voir avec celle d’il y a 6 mois. Mais pourra-t-elle vraiment faire mieux ?
Résumé de l’été
On efface tout et on recommence, encore une fois. Les Suns mettent un grand coup de balai pour faire disparaître les traces d’une saison décevante à tout point de vue. Alors qu’il venait à peine de prendre ses marques dans un contexte très difficile, Igor Kokoskov a été remercié dès la fin de sa première saison à la tête de l’équipe, et se voit remplacé par Monty Williams. James Jones en avait visiblement assez de voir la direction du jeu confiée à des coachs rookies (Earl Watson vient encore régulièrement hanter les nuits de votre serviteur) et si Williams ne dispose pas d’un palmarès XXL, il a au moins le mérite d’avoir déjà géré une équipe sur la continuité, à savoir les Pelicans entre 2010 et 2015. Ce premier move est à l’image de l’intersaison de Phoenix : on recherche des certitudes, pour mettre un peu d’ordre là-dedans.
Cette volonté s’est d’abord illustrée au moment de la draft, avec la sélection de Cameron Johnson. L’ailier arrive avec une réputation de tireur d’élite et on sait exactement ce qu’il devrait apporter dès ses débuts, à savoir de l’adresse extérieure. On sait aussi qu’il aura probablement du mal à apporter autre chose. La préférence a été donnée à un joueur au potentiel limité mais taillé pour performer rapidement, plutôt qu’à un gros prospect à développer sur le moyen terme (ce dans quoi Phoenix a souvent échoué au cours des dernières années). Stop aux suppositions, on veut du concret.
L’arrivée de Ricky Rubio va également dans ce sens. L’absence d’un meneur de calibre NBA devenait un running gag dans l’Arizona, il fallait trouver une solution d’urgence et l’espagnol en est une, pas mauvaise d’ailleurs. On est loin d’un top guard mais quand on sait d’où part la franchise, il ne fallait pas rêver d’autre chose, et cela devrait enfin permettre d’introduire de la stabilité dans l’organisation du jeu.
On ne va pas détailler tous les trades et signatures ayant eu lieu, tant ils sont nombreux (un point complet est disponible ici). Sachez simplement qu’en dehors de Rubio, les deux recrues phares se nomment Dario Saric et Kelly Oubre Jr – qui ne fait que prolonger à Phoenix, alors que les deux départs les plus significatifs sont ceux de TJ Warren et Josh Jackson. Le téléphone de James Jones a tourné à plein régime pour accomplir un grand ménage estival. C’est donc avec un effectif très largement remanié que les Suns abordent cette saison 2019-2020 :
Roster
Meneurs : Ricky Rubio, Ty Jerome, Elie Okobo, Jevon Carter, Jalen Lecque
Arrières : Devin Booker, Tyler Johnson
Ailiers : Mikal Bridges, Kelly Oubre Jr, Cameron Johnson, Cheick Diallo
Ailiers Forts : Dario Saric, Frank Kaminsky
Pivots : DeAndre Ayton, Aron Baynes
Une bonne moitié de nouvelles têtes, et des “anciens” qui ont beaucoup à se faire pardonner après avoir touché encore un peu plus le fond lors de l’exercice précédent. La motivation sera présente à coup sûr, il faudra que la qualité de jeu suive.
Jeu & Coaching
Il y a donc enfin un pilote dans l’avion, et cela devrait changer pas mal de choses offensivement. Ricky Rubio ne plantera pas 20 pts par match et il n’est pas là pour ça, par contre niveau gestion du tempo et distribution, c’est du très solide. Sa venue présente deux bienfaits majeurs : d’une part, Devin Booker n’aura plus besoin de tout faire et pourra se concentrer sur le scoring, et d’autre part, DeAndre Ayton aura un passeur de qualité pour l’alimenter en-dessous, un luxe quand on repense aux immenses difficultés éprouvées par les Suns pour servir leur pivot dans de bonnes conditions la saison passée.
L’axe Booker-Ayton, dont on attend énormément, aura donc un bras droit idéal pour donner la pleine mesure de son talent. reste à savoir ce que Williams cherchera à mettre en place pour que la magie opère. Historiquement, ses Pelicans jouaient sur un tempo très lent mais l’accélération globale du jeu et les forces qu’il a à sa disposition pourraient l’inciter à lâcher la bride de temps à autre afin de profiter de la vitesse d’Oubre ou Bridges en contre-attaque.
Ne vous attendez cependant pas à voir les Suns cavaler dans tous les sens en permanence. Même s’ils étirent le jeu grâce à leur shoot, Dario Saric et Frank Kaminsky ne sont pas les intérieurs les plus vivaces et comme ils seront associés à Ayton ou Baynes en-dessous, Phoenix ne pourra pas envisager durablement de courir plus vite que l’adversaire. ll faudra trouver des failles sur jeu placé, raison supplémentaire pour laquelle Rubio sera crucial. On attend notamment beaucoup de sa relation avec DeAndre Ayton sur pick and roll. De manière générale, le n°1 de la draft 2018 devra prendre beaucoup plus de place dans le jeu offensif de son équipe si celle-ci souhaite progresser, et le gaver de ballons après un écran haut pourrait être un premier pas facile sur cette voie. Un Ayton respecté par ses adversaires dans la raquette donnerait plus de libertés aux extérieurs, encore faut-il que ceux-ci soient efficaces, ce qui n’était pas du tout le cas l’an passé. Heureusement pour Phoenix, les signatures de l’été (Saric, Kaminsky, Johnson), à défaut d’être réglées comme des horloges, constituent des menaces un minimum crédibles derrière l’arc et devraient enquiller les banderilles de temps à autre. Il n’y a pas de quoi sauter au plafond non plus, on vous l’accorde.
Fer de lance de l’équipe dans la tourmente, Devin Booker sera bien sûr toujours la menace n°1, mais l’arrière a parfois semblé vouloir trop en faire l’an passé, obligé d’être présent à la fois au scoring et à la création. Avec Rubio à ses côtés, il aura moins de responsabilités dans ce dernier secteur, et devra se réhabituer à jouer sans ballon. Monty Williams pourra bien sûr se reposer sur ses qualités en 1 vs 1 à l’occasion, mais il faudra toute de même faire en sorte que l’arrière puisse scorer sans avoir à se battre comme un diable sur chaque panier, afin d’arriver avec un minimum de fraîcheur en fin de match. Quelques systèmes débouchant sur des tirs de Booker en catch and shoot seraient donc les bienvenus, pour qu’il se mette en rythme avant de prendre le match à son compte au fur et à mesure.
Autre joueur à suivre dans le dispositif de Phoenix cette année, Dario Saric. Le croate sort d’une saison délicate mais son profil colle parfaitement aux besoins des Suns, qui se dotent d’un 4 polyvalent, capable de planter des tirs ouverts mais également d’être un relai à la création. Sa relation avec Ayton dans la raquette sera à surveiller tout particulièrement car elle pourrait déboucher sur un nouvel horizon de possibilités pour faire briller le pivot, et ça, vous l’aurez compris, on aime bien par ici.
Quel 5 majeur ?
La réponse est assez évidente. Le backcourt est intouchable, Ayton est censé devenir une terreur des raquettes dans un futur proche et au prix où Saric a été recruté (6e choix), il semble peu probable de le voir débuter les rencontres sur le banc. Il y a donc assez peu de débat, sauf au poste 3. Sur le talent pur, Kelly Oubre Jr tient la corde à coup sûr. Cependant, pour des soucis de complémentarité, on préfèrerait voir Mikal Bridges dans le 5. Les autres titulaires vont déjà avoir pas mal besoin du ballon, rajouter Oubre au milieu de ces gourmands risquerait de tourner à la guerre. Plus discret et dévoué aux tâches de l’ombre, Bridges apporterait sa défense et sa dureté, avec on l’espère une progression en termes d’adresse longue distance pour se muer en véritable 3&D.
En faisant d’Oubre le sixième homme, on rééquilibre la balance entre titulaires et remplaçants. Un banc dont l’arme majeure serait Aron Baynes paraitrait tout de même assez léger, malgré tout l’amour que nous portons pour l’australien. Le potentiel offensif de l’ancien Wizard ne demande qu’à exploser et s’il prend au sérieux ce rôle de leader de la second unit, il ne serait pas étonnant de le voir dans la discussion du meilleur 6e homme. Ou alors Williams le titularisera et cette dernière phrase rentrera dans le grand livre des prédictions flinguées.
Ricky Rubio – Devin Booker – Mikal Bridges – Dario Saric – DeAndre Ayton
Forces du roster
Mine de rien, il commence à y avoir pas mal de monde capable de scorer dans cette équipe. Il y a évidemment Booker et Ayton, mais pas seulement. On vient de le dire, Kelly Oubre Jr a terminé la saison en trombe (16.9 pts, 4.9 rbds, 1.6 ast, 1.0 ctr et 1.4 int à Phoenix) et aura à coeur de s’imposer comme la troisième menace de l’effectif. Dario Saric sort d’une saison éprouvante entre Philadelphie et Minnesota, mais Phoenix est le contexte parfait pour se relancer et se rappeler au bon souvenir des observateurs de la ligue. Ajoutez à cela quelques tireurs (les deux Johnson, Kaminsky, Bridges…) et un bon gestionnaire pour chapeauter tout cela en la personne de Ricky Rubio, et vous obtenez une attaque capable de nous pondre de gros cartons régulièrement, et pourquoi pas d’intégrer le top 15 de la ligue au niveau de l’offensive rating. De toute façon, il faudra au moins ça si les Suns veulent jouer un rôle dans la conférence Ouest.
La profondeur de l’effectif est également intéressante. Tous les postes sont doublés par des remplaçants solides, de quoi survivre tant bien que mal en cas de blessure d’un joueur du 5 (mieux que l’an dernier, en tout cas). Cependant, il y aura également une carte à jouer pour les jeunes recrues, notamment Ty Jerome qui pourrait venir titiller Tyler Johnson pour le poste de meneur numéro 2 s’il venait à confirmer le potentiel entrevu à la fac.
Faiblesses du roster
On n’a pas parlé de défense jusqu’à présent, et il y a une bonne raison. Les Suns étaient une passoire la saison dernière (bon, et celles d’avant aussi) et même si Aron Baynes est là pour assurer sur le côté guerrier, que Bridges et Rubio ne sont pas les premiers escrocs venus en défense, l’affaire s’annonce une nouvelle fois compliquée. Tout va dépendre de la progression de DeAndre Ayton au niveau de la protection du cercle mais s’il repart sur les mêmes bases “gentilles” que l’an dernier, les intérieurs adverses risquent de s’en donner une fois de plus à coeur joie. Non contents de laisser leurs adversaires shooter dans un fauteuil, les Suns avaient en plus la sympathique habitude de se faire rouler dessus au rebond, offrant quantités de secondes chances. Baynes devrait aider dans ce secteur mais il ne jouera vraisemblablement que 15 à 20 minutes par match, et il faudra bien trouver le moyen d’être efficace quand il sera sur le banc. La présence de Saric et Kaminsky pour épauler Ayton peut s’avérer bénéfique dans cette optique, mais le mal semblait si profond l’an passé, que l’on a du mal à imaginer que tout s’estompe du jour au lendemain.
Sur les extérieurs, il va falloir camoufler tant bien que mal Devin Booker qui est tout sauf une terreur défensive (d’où l’intérêt de titulariser Mikal Bridges) et espérer que Rubio soit à la hauteur de sa réputation défensive pour survivre aux assauts des différents duos d’extérieurs prolifiques qui peuplent la ligue. Malheureusement, introduire un défenseur performant dans un dispositif historiquement faible ne suffit pas à faire de celui-ci une forteresse, et le risque de voir Rubio couler sous le flot de responsabilités est bien réel, surtout qu’il n’aura plus la protection de cercle de Rudy Gobert pour l’aider.
Enfin, l’effectif a été amélioré au prix de nombreux moves, les joueurs ne se connaissent donc pas encore et vont devoir trouver des automatismes. La NBA a vu son paysage remanié et beaucoup d’équipes auront besoin de trouver la bonne carburation. Cependant, un groupe jeune, ne possédant aucune culture de la gagne et étant habitué à se faire écraser soir après soir risque d’avoir besoin d’un peu plus de temps que les autres pour engranger de la confiance. Mais la concurrence n’attend pas et le manque de repères collectifs risque de peser lourd en début de saison, surtout au regard du mois de novembre qui attend les Suns.
Le joueur clé : DeAndre Ayton
On l’a évoqué au-dessus, et on va insister : DeAndre Ayton doit absolument prendre le jeu à son compte cette année. Passé sous les radars car le monde n’avait d’yeux que pour Luka Doncic (il existe peut-être deux ou trois raisons valables à cela), le bahaméen a réalisé une saison rookie des plus solides (16.3 pts, 10.3 rbds) mais l’impression visuelle laissait un goût d’inachevé. Il n’était pas rare de voir Ayton réaliser un gros début de match avant de s’effacer petit à petit, pour ne plus avoir qu’un rôle anecdotique en fin de partie. Les dysfonctionnements connus par Phoenix en 2018-2019 ne sont pas étrangers à cela mais s’il veut assumer son statut de n°1, le pivot va devoir apprendre à taper du poing sur la table et à exiger d’être servi au poste bas sur 5 possessions consécutives si son adversaire est incapable de le tenir. Il devra également gagner en régularité sur son tir à mi-distance pour obliger son vis-à-vis à sortir sur lui, pour pouvoir utiliser ensuite sa vitesse et ses moves pour attaquer le cercle.
En tout cas, la présence de Ricky Rubio devrait grandement l’aider à se procurer des occasions, car on imagine mal l’espagnol laisser son pivot démuni s’il sent que celui-ci domine la défense adverse. Il faudra alors que Devin Booker accepte de laisser une partie des lumières à son coéquipier, mais puisque la priorité absolue de ce bon Devin est de gagner des matchs, il ne devrait avoir aucun mal à se sacrifier pour le bien commun…
La problématique de l’équipe : Un plafond bas
Soyons fous, imaginons que tout se goupille bien à Phoenix, que l’attaque se met à carburer à plein régime, que Booker devient All-Star et qu’Ayton tourne en 20-12. Est-ce que cela suffirait à se qualifier pour les playoffs, dans cette conférence Ouest complètement folle ? Probablement pas. L’effectif a enfin la tête d’un effectif NBA, mais à part de jolis coups d’éclat ça et là, il ne semble pas y avoir grand chose à espérer d’un point de vue comptable. Ce n’est donc pas sur le nombre de victoires que l’on jugera ou non de la réussite de cette saison 2019-2020, mais sur le contenu. Au-delà des défaites, le jeu proposé par Phoenix était d’une pauvreté sidérante l’an passé et cela doit absolument cesser. James Jones semble affectionner le dicton “un tiens vaut mieux que deux tu l’auras”, en sacrifiant une partie du futur pour construire une équipe correcte dès maintenant, plutôt que d’enchaîner les saisons de tanking pour des jours meilleurs qui n’arrivent pas. A-t-il raison ou non, c’est un autre débat.
Pronostic
14e à l’Ouest (Entre 30 et 35 victoires)
C’est encore trop faible pour jouer les trublions, mais ça aura au moins le mérite de poser des problèmes à l’adversaire de manière durable. Sauf miracle, les Suns ne devraient pas approcher les 40 victoires mais comme on vient de le voir, les ingrédients sont là, et on sent que cette équipe a les moyens de proposer quelque chose de rafraîchissant, avec plus de maturité et des joueurs dont le talent, même s’il n’est pas toujours immense, ne fait pas de doute. Espérer voir les Suns pratiquer un basket enthousiasmant et traduire cela par une quinzaine de victoires supplémentaires par rapport à la saison dernière n’a rien de déraisonnable, mais il faudra faire preuve de force mentale dès le début pour ne pas sombrer dans le ridicule si les défaites viennent à s’enchaîner par moments (et de tels moments arriveront).